Imaginez un canyon majestueux, constitué de pentes sinueuses, de plateaux, de mesas dignes des meilleurs westerns, de terrasses, de vallées haut perchées, de précipices plongeant à plusieurs milliers de mètres ; un véritable phénomène géologique unique en son genre, au fond duquel on distingue d’anciens lits de rivières secondaires ou des méandres abandonnés. Imaginez maintenant que ce canyon déchire en deux un vaste plateau continental sablonneux ; il est en outre un point de jonction entre les fonds marins et la terre ferme, lieu de mythes et de légendes, qui demeure aujourd’hui encore incompris des chercheurs et négligé de l’opinion. Quelle est ce mystère qui se cache à l’ouest ? Il y a comme qui dirait, un Gouf ! Pourtant il est juste sous notre nez, ce « Gouf » qui, depuis des siècles, fascine scientifiques chercheurs, historiens, surfeurs et plongeurs, faisant l’objet de multiples publications, conférences, travaux universitaires ou campagnes océanographiques. Ce sujet est une véritable boîte de Pandore, dès qu’on l’ouvre, on ne peut plus la refermer, tant se déchaînent les passions, les interrogations, les anecdotes de pêcheurs, de plongeurs, d’océanographes, de marins, etc. Le Gouf de Capbreton ! Le Gouf de Capbreton invisible mais présent Resituons-nous : nous voici au « fond » du Golfe de Gascogne, là où le cordon dunaire de la côte Aquitaine finit sa course avant que le trait de côte ne s’oriente résolument vers l’ouest pour dessiner les Pyrénées,la Côte basque, l’Espagne. Sur la carte, rien de visible : la longue plage de sable qui commence 230 km plus haut, à l’estuaire de la Gironde, s’achève à l’embouchure de l’Adour. Mais les relevés bathymétriques racontent une tout autre histoire : on ne peut qu’être saisi face à l’immensité de cette déchirure spectaculaire. Les sables de l’immense plateau continental s’achèvent brutalement sur des précipices vertigineux. De plus cette vallée sinueuse, digne d’une superproduction hollywoodienne, commence à proximité de la plage, à faible profondeur. Ces derniers points sont caractéristiques du Gouf, car la plupart des canyons sous-marins apparaissent dans des zones plus profondes. Les particularités du Gouf de Capbreton Le Gouf de Capbreton est un canyon si remarquable qu’il sert de modèle à des océanographes du monde entier. Avant même d’être cartographié par les sondes, le Gouf était connu des marins et des pêcheurs pour au moins deux raisons : d’abord sa profondeur soudaine absorbe la puissance des vagues redoutables, dues aux faibles fonds du Golfe ; au fil des siècles, de nombreux bateaux sont venus se réfugier au-dessus du Gouf pour y chercher une mer moins agitée. Le fait est attesté dès 1491 par Charles VIII, accompagné d’un ingénieur. La biodiversité du Gouf de Capbreton Ensuite, l’autre raison qui a fait connaître le Gouf : la pêche. Non seulement les lignes s’affolent et filent vers les grands fonds, mais on en remonte parfois d’extraordinaires poissons, cétacés, crustacés, coraux, mollusques, différents de la faune et la flore locales. Après une vie bien remplie comme naturaliste et capitaine au long-cours, un certain Léopold de Folin devint capitaine du port de Bayonne. Depuis des années, ce chercheur travaillait sur les sédiments marins et notamment les foraminifères, protozoaires d’eaux profondes. Au fil des ans, le marquis de Folin s’est passionné pour le Gouf et y a mené diverses campagnes océanographiques sur des embarcations de toutes tailles. C’est à bord de l’aviso Travailleur en 1875, qu’il constate des profondeurs variant de 400 à 1 400 m. Il remonte dans ses filets un petit « crustacé pourpre d’un éclat remarquable (un gnatophausia), dont on ne connaissait encore que deux échantillons trouvés, l’un aux Açores, l’autre au Brésil. Dans une autre