source : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/18/dinosaures-au-temps-des-longs-cous_1777692_1650684.htmlEn 1868, reconstituant le squelette d'Elasmosaurus, un reptile marin, le célèbre Edward Cope plaça le crâne à la mauvaise extrémité de l'animal, confondant la queue et le cou. Un paléontologue ne commettrait sans doute plus pareille erreur, surtout s'il s'intéresse aux dinosaures, et parmi eux aux sauropodes, tant le cou démesuré de ces herbivores, qui furent les plus gros animaux terrestres, prend une place prépondérante dans la connaissance de leur histoire évolutive.
Ces colosses débutèrent en fait petitement. Apparus en Amérique du Sud au trias supérieur, il y a environ 220 millions d'années, Saturnalia ou Panphagia, premiers sauropodomorphes connus, ne pesaient qu'une dizaine de kilos. Ils allaient donner naissance à une lignée de géants dont les données récentes montrent que la plupart se situaient dans une fourchette de 15 à 40 tonnes, avec quelques espèces de très grande taille frôlant les 100 tonnes – soit une augmentation spectaculaire de quatre ordres de grandeur ! Les petits sauropodes (moins de quatre ou cinq tonnes) sont, eux, pratiquement inconnus, formes naines insulaires exceptées. Comparativement, les plus imposants représentants des autres lignées de dinosaures dépassaient rarement dix tonnes et s'éloignaient peu des plus grands mammifères terrestres.
Ce gigantisme impressionne. Et intrigue, car il foule au pied la célèbre "loi" de Cope, qui postule un accroissement graduel de la taille des organismes au cours de leur histoire évolutive. Les sauropodes, eux, ne font pas dans la mesure : même les taxons les plus petits sont d'un ordre de grandeur plus gros que leurs ancêtres, et des restes trouvés en Thaïlande montrent que les espèces basales avaient atteint une taille respectable quelques millions d'années seulement après l'apparition de la lignée.
La brutale apparition de ce trait caractéristique du groupe suggère une innovation majeure présente dès le début de son histoire. Mais quelle était-elle ?
C'est pour le savoir qu'en mars 2004, la Fondation pour la recherche allemande a créé une unité de recherche interdisciplinaire sur la paléobiologie des sauropodes, spécifiquement consacrée à la problématique de l'apparition du gigantisme. Son directeur, le paléontologue Martin Sander, de l'université de Bonn, formulait dès 2008 dans la revue Science une première hypothèse : le très long cou des sauropodes serait l'innovation-clé, au coeur de leur évolution vers le gigantisme.
La taille du cou est sans conteste la caractéristique la plus remarquable du plan d'organisation des sauropodes : les espèces les plus grandes ont un cou relativement plus long - cet étirement s'expliquant à la fois par une élongation des vertèbres et par l'augmentation de leur nombre (jusqu'à 19 chez Mamenchisaurus).
A quoi pouvait bien servir un cou de plus en plus long ? De façon très prosaïque, à pouvoir manger plus sans se fatiguer, d'après l'hypothèse de Martin Sander. Par rapport à un animal à col court, les sauropodes auraient eu accès à une enveloppe alimentaire beaucoup plus importante, et ce pour un coût énergétique réduit.
"Cette hypothèse forte tient vraiment bien la route", juge Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle, qui en illustre l'intérêt par un simple calcul : "Entre la surface du sol et quatre mètres de hauteur, si votre cou balaye une vingtaine de mètres, vous avez déjà 80 m2 de surface à brouter sans bouger les pieds."
Souvent discutée, la capacité physiologique et anatomique des sauropodes à lever la tête passe au second plan : "C'est moins la question de la hauteur que celle de la longueur du cou qui importe, relève M. Allain. Ce sont les mouvements transversaux du cou qui permettent d'avoir accès à la nourriture sans se déplacer." Différentes espèces auraient donc pu exploiter conjointement différentes hauteurs de végétation. Pour Eric Buffetaut, directeur de recherche au CNRS, "cela explique pourquoi, dans un même site paléontologique, on trouve différents sauropodes, qui vivaient dans le même environnement et devaient se partager les différentes ressources végétales".
Les sauropodes accédaient à plus de nourriture plus facilement, mais pouvaient également se nourrir plus vite en sautant les étapes de la mastication et du broyage gastrique. Ne pas mâcher relevait d'une contrainte biomécanique forte : compte tenu de la taille de leur cou, leur tête devait être légère, donc petite, ce qui exclue qu'elle ait pu accueillir une dentition et une musculature masticatoires.
Des travaux expérimentaux récents sur les autruches et d'autres oiseaux herbivores invalident l'idée qu'ils aient pu avaler des pierres (les "gastrolithes") pour les aider à digérer. En ce cas, seul un hypothétique système de fermentation digestive leur aurait permis d'assimiler des particules végétales de grande taille.
