Dans la soirée du 2 juillet 1947, vers 21 heures 30, un orage se déchaîne au-dessus du désert du Nouveau Mexique. William «Mack», Brazel, 48 ans, éleveur de moutons sur le ranch de J.B. Foster, habite une cabane isolée sans eau courante ni électricité située à une centaine de kilomètres au nord de la petite ville de Roswell. Ses plus proches voisins, les Proctor, résident à 15 kilomètres.
Soudain, une détonation résonne, plus puissante que le grondement de l’orage. Mack Brazel, accoutumé aux colères de la nature dans cette région sauvage, note, sans plus y penser, ce son inhabituel. Mais le lendemain, l’éleveur découvre d’étranges débris d’apparence métallique éparpillés dans toutes les directions sur plusieurs centaines de mètres. Le troupeau de moutons qu’il conduit à la pâture refuse de traverser la zone. Bill Brazel ramasse quelques pièces et se rend chez ses voisins, Floyd et Loretta Proctor, pour leur montrer sa trouvaille.
Brazel, d’ordinaire taciturne fait montre d’un enthousiasme et d’une volubilité exceptionnelles. Bill parvient à convaincre Floyd Practor de venir jusqu’au site où il ramasse lui aussi des débris. Très vite la nouvelle se répand parmi les fermiers des environs qui viennent à leur tour explorer les lieux et collecter quelques éléments de ce mystérieux puzzle. Selon plusieurs témoignages, tous ces débris seront dans les jours suivants confisqués par l’armée.
Le six juillet Bill Brazel se décide à communiquer sa découverte au shérif du comté de Chaves, George Wilcox. D’un commun accord, ils alertent la base militaire de Roswell qui dépêche trois hommes sur place : le colonel Blanchard, commandant de la base militaire, le major Jesse Marcel, officier de renseignement, et le capitaine Sheridan Cavitt. Le soir même, des débris sont envoyés au Pentagone, à Washington. Et c’est le mardi 8 juillet, que le porte-parole de la base, Walter Haut, publie un communiqué sensationnel dicté par le colonel Blanchard :
«Les nombreuses rumeurs à propos des disques volants sont devenues réalité hier quand les Services de Renseignement du 509e Groupe de l'Air Force à Roswell, sont entrés en possession d'une soucoupe grâce à la collaboration d'un fermier local et du bureau du Shérif. L'objet volant a atterri dans un ranch à côté de Roswell, la semaine dernière. (…) Le disque a été saisi au ranch et il est en cours d’inspection à la base de Roswell.»
«L'armée capture une soucoupe volante»
Le communiqué est envoyé à deux journaux locaux et aux stations de radio, KGFL et KSWS. La nouvelle provoque une onde de choc d’autant plus importante qu’elle survient une quinzaine de jours après la première observation d’ovnis documentée et médiatisée du XXe siècle, celle de Kenneth Arnold, le 24 juin 1947. Cet homme d’affaires, aviateur chevronné, a vu à bord de son CallAir A-2 dans les environs du Mont Rainier 9 objets volants se déplaçant comme «des soucoupes rebondissant sur l’eau». La comparaison, mal retranscrite par une agence de presse, donne lieu à la première occurrence des termes passés à la postérité : «soucoupe volante».
Depuis le 24 juin, les témoignages de personnes affirmant avoir vu des «soucoupes volantes» se succèdent et font les grands titres des journaux. L’annonce de l’US Air Force est l’apothéose de cette fièvre soucoupiste. Dans le Roswell Daily Record, le scoop s’étend sur cinq colonnes à la une : «La Raaf capture une soucoupe volante sur un ranch proche de Roswell». L’information est reprise par toute la presse aux Etats-Unis et dans le monde : en France, «L’Aurore», «les Dernières Nouvelles d’Alsace», «le Parisien libéré», entre autres, s’en font l’écho.
Mais le soir même, c’est la grande désillusion. L’armée admet une incroyable confusion: la « soucoupe volante » n’était qu’un banal ballon-sonde. Le général Ramey, commandant de la Huitième Armée aérienne à Fort Worth, au Texas, prend les choses en main. Il organise une conférence de presse au cours de laquelle il montre aux journalistes des baguettes de balsa et des feuilles d’aluminium, vestiges du ballon météo couplé à une cible radar récupérés sur les lieux du crash. Personne ne met en doute la version officielle de l’armée et le soufflé retombe pendant trois décennies.
Jusqu’en 1978 où l’ufologue Stanton Friedman interviewe le Major Jesse Marcel, premier militaire arrivé sur les lieux du crash. Il a quitté le service actif en 1948 après avoir été promu lieutenant colonel. C’est ce vieil homme, âgé de 71 ans, qui ouvre la boîte de Pandore : Jesse Marcel affirme qu’il est convaincu que les débris ramassés sur le ranch Foster n’étaient pas ceux d’un ballon sonde et que le général Ramey l’a «obligé à se taire». Il réitèrera ses propos à plusieurs reprises devant des caméras de télévision et dans un article de Bob Pratt paru en 1979 dans le «National Enquirer» : «Nous avons trouvé du métal, de petits morceaux de métal, mais surtout nous avons trouvé quelques matériaux difficiles à décrire. Je n'avais jamais vu quoi que ce soit de pareil, et je ne sais toujours pas ce que c'était» explique-t-il dans la transcription brute de l’interview. Il ajoute que certains éléments portaient des inscriptions : «Quelque chose d'indéchiffrable. Personnellement je n'avais jamais vu quoi que ce soit de pareil. Je les appelle des hiéroglyphes. Je ne sais pas s'ils ont été jamais déchiffrés ou pas.»