circonstance, les filets revinrent à bord couverts d’une telle quantité d’animalcules phosphorescents qu’il était possible de lire à leur lueur, à la distance de cinq mètres ». Il découvre également des espèces jamais observées : 18 moules de profondeur et un invertébré benthique auquel il donne le nom de bathisiphon cabritonnensis. Une passion pour le Gouf de Capbreton Le Gouf de Capbreton ne cessera jamais de passionner les chercheurs. D’autres campagnes océanographiques vont suivre, qui étudient la géologie du canyon, sa morphologie, ses sédiments et sa faune benthique (profonde). On cartographie quelques-unes de ces fameuses terrasses le long des flancs abrupts et l’on donne des noms aux divers rochers et îlots sous-marins qui parsèment le Gouf ; la première carte bathymétrique est établie en 1935 grâce à l’utilisation des ultrasons. Mais d’ou vient le nom de Gouf ? « Gouf » : cette appellation locale a persisté jusqu’à nos jours. Son origine gasconne fait l’objet d’interprétations diverses, pouvant signifier « trou » et « gouffre », mais aussi « anse » ou « golfe ». Curieusement, il reste à peine quelques traces de ce folklore dans la ville de Capbreton : il existe bien une rue du Gouf, un hôtel du Gouf, et quelques poèmes d’un instituteur des années 1930 (Jean Duboscq) ayant choisi pour pseudonyme « Yan du Gouf », mais en dehors de ces vestiges, le fameux canyon qui enflamme l’imagination des chercheurs aux quatre coins du monde ne fait pas recette dans la commune. La journaliste Anne Tautou, qui travaille sur un livre consacré au Gouf, plaide pour qu’on en fasse une réserve marine ou une station d’observation de la biodiversité. Mais outre les pêcheurs qui y capturent encore de belles prises, le Gouf ne profite plus guère qu’aux plongeurs passionnés du « Capbreton Aquatique Scaphandre Club » qui y organisent des plongées, d’où ils rapportent des photos et même des sons. Bien sûr, il ne s’agit là que d’aller explorer la tête du canyon, qui se trouve à des profondeurs accessibles aux plongeurs. Le Gouf de Capbreton, c’est quoi ? N’empêche. On a beau sonder le Gouf, le carotter, l’échantillonner, le cartographier, on tourne toujours autour du pot et personne n’est capable de vraiment répondre aux questions les plus simples : « Mais qu’est-ce que c’est ? Comment s’est-il formé ? » S’agit-il — comme le prétendent les uns ou les autres — d’une ancienne vallée d’érosion ? D’une faille sismique reliée au plissement pyrénéen ? D’un mouvement tectonique dû au passage de la plaque ibérique sous le continent européen ? D’un estuaire fossile qui se serait agrandi pendant la super-glaciation de Günz ? D’un prolongement du paléo-canyon de Saubrigues ? D’une faille sismique susceptible de produire un tsunami ? Ou, comme le croyait un certain J. O. Dupuy en 1924, est-ce une vallée formée par un bouleversement géologique ayant provoqué la dissolution d’un immense banc de sel gemme, le tout étant relié aux sources thermales de Dax, sur les bords de l’Adour ? Détournement de l’Adour Car une donnée vient brouiller les pistes : par le passé, le fleuve Adour se jetait à Capbreton, qui fut un port suffisamment important pour faire dire à Charles VII : «… Si je n’ai Capbreton et Calais, autant vaut-il pour moi n’avoir aucun port sur les mers !