En dehors de leur long cou, les sauropodes se caractérisent par un autre trait crucial dans l'apparition du gigantisme : un système respiratoire analogue à celui des oiseaux, acquis et perfectionné au cours de leur histoire.
Une grande partie de leur squelette axial, incluant parfois les côtes, présente en effet des cavités connues depuis longtemps, envahissant même les vertèbres de queue et les ischions chez les espèces les plus dérivées. Les paléontologues s'accordent désormais à dire que cette "pneumatisation" signe un système respiratoire de type aviaire, dans lequel un flux d'air circule de façon continue dans les poumons et dans un réseau de sacs aériens contenus dans les cavités osseuses.
Ce système aurait doublé la capacité respiratoire de l'animal tout en diminuant le coût énergétique de la respiration, grâce à l'augmentation des surfaces internes permettant d'éliminer les excès de chaleur corporelle. Il influait aussi directement sur la longueur du cou en l'allégeant (ainsi que le reste du squelette) et en éliminant les problèmes liés à une trachée trop longue, compliquant l'exhalaison de l'air vicié.
Nantis de ces deux traits optimaux pour la quête des ressources énergétiques, le long cou et la respiration aviaire, les sauropodes étaient parés pour le gigantisme. A condition, toutefois, de pouvoir parvenir rapidement à une taille suffisante pour leur conférer un avantage contre les prédateurs. Pour cela, un taux de croissance élevé et un métabolisme rapide étaient indispensables.
Si l'on a longtemps vu les sauropodes comme des gros lézards à sang froid, n'ayant pas besoin d'autant de nourriture qu'un animal à sang chaud, cette représentation est complètement tombée en désuétude grâce à une cohorte d'études histologiques osseuses.
Au sein du groupe de recherche de Martin Sander, Maïtena Dumont (Institut Max-Planck) a étudié la structure des os longs des sauropodes et montré qu'ils ne présentaient pas d'adaptations structurales particulières dues au gigantisme, tout en confortant l'idée d'un métabolisme élevé : "La microstructure osseuse des sauropodes est très similaire à celle des mammifères. L'os est formé de tissu de type fibrolamellaire, caractéristique d'un taux de croissance élevée, présent seulement chez les vertébrés récents de type endothermique [à sang chaud]."
D'autres analyses précisent ces données. Les études isotopiques sur les os et les dents menés par le géochimiste Thomas Tütken (université de Bonn), qui travaille lui aussi dans le groupe de Martin Sander, indiquent par exemple que la température corporelle des sauropodes était similaire à celles des mammifères récents, soit entre 36o C et 38o C. L'analyse des lignes d'arrêt de croissance de l'os cortical livre quant à elle des vitesses de croissance de l'ordre de 500 à 2 000 kg/an, ce qui aurait permis aux sauropodes d'atteindre une taille adulte avant la quatrième décennie.
Ce taux de croissance rapide, à l'échelle de ces animaux, s'inscrit dans la stratégie de reproduction ovipare du groupe, que Martin Sander considère comme le second trait primitif ayant favorisé le gigantisme – ici en réduisant les risques d'extinction, grâce à une faculté de reconstitution rapide des populations, à la suite de crashs populationnels. Les jeunes sauropodes grandissaient vite et atteignaient leur maturité sexuelle dès la deuxième décennie, bien avant leur taille adulte, ce qui compensait la pression prédatrice sans doute très forte sur les juvéniles.
Des facteurs externes auraient-ils accompagné ces innovations biologiques ? Dans l'hypothèse globale, testée aujourd'hui point par point par Martin Sander dans l'optique de l'élever au rang de théorie scientifique, ni les niveaux d'oxygène et de CO2 dans l'atmosphère ni les courbes de température globale ne seraient explicatifs du gigantisme. Non plus qu'un hypothétique accès à des végétaux plus nutritifs. L'extension des étendues de terre et, conséquemment, du couvert végétal serait le seul paramètre physique lié au succès florissant des sauropodes. Ce qui nous ramène, une fois encore, à l'utilité de leur long cou.
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Dinosaures : sur les traces de géants
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Re: Dinosaures : sur les traces de géants
J'ignorais que les oiseaux avaient un système respiratoire différent des mammifères !En dehors de leur long cou, les sauropodes se caractérisent par un autre trait crucial dans l'apparition du gigantisme : un système respiratoire analogue à celui des oiseaux, acquis et perfectionné au cours de leur histoire.
Une grande partie de leur squelette axial, incluant parfois les côtes, présente en effet des cavités connues depuis longtemps, envahissant même les vertèbres de queue et les ischions chez les espèces les plus dérivées. Les paléontologues s'accordent désormais à dire que cette "pneumatisation" signe un système respiratoire de type aviaire, dans lequel un flux d'air circule de façon continue dans les poumons et dans un réseau de sacs aériens contenus dans les cavités osseuses.
Voici un explicatif très intéressant sur le système respiratoire aviaire : http://www.perruche.org/t29055-le-systeme-respiratoire-aviaire
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