Les premiers organismes vivants sont-ils apparus sur Terre ou ailleurs dans l’espace ? Dans la seconde hypothèse, la vie pourrait se répandre de systèmes planétaires en systèmes planétaires dans la Voie lactée. Cette théorie de la panspermie vient de recevoir un soutien avec la preuve apportée par l’Esa que des lichens peuvent supporter plus d’un an d’exposition aux conditions de l’espace.
Dès le XIXe siècle, Darwin avait émis une hypothèse sur l’origine de la vie dans une lettre en ces termes : « Il est souvent affirmé que les conditions permettant la première production d'un être vivant sont tout aussi bien réunies actuellement qu'elles ne l'ont jamais été dans le passé.. Mais si (et oh !, quel grand si) nous pouvions concevoir, dans quelque petite mare chaude, en présence de toutes sortes de sels d'ammoniac et d'acide phosphorique, de lumière, de chaleur, d'électricité, etc., qu'un composé de protéine fût chimiquement formé, prêt à subir des changements encore plus complexes, aujourd'hui une telle matière serait instantanément dévorée ou absorbée, ce qui n'aurait pas été le cas avant l'apparition des créatures vivantes ». Il s'opposait à l'argument avancé pour réfuter une apparition spontanée de la vie, impliquant que le processus, s'il était vrai, devait être observable aujourd'hui. Cette idée devait inspirer par la suite bon nombre de biologistes et de chimistes dans les décennies qui suivirent.
Mais cette petite mare chaude devait-elle nécessairement se trouver sur Terre ? Si ce n’était pas le cas, il fallait trouver un moyen pour que la vie soit transportée de son lieu de naissance sur notre planète.
Remarquablement, le premier à avoir proposé un tel moyen n’était autre que lord Kelvin en 1871. Selon lui, lors de chocs de petits corps célestes à la surface d’une planète de notre Système solaire où la vie avait pu démarrer, certains organismes vivants avaient pu se trouver piégés au cœur des éjectas propulsés dans l’espace pour retomber un jour sur Terre à l’intérieur des météorites. Peu de collègues de Kelvin furent convaincus car selon eux, les conditions du vide interplanétaire devaient tuer rapidement ces organismes.
Mais au début du XXe siècle le chimiste Svante Arrhenius donna une nouvelle impulsion à l’idée d’une propagation des formes de vie de planètes en planètes, en se basant sur plusieurs découvertes. D’abord que des spores restaient vivantes après avoir été plongées dans de l'azote liquide et ensuite que la lumière pouvait exercer une pression sur un corps comme l’avait démontré en 1899 le célèbre physicien russe Piotr Nikolaïevitch Lebedev (l’effet avait été prédit théoriquement par Poyting).
On pouvait donc imaginer des spores, ou l’équivalent, apportant la vie cette fois dans toute la Galaxie en voyageant d’exoplanètes en exoplanètes, poussées par le souffle de lumière des étoiles. Cette théorie dite de la panspermie, et ses variantes, était fort ancienne car Anaxagore, le grand philosophe grec, l’avait déjà proposée il y a 2.500 ans en lui donnant même cette dénomination.
Cependant, une telle théorie ne fait que repousser un problème, et même si elle a été soutenue au cours du XXe siècle par des chercheurs aussi éminents que Fred Hoyle ou Francis Crick, il restait à comprendre comment la vie elle-même était apparue.
C’est pourquoi, plutôt que de multiplier les hypothèses, on a développé des théories pour l’apparition de la vie sur la Terre elle-même. C’est ainsi que dans les années 1920 le biochimiste russe Aleksandr Oparin et le biologiste anglais John Burton Haldane vont reprendre l’hypothèse de Darwin en remplaçant sa petite mare chaude par les mers et les océans de la Terre primitive, enrichis en molécules prébiotiques par des réactions dans l’atmosphère initiale de la Terre, supposée différente de notre atmosphère actuelle.
C'est la théorie de la soupe chaude primitive qui reçut une forte impulsion à la suite des expériences de Stanley Miller. Plusieurs variantes ont été proposées, dont celles de petites mares chaudes à la surface des comètes, ce qui était une façon de conserver les idées de la panspermie.
De nos jours, on continue toutefois à s’intéresser à la panspermie, notamment la théorie de la lithopanspermie, c'est-à-dire que plus spécifiquement que dans le Système solaire, la vie a pu se propager de planètes en planètes grâce aux météorites, comme Kelvin l’avait proposé. On a d'ailleurs pensé avoir découvert une indication forte en faveur de cette théorie devant ce qui avait été interprété comme de probables traces fossiles de micro-organismes dans la météorite martienne ALH84001, une achondrite découverte en Antarctique dans la région d’Allan Hills en décembre 1984, d’où son nom. Il avait fallu déchanter.
C'est dans ce contexte qu'a été lancé il y a quelques années le projet Expose. Il s’agissait d’évaluer l'effet de l'environnement spatial sur des objets biologiques ou des molécules présentant un intérêt pour l'exobiologie ou la planétologie. L’un des buts de la mission était donc d'évaluer le taux de survie des échantillons biologiques et l’effet biologique des radiations tant pour valider des mesures de protection planétaire que pour tester certaines hypothèses de la théorie de la panspermie.
Pour cela, les expériences devaient se dérouler à l’intérieur d’un équipement fixé au module européen Columbus faisant partie de l’ISS. En raison de diverses contraintes, l'Esa avait négocié avec la Russie la mise en place d’un équipement similaire sur le module Svezda (« étoile » en russe). Finalement Expose-E (E pour Europe) a rejoint l'ISS en 2008 avec quelques mois d'avance sur Expose-R (R pour Russie).
Le journal Astrobiology vient de publier plusieurs articles faisant un premier bilan des expériences effectuées dans Expose-E. Il y a eu notamment celle baptisée Life, dédiée à l’étude de l'effet de radiations sur des lichens, des champignons et des symbiotes.
Les lichens représentant l’espèce Xanthoria elegans se sont révélés durs à tuer. Presque 1,5 an d’expositions aux U.V. solaires, aux rayons cosmiques et aux variations de températures n’ont pas eu raison de certains d’entre eux. Ainsi, lors de leur séjour dans l’espace, les températures ont varié plus de 200 fois de –12 °C à +40 °C. Selon les chercheurs, ces organismes se seraient ainsi mis dans une sorte d’état de stase en attendant des conditions de vie meilleures.
Ils précisent tout de même que si c’est un résultat intéressant pour qui pense que la vie est peut-être d’abord apparue sur Mars et a ensuite été apportée sur Terre par une météorite, la durée d’exposition aux conditions du vide spatial est encore bien trop courte pour affirmer que cette hypothèse est vraiment tenable.
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