C'était une légende, de la littérature et du cinéma. Un homme qui avait épouvanté l'Amérique par ses histoires où la raison se heurtait à la fatalité, la logique au surnaturel. Richard Matheson, l'auteur américain des best-sellers Je suis une légende et L'Homme qui rétrécit, est mort le 23 juin à l'âge de 87 ans à Calabasas (Californie). Hormis peut-être Stephen King, qui le considère comme son maître àpenser, peu d'écrivains ont eu une influence aussi considérable sur la culturepopulaire que Richard Matheson.
Scénariste de nombreux films de cinéma et de télévision, romancier prolifique, celui-ci a mené pendant soixante ans une double carrière d'écrivain et de scénariste, couronnée de succès. Car Matheson parvenait non seulement àrendre divertissantes des histoires horrifiques, mais aussi à donner une dimension métaphysique à ses dystopies enracinées dans les peurs universelles de l'humanité – mort, solitude, folie.
En conférant aux grands mythes de la littérature gothique un cadre contemporain, quasi-trivial, en s'attachant davantage à la psychologie d'individus en proie à un monde hostile qu'à des inventions futuristes, il a modernisé la science-fiction et élargi son influence à tous les publics.
Dans ses livres, les fléaux qui s'abattaient sur les personnages ne possédaient pas toujours d'origine identifiée. Là n'était pas l'essentiel. Le cœur de ses intrigues portait sur l'attitude de solitaires contre la fatalité et leur lutte morale et physiquepour tenter de triompher, souvent sans succès, de menaces qui les guettent. Seraient-ils fous ? Se montreraient-ils raisonnables, combatifs ?
Matheson était, disait-il, un "terroriste de quartier". Chez lui, l'étrange contaminait le quotidien. Le surnaturel surgissait au coin de la rue ou sur l'aile d'un avion. Les vampires dormaient non dans des cercueils, mais dans les congélateurs de supermarchés. "Dans un monde où l'horreur constituait la norme, nul salut ne pouvait venir des rêves. Il avait pris son parti de l'horreur, mais sa banalité lui paraissait un obstacle infranchissable", lit-on dans Je suis une légende. Ayant abordé tous les genres littéraires (science-fiction, épouvante, roman de guerre, d'amour, western) et se moquant de toutes les étiquettes, il se considérait avant tout comme un conteur. "Richard Matheson, Storyteller", l'épitaphe idéale, selon lui.
Né dans le New Jersey en 1926, élevé dans le quartier de Brooklyn à New York, Richard Matheson a combattu dans l'infanterie pendant la seconde guerre mondiale. Après sa démobilisation, il a obtenu un diplôme de journalisme de l'Université du Missouri en 1949 et déménagé deux ans plus tard en Californie, où il rencontrera sa future femme, Ruth, mère de ses quatre enfants.
Sa carrière débute en 1950, avec la publication dans un magazine de SF de sa nouvelle Le Journal d'un monstre, l'histoire d'un enfant qui hait ses parents. Considéré aujourd'hui comme un classique, ce récit a aussitôt établi sa renommée. Fait rare au vu de sa longueur exceptionnelle, sa carrière n'a jamais connu d'éclipse.
Les fifties ont consacré le jeune auteur. C'est la décennie qui voit paraître ses deux romans les plus populaires à ce jour : Je suis une légende (1954) etL'Homme qui rétrécit (1956). Deux individus confrontés, l'un à sa propre décroissance, l'autre à la perte de la civilisation. Ces livres connurent un gros succès au cinéma. On ne compte pas moins de trois adaptations de Je suis une légende. Dans la dernière réalisée, en 2007, par Francis Lawrence, Will Smithtenait le rôle de Robert Neville, unique survivant d'une Amérique dévastée par les zombies, thème qui inspirera au réalisateur Georges A. Romero sa saga desMorts-vivants.
Parallèlement, Richard Matheson a fait partie des scénaristes de l'âge d'or de la télévision. Dans les années 1960 et 1970, il collabore aux grandes séries télévisées : "La Quatrième dimension" (1959-1964), "Star Trek", "Night Gallery" et, plus tard, à des épisodes d'"Alfred Hitchcock présente" et "Chroniquesmartiennes". Ce sont les 16 épisodes qu'il a signés pour "La Quatrième dimension", souvent repris au cinéma, qui achèvent de faire de lui une icône culturelle. Formule qui désigne ces créateurs qui ont façonné l'imaginaire de plusieurs générations, en l'espèce aussi bien spectateurs que lecteurs.
Inspiré d'un accident de voiture qu'il a eu le jour de l'assassinat du président Kennedy – son véhicule a été violemment percuté par le hayon d'un camion, il écrit pour le cinéma le scénario de Duel, récit paranoïaque tourné en 1971 par un jeune inconnu... Steven Spielberg. "Il m'a donné ma première chance", a confié le cinéaste dans un communiqué publié à l'annonce de la mort de Matheson, dont il admirait l'imagination féconde et la verve ironique. "Pour moi, il appartient à la même catégorie que Ray Bradbury et Isaac Asimov", a-t-il ajouté.
Quarante ans après Duel, Richard Matheson travaillera en 2011 de nouveau avecSteven Spielberg, producteur de Real Steel (2011), adapté d'une de ses nouvelles. Plusieurs autres titres de Richard Matheson ont été portés à l'écran, commeQuelque part dans le temps (1980) et Au-delà de nos rêves (1998).
Dans son œuvre, Richard Matheson distinguait précisément ces deux livres, peut-être parce qu'ils étaient d'inspiration autobiographique, nourris de sa rencontre avec sa femme et de leur histoire d'amour. De nombreux lecteurs lui ont confié qu'ils avaient moins peur de mourir après avoir lu Au-delà de nos rêves. "C'est le plus grand hommage qu'un écrivain peut recevoir", se félicitait-il en 2004. Signé par trois universitaires, le premier essai critique français consacré à son œuvre,Richard Matheson. Il est une légende est sorti en 2011 (Ed. Encrage Université)
Paru en mars en France, son ultime livre, intitulé D'autres royaumes (J'ai lu, "Nouveaux millénaires", 284 p., 18 €), est l'histoire fantastique et teintée d'autodérision d'un vieil écrivain spécialisé dans les romans d'horreur qui entreprend de conter à ses lecteurs les événements à l'origine de sa vocation littéraire. Le narrateur n'hésite pas à se moquer de lui-même et à suggérer une piètre qualité de sa plume ("vingt-sept romans, vingt-sept saletés"). Un facétieux jeu de miroir.
Nommé Grand Maître de l'horreur, distingué par le prix Bram Stoker pour l'ensemble de sa carrière, Matheson devait recevoir le 27 juin le prix Visionnaire décerné aux Etats-Unis par l'Académie des films de science-fiction, fantastique et horreur (Academy of Science Fiction, Fantasy & Horror Films). Il lui sera remis à titre posthume lors de la 39e cérémonie.
source : http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/06/25/richard-matheson-legende-de-la-litterature-et-du-cinema_3436441_3382.html
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