(Source : non-fiction - Franco La Cecla, Contre l’Architecture)
A l’heure où l’architecture attire de très nombreux étudiants, où ses grands représentants sont glorifiés et adulés, où la forme semble devenir plus importante que les impacts sociaux de l’oeuvre, il est pertinent de s’interroger sur l’évolution des fondements qui soutiennent la discipline architecturale et de son propre rapport à la ville. Franco La Cecla, professeur d’anthropologie culturelle et qui fut longtemps consultant auprès de Renzo Piano nous guide à travers cet ouvrage dans les méandres de l’architecture contemporaine à l’aide d’exemples concrets et de sa propre expérience pour dévoiler la perte de sens qui semble l’animer. Dénonçant le hiatus de plus en plus profond qui apparait entre les architectes et la civilisation urbaine, l’auteur livre une critique acerbe des "manières de faire" la ville et de la tendance actuelle de l’architecture à se commercialiser, à s’ériger en "logos" et à nier les "situations habitantes". Si l’auteur offre une intéressante contre-vue face à l’effet de mode qui entoure l’architecture et ses grands représentants, la structure désordonnée de l’essai et la superficialité des analyses ne convainc pas toujours. Dénonçant ouvertement les pratiques anti-urbaines de certains architectes, l’auteur généralise rapidement sans tenir compte de ceux qui tentent de concilier la forme à l’ "esprit des lieux" et néglige certains phénomènes externes qui concourent également à cet état de fait.
Comment ne pas devenir architecte
Tout d’abord, l’auteur décrit dans un long chapitre les raisons pour lesquelles, ayant terminé ses études d’architecture, lui-même n’a pas endossé les habits de la profession. Il évoque alors, tels qu’il les ressent depuis quelques dizaines d’années les dysfonctionnements et les errements de l’architecture avec comme point d’orgue l’inclination de plus en plus prégnante à faire des monuments des marques, des logos censés garantir le succès d’une ville. Revenant sur la genèse et l’émergence des starchitectes, il évoque les liens qui apparaissent plus en plus ténus entre l’architecture et la mode. Beaucoup d’architectes se sont en effet construit un "nom" grâce à des contrats avec de grandes marques comme Prada ou Versace, partenariats qui orientent par conséquent l’action de l’architecte sur la mise en valeur de son propre travail et sur la conception du bâtiment lui-même comme objet de mode. Mais ce type de relation fonctionne dans les deux sens, à l’image de celle entre Rem Koolhaas et Prada. L’architecte néerlandais - dont le travail est l’objet des foudres de l’auteur- offre non seulement une forme visuelle, une enveloppe mais il redynamise également la marque qui bénéficie d’une publicité immense et d’un souffle nouveau. Selon La Cecla, les architectes seraient donc devenus des "trend-setters" participant fièrement au grand défilé néolibéral qui déferle sur les villes actuelles ainsi qu’à la promotion de leur propre personne. De ce constat sévère, l’auteur dénonce l’absurdité de certains choix car l’image et la "signature" deviennent davantage privilégiées que la qualité des projets eux-mêmes. À travers les exemples de New-York, Barcelone ou Tirana, l’auteur expose avec persuasion la tendance à transformer la ville "en brand, […] en une plateforme constellée de monuments architecturaux prêts-à-consommer". Focalisés sur le règne du shopping et de l’image les architectes ne sauraient plus rien du système symbolique qui unit les habitants à la ville et ils auraient même tendance à rejeter toute responsabilité vis-à-vis des conséquences sociales ou environnementales, en justifiant que leur fonction se limite à la construction formelle et artistique. L’auteur évoque alors, hélas trop brièvement, les relations entre les politiques sécuritaires et les travaux des starchitectes pour montrer que ceux-ci ne seraient pas innocents dans le déclin des espaces publics et de la vitalité urbaine, "Manhattan produit des lieux qui n’en sont pas, des boîtes de verre et d’acier que la population ne pourra jamais investir d’aucune manière".
