T.d Barnes est le fondateur de l'Amicale des retraités de la zone 51. Il est interviewé dans le cadre de "L'Histoire Orale du Site d'Essais du Nevada" initié par l'université du même état. L'histoire orale enregistrée est un moyen de rassembler des informations racontées par un narrateur qui possède un savoir de première main sur des évènements d'importance historique. Le but est de créer une archive qui complètera de façon pertinente les archives historiques existantes. L'interview est conduite par un chercheur ou un historien.
Interview conduite par Julia Stetler en janvier 2007. Les questions sont en italiques.
Extrait de l'interview qui couvre la période de travail de Mr.Barnes pour la NASA ainsi que sur la zone 51. T.Barnes était ingénieur spécialisé dans les radars.1/2
"Je voulais travailler pour la FAA [Federal Aviation Administration] à Oklahoma City et pendant que j'attendais une ouverture j'ai reçu un appel, on me demandait d'être dans le Nevada le lendemain. Ils avaient besoin d'un radariste, c'était urgent.
C'était la CIA ?
Non. C'était un sous-traitant pour la NASA et la CIA était impliquée dans ce programme, le Projet X15. Ils prévoyaient un vol X-15 pour le lendemain et ils avaient des problèmes de radar. Il leur fallait de l'aide rapidement. Je leur ai dit que je ne pouvais pas venir si vite, mais nous y sommes parvenus. (Nous venions d'acheter une maison à Oklahoma City et l'avons vendue de suite. L'agent immobilier a pu nous en libérer sur le champ.) Nous avons tout emporté et le jour suivant nous partions pour le Nevada. Et nous y sommes depuis ce jour.
Vous avez donc déménagé d'Oklahoma au Nevada..
Oui. Nous sommes allés dans la petite ville de Beatty, nous étions une bonne dizaine sur le site des radars et la ville entière avait préparé une fête pour nous accueillir le soir de notre arrivée, toute la ville était là. On s'est aperçu ensuite que n'importe quelle excuse pour faire la fête était bonne à prendre. Y avait pas grand-chose à faire à Beatty à cette période. Deux véhicules de la NASA venaient nous chercher chaque matin pour nous conduire sur le site. Nous avons fait des missions pour le X-15 et peu de temps après pour le XB-70, le bombardier géant. Puis nous avons commencé à travailler sur les vols en provenance de l'aire 51. Nous avions le seul radar de la région qui pouvait enregistrer la vélocité et c'est ce qu'ils avaient besoin pour les essais de vitesse, alors nous participions. Tout ce qui volait dans cette partie du pays, nous en étions.
Okay, le X-15 était un projet de la NASA ?
Oui.
Et que faisiez-vous exactement ?
Ils nous appelaient les "conseillers techniques" mais ça concernait particulièrement le radar et le système de transmission des données. En fait, nous le pistions. Nous avions...un peu comme ce qu'ils avaient au Cap [Cap Carnaveral], nous avions la télémétrie, et tout ce qu'ils avaient au Cap, à une plus petite échelle.
Donc vous surveilliez tout ce qui bougeait ?
Oui, et c'était une véritable mission parce que c'étaient nos premiers astronautes. Je travaillais avec Neil Amstrong avant même qu'il aille sur la lune. Les premiers astronautes, à chaque fois qu'ils volaient au dessus des 50 miles dans l'atmosphère...c'était ça la démarcation.
Est-ce là que l'on gagne ses ailes d'astronautes ?
Oui, donc Joe Walker et Neil, plusieurs d'entre eux, ils étaient déjà astronautes avant d'entrer dans le programme spatial. Mais ce que nous faisions, nous testions le matériel qu'ils utilisaient dans l'espace, voyez, c'était tout le sujet du X-15. Peut-être qu'il y avait un nouveau système de guidage qu'ils voulaient utiliser dans les véhicules qu'ils concevaient pour aller sur la Lune, on devait les essayer hors atmosphère et le X-15, il allait à la limite de l'espace. Quand on les lançait dans la journée, c'était la nuit là où ils allaient. Ils voyaient les étoiles à 10 heures du matin ici, et on les lançait aussi loin que Wendover, Utah. C'était le plus loin possible. Ils étaient lancés et 7 minutes plus tard, ils buvaient le café sur la base d'Edwards. [Californie]
X-15
Quelles genre de choses testiez-vous ?
