Ce texte est intéressant. Il prouve que le mythe se base la plupart du temps sur une réalité très ancienne.
Ce texte au travers de l'Hindouisme dégage également certaines similitudes culturelles, religieuses et sociales avec d'autres civilisations que nous connaissons. Ils reflètent aussi un climat qui loin d'être clément a modifié considérablement la géomorphologie de ces pays et marqué le fonctionnement de leurs populations tout au long du temps.
Jean Bernard Cabanes, l'auteur de cet article, est fondateur et responsable culturel du Centre d’Études des Cultures Asiatiques « ORIENTS »
Enseignant et conférencier, il a donné des conférences à l’Université du Temps Disponible d’Aix -Marseille et animé des séminaires sur les cultures et religions de l’Inde pendant plusieurs années. Il a animé aussi un séminaire sur la géopolitique de l’Inde, en D.E.S.S. de droit humanitaire international, à la Faculté de Sciences Économiques d’Aix en Provence. Il a effectué de nombreux voyages en Asie, et a longuement séjourné en Inde depuis 1967. Entre 1981 et 1990, J.B. Cabanes à crée et animé les colloques : « Convergence des itinéraires spirituels contemporains » à la Baume les Aix.
Ce texte au travers de l'Hindouisme dégage également certaines similitudes culturelles, religieuses et sociales avec d'autres civilisations que nous connaissons. Ils reflètent aussi un climat qui loin d'être clément a modifié considérablement la géomorphologie de ces pays et marqué le fonctionnement de leurs populations tout au long du temps.
Approches nouvelles des origines de
l’hindouisme
1 .LE MYTHE DE L’INVASION ARYENNE
Lorsque le sous-continent indien devint le joyau de l’empire britannique, l’Inde avait subit 8 siècles de domination musulmane ; les hindous avaient perdus les racines culturelles de leur religion et ignoraient à peu près tout du contenu des textes sacrés et des immenses épopées constituant le socle millénaire de l’hindouisme .
Paradoxalement, ce furent des indianistes occidentaux qui se penchèrent sur la richesse des textes fondateurs de l’Inde. Les premières traductions vinrent de France, de Grande Bretagne et d’Allemagne. C’est à partir de ces traductions du sanskrit, langue sacrée de l’Inde, que les érudits européens échafaudèrent une histoire de l’Inde antique justifiant la domination des blancs civilisés sur les indiens idolâtres à la peau sombre. Max Muller entrepris la traduction des textes les plus anciens, les Védas, avec une vision chrétienne sur leur contenu, qu’il définit comme un ramassis de superstitions primitives. C’est à cette époque, et à la suite de ces traduction européennes, que naquit la thèse de l’invasion de l’Inde préhistorique par un peuple de nomades plus civilisé, à la peau blanche, venu des steppes d’Asie centrale et qui auraient apporté la culture et la religion à des tribus animistes de chasseurs-cueilleurs : les Dravidiens noirs de peau. Ces conquérants venus par les cols des montagnes afghanes se avantage de justifier la présence dans le sous-continent indien des nouveaux envahisseurs blancs et civilisés : les britanniques.
Le mythe de l’invasion aryenne était né ; il demeurera la pierre d’achoppement des travaux de tous les indianistes pendant plus d’un siècle, se cristallisant en un dogme immuable qui deviendra la clef du décryptage de l’histoire de l’Inde antique à travers ses textes sacrés.
Le Ramayana conte la traversée de l’inde par le prince exilé Rama et son combat pour délivrer Sita, son épouse, enlevée par le puissant roi de Lanka ; cette épopée est dans le coeur de tout indien et constitue la base de la culture populaire de l’Asie du sud, Rama y est présenté comme une incarnation du dieu Vishnou le conservateur des mondes. Les indianistes classiques y lisent la longue histoire de la conquête de Deccan par les population aryenne du nord et l’extension du brahmanisme sur les religions animistes préexistantes.