Les architectes ont-ils abandonné tout projet de transformation sociale ?
L’auteur s’intéresse ensuite aux banlieues européennes, rappelant que lors de l’après guerre, les architectes étaient des réformateurs, qu’ils accompagnaient constamment leur travail d’une utopie urbaine et agissaient avec une vision de progrès social. Or selon l’auteur, ce serait la prise de conscience dans les années 1970-80 de l’échec social de ces formes urbaines qui aurait participé au changement d’orientation de l’architecture. En effet, l’évolution des villes-satellites ou des new towns anglaises témoigne du fait que l’idée de transformer l’espace urbain pour faire un homme nouveau et créer de meilleures conditions de vie a finalement souvent engendré un rejet de la société et des violences récurrentes. C’est, selon l’auteur, face à cette prise de conscience que la profession se serait renfermée sur elle-même, se focalisant alors sur la forme sans plus se soucier du contexte et de l’environnement social. Retraçant succinctement leur évolution, l’auteur décrit les banlieues européennes comme un "enfermement de la famille ouvrière dans son espace domestique, et une vie publique réduite à un théâtre d’ombres". Il perçoit dans les banlieues une vision particulière de la ville et du logement et notamment une conception de l’habitat comme discipline sociale. En effet, le terme "logement" se substituant à celui d’habitat, présuppose "la fin de la maison, unité de vie et de production, mais aussi cadre symbolique où se mettent en place les liens familiaux, les réseaux d’amitié, de voisinage et de solidarité. Le logement, lui, sert essentiellement à se reposer et à se reproduire en tant que main d’œuvre tandis que le centre de l’existence est déplacé […] vers le lieu de travail". Selon l’auteur, les banlieues émanent d’ "une élaboration consciente de la laideur, d’une injure faite aux savoirs et aux pratiques millénaires de l’architecture et de l’habitat". L’auteur, à travers ces élans provocateurs, souhaite rappeler que les habitants lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes parviennent à améliorer par leurs propres moyens leur environnement physique et social, souvent de manière plus efficace que des modèles imposés. Citant les travaux d’Alessia de Biase ou de Michel Agier, il révèle certaines formes alternatives d’usage et d’aménagement de l’espace par les populations de banlieues où les espaces publics sont réduits à peau de chagrin, où la laideur du bâti est manifeste et les logements inadaptés. Il rappelle alors avec justesse que "même dans les villes les plus pauvres, les espaces semi-publics et informels, marchés, foires ambulantes, bars, restaurants, kiosques à journaux, étals de marchandises racontent le triomphe de la rue sur la prétendue privacy anglo-saxonne". Citons alors l’architecte Fuksas dont les propos rejoignent ceux de l’auteur : "la vie dans une favela où tout se dégrade et s’appauvrit peut être plus riche de sens et d’humanité que dans le quartier ordinaire d’une ville planifiée, organisée et dessinée […] Il ne sert à rien de tout planifier, ça ne fait que retarder le processus d’adaptation". Franco La Cecla juge donc impératif d’intégrer les populations mais aussi leurs pratiques conscientes ou inconscientes des lieux dans les stratégies d’aménagement.