Nous testions plein de trucs sur le X-15. Je me souviens d'une mission, nous avions une pluie de météorites et nous avons fait des lancements pour essayer d'en attraper quelques unes. On avait des petites excroissances [pods] sur l'aile que nous avions ouvertes pour ramasser un peu de poussières, rien de gros, ça s'envolait mais c'était un petit quelque chose. Nous testions tout, comme les tuiles qu'ils utilisaient sur le Space Shuttle, nous testions ce genre de truc pour voir comment ça réagissait parce que quand le X-15 rentrait dans l'atmosphère, il devenait juste rouge tomate, comme le Space Shuttle ou n'importe quel autre, et pour le ralentir, parce qu'il allait à mach-6, donc pour le ralentir quand il rentrait dans l'atmosphère, il fallait lui faire subir une brève secousse due à la pesanteur, puis il y échappait de nouveau.
C'est comme cela qu'il ralentissait parce que s'il plongeait, alors il se serait consumé tellement il était chaud. Nous avons rencontré des tas de problèmes qui hantait les missions de la navette spatiale. Par exemple, il y a un moment dans chaque mission où nous perdions la communication radio avec le pilote et au début on n'avait aucune idée de ce que c'était, hé bien c'était un champ d'ions qui s'accumulaient devant l'avion en bloquant la communication.
Oh, quand l'avion rentrait ?
Oui, quand il rentrait. Ce sont des choses comme ça qu'on apprenait pour la première fois avec le X-15, ensuite ils s'en sont servi. Puis nous avons eu ces petites choses que nous avons appelées "planeur à fuselage portant". On les lançait du B-52, comme on lançait le X-15, et ils fonçaient en l'air, tout cela c'était pour le développement du Space Shuttle. Ils servaient pour la forme, voyez, leur forme [il parle de modèles de ces planeurs sur l'étagère] ils n'ont pas de coins. On les appelait les baignoires volantes. On les lançait pour la navette. Puis le B-70, c'était pour les gros transports supersoniques. Tout ce qu'on faisait avait une application future. Mais le X-15 était tout d'abord pour les missions Apollo et les missions vers la lune. C'étaient les tests que nous faisions.
Et vous étiez immergé là-dedans.
Oui, et il y a autre chose. Nous avons aussi testé les modules d'alunissage, on mettait des types dedans, ça avait l'air de sortir d'un film de Buck Rogers ! On a essayé tellement de trucs bizarres jusqu'à ce que l'on trouve le bon design. On a vraiment fait voler des trucs dingues à cette époque !
Vous avez donc travaillé avec Neil Amstrong ?
Oui. Justement, voilà une photo qu'il m'a envoyée récemment. [montre la photo] C'est Neil au bout et l'autre, c'est Bob Gilliland, il était le premier pilote du SR-71. Ils déjeunaient à Pasadena l'autre matin, à moins que ce soit pour le breakfeast et l'un d'eux a prononcé mon nom: " Bien, tu connais T.Barnes ? Oui, j'ai travaillé avec lui. Ah moi aussi." Ils m'ont donc envoyé une photo d'eux deux. Oui, j'ai connu beaucoup d'astronautes parce qu'ils étaient nombreux à travailler sur la base Edwards comme pilotes d'essais. Les pilotes n'étaient pas forcément des types de la NASA. La Nasa mène le show mais les pilotes étaient de la Navy et de l'Air Force. Joe Walker lui, était un civil, il est mort dans la collision en vol avec le V-70. Nous avions des types de toutes les branches.
