source : http://www.atlantico.fr/decryptage/calendrier-maya-fascination-civilisations-disparues-lauric-guillaud-577926.html?page=0,0Fin du monde annoncée par le calendrier Maya, géoglyphes pré-Incas et films cultes, les civilisations disparues nous ont toujours fasciné qu'elles aient été réelles ou qu'elles soient imaginaires.
Atlantico : Calendrier Maya, géoglyphes pré-incas, secrets des pyramides d’Egyptienne, les occidentaux semblent totalement fascinés par les civilisations disparues. Entre tensions communautaires et crise économique, est-ce la sensation que notre monde court à sa perte qui nous pousse vers ces civilisations ?
Lauric Guillaud : Pour reprendre les points développés ci-dessus, nous ne faisons que revivre la crise des imaginaires du XIXe siècle, qui se développa jusqu’aux années 1930, quand l’Occident réalisa que les promesses de progrès pouvaient conduire au cauchemar. Constat effrayant : nous sommes responsables de la disparition des civilisations aztèques et mayas, des sociétés amérindiennes de l’Amérique du Nord, et de bien d’autres en Afrique, en Asie ou en Océanie. Le temps que naisse l’anthropologie, la plupart de ces cultures étaient anéanties. Notre monde court à sa perte depuis que les sociétés dites primitives courent à leur perte (et par notre faute). Le cycle des naissances et des morts des civilisations, paradoxalement mis au jour par la science, ne peut que nous renvoyer à une destinée identique. La crise du progrès des sociétés occidentales devrait inciter à relire les mythologues de l’éternel retour comme Jean-Charles Pichon (L’Homme et les dieux).
Cherchons-nous à retrouver une forme de grandeur disparue à travers ces cités grandioses ? La réalité de ces sociétés était-elle si idyllique ?
De nombreux romans et de nombreuses œuvres picturales n’ont cessé de montrer la grandeur de ces empires défunts. Les Espagnols et les Portugais ont réussi à anéantir des empires aussi brillants que les royaumes hispaniques de l’époque. Les utopistes du XVIIe siècle se sont largement inspirés des cités aztèques en qui ils voyaient une forme de perfection architecturale et donc sociale. Nous sommes fascinés par des monuments gigantesques qui défient le temps tandis que nous bâtissons des ouvrages fugaces, sans doute parce que, inconsciemment, nous savons que nous sommes résignés, voire condamnés à la fugacité. Nous ne pouvons donc que nous accrocher au passé, faute de perspectives enthousiasmantes.
Comment expliquer que nous accordions une telle importance au calendrier d’une société dont le développement technologique n’est en aucun cas comparable à celui de notre civilisation ?
Parlons des Mayas étant donné l’actualité eschatologique du moment. Les Mayas fascinent les explorateurs et les chercheurs depuis le XIXe siècle. Une grande civilisation disparut brusquement (du moins le crut-on) en laissant derrière elle des monuments et des vestiges impressionnants. Comme pour l’Atlantide, matrice de tous les mystères, on parla d’un mystère maya. Certains, d’ailleurs, comme Donnelly au XIXe siècle, tentèrent de rattacher les pyramides mayas aux pyramides égyptiennes afin de les lier culturellement à la civilisation atlante (théorie diffusioniste). Puis, il y eut les délires hyper-matérialistes de « l’archéologie spatiale » dans les années 1960-70 qui tentèrent d’imputer aux extraterrestres l’origine de monuments cyclopéens.
Nous avons enfin l’absurde prédiction de fin du monde prétendument liée au calendrier maya et amplifiée par internet. Comme le rappelle Eric Taladoire (Nouvel Obs, 13-19 déc. 2012), il s’agit d’un calendrier cyclique : « A la fin d’un cycle, un autre commence. Ce n’est pas une fin du monde, mais une fin de cycle… Pour les Mayas, chaque fin du monde ouvre la porte à une nouvelle création et la fin du monde est une promesse de renouveau ». C’est dire que tout recommence de zéro, avec la venue d’un nouveau dieu responsable d’un nouvel ordre. Nous ne pouvons comprendre un système (cyclique) qui par définition s’oppose à la vision progressiste occidentale.