Quand l’architecture s’efface derrière l’image
Or les préoccupations habitantes semblent aujourd’hui occultées par le règne de l’image. La communication permet actuellement de masquer certains dysfonctionnements urbains et repousse ainsi la mise en place de solutions efficaces et humaines, à l’instar de Palerme, la ville natale de l’auteur. Celui-ci évoque sa transformation progressive grâce à l’image et la communication. La mairie s’est en effet offert les services d’une agence de publicité peu avant les élections. Cette dernière a développé une politique de communication ainsi que le slogan Palermo è cool censé offrir tous les symboles d’une ville ouverte et culturelle. Dans le même temps, alors que les immondices débordent sur les trottoirs dans de nombreux quartiers, que les commerces sont de moins en moins nombreux et que la mafia est omniprésente, un homme de télévision développe l’opération "grands événements", afin de réinventer Palerme. L’objectif est de médiatiser les événements de la ville qu’ils soient traditionnels ou inventés pour l’occasion. Ainsi, il s’agit d’apprendre aux habitants à ne plus voir leur ville telle qu’elle est avec sa pauvreté, ses ruines et sa pollution mais à travers l’image rendue aux médias d’une ville festive et folklorique, la stratégie visant également à en faire une ville culturelle. Et encore une fois, le travail de quelques architectes ou designers "en vogue" participe à donner un aspect attractif à l’image mise en avant, au point que selon Franco La Cecla, "l’objectif est de supplanter la ville réelle par une ville virtuelle et télégénique". Les sommes engagées dans cette campagne publicitaire, ayant pu permettre de restaurer le centre ancien, témoignent de l’importance accordée à l’image urbaine et de la volonté de certaines villes à nier les problématiques sociales quotidiennes, à les masquer par la construction d’une image à offrir au monde et à leurs habitants, notamment grâce à l’architecture de mode. Il en est de même pour la ville de Naples, où à coté de rues gorgées d’immondices émerge un immense centre commercial en forme de Vésuve conçu par Renzo Piano et symbolisant l’ "âme napolitaine" ou encore pour Milan où la multiplication d’édifices consacrés à la mode et au design élude les problèmes sociaux, physiques ou industriels de la ville. Cette importance de l’image dans les politiques urbaines incite l’auteur à évoquer la nouvelle vocation de l’architecture à dématérialiser les villes, "à les vider de leur chair que sont les pierres et les habitants et de les transformer en purs cristaux liquides". Comme il le signale habilement, nous sommes "passés de la fermeture des usines à la vente du territoire comme pure construction virtuelle […] En cela, Palerme, Naples et Milan offrent des exemples de dissolution physique de la ville – au profit d’un simulacre vendable".
Résister et retourner à une architecture existentielle
A travers cet ouvrage provocateur, l’auteur prône une réforme de l’enseignement de l’architecture afin que tous les architectes puissent réellement saisir les liens entre la ville et ses habitants et que ceux ci deviennent le centre des réflexions, il prêche donc pour un retour à "l’horizontalité et à la verticalité existentielles des villes". La dimension pamphlétaire, assumée par l’auteur, restreint quelque peu le champ d’analyse mais permet d’interpeller le lecteur, de favoriser une réflexion sur le modèle de ville que nous souhaitons voir émerger. Une des volontés de Franco La Cecla est également de montrer l’importance des pratiques habitantes, et notamment l’existence manifeste de formes de résistance qui apparaissent ici et là face à l’aseptisation de l’espace urbain, face aux modèles de villes imposés. Sous le pessimisme apparent de son analyse émerge alors un espoir en l’ "habitant" pour créer ou recréer de l’urbanité.
Mais cette critique d’une "brand architecture" couve en elle une critique des manières de "faire la ville" par les pouvoirs décisionnaires. Il aurait été alors pertinent que l’auteur approfondisse davantage sa réflexion sur l’influence du politique sur l’architecture et sur la liberté qui est accordée à ses artisans. Car si la prise en compte des lieux et de leurs identités dans la conception architecturale n’est plus exemplaire, il ne faut pas omettre que l’influence de plus en plus prégnante de forces politiques et privées, guidées par l’objectif de créer une ville aseptisée, sécuritaire et "propre", limite considérablement la marge de manœuvre des architectes. Il convient donc de relier les réflexions de Franco La Cecla aux manières de concevoir la ville par les pouvoirs locaux, promoteurs et financeurs ainsi qu’à l’imaginaire urbain "post-hygiéniste" qui prédomine parmi les cercles techniciens et politiques et tend à se diffuser à l’échelle du globe.