Combien de temps avez-vous travaillé pour la Nasa ?
J'ai travaillé pour eux pendant 5 ans.
C'était dans quelles années ?
De 64 à..Non, ce n'était pas tant que ça. 3 ans, j'avais arrêté une année. Ils m'ont envoyé à Wright-Patterson. Ils faisaient les tests d'intégrité sur la première capsule Apollo, j'ai donc travaillé dans le lab de dynamique de vol quelques mois puis ils m'ont renvoyé sur le X-15. J'ai eu l'occasion de faire des tas de choses tout en restant dans un champ d'activité restreint. Nous n'étions pas si nombreux. En fait quand nous sommes arrivés sur la zone 51, nous n'étions que 2. Nous étions les seuls qu'ils avaient. Nous n'étions pas autorisés à venir par le même vol ou le même transporteur, même pour aller à la cantine en voiture quoique ce ne soit qu'à 3 ou 4 pâtés de maisons, nous devions conduire dans des véhicules différents.
Au cas ou quelque chose arrivait, parce que vous représentiez une valeur réelle.
Oui. A cette époque, oui. Nous étions très avancés dans notre spécialité.
Wow, C'est vraiment cool.
Toutes les écoles que j'ai fréquentées auraient fait une demande de doctorat. J'aurais eu plus de 400 crédits. Elles étaient toutes spécialisées sans être universitaires, une fois que vous étiez entré, vous n'arrêtiez jamais d'apprendre et il n'y avait pas réellement de formation à proprement parler. Nous étions des pionniers dans tout ce que nous faisions. Nous allions aussi prendre des cours de mise à niveau sur ceci ou sur cela, mais c'était pour quelque chose que nous aurions à concevoir dans le futur. C'était le travail en amont et il y a les cours de comment tel truc marche ou telle autre chose, puis ensuite, il faut tout piger pour l'appliquer sur ce que vous travailliez sur le moment.
D'accord, c'était la Nasa. Ensuite ?
Ok. En 1968, la CIA m'a recruté en tant que contractant pour travailler sur l'aire 51. Et à ce moment là à la Nasa, je travaillais sans accréditation top secret. Mon autorisation top secret était périmée parce que je ne m'en servais pas, il fallait qu'ils m'en refassent une, alors en attendant ils m'ont envoyé au Projet NERVA (Nuclear Engine for Rocket Vehicle Application), un programme où nous développions un moteur nucléaire de fusée pour aller sur Mars. J'y ai travaillé un moment pendant qu'ils obtenaient mes autorisations. En fait ce projet était une combinaison de Nasa, CIA, et..en fait ces 2 là, et il me fallait une autorisation de classe Q pour ça. J'ai donc eu l'autorisation Q avant d'avoir ma top secret !
L'accréditation Q, ça veut dire ?
C'est just un nouveau niveau d'autorisation, bien au dessus de top secret. Mais le Ministère de l'Énergie [DOE: Department of Energy] utilise une autorisation Q alors que le DoD [Défense] utilise top secret et au dessus. Je travaillais sur le projet Nerva et 3 ou 4 essais de bombes nucléaires et après ça je suis allé sur la zone 51 pour travailler pour ces mêmes sujets. Entre les périodes de boulot, quand ils n'avaient plus d'argent, ils nous faisaient passer dans ce qu'on appelait le white world. On avait le black world et le white world et ils nous "prêtaient" à des sociétés du white world jusqu'à ce qu'ils récupèrent des fonds. On ne savait jamais de quelle boite viendraient nos fiches de paye. Si c'était sous contrat de sous-traitance, ça n'avait pas d'importance, on pouvait être payés par n'importe quelle entreprise. Tout ce qu'ils avaient était un nom auquel ils étaient supposés envoyer un chèque. La CIA les remboursait, bien sûr.
Ok. Quand vous dites "nous"..
Nous étions 23 en tout.
Et vous étiez une équipe qui..