Le Mahabharata décrit , tout au long de ses 250000 vers, le déclin et la disparition des antiques royaumes de l’Inde du nord ouest après une guerre fratricide , la fin d’un âge d’or et l’entrée dans le kali yuga, l’age des ténèbres . Ce texte, dont l’auteur serait lerishi Vyasa, introduit le personnage de Krishna, roi de Mathura puis de Dwarka, mais surtout il contient le texte le plus sacré de l’hindouisme : la Baghavad Gîta à travers laquelle il se dévoile en tant que le seigneur suprême Vishnou.
Selon le décodage classique, cette immense épopée serait la mémoire des luttes fratricides entre les royaumes aryens fraîchement implantés en Inde du nord vers l’an 1000 avant JC. Les textes sacrés ne seraient que le reflet des luttes et des croyances religieuses des envahisseurs aryens ; ils témoigneraient de l’histoire de la conquête de la vallée du Gange par ces nouveaux royaumes civilisateurs qui firent entrer dans l’hindouisme les populations à la peau sombre qui peuplaient les forets de l’Inde antique.
2. LA CIVILISATION DE L’INDUS
Les découvertes, à partir de 1920, et les fouilles effectuées par Mortimer Wheeler dans la vallée de l’Indus (dans l’actuel Pakistan) mirent à jour les vestiges urbains d’une civilisation contemporaine de Sumer et des Pyramides. La mise au jour des ruines de cités telles que Harappa et Mohenjo Daro révéla l’existence d’une civilisation très ancienne en Inde du nord s’étendant des contreforts de l’Himalaya jusqu’aux cotes de la mer d’Arabie. Ces découvertes tombèrent comme un premier pavé dans la mare des thèses invasionnistes : Une grande civilisation aurait précédé de plusieurs millénaires l’arrivée des Aryens et, qui plus est, elle serait l’oeuvre des Dravidiens noirs, lesquels n’étaient donc pas si primitifs que cela.
L’étude des innombrables sites de la vallée de l’Indus semblait indiquer que cette culture urbaine, apparue il y a plus de 5000 ans, s’était effondrée et avait disparu aux alentours de 1500 av JC sans laisser de textes permettant d’en décrypter la longue histoire ; les centaines de caractères découverts sur les sceaux d’argiles demeurent mystérieux, et aucune pierre de Rosette ne fut exhumée pour en aider la traduction. Ces courtes inscriptions semblent être des marques de commerçants ; les annales historiques et les textes religieux, s’ils ont existé, ont sans doute été écrits sur des feuilles de palmier putrescibles dans un climat de mousson comme ce fut le cas pour les textes de l’Hindouisme.
La civilisation de l’Indus n’ayant pas d’histoire, il fut facile d’en attribuer aux Aryens la chute et la disparition ; sans aucune preuve historique les indianistes du vingtième siècle continuèrent d’attribuer aux envahisseurs blancs l’implantation en Inde d’une culture importée et de rites religieux venus d’ailleurs. Le mythe de l’invasion aryenne demeurait le fondement même de l’histoire de l’inde jusque dans les plus récents manuels scolaires.
3. MEMOIRES D’UN FLEUVE PERDU : LA SARASWATI
D’autres découvertes archéologiques, depuis une trentaine d’année commencèrent à dégager une vision différente sur les origines historiques de l’Inde et de son univers religieux.
Le professeur Jarrige, directeur de musée Guimet, mit à jours une vaste cité préharapéenne à l’ouest de la vallée de l’Indus au pieds des collines du Balûchistân : les ruines de Mergarh révélèrent une implantation urbaine remontant au 7 eme millénaire av JC ; les fouilles montrèrent que la ville demeura un foyer de vie urbaine et de culture pendant près de 5000 ans !