A l’heure où l’architecture attire de très nombreux étudiants, où ses grands représentants sont glorifiés et adulés, où la forme semble devenir plus importante que les impacts sociaux de l’oeuvre, il est pertinent de s’interroger sur l’évolution des fondements qui soutiennent la discipline architecturale et de son propre rapport à la ville. Franco La Cecla, professeur d’anthropologie culturelle et qui fut longtemps consultant auprès de Renzo Piano nous guide à travers cet ouvrage dans les méandres de l’architecture contemporaine à l’aide d’exemples concrets et de sa propre expérience pour dévoiler la perte de sens qui semble l’animer. Dénonçant le hiatus de plus en plus profond qui apparait entre les architectes et la civilisation urbaine, l’auteur livre une critique acerbe des "manières de faire" la ville et de la tendance actuelle de l’architecture à se commercialiser, à s’ériger en "logos" et à nier les "situations habitantes". Si l’auteur offre une intéressante contre-vue face à l’effet de mode qui entoure l’architecture et ses grands représentants, la structure désordonnée de l’essai et la superficialité des analyses ne convainc pas toujours. Dénonçant ouvertement les pratiques anti-urbaines de certains architectes, l’auteur généralise rapidement sans tenir compte de ceux qui tentent de concilier la forme à l’ "esprit des lieux" et néglige certains phénomènes externes qui concourent également à cet état de fait.
Comment ne pas devenir architecte
Tout d’abord, l’auteur décrit dans un long chapitre les raisons pour lesquelles, ayant terminé ses études d’architecture, lui-même n’a pas endossé les habits de la profession. Il évoque alors, tels qu’il les ressent depuis quelques dizaines d’années les dysfonctionnements et les errements de l’architecture avec comme point d’orgue l’inclination de plus en plus prégnante à faire des monuments des marques, des logos censés garantir le succès d’une ville. Revenant sur la genèse et l’émergence des starchitectes, il évoque les liens qui apparaissent plus en plus ténus entre l’architecture et la mode. Beaucoup d’architectes se sont en effet construit un "nom" grâce à des contrats avec de grandes marques comme Prada ou Versace, partenariats qui orientent par conséquent l’action de l’architecte sur la mise en valeur de son propre travail et sur la conception du bâtiment lui-même comme objet de mode. Mais ce type de relation fonctionne dans les deux sens, à l’image de celle entre Rem Koolhaas et Prada. L’architecte néerlandais - dont le travail est l’objet des foudres de l’auteur- offre non seulement une forme visuelle, une enveloppe mais il redynamise également la marque qui bénéficie d’une publicité immense et d’un souffle nouveau. Selon La Cecla, les architectes seraient donc devenus des "trend-setters" participant fièrement au grand défilé néolibéral qui déferle sur les villes actuelles ainsi qu’à la promotion de leur propre personne. De ce constat sévère, l’auteur dénonce l’absurdité de certains choix car l’image et la "signature" deviennent davantage privilégiées que la qualité des projets eux-mêmes. À travers les exemples de New-York, Barcelone ou Tirana, l’auteur expose avec persuasion la tendance à transformer la ville "en brand, […] en une plateforme constellée de monuments architecturaux prêts-à-consommer". Focalisés sur le règne du shopping et de l’image les architectes ne sauraient plus rien du système symbolique qui unit les habitants à la ville et ils auraient même tendance à rejeter toute responsabilité vis-à-vis des conséquences sociales ou environnementales, en justifiant que leur fonction se limite à la construction formelle et artistique. L’auteur évoque alors, hélas trop brièvement, les relations entre les politiques sécuritaires et les travaux des starchitectes pour montrer que ceux-ci ne seraient pas innocents dans le déclin des espaces publics et de la vitalité urbaine, "Manhattan produit des lieux qui n’en sont pas, des boîtes de verre et d’acier que la population ne pourra jamais investir d’aucune manière".