Il est évident que nous sommes hantés par l’idée de fin du monde, qu’elle soit issue de la littérature de science-fiction, du cinéma-catastrophe ou plus prosaïquement d’une crise socio-économique profonde. Or, nous faisons face à une fin de monde mais non à une fin du monde, celle-ci n’ayant aucun sens. Cette fin de monde est déjà survenue mais nous l’oublions ou feignons de l’ignorer. Quand Colomb, à la fin du XVe siècle, a prétendument découvert l’Amérique, il l’a fait dans un climat millénariste (ou apocalyptique), dans un concert de prophéties tirées de la Bible. Ouvrir l’Amérique à la colonisation, et donc à l’avenir, revenait à passer d’un monde à un autre (le « nouveau » monde face à l’ancien), celui dans lequel nous évoluons depuis et qui se disloque peu à peu.
Rappelons cette vérité de base : l’Apocalypse (de St Jean) se termine bien. Il n’y a pas fin du monde mais un combat cosmique (l’Armaggedon) qui oppose les légions de Dieu à celles de Satan et qui se termine par la défaite de ce dernier. Après suivent selon St Jean « mille ans de bonheur » (le millénarisme)…
Nous vivons indubitablement des temps troublés qui ne peuvent être décryptés par des moyens rationnels. Seul l’imaginaire (littéraire et iconographique) et l’approche cyclique permettent à mon sens d’entrevoir les vagues silhouettes de la future humanité, loin du fanatisme scientiste ou sectaire.
Avons-nous cessé de croire en notre science ?
Pour les raisons évoquées ci-dessus, il est clair que la science et le progrès ne jouissent plus du même crédit qu’au siècle précédent. La plupart des problèmes actuels sont d’ailleurs dus à la science. La technologie continue de fasciner et même de générer une forme nouvelle d’addiction, mais les gens ne sont pas plus heureux pour autant. L’homme ne peut aller vers la Liberté en se livrant pieds et poings liés à la technologie galopante. Si les civilisations perdues maintiennent leur fascination, c’est peut-être qu’elles renferment quelque part le secret de leur apogée et de leur déclin, que l’homme moderne voudrait bien percer avant de succomber à son tour.
Les humains ont-ils arrêté de regarder en avant pour regarder en arrière notamment dans le domaine de la littérature ?
L’imaginaire est aujourd’hui déterminé par un contexte de crise tout azimut qui remet en cause le sens de la flèche traditionnelle du progrès. Il ne s’agit pas de critiquer mais de constater que nous avons peur de l’avenir. « No future », disent les jeunes générations branchées sur un présent apparemment éternel, le « présentisme ». Partout affleure l’idée de retour, pour le meilleur et pour le pire. Mode rétro d’un côté, retour des modèles mythiques de l’autre phénomène que j’ai tenté de circonscrire dans mon dernier ouvrage Le retour des morts : retour des héros et des super-héros, des morts-vivants et des monstres dans le domaine de la croyance et de l’imaginaire ; retour du refoulé et des anciennes idéologies totalitaires dans le domaine de la réalité. Regressus gigantesque qui donne le vertige et qui conduit aux aberrations du prophétisme fanatique. Plongée béatifique dans la sécurité de l’hier. Eternel mystère cyclique des civilisations disparues.