Ils nous appelaient "les Projets Spéciaux". Chacun de nous avait sa propre spécialité et vous ne demandiez jamais à l'autre ce qu'il faisait. Mais nous prenions tous le même vol pour venir sur la zone et nous travaillions tous dans le même coin. Maintenant nous savons que certains d'entre eux étaient "ordinateurs", c'était le tout début des ordis et nous avions des programmeurs, nous avions différents types de radaristes, nous avions des gens pour la télémétrie, des dessinateurs, juste un peu de tout qui travaillait là.
Nous étions les Projets Spéciaux et nous travaillions ensemble. Et quand ils venaient nous chercher... C'est plutôt intéressant, vous aviez soit un yacht de croisière sur le Lake Mead, ou bien un chalet sur le Mont Charleston parce qu'il y avait 2 groupes. Ils avaient tout prévu. Quand on montait à la zone le lundi matin pour y rester toute la semaine et qu'on rentrait le vendredi soir, la plupart du temps, comme on était super surveillés par les soviétiques, on tournait en rond à rien faire parce qu'ils nous gardaient coincés là où on ne pouvait pas travailler à nos projets, si bien qu'il leur fallait un groupe de gens qui avaient quelque chose en commun afin que ça ne se termine pas par des bagarres internes etc.
Alors on s'asseyait et planifiait notre week-end soit sur le lac soit dans la montagne au chalet, on peut dire qu'on travaillait ensemble et qu'on jouait ensemble. On ne sortait pas de notre cercle. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes toujours liés aujourd'hui. On était tous devenus comme une famille. Et en même temps que nous ils avaient interviewé les familles et elles étaient toutes très compatibles. Une épouse pouvait faire éjecter un type du programme plus vite que n'importe qui d'autre. Ils ne voulaient pas qu'elles aillent voir un député en disant: Eh, je ne vois jamais mon mari, je ne sais pas ce qu'il fait.. ou quelque chose comme ça.
Ils avaient donc choisi, les familles se ressemblaient presque à l'identique. Nous avions tous 2 enfants, et les épouses s'entendaient bien. C'était presque comme dans l'armée, elles s'aidaient mutuellement parce qu'elles ne pouvaient pas nous appeler. Nous, nous pouvions les joindre mais elles, elles n'avaient que le numéro de téléphone de Nellis à utiliser en cas d'urgence. Nous pouvions les appeler aussi souvent que nous le voulions. Elles n'avaient aucune idée du lieu où nous nous trouvions. Tout ce qu'elles savaient c'est qu'on prenait un avion le lundi matin et qu'on rentrait le vendredi soir.
Votre femme vous a t-elle demandé ?
Non. Pas folle. A l'Agence quand ils les interviewaient, ils leur faisaient réellement rentrer dans le crâne que jamais, absolument JAMAIS vous ne dites où se trouve votre mari. Si quelqu'un vous demande où travaille votre mari, votre mari travaille sur le site des essais. Autrement dit les épouses avaient été entrainées à donner les bonnes réponses. C'était la consigne générale, vous disiez que vous travailliez sur le Nevada Test Site.
Lors des interviews, quel genre de questions posaient-ils ?
Dans mon cas c'est un peu différent car j'avais déjà travaillé pour eux mais en général pour parler des gens qui travaillaient.. l'Air Force etc, ils les emmenaient à Langley, quartier général de la CIA et commençaient en leur disant : Nous avons un travail intéressant, nous pensons que vous y seriez heureux et nous voulons vous faire passer quelques tests si cela vous intéresse... et la plupart des types pensaient qu'ils étaient interviewés pour faire astronaute.