Les architectes ont-ils abandonné tout projet de transformation sociale ?
L’auteur s’intéresse ensuite aux banlieues européennes, rappelant que lors de l’après guerre, les architectes étaient des réformateurs, qu’ils accompagnaient constamment leur travail d’une utopie urbaine et agissaient avec une vision de progrès social. Or selon l’auteur, ce serait la prise de conscience dans les années 1970-80 de l’échec social de ces formes urbaines qui aurait participé au changement d’orientation de l’architecture. En effet, l’évolution des villes-satellites ou des new towns anglaises témoigne du fait que l’idée de transformer l’espace urbain pour faire un homme nouveau et créer de meilleures conditions de vie a finalement souvent engendré un rejet de la société et des violences récurrentes. C’est, selon l’auteur, face à cette prise de conscience que la profession se serait renfermée sur elle-même, se focalisant alors sur la forme sans plus se soucier du contexte et de l’environnement social. Retraçant succinctement leur évolution, l’auteur décrit les banlieues européennes comme un "enfermement de la famille ouvrière dans son espace domestique, et une vie publique réduite à un théâtre d’ombres". Il perçoit dans les banlieues une vision particulière de la ville et du logement et notamment une conception de l’habitat comme discipline sociale. En effet, le terme "logement" se substituant à celui d’habitat, présuppose "la fin de la maison, unité de vie et de production, mais aussi cadre symbolique où se mettent en place les liens familiaux, les réseaux d’amitié, de voisinage et de solidarité. Le logement, lui, sert essentiellement à se reposer et à se reproduire en tant que main d’œuvre tandis que le centre de l’existence est déplacé […] vers le lieu de travail". Selon l’auteur, les banlieues émanent d’ "une élaboration consciente de la laideur, d’une injure faite aux savoirs et aux pratiques millénaires de l’architecture et de l’habitat". L’auteur, à travers ces élans provocateurs, souhaite rappeler que les habitants lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes parviennent à améliorer par leurs propres moyens leur environnement physique et social, souvent de manière plus efficace que des modèles imposés. Citant les travaux d’Alessia de Biase ou de Michel Agier, il révèle certaines formes alternatives d’usage et d’aménagement de l’espace par les populations de banlieues où les espaces publics sont réduits à peau de chagrin, où la laideur du bâti est manifeste et les logements inadaptés. Il rappelle alors avec justesse que "même dans les villes les plus pauvres, les espaces semi-publics et informels, marchés, foires ambulantes, bars, restaurants, kiosques à journaux, étals de marchandises racontent le triomphe de la rue sur la prétendue privacy anglo-saxonne". Citons alors l’architecte Fuksas dont les propos rejoignent ceux de l’auteur : "la vie dans une favela où tout se dégrade et s’appauvrit peut être plus riche de sens et d’humanité que dans le quartier ordinaire d’une ville planifiée, organisée et dessinée […] Il ne sert à rien de tout planifier, ça ne fait que retarder le processus d’adaptation". Franco La Cecla juge donc impératif d’intégrer les populations mais aussi leurs pratiques conscientes ou inconscientes des lieux dans les stratégies d’aménagement.