Dès lors, c’est un déferlement : en 1980, Stanton Friedman et Charles Berlitz écrivent le premier livre sur le mystère Roswell, «Crash at Corona». Les langues se délient, les livres s’enchaînent et les témoignages, le plus souvent indirects et parfois contradictoires, se multiplient. Dans son interview au «National Enquirer», Jesse Marcel avait évoqué une autre zone couverte de débris «vers l'ouest vers Carrizozo». Les enquêteurs privés, convaincus d’être face à un « Watergate cosmique », selon le titre d’un best-seller de 1981 de William L. Moore et Stanton Friedman, suivent cette piste et découvrent qu’une équipe d’archéologues aurait été présente sur les lieux d’un second crash, survenu au même moment et accréditant la thèse d’une collision en plein ciel entre deux engins. Enfin, les « extra-terrestres » entrent en scène. Les archéologues seraient tombés nez à nez sur des cadavres d’êtres de petite taille à la peau grise et même sur un survivant avant que l’armée ne boucle le secteur. Un employé des pompes funèbres de Roswell «révèle» que l’armée lui a passé commande de petits cercueils hermétiques. Une troisième zone d’impact est localisée par les ufologues…
Peu à peu, l’affaire Roswell se transforme en un incroyable mille-feuilles composés de dizaines de récits. Certains sont troublants, d’autres sont discrédités par des contre-enquêtes fouillées. Dans la première catégorie, on peut ranger les confessions de Walter Haut, l’homme qui a rédigé le communiqué de l’armée annonçant la découverte d’une «soucoupe volante». Après avoir nié puis confirmé l’hypothèse d’un crash d’ovni, il rédige, sur son lit de mort et devant notaire, cet affidavit en 10 points dont voici les 3 derniers :
- En 1980, Jesse Marcel m'a indiqué que le matériel photographié dans le bureau du Général Ramey n'était pas le matériel qu'il avait récupéré.
-Je suis convaincu que le matériel récupéré était une certain sorte d'engin spatial.
- Je n'ai pas été payé ni n'ai reçu quoi que ce soit de valeur pour faire cette déclaration, qui est la vérité au mieux de mes souvenirs. »
L’US Air Force ne pouvait pas rester silencieuse confrontée aux accusations de dissimulation de l’événement le plus important de l’histoire de l’Humanité. En 1994, elle révèle que le crash de Roswell dissimulait un dispositif ultra-secret destiné à espionner les expériences nucléaires soviétiques, le projet Mogul. Les débris retrouvés appartenaient à un train de ballons, composés de matériaux inhabituels, ce qui explique la confusion initiale avec un engin venu d’ailleurs. De plus, poursuit l’US Air Force, «certaines des expériences impliquaient l'usage de ballons pour transporter et éjecter des mannequins de forme humaine équipés de parachutes pour étudier la meilleure façon de faire revenir au sol des pilotes ou des astronautes s'ils devaient s'éjecter à haute altitude.» En 2004, l’armée a même fait paraître un volumineux ouvrage intitulé «Incident de Roswell : affaire classée» censé mettre un terme définitif à la rumeur.
Sans grand succès auprès des tenants de la théorie du Watergate cosmique. En 1995, un film s’est avéré bien plus efficace pour discréditer le mystère de Roswell que les explications pourtant consistantes fournies par l’armée. C’est le célèbre film de l’autopsie diffusé en France avec tambours et trompettes dans l’émission Jacques Pradel, « l’Odyssée de l’étrange ». Des médecins apportent leur caution à ces images en noir en blanc où des chirurgiens légistes dissèquent une créature visiblement non-humaine et manifestement en plastique. Le film génère plus de rires que d’effroi et en 2006, le canular est définitivement acté. Les producteurs de cette série B, Ray Santilli et Gary Shoefield, avouent que le film est un faux… Ou plutôt, affirment ces farceurs incorrigibles, une reconstitution à l’identique du film original détruit par l’humidité.
Cette vidéo, pour fantaisiste qu’elle soit, aura marqué un tournant dans la construction de la légende roswelienne, en l’ancrant définitivement dans la culture populaire. La fausse autopsie pose la matrice visuelle des séries, films, clips, jeux vidéos et documentaires bidons qui vont suivre avec, au premier chef, «X Files». Aujourd’hui, Roswell demeure la Mecque des fans d’Ovnis, un tourisme de l’étrange extrêmement lucratif pour la petite ville sans charme commune de 48 000 habitants. Et le flot des visiteurs n’est pas près de se tarir si l’on en croit un sondage du National Geographic datant de juin dernier : 80% des Américains sont convaincus que leur gouvernement cache la vérité sur les Ovnis.
Quant au « noyau dur » de l’incident, il est aujourd’hui englouti sous d’innombrables témoignages, films truqués, images douteuses, hypothèses délirantes et « scoops » improbables.
Toutefois, un nouveau témoin a apporté un peu de sang neuf aux complotistes : Chase Brandon, un ancien agent de la CIA devenu consultant à Hollywood, affirme qu’un vaisseau extra-terrestre s’est bel et bien crashé à Roswell. Il dit avoir tenu les preuves en main, conservées dans les archives de la CIA, sans en préciser la nature exacte : «Ce n'était pas un ballon météo. C'était ce que les gens ont d'abord rapporté. C'était un vaisseau qui ne venait pas de cette planète Pour moi, ce fut l’instant validant le fait que tout ce que j'avais cru, et que tant d'autres personnes croyaient, était vraiment ce qui s'était passé…» dit-il dans un entretien au Huffington Post.
Aujourd'hui encore, le mystere demeure, et de nombreuses théories, souvent fantaisistes, fleurissent, certaines avancées par les sceptiques pour démystifier l'affaire repoussent même les limites du ridicule.
Saura-t-on un jour ce qui s'est reellement passé à Roswell?
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