Mais c’est à l’ouest de l’Indus, du coté indien, que les services archéologiques sortirent des sables du désert du Thar et de la région du Haut- Gange plusieurs centaines de sites d’implantation urbaine appartenant à la culture de l’Indus. Ces cités et ces villages semblent suivre le lit d’un fleuve fantôme qui se serait écoulé de l’Himalaya jusqu’à la cote de la mer d’Arabie. Le coeur de cette civilisation parait s’être développé principalement le long de cet axe qui traverse le Rajasthan et se perd au nord de Delhi, puisque 80% des sites appartiennent à la vallée du fleuve disparu : la Sarasvatî, souvent citée dans les textes anciens. A l’embouchure présumée de cet ancien fleuve nous nous trouvons au Gujarat, dans la région du golfe de Khambat et de la ville sainte de Dwarka dédiée à Krishna. Un nombre considérable de sites portuaires a été découvert le long de cette cote jusqu’au Balûchistân, indiquant la vocation d’empire maritime de cette civilisation il y a plus de 4500 ans. Des sceaux d’argiles frappés de caractères de l’Indus furent découverts à Sumer et dans les îles du Golfe Persique. Le fleuve fantôme était donc un axe de civilisation avec un débouché maritime commercial à vocation internationale.
Mais qu’est devenu cet immense fleuve qui semble avoir été la colonne vertébrale d’unempire homogène pendant plusieurs millénaires ? Dans le panthéon de l’hindouisme, Sarasvatî est une des déesses majeure, femme de Brahmâ, le Créateur des mondes, et protectrice des lettres et des arts. En cela elle est soeur de Ganga qui deviendra le nouvel axe de civilisation après sa disparition sous les sables du désert : le Gange.
En collaboration avec les instituts d’ études géologiques, le centre Bhabha de recherches nucléaires effectua une série de relevés sous les sables du Rajasthan et découvrit le cours de l’ancien fleuve à 60 mètres de profondeur. les études géologiques qui suivirent révélèrent que ce fleuve a totalement disparu de la surface vers 2000 av JC, donc 500 ans au moins avant l’arrivée des envahisseurs aryens…Ces observations sont corroborées par de récentes photos- satellite qui montrent un lit fossile de 4 à 5 Km de largeur. Le « central ground water board » a l’intention de retracer le lit de la Sarasvatî sur toute sa longueur afin de réhabiliter le fleuve mythique de l’hindouisme ancien, mais aussi d’en puiser les eaux afin d’irriguer le désert.
4. UNE NOUVELLE LECTURE DES TEXTES SACRES
C’est en se penchant attentivement sur les textes fondateurs de l’hindouisme que l’on retrouve Sarasvatî sous la forme d’un fleuve : dans le Rigveda, texte le plus ancien de la culture indienne, le fleuve mythique apparaît accompagné de 6 autres rivières et elle y est glorifiée comme étant la mère patrie des auteurs des premiers livres sacrés de l’Inde : les aryens…
Jusqu’à une époque récente les Védas étaient considérés comme la somme religieuse et culturelle de ce peuple qui s’y identifiaient comme aryen et que les indianistes considéraient comme venus d’ailleurs. Cette tradition aurait été conservée à travers la tradition orale pendant plus d’un millénaire avant d’être sur les feuilles de palmes lorsqu’une nouvelle écriture, le brahmi, fut introduite en Inde. La langue utilisée était le sanskrit, apparentée comme toutes les langues indo-européennes, au perse, au grec et aux langues pratiquées en Europe.