Quand l’architecture s’efface derrière l’image
Or les préoccupations habitantes semblent aujourd’hui occultées par le règne de l’image. La communication permet actuellement de masquer certains dysfonctionnements urbains et repousse ainsi la mise en place de solutions efficaces et humaines, à l’instar de Palerme, la ville natale de l’auteur. Celui-ci évoque sa transformation progressive grâce à l’image et la communication. La mairie s’est en effet offert les services d’une agence de publicité peu avant les élections. Cette dernière a développé une politique de communication ainsi que le slogan Palermo è cool censé offrir tous les symboles d’une ville ouverte et culturelle. Dans le même temps, alors que les immondices débordent sur les trottoirs dans de nombreux quartiers, que les commerces sont de moins en moins nombreux et que la mafia est omniprésente, un homme de télévision développe l’opération "grands événements", afin de réinventer Palerme. L’objectif est de médiatiser les événements de la ville qu’ils soient traditionnels ou inventés pour l’occasion. Ainsi, il s’agit d’apprendre aux habitants à ne plus voir leur ville telle qu’elle est avec sa pauvreté, ses ruines et sa pollution mais à travers l’image rendue aux médias d’une ville festive et folklorique, la stratégie visant également à en faire une ville culturelle. Et encore une fois, le travail de quelques architectes ou designers "en vogue" participe à donner un aspect attractif à l’image mise en avant, au point que selon Franco La Cecla, "l’objectif est de supplanter la ville réelle par une ville virtuelle et télégénique". Les sommes engagées dans cette campagne publicitaire, ayant pu permettre de restaurer le centre ancien, témoignent de l’importance accordée à l’image urbaine et de la volonté de certaines villes à nier les problématiques sociales quotidiennes, à les masquer par la construction d’une image à offrir au monde et à leurs habitants, notamment grâce à l’architecture de mode. Il en est de même pour la ville de Naples, où à coté de rues gorgées d’immondices émerge un immense centre commercial en forme de Vésuve conçu par Renzo Piano et symbolisant l’ "âme napolitaine" ou encore pour Milan où la multiplication d’édifices consacrés à la mode et au design élude les problèmes sociaux, physiques ou industriels de la ville. Cette importance de l’image dans les politiques urbaines incite l’auteur à évoquer la nouvelle vocation de l’architecture à dématérialiser les villes, "à les vider de leur chair que sont les pierres et les habitants et de les transformer en purs cristaux liquides". Comme il le signale habilement, nous sommes "passés de la fermeture des usines à la vente du territoire comme pure construction virtuelle […] En cela, Palerme, Naples et Milan offrent des exemples de dissolution physique de la ville – au profit d’un simulacre vendable".
Résister et retourner à une architecture existentielle
A travers cet ouvrage provocateur, l’auteur prône une réforme de l’enseignement de l’architecture afin que tous les architectes puissent réellement saisir les liens entre la ville et ses habitants et que ceux ci deviennent le centre des réflexions, il prêche donc pour un retour à "l’horizontalité et à la verticalité existentielles des villes". La dimension pamphlétaire, assumée par l’auteur, restreint quelque peu le champ d’analyse mais permet d’interpeller le lecteur, de favoriser une réflexion sur le modèle de ville que nous souhaitons voir émerger. Une des volontés de Franco La Cecla est également de montrer l’importance des pratiques habitantes, et notamment l’existence manifeste de formes de résistance qui apparaissent ici et là face à l’aseptisation de l’espace urbain, face aux modèles de villes imposés. Sous le pessimisme apparent de son analyse émerge alors un espoir en l’ "habitant" pour créer ou recréer de l’urbanité.
Mais cette critique d’une "brand architecture" couve en elle une critique des manières de "faire la ville" par les pouvoirs décisionnaires. Il aurait été alors pertinent que l’auteur approfondisse davantage sa réflexion sur l’influence du politique sur l’architecture et sur la liberté qui est accordée à ses artisans. Car si la prise en compte des lieux et de leurs identités dans la conception architecturale n’est plus exemplaire, il ne faut pas omettre que l’influence de plus en plus prégnante de forces politiques et privées, guidées par l’objectif de créer une ville aseptisée, sécuritaire et "propre", limite considérablement la marge de manœuvre des architectes. Il convient donc de relier les réflexions de Franco La Cecla aux manières de concevoir la ville par les pouvoirs locaux, promoteurs et financeurs ainsi qu’à l’imaginaire urbain "post-hygiéniste" qui prédomine parmi les cercles techniciens et politiques et tend à se diffuser à l’échelle du globe.
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