… » Cette troublante conjonction : l’embouchure d’un fleuve se « jetant » directement dans une vallée sous-marine, a fait couler beaucoup d’encre. Peut-on supposer sérieusement qu’un fleuve creuse une vallée sous-marine de plusieurs centaines de kilomètres de long jusqu’à des profondeurs de 3 000 m ? Non sans doute, mais la plupart des canyons marins semblent pourtant se situer dans des zones d’estuaire, comme dans le cas du fleuve Congo, prolongé par un remarquable canyon « de type Gouf ». Les travaux récents des chercheurs du laboratoire d’océanographie UMR EPOC (Université de Bordeaux) confirment le lien entre fleuves et canyons : « des résultats récents montrent l’importance des fleuves dans les phénomènes d’érosion et de sédimentation profonde ». En d’autres temps, lorsque le niveau de la mer était considérablement plus bas, l’entrée du Gouf, de la faille, se situait sur la côte (il était donc visible de la terre ferme). On peut dès lors penser qu’un fleuve, puissant et capricieux, ait choisi de se jeter là parce que le Gouf s’y trouvait, ce creux constituant un formidable exutoire pour ses trop-pleins et ses débordements. Le port de Capbreton En tant que port, Capbreton présentait des avantages : une rade protégée et la présence du Gouf qui calme les vagues et empêche l’accumulation des sédiments rejetés par le fleuve à son embouchure, assurant ainsi une meilleure navigation. Mais cette situation privilégiée prit fin lorsque Charles IX ordonna le détournement définitif de l’Adour au profit de Bayonne. Ce travail titanesque fut confié à l’ingénieur Louis de Foix (qui érigea aussi le phare de Cordouan) et péniblement achevé en 1578, à la faveur d’une tempête qui permit de relier le fleuve à la mer. Par la suite, ingénieurs, marins et hydrographes, tentèrent vainement de ramener les bouches de l’Adour à Capbreton, arguant que la fosse constituait son embouchure naturelle. Cet atout fut mis en avant dans les années 1960, lorsqu’il fut question d’y installer une base pour les sous-marins nucléaires, le Gouf proche du port leur permettant d’accéder rapidement et discrètement à la haute-mer et aux grands fonds. En s’intéressant de plus près au sujet, on entend dire aussi que ces profondeurs obscures ont dû servir de poubelle pour enfouir des déchets toxiques ou radioactifs dont on ne savait trop comment disposer. Il fut même question d’une mission Cousteau pour tenter de récupérer des fûts qui auraient été largués là un peu vite. Mais les profondeurs marines restent si invisibles et impénétrables qu’elles garantissent l’impunité aux pollueurs. Le Gouf de Capbreton selon les chercheurs Un biotope unique Selon les chercheurs, le Gouf représente un biotope unique. « C’est un sanctuaire plein de trésors ! » s’exclame avec enthousiasme le biologiste Jean-Claude Sorbe, chargé de recherche au CNRS (laboratoire océanographique de l’Université de Bordeaux), regrettant qu’il ne soit pas plus étudié et protégé. Ce spécialiste des petits crustacés suprabenthiques (telles de minuscules crevettes ou puces de mer vivant sur le fond), a identifié dans le Gouf des spécimens très rares et plus de dix espèces nouvelles : « Les communautés benthiques profondes qu’abrite le canyon de Capbreton témoignent d’une forte biodiversité (plus de 180 espèces y ont été recensées pour la seule faune suprabenthique). » Outre les poissons inhabituels pêchés là (calamars géants, chimères, anges de mer, liches, rouvets, poissons rubis), outre les coraux et les cétacés bizarres (comme ce mésoplodon densirostris identifié en 1999 par le GEFMA, Groupe d’Étude dela Faune MarineAtlantique, jamais observé depuis 1850), les campagnes d’échantillonnage ont permis de remonter à la surface des espèces inconnues de petits crustacés et même ces moules de profondeur identiques à celles décrites par de Folin, que personne n’avait vues depuis 1880 et qui, selon les recherches récentes, proviennent de sources thermales froides. Une force inconnue Une autre question hante les esprits de ceux qui se penchent sur ce canyon : pourquoi ne se remplit-il pas de sable et de sédiments ? En effet, ses fonds répertoriés demeurent constants au fil du temps ; les sondes reviennent invariablement « empâtées de vase », ce qui ne serait pas le cas sur fond de sable. Avec les tempêtes et les courants, cette