Ils leur faisaient passer toutes sortes de tests psychologiques, des tas de questions et ...Ciel ils vérifiaient votre histoire, je veux dire votre histoire entière passait au peigne fin parce que c'était très très confidentiel. Puis ils vous renvoyaient chez vous et quand vous partiez vous n'en saviez pas plus qu'à votre arrivée. Vous ne saviez même pas le nom de celui qui vous avait interviewé. Parfois, les gens ne savaient même pas que c'était la CIA parce qu'ils conduisaient (des fois) l'entrevue dans un hôtel et les gens pensaient que c'était la NASA ou d'autres agences.
Vous n'aviez aucune idée de qui ils étaient. Ils avaient beaucoup de tests à faire passer puis ils affinaient à une poignée de questions et même là, les gens ne savaient pas encore ce qu'ils feraient exactement. Les ordres disaient "March Air Force Base" [Californie] mais ils disaient: Vous allez à Las Vegas et vous appelez ce numéro. Et c'est seulement lorsqu'ils arrivaient sur la Zone (on l'appelait la Zone ou le Ranch) qu'ils savaient à quoi ils allaient travailler. Ils arrivaient et voyaient les avions pour la première fois et s'exclamaient : Put.in de Bord.l ! Qu'est-ce que c'est que ça !? C'est ce que tu vas piloter, mon vieux.
Mais vous n'avez pas eu à faire tout cela puisque vous aviez déjà l'accréditation ?
Non, parce qu'ils me connaissaient déjà très bien, j'avais travaillé avec eux à Fort Bliss et en d'autres endroits, mon cas était donc spécial.
Quand vous êtes arrivé au Ranch, comment était-ce ?
C'était comme je m'y attendais. On est arrivés en avion (à cette époque on ne savait jamais par quel moyen de transport on arriverait, on continue d'en parler entre nous), on avait un petit avion garé en bout de piste sur McCarran [Aéroport international de Las Vegas] et il y avait un petit bâtiment au bout de la piste et on pouvait décoller et atterrir à l'insu du reste. Bien sûr la tour de contrôle le savait mais il n'y avait aucune annonce publique. Ils savaient que c'était un vol classifié.
Quand je suis arrivé, les types dans l'avion ne me connaissaient pas très bien et ils ont baissé les rideaux avant l'atterrissage sur le Ranch parce qu'ils avaient peur ..ils ne savaient pas exactement ce que j'étais supposé savoir. C'est parce que tout là-bas, tout fonctionne sur le "besoin de savoir". Pourtant, dans les débuts il n'y avait pas tant de projets que ça mais malgré tout ils avaient couvert les hublots pour que je ne voie rien dans la descente.
Ils font toujours ça lorsqu'ils ne sont pas certains de la conduite à tenir avec quelqu'un, jusqu'à ce qu'ils connaissent les autorisations, votre badge informait de tous vos accès et personne n'avait accès à tout ce qu'il y avait là bas. Il s'y passait des choses qui ne vous concernaient pas et à la première question, vous étiez certain de ne pas être invité de nouveau. Fini. Je suis sorti et je savais déjà qu'ils avaient apporté l'un de mes vieux radars de Fort Bliss.
Vous aviez donc une idée..
Oui parce que je savais qu'ils avaient besoin de quelqu'un avec ce genre d'expérience, ils appellent ça l'expérience radar X-band. C'était rare. A cette époque, seule l'armée pratiquait ça, et j'étais le seul type de l'armée ici. J'étais un civil mais la plupart d'entre eux étaient entrainés par l'Air Force. Il y avait aussi quelques Navy. Mon ancien système de radar m'attendait et je m'y suis mis de suite. L'une des raisons pour laquelle ils me voulaient là, est parce que la CIA avait fourni une couverture U-2 pendant la guerre des six jours et avait donné les informations à Israel. C'est pourquoi ils avaient gagné la guerre si vite.