Pour aller plus loin :
D’où vient la fascination pour les civilisations perdues ? Pour répondre à cette question, il faut opérer un retour en arrière, au moment où, conjointement, l’archéologie et l’exploration ouvrent de nouvelles perspectives à l’Occident à la fin du XIXème siècle. Au même moment, un nouveau genre littéraire se fait jour : le « lost-race tale » ou « roman de monde perdu » qui conte sur le mode anachronique l’improbable rencontre de modernes et de représentants des civilisations disparues (mayas, aztèques, grecques, romaines, égyptiennes, etc.). La fascination pour les civilisations perdues est avant tout un gigantesque mouvement de l’imaginaire généré par les nouvelles sciences. Elle s’accompagne d’un double mouvement : d’un côté, exprimant une sorte de nostalgie enfantine pour ces mondes des commencements, elle est source d’émerveillement ; de l’autre, elle renvoie le monde occidental à sa fin logique en dévoilant le cycle tragique des civilisations successives. Curieusement, les mondes perdus incarnent un imaginaire de crise qui n’est pas sans rappeler les paradoxes de l’imaginaire de la fin du XIXe siècle, alors que la proto-science-fiction célébrait le « merveilleux scientifique » tout en multipliant, comme aujourd’hui, les histoires de fin du monde. Mais un peu d’histoire pour commencer.
Petit rappel historique :
La naissance du genre littéraire du « monde perdu » ou des « civilisations perdues », autour des années 1860, correspond à la résurgence d’anciens mythes qui se greffent sur les acquis de la science contemporaine. Á la fin du XIXe siècle, les taches blanches disparaissent de la carte du monde. L’élan vers le merveilleux semble voué au déclin. C'est oublier toutefois la vitalité de l'esprit d'aventure. Les romanciers comme H. Rider Haggard ressourcent le genre, élevant leur propos au niveau du mythe _la quête d'un monde fabuleux.
La tradition du voyage est renouvelée par des auteurs fascinés par les pays encore vierges où survivent peuples ou créatures mystérieux. C'est ce caractère anachronique de l'inconnu qui fait le charme du voyage au « monde perdu », charme qu'a bien compris Jules Verne, qui dans Voyage au centre de la Terre (1864), fait coïncider la descente des héros à l'intérieur de la terre avec une véritable régression dans le temps. La fiction est soudain concurrencée par les nouvelles sciences. Le potentiel fabulateur du darwinisme, de l’archéologie ou de la paléontologie contamine la littérature de l'imaginaire, la science investissant les taches blanches sur le globe et les zones oniriques du passé. Par le biais des explorations, l’homme moderne redécouvre paradoxalement les mythes ancestraux (Atlantide ou Terre creuse). Le pithécanthrope se confond avec le géant de la légende, et le dinosaure avec le dragon. Sous couvert de science, on réinvente la mythologie. Ici, l'enfer est accessible ; il suffit d'avoir la bonne carte, comme celle des Mines du Roi Salomon (Haggard). Á la manière de ses ancêtres mythiques, le quêteur du XIXe siècle enfreint les interdits que constituent la révélation de la vie éternelle (She de Haggard), du secret suprême (Etidorhpa de J. U. Lloyd) ou de l'antique sagesse (l'oeuvre de T. Mundy). Il s'agit de retrouver un trésor, un paradis sur terre ou sous la terre ou le secret de l'éternelle jeunesse. Le héros peut affronter les dragons du Monde perdu (Conan Doyle), rencontrer des chevaliers en Afrique (Tarzan, Seigneur de la Jungle de E. R. Burroughs), des nains vivant sous terre (le « petit peuple » de A. Machen et J. Buchan) ou un kraken monstrueux (Les Habitants du Mirage de A. Merritt). Même si le roman se nourrit, dans un effort de crédibilité, des derniers acquis des sciences, c'est le romanesque qui l'emporte. Les années 30 ne feront qu'accentuer cette tendance au fantastique (heroic fantasy, mélange des genres). 1933 semble une date charnière. La morale du livre de J. Hilton, Horizons Perdus, au titre éloquent, est ouvertement pessimiste : la sagesse orientale est inaccessible à l’homme moderne. Dans King-Kong (1933), le héros n’est plus le quêteur, mais le survivant du monde perdu. La mort barbare de Kong, c’est la défaite de la civilisation et le triomphe du mythe. Le genre glisse vers un fantastique qui se débride avant de dépérir. Si les mondes perdus semblent disparaître à l’orée du deuxième conflit mondial, ils ne meurent sous leur forme traditionnelle que pour dynamiser la fantasy aujourd’hui triomphante. On redécouvre d’ailleurs le mythe du monde perdu sous sa forme cinématographique (Indiana Jones, Allan Quatermain, Le Monde perdu, King Kong), au moment où l’on célèbre l’aventure et le mystère des espaces vierges.