vallée devrait se combler peu à peu, or il n’en est rien ; ses structures semblent immuables. Bien sûr, il existe différentes veines d’eaux et de courants circulant dans le Gouf, mais cela suffit-il à expliquer, comme l’exprimait déjà l’abbé Pujol (curé de Capbreton au XIXe siècle) : « Une muraille infranchissable pour les sables. […] Une force inconnue qui émane du Gouf, empêchant le sable qui roule constamment sur les plateaux qui le dominent, d’y pénétrer » ? Ces forces invisibles, ces mouvements internes dont nous ne connaissons rien ou presque, font partie de la mécanique des fluides qui mène à la formation des vagues. La tête du canyon se trouve face aux plages d’Hossegor, dont deux vagues sont célèbres chez les surfers du monde entier : La Nord et La Gravière. Vagues particulières et reconnaissables, elles ressemblent plus à des vagues de récif qu’à des vagues de sable. Or, s’il est vrai que la profondeur du Gouf absorbe la force des houles au large, il peut y avoir en revanche un phénomène de surgissement et d’accélération de la houle sur les premiers tombants du canyon, à 250 m du bord, qui participerait à la beauté de cette vague qu’on appelle La Nord, emblème d’Hossegor. Que nous réserve encore le Gouf de Capbreton ? Des surprises, le Gouf en recèle bien d’autres, toujours renouvelées. On y a ainsi découvert, entre 500 et 1 000 m, une ramification de la longue veine d’eau méditerranéenne (VEM) remontant de Gibraltar (par un phénomène de circulation sous-marine et de salinité différente, on la retrouve jusqu’en Islande) qui expliquerait la présence dans le Gouf d’organismes uniques en Atlantique. Mais l’une des dernières grandes surprises provient d’un échantillonnage effectué sur les parois du canyon, à moins 650 m, quatre mois après la violente tempête de décembre 1999. On y a découvert une activité récente et anormale dans l’entassement des sédiments : jusqu’à 18 cm, une épaisseur énorme en mer, compte tenu de la dispersion. Les chercheurs, tels que le spécialiste Pierre Cirac (géologue, UMR EPOC, auteur d’une publication intitulée « Instabilités majeures sur le flanc nord du canyon de Capbreton »), suggèrent qu’il s’agit d’une « turbidite », spectaculaire avalanche sous-marine de sédiments poussés de la plateforme continentale vers les parois abruptes du Gouf. Ces processus massifs peuvent entraîner des « mécanismes subits et violents » qui doivent être étudiés de près, car, comme le soulignent en 2001 les chercheurs de l’UMR EPOC après la campagne ITSAS : « ils peuvent remettre en suspension des polluants, détruire des plateformes de forage, des oléoducs, des câbles de télécommunication ou générer des tsunamis comme à Nice en 1979. » Pour conclure sur le Gouf de Capbreton Comme on le voit, il est temps de rendre ses lettres de noblesse à ce Gouf méconnu, qu’on n’a pas fini de cartographier et qui ne fait que commencer à nous révéler ses mystères ou ses habitants. Mais au-delà des innombrables curiosités biologiques ou géologiques qu’il recèle, ce canyon réveille en chacun de nous une part de mystère et d’émerveillement. Et la dernière question posée par ce « haut lieu » des profondeurs, n’est pas la moindre : « Qu’y a-t-il donc à l’intérieur de ce Gouf, que tout le monde sent ou devine, mais que personne ne réussit à capturer ? » ------------------------------------------------------------------------------------------------------ Cirac P., Bourillet J-F, Griboulard R., Normand A., Mulder T. and équipe Itsas, 2001. Le Canyon de Capbreton: nouvelles approches morphostructurales et morphosédimentaires. Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris, 332 (série II). |
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Schattenjäger- Webmaster
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