En échange ils avaient capturé un paquet d'équipement soviétique et ils l'apportaient sur la zone et c'est là que j'entrais dans le jeu puisqu'ils leur fallait quelqu'un qui possédait mon expérience assez vaste des radars afin de pouvoir s'attaquer à ces systèmes de radars soviétiques une fois qu'ils arriveraient ici. Il fallait trouver ce qui les faisait marcher et puis les faire fonctionner. Nous les avons utilisés en fait car nous commencions les débuts des Programmes Stealth [invisibilité, 1964] et il nous fallait savoir ce que les soviétiques allaient voir quand ils allaient déceler ceux-ci. Nous utilisions leur équipement pour regarder ce que nous faisions. C'est donc l'une des raisons de ma présence sur la zone, l'angle soviétique.
MIG-21
Nous pilotions donc des avions soviétiques et nous les pistions avec un radar soviétique, et la raison de tout ça, c'était le Vietnam. Nous étions dedans.. jusque là..à cette époque et avec le MIG-21, le ratio de tués était de 9-1 contre nous. Nous avions tous ces avions super et ils en abattaient 9 et nous 1. On essayait de comprendre pourquoi, comment faisaient-ils ? Alors avec ce projet qu'on a nommé Have Doughnut, parce qu'il y avait des avions avec comme un doughnut sur le devant, et cet avion nous causait tous ces problèmes.
MIG-17
Nous avons donc commencé à faire voler ceux qui étaient là, nous en avions plusieurs. Nous observions leurs aspects techniques, nous vérifions tous leurs équipements, et jamais quitter le sol s'ils surveillaient.. puis nous avons commencé à les piloter et à prendre leurs armes pour cibles. La rumeur que nous les avions ici s'est propagée et les généraux de l'Air Force voulaient venir les voir. Ils avaient suffisamment de pouvoir pour voir leurs vœux exaucés et l'idée était là : Pourquoi ne pas voler contre eux?
Ce fut la naissance des programmes Top Gun et Red Flag. Ces pilotes venaient au Ranch et se mettaient en compétition contre les nôtres qui les pilotaient. C'est comme ça qu'ils ont appris leurs forces et leurs faiblesses. Quel programme c'était ! Je vous donne juste un exemple : Si vous pilotiez le F-4, un avion américain et que vous rencontriez l'un de ces MIG-21, s'il était en dessous de 15,000 pieds vous aviez une chance de l'avoir. Si vous ne l'aviez pas, inutile d'y revenir parce que lui, vous aurait.
Autrement dit, il pouvait vous surpasser en manœuvre à moins de 15,000 pieds. Nous avons donc appris quand attaquer et quand ne pas attaquer. Et nous avons renversé ce ratio au Vietnam en faisant ça. Ils continuent à le faire aujourd'hui avec Red Flag et Top Gun, ils viennent ici se mettre en compétition avec ce qu'ils appellent l'ennemi, des pilotes américains dans des avions étrangers pour qu'ils sachent à quoi s'attendre au combat et ils volent contre eux. Ils le font toujours aujourd'hui. Tout a commencé ici.
Wow. C'était donc la raison de tant d'avions US abattus.
Oui, oui. Les avions soviétiques étaient vraiment simples. Ils ne croient pas à tout le confort et toutes les précautions comme nous le faisons. Ils n'auront pas de systèmes superflus par exemple. Nous avons une sauvegarde pour tout. Pas eux. Ils les ont fait simples et rapides, Ils ne les ont pas rendu confortables mais les avions faisaient ce qu'ils avaient à faire tout en nous surpassant car ils étaient plus légers. Ils n'étaient pas plus malins que nous mais ils dépensaient moins. Nous cherchons toujours à avoir trop de confort dans ce que nous faisons, avec du superflu, pas eux et on peut dire que ça laissait plus de disponibilité à leurs pilotes.
Mais technologiquement parlant, les 2 technologies, soviétique et américaine, étaient-elles semblables ?
Pas réellement. Il a été intéressant de s'apercevoir que dans ces avions l'électronique venait de Sunnyvale dans la Silicon Valley. Les soviétiques avaient des copies de nos avions. On en avait vendu à l'Iran qui les avait immédiatement vendu aux soviétiques. Ceux-ci faisaient donc exactement la même chose avec nos avions que ce que nous faisions ici au Ranch. Ils les mettaient en pièces pour voir les mécanismes de leur fonctionnement. Puis ils ont commencé à copier et à utiliser notre électronique.