Ce type de fiction démontre la vitalité d'un genre hybride qui reflète le rêve éternel de partir « à la recherche de l'empire caché » (F. Lacassin). Ce rêve devenu cauchemar (la colonisation) s'est incarné notamment dans la fiction de Verne, Haggard et Burroughs, qui a réactivé, en quelque sorte, l’épopée de Gilgamesh. L'histoire du genre est celle de la dégradation de l'aventure, ainsi que celle de l'intrusion d'un exotisme inquiétant (Fu-Manchu) au sein des jungles urbaines. S'inscrivant à la fois dans la tradition du voyage extraordinaire et du voyage vécu, ce type de romans renouvelle le genre en y adjoignant une dimension mythique. La nouveauté n'est ici que renouveau, l'originalité n'étant que la réactualisation de l'origine, la trame mythique. Comme l'a montré C. Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, le rêve du « vrai voyage » a cédé la place au désenchantement : les horizons sont désormais « perdus » (Lost Horizon de J. Hilton). Nul ne s'étonnera des derniers avatars « modernes » de l'aventure mystérieuse que sont le cinéma, la B.D. ou les jeux vidéo. Indiana Jones ne cesse d'entreprendre son éternelle quête du Graal, sur les traces de Blake et Mortimer. « Peut-être, finalement, sommes-nous tous orphelins de Gilgamesh ? », se demandait Hugo Pratt, père spirituel de Corto Maltese.
Archéologie et mondes perdus :
L’exhumation des reliques du passé révèle à la fois la passion du progrès scientifique et ce qu’Eliade et Servier nomment « nostalgie du primordial » et « nostalgie du royaume perdu » : les efforts des anthropologues, des historiens des religions et des scientifiques, tous habités, dans la seconde moitié du XIXe siècle par le désir ardent de recouvrer le passé perdu, la volonté de revivre l'Age d'Or des temps premiers, l'époque béatifique des commencements. Ainsi coexistent progrès et régression, tandis que les trésors de l’archéologie prophétisent le trépas inéluctable des civilisations. Tout semble confirmer la fameuse sentence de Paul Valéry, prononcée en 1919 : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
Ces exhumations suscitent un regain d’intérêt pour l’Antiquité, garantissant un nouveau rapport au passé, tout en ouvrant une crise des savoirs et des imaginaires qui affecte aussi bien les arts plastiques que les représentations collectives. L’archéologie se présente comme un livre « monumental », constitué de « pages de pierre » susceptibles de ranimer le bruissement des voix du passé, incarnant le passage de l’écriture à la parole, traquant le potentiel de vie ou de survie derrière la mort apparente. Faut-il donc s’étonner que le « roman archéologique » prétende à la « résurrection intégrale », alors que s’affairent dans des « sépulcres mystérieux » des savants avides de percer les mystères du passé, de lire l’avenir des ruines, de mettre au jour de magnifiques dépouilles d’un âge oublié par l’histoire, exhumations impies qu’on interprètera comme autant de viols de sépultures ?
L’archéologie, parce qu’elle provoque l’irruption dans le présent des traces d’un passé qui par cette seule opération devient tangible, et par là même semble reprendre vie, ouvre la porte au fantastique : de Théophile Gauthier à Jensen, le thème du jeune homme tombé amoureux d’une morte antique va parcourir la littérature.
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