Mais en retraduisant ces textes, un certain nombre d’indianistes contemporains occidentaux tels que J.K.Kenoyer ( qui travaille sur le site d’Harappa), Michel Danino ou David Frawley (american institute of vedic studies ) aussi bien qu’indiens comme B.B.Lal, auteur de « the Saraswati flows on » ; P .Gupta, président de la Société indienne d’archéologie ; S .Bisht, directeur à l’Archéological survey of India et de nombreux auteurs de la prestigieuse revue d’histoire et d’archéologie « Bharatya » effectuent une lecture différente des textes fondateurs de l’Inde avec un regard libérédes dogmes du 19 ème siècle et ils y découvrent de nombreux détails troublants : l’univers culturel des Védas, attribués aux aryens, fait de nombreuses références à l’océan et à des voyages lointains sur des navires aux cent rames ; le dieu védique Varuna y est associé à l’océan impétueux et de nombreux personnages mythiques des textes anciens ont une filiation maritime. Toutes ces références à la mer sont étranges dans la tradition orale d’un peuple nomade issu des steppes, mais elles correspondent à celle d’un peuple de navigateurs habitué à l’océan. D’autre part les auteurs des Vedas se définissent comme « Aryas » dont l’origine géographique se situerait dans ce pays aux 7
fleuves où coule la Sarasvatî…pas un mot sur les steppes d’un lointain pays. Les « Aryas »se présentent eux-mêmes non comme un peuple ou une ethnie particulière mais plutôt comme détenteurs d’une certaine qualité d’âme ou une caste de serviteurs des dieux.
Lorsque l’on pénètre les méandres innombrables de la grande épopée de l’Inde ancienne, le Mahabharata, on constate que ses vers cachent de bien étranges récits, mêlés à des traditions culturelles d’époques et d’origines diverses. L’un d’eux est particulièrement significatif car il décrit un monde très ancien : on y apprend que Balarama, le frère de Krishna, entreprend un long pèlerinage depuis la ville de Dwarka jusqu’à la demeure de Siva de l’autre coté des Himalayas ; son chemin lui fait suivre le cour de la Sarasvatî depuis son embouchure et l’auteur du récit nous écrit un large fleuve bordé de cités et de temples somptueux, aux quels il est fait de larges donations. Or Dwarka, la cité bâtie par Krishna, se trouve dans la région des grands ports de la civilisation de l’Indus et non dans la région de l’implantation des Aryens. D’autre part, nous avons appris, au travers de récentes études scientifiques, que le fleuve remonté par Balarama et sa cour avait disparu sous les sables bien avant la date présumée de l’arrivée des premiers aryens en Inde. La Sarasvatî ne s’étant pas asséchée brusquement, le description du Mahabharata sera la mémoire d’une époque bien plus ancienne encore : celle de l’apogée de la civilisation de l’Indus-Sarasvati lorsque ce fleuve divinisé était le coeur de l’empire disparu.
Mais ni ce pèlerinage auspicieux, ni même la victoire du clan des Pandavas, auquel appartenait Krishna, sur le champ de bataille de Kurukshetra, ne sauvera Dwarka qui finira engloutie sous les flots de l’océan.
5. CITES ENGLOUTIES
La rencontre entre le mythe et l’histoire fut rendue possible grâce au développement de l’archéologie sous-marine ; les récentes recherches effectuées au large des cotes du Gujarat viennent confirmer les récits des textes épiques. Deux découvertes capitales corroborent la légende : au large de l’actuelle Dwarka, l’ « India National Institut of Oceanography » découvrit, dans les années 80, de larges structures portuaires et urbaines sous 12 mètres d’eau ; le prof .Rao, inventeur du site, lui donne au moins 3600 ans d’age, sans écarter l’idée d’une plus grande ancienneté aux structures reposant plus profondément. Les fouilles ultérieures révèleront sans doute s’il s’agit bien de l’antique cité de Krishna qui disparut corps et bien à la fin du Mahabharata , mais les archéologues indiens n’ont pas attendu ces résultats pour en affirmer la réalité historique. S’il s’avérait exact que la cité engloutie était celle d’un monarque nommé Krishna dans l’épopée cela signifierait qu’il s’agissait d’une métropole de l’empire de l’Indus et que son roi appartenait à l’histoire oubliée de cette civilisation disparue.
Mais la surprise archéologique la plus troublante fut la découverte, en janvier 2002, de structures immergées dans le golfe de Cambay au fond duquel l’équipe du NIOT révéla, grâce au sonar, le dessin géométrique d’une vaste cité engloutie par plus de 40 m de fond et ce à 30 Km de la cote actuelle. Ces ruines s’étendraient sur 9 Km. le long du lit d’un ancien fleuve. Les relevés du sonar semblent montrer des ensembles architecturaux similaires à ceux des cités de l’Indus : quais, bassins, entrepôts. De nombreux objets furent remontés à la surface et les datations au carbone 14 de certain d’entre eux font remonter l’age de la grande cité jusqu’à la date surprenante de 7500 ans av JC.
L’ancienneté de l’histoire de l’Inde ne concerne pas que la région de l’empire de L’Indus-Sarasvati car, en 1993, les prof. Sundaresh et Gaur, après avoir écouté avec intérêt les récits de pécheurs tamoul de la cote de Coromandel, découvrirent un ensemble de ruines immergées au large de Poonpuhur ; certaines d’entre elles se trouvent à 5 Km de la cote par 23 m. de fond et apparaissent être d’une très grande ancienneté .De nombreuses ruines furent ensuite découvertes au large du site historique de Mamallapuram , révélant l’ancienneté de l’urbanisme dans le sud de l’Inde et confirmant les légendes puraniques parlant de plusieurs cités dravidiennes englouties dans une très haute antiquité.
Les plus anciens textes sacrés de l’Inde racontent l’histoire de Manu, le premier homme après le déluge, sauvé par Vishnou qui lui enjoignit de construire un navire en prévision d’une inondation catastrophique, d’y embarquer avec sa famille, des plantes et 7 Rishis, détenteurs de la sagesse et du savoir d’un monde qui allait disparaître. Manu se retrouva sur l’Himalaya d’où il redescendit en compagnie des 7 Sages afin de fonder un monde nouveau. Cela n’est pas sans rappeler une histoire connue…
6. ORIGINE DES DIEUX DE L’HINDOUISME
Les divinités honorées par les hymnes et les rituels védiques : Indra, Agni, Vayu et Varuna n’appartiennent plus aux cultes de l’hindouisme depuis près de 2000 ans. Le panthéon hindou est principalement dominé par une triade divine, expression d’un principe cosmique universel : le Brahman .Les hindous vont choisir la divinité avec laquelle ils se sentent le plus d’affinité. Certain se tournent avec dévotion vers Vishnou, le conservateur, ou l’un de ses avatars : Krishna roi de Mathura et de Dwarka ou Rama roi d’Ayodya et vainqueur de Ravanna. D’autres vénèrent la puissance terrible de Siva le destructeur, patron des yogis et des adeptes du tantrisme ; d’autres encore se tournent vers les nombreuses expressions de la Grande Déesse, figurant toujours aux cotés des dieux car elle en exprime l’énergie active : Lakshmi, Sarasvatî, Parvati, Durga ou Kali la noire…Quant à Brahma, le conservateur, il ne bénéficie d’aucun culte et ne possède qu’un seul temple en Inde, tandis que le sud dravidien est couvert de temples sivaïstes. Au-delà de ces divinités suprêmes, d’innombrables cultes se tournent vers des divinités locales intégrées à l’hindouisme, lequel a su s’adapter aux anciennes croyances sans les détruire.
Or c’est sur le sceaux d’argiles découverts dans la vallée de l’Indus que l’on va retrouver les ancêtres des divinités de l’Inde contemporaine : l’un d’eux présente un personnage assis en position du lotus, propre aux yogis, coiffé d’un cimier à 3 cornes ; il est entouré d’animaux variés et de bovidés, et si l’on observe son visage on constate que celui-ci présente 3 faces. Ce personnage figure souvent sur les sceaux, aussi pense t’on qu’il s’agit d’un dieu vénéré au temps des grandes cités. Ors Si nous observons les détails de l’iconographie du dieu Siva nous allons le rencontrer sous la forme d’un yogi armé d’un trident et portant un croissant de lune dans sa chevelure, détails qui ne sont pas sans rappeler la corne à trois pointes du proto-siva de l’Indus ; d’autre part Siva est toujours accompagné du taureau Nandi et il est parfois appelé « pashupati » seigneur des animaux. Au dos de l’un de ces anciens sceaux figure une divinité féminine debout entre 2 félins ; or la compagne de Siva, Durga sous son aspect guerrier, est toujours montée sur un lion ou un tigre. Quant aux 3 visages du proto-siva nous allons le retrouver 3000 ans plus tard au fond des grottes sivaïstes d’Elephanta, au large de Bombay, sous la forme du célèbre Siva Trimurti, aux 3 visages. Si l’on considère qu’il existe plusieurs milliers de temples et de sanctuaires dédiés au dieu Siva en Inde on peut en conclure qu’il s’agit là du culte le plus ancien rendu à une divinité sur la planète, les autres dieux de l’antiquité ayant depuis longtemps disparu.
De très nombreuses statuettes d’argile furent aussi exhumées des sables, la plupart représentent des personnages féminins que l’on pense associés à un culte de la déesse mère ; or le culte de la Shakti, l’énergie féminine sous toutes ses formes, est toujours extrêmement présent dans l’hindouisme contemporain ; il suffit d’en prendre pour témoin la vénération actuelle pour Amma Amritanandamaye considérée comme incarnation de la Mère Divine et attirant sur son chemin des millions de dévots.
Les archéologues furent surpris de découvrir aussi de très nombreux symboles représentant des swastikas, âgés de plus de 5000 ans, dans les ruines des cités de l’Indus ; symboles omniprésents de nos jours aussi bien dans l’hindouisme que dans le bouddhisme. Le swastika ne peut donc en aucun cas être un symbole « aryen »
appartenant à un peuple blanc venu d’ailleurs…
A l’heure actuelle, la plupart des historiens et des archéologues indiens ( B.B.Lal, S.P.Gupta, V.N.Mishra, et bien d’autres ) s’accordent pour affirmer que l’histoire de l’Inde, ses divinités principales et les rites de l’hindouisme , plongent leurs racines dans un passé beaucoup plus reculé que celui que les indianiste de la vieille école voulaient nous faire admettre. Ils nous pressent de nous tourner vers l’ancienne culture de l’Indus-Sarasvati pour retrouver les sources vives de l’Hindouisme et des valeurs qu’il enseigne au monde. Cette lecture nouvelle de l’histoire de l’Inde n’accorde plus aucun crédit à l’idée d’apports humains, culturel ou religieux extérieurs au sous- continent indien : l’essentiel du coeur de l’hindouisme proviendrait du sol même de Bhârat, la mère Inde. Les scientifiques indiens sont rejoints par des indianistes occidentaux de plus en plus nombreux comme David Frawley, J.M.Kenoyer ou Michel Danino.
7. QUI SONT LES ARYENS VEDIQUES ?
Si donc les infiltrations humaines étrangères, dans l’antiquité, n’apportèrent que peu d’éléments nouveaux à la culture de l’Indus, qui étaient donc les auteurs des Védas et des Brâhmanas qui se disaient « aryens » ?
Les dernières thèses avancées par S.R.Rao, Rajaran ou N.Jha, proposent qu’il s’agirait d’une élite culturelle et religieuse de la société indusienne et que, en définitive, l’essentiel du contenu des textes sacrés les plus anciens proviendrait de la mémoire oubliée de cette civilisation. Apres l’effondrement, pour des raisons climatiques et commerciales, de l’empire de l’Indus et de sa culture, la tradition orale aurait conservé pendant plus d’un millénaire la mémoire des évènements, des rites et des croyances d’un peuple en pleine mutation contraint à émigrer vers de nouvelles terres plus fertiles : la vallée du Gange.
Un certain nombre d’universitaires indiens, dont le prof.Jha, supposent que le sanskrit lui-même dériverait de l’ancienne langue, non déchiffrée, de cette civilisation antique ; plusieurs analyses linguistiques probantes ont récemment trouvé des corrélations entre les énigmatiques caractères figurant sur les sceaux et les appellations sanskrites des divinités védiques. Le proto-sanskrit de l’Indus ne serait donc pas apparenté aux langues dravidiennes toujours vivantes dans le sud, et dont la tradition ne donne aucune origine extérieure au sud du Deccan.
Le pas ultime fut franchi lorsque le prof. Lal ( directeur de l’archeological survey of India ) développa en janvier 2002 ,à Delhi, l’idée quelque peu révolutionnaire d’une origine indusienne des indo-européens, de leurs mythologies partagées et de leurs racines linguistiques. Selon Lal, la diffusion de la culture indo -européenne serait issue de ce foyer culturel qui perdura plusieurs millénaires au nord - ouest de l’Inde et qui influença peu à peu, à travers la Perse , l’Anatolie, le Caucase et la Grèce, de nombreux peuples situés à l’ouest de l’Indus. L’assèchement du fleuve Sarasvatî poussa ensuite les populations affamées aussi bien vers le Gange que vers l’Occident accroissant ces influences culturelles vers 1500 av JC.
Si cette thèse hardie s’avérait exacte, l’Inde serait alors la mère des cultures indoeuropéennes ainsi que des valeurs qui régissaient leurs sociétés. Les racines linguistiques des langues dites indo-européennes plongeraient dans l’ancienne langue de la civilisation de l’Indus, ancêtre oublié du sanskrit, la langue sacrée de l’Inde.
8. LA CONTROVERSE DEVIENT IDEOLOGIQUE
Ces assertions révolutionnaires choquent les indianistes de la vieille école attachés au mythe invasionniste aryen, mais soulèvent un enthousiasme jubilatoire dans les milieux intellectuels et politiques indiens car, enfin, elles réhabilitent la grandeur et l’ancienneté de la culture de Bhârat, La Mère Inde. L’Inde ne se serait pas construite à partir d’apports étrangers mais, au contraire, elle serait à la source même des cultures indo-européennes.
Les envahisseurs successifs qui s’installèrent tour à tour sur le sol indien n’ont pu entamer la profondeur et la pérennité des valeurs de l’hindouisme. L’honneur national s’en trouve renforcé, c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de voir le RSS, organe idéologique du parti nationaliste hindou B.J.P, s’emparer des ces thèses afin d’appuyer la politique du nationalisme hindou lorsqu’il était au pouvoir ; c’est malheureusement à partir de ce nouveau regard sur l’histoire de l’Inde antique que fut lancé l’ordre de détruire la mosquée d’Ayodia dans l’espoir de retrouver le temple de Rama qu’elle était supposée recouvrir ; des massacres en représailles s’en suivirent et des exactions dramatiques furent perpétrées à l’encontre des communautés musulmanes et chrétiennes, notamment au Gujarat. Cette politique culturelle intolérante fut proclamée au nom de la pureté religieuse de Bhârat, la mère patrie.
La controverse a donc dépassé le pur cadre scientifique pour entrer dans les marécages du conflit idéologique. Les scientifiques qui s’insurgent avec le plus de véhémence contre ces thèses appartiennent aux milieux musulmans indiens. Mais les protestations les plus violentes proviennent du Pakistan voisin qui récuse en bloc toute idée de l’origine indienne de l’hindouisme car la politique nationaliste qui en découle met en danger la sécurité des 10 % de musulmans vivant en Inde. Les intellectuels musulmans accusent les historiens hindous de pousser le bouchon un peu trop loin et de tirer des conclusions hâtives à partir d’indices insuffisants et ce dans l’unique souci de nourrir l’idéologie du nationalisme hindou contemporain.
Le débat ne pourra être tranché que lorsqu’un Champollion indianiste parviendra à décrypter avec succès les énigmatiques caractères de l’antique civilisation de l’Indus- Sarasvati.
J .B. CABANES
Jean Bernard Cabanes, l'auteur de cet article, est fondateur et responsable culturel du Centre d’Études des Cultures Asiatiques « ORIENTS »
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