Ils abattaient l'un de nos avions au Vietnam et ils couraient sur place le vider de son électronique parce qu'ils pouvaient l'utiliser pour leurs pièces de rechange dans leurs avions. C'est pour ça (entre autres) que nous sommes passés au système métrique, pour changer toute l'instrumentation que les soviets ne pourraient plus utiliser. Ils avaient construit tous ces avions et tout d'un coup , nous changeons le système et ils ne peuvent plus se procurer de pièces de rechange sur notre dos. C'est ce qui a causé la banqueroute chez les soviétiques, ils ne pouvaient plus nous suivre. C'était beaucoup trop cher. Nous avions tellement plus de ressources. Nous n'étions pas plus intelligents qu'eux mais capables de les devancer plus longtemps.
Oui. Vous aviez ces avions. Vous disiez que le Projet se nommait: Have Doughnuts ?
Oui. Have Doughnuts. Nous en avions un autre appelé : Have Drill, c'était le MIG-17. Puis on a eu le projet " Have Ferry" qui était aussi pour le MIG-17. Pour le MIG-21 c'est Have Doughnut qui a tout décidé pour celui-là. Nous avons beaucoup appris. Voyez, les pilotes de la Navy arrivaient ici, ils voyaient ça et ils avaient un équipement de pointe... ils partaient pour leur première virée contre nos types en pensant qu'ils allaient nous montrer comment piloter et on obtenait un 100% tué contre eux dés le premier vol.
Jamais ils ne nous ont battus au premier vol, parce qu'ils ne savaient pas comment. C'était toute l'idée.Ils ne savaient pas comment combattre ces avions. Ils arrivaient et nous savions ce que nous ferions et on les avait à chaque fois. Mais ils ont appris et dés qu'ils ont appris tous nos trucs ça renversé la donne. Ces pilotes savaient maintenant ce que la partie adverse peut et ne peut pas faire.
Quel était votre rôle dans ces projets ?
Les radars et ECCM [Electronic Counter-Countermeasures] Nous étions très sensibles au fait de rendre nos avions invisibles ou tout du moins de surmonter l' encombrement que l'autre coté produisait, nous étions au top de nos capacités. Puis ils arrivaient avec une nouvelle technique de brouillage et nous trouvions une nouvelle façon de la contrer. A la base, ce sont des jeux électroniques en fait. Mais à ce moment là nous commencions à construire nos premiers avions Stealth. Les 2 premiers s'appelaient Have Blue. Tous les noms avaient "Have" .
Okay. C'était en 1969 ?
Oui, c'est ça. 69. Voici comment on opérait: Ils sortaient les prototypes dehors et nous avions ce qu'on appelait un pôle. Son nom officiel était : Le pylône. Vous placiez l'avion au dessus de ce pylône et il s'élevait, vous pouviez faire effectuer des rotations à l'avion et le pencher etc. Et vous aviez tous ces radars qui le scrutaient en enregistrant sur un graphique ce qu'ils voyaient. Les niveaux de force etc., selon des angles différents, puis tout d'un coup vous aviez une pointe plus grande et là il y avait quelque chose qui serait visible, alors ils travaillaient dessus.
Et on est arrivés à affiner l'invisibilité au point que ce qui rendait l'avion visible ,c'était le casque du pilote. Ils ne pouvaient pas voir l'avion mais ils voyaient le casque. Ou alors un oiseau qui se posait sur le proto.Vous voyiez l'oiseau. C'était aussi précis que ça. Au début, les concepteurs nous apportaient de drôles de trucs, des prototypes, on les analysait puis ils repartaient pour 2-3 mois et revenaient avec des améliorations pour voir si ça marchait , c'est comme ça qu'on travaillait.
A-12
Vous avez commencé avec les A-12, n'est-ce pas ?
Les A-12. Gary Powers a été abattu. Nous nous sommes rendus compte que les missiles des soviétiques pouvaient abattre nos U-2. Nous avions pensé longtemps qu'ils ne pouvaient pas nous atteindre. Ils essayaient et nos pilotes leur riaient au nez. Mais là, nous avions compris que nos U-2 n'étaient plus hors de leurs missiles. On a donc décidé que nous utiliserions le facteur vitesse. La même altitude en un peu plus vite. On s'est approché de 90,000.[pieds] Et l'U-2 ne volait pas tout à fait si haut habituellement. Mais la vitesse, c'est ça qui le ferait. Si on pouvait avoir une vitesse de mach-3, nous pourrions distancer les missiles. Ça a marché. Nous n'avons pas eu un seul avion abattu depuis, même pendant le Vietnam après ça. Où que nous allions, ils ne nous ont plus jamais touché.
Ils ont essayé et au mieux, ils les envoyaient en espérant qu'ils rencontreraient quelque chose qu'ils envoyaient dans le ciel. L'A-12 allait remplacer le U-2. Nous l'avons donc développé. Nous avons volé pour plusieurs missions d'opérations comme les missions de la Kadena Air Base à Okinowa parce que c'était plus proche du Vietnam, de la Corée du Nord et de la Chine. Tous les endroits chauds étaient là. On ne l'a pas fait voler au dessus de Cuba pendant la crise cubaine parce qu'on avait trop peur que l'un des avions soit abattu. Personne ne connaissait leur existence. Ils ont fini par se rendre compte que nous les avions et qu'ils pouvaient commencer à les traquer mais ils ne savaient rien d'eux.
Nous avions peur d'en perdre un à cause de la technologie qu'ils contenaient. Surtout au Vietnam où nous avons effectué plusieurs missions. Je pense que tous les pilotes ont eu une ou deux missions là bas. Mais à mach-3 le rayon pour tourner de l'A-12 était de 80-85 miles. Il fallait toute cette distance pour tourner. Et le Vietnam n'était pas très large alors nous avions peur de nous retrouver dans l'espace aérien chinois, ou cambodgien, ou bien laotien où nous aurions pu être abattus.
U-2 Lockheed
On a donc continué à utiliser l'U-2 et d'autres avions pour la surveillance malgré que nous ayons celui-là mais nous avions trop peur de le perdre. Mais après quand ils ont eu le blackbird et que l'Air Force l'a eu ils ont effectué de nombreuses missions avec. Mais pour la CIA, il n'était pas question de prendre le risque de voler quelque part s'il y avait la possibilité d'en perdre un. Ils étaient bien trop précieux. On ne pouvait pas se permettre qu'ils en obtiennent la technologie.
Après que Gary Powers soit abattu, la technologie était exposée alors il fallait avoir quelque chose d'autre ?
Oui. Ce n'était pas seulement la technologie, c'était aussi la capacité de leurs missiles et c'est ce qui a tué beaucoup de nos projets. Même le XB-70 sur lequel je travaillais, on ne l'a pas rendu opérationnel parce qu'on a compris.. et c'était un avion mach-3 - que tout comme l'A-12 les soviétiques pouvaient l'abattre. Ils ont donc décidé qu'il fallait trouver la réponse dans les satellites. Nous avions déjà des satellites en place qui faisaient la même chose que nous.
XB-70
Ils n'étaient pas habités mais pour les photos ils faisaient un aussi bon boulot. Le seul inconvénient est qu'ils étaient prévisibles. ils savaient exactement à quel moment ils arrivaient à l'horizon et vous ne pouviez pas les faire changer de trajectoire en leur disant : Pendant que tu es là, vas voir ici et là aussi tout était pré-arrangé. Nous, on se cachait des satellites soviétiques quand ils passaient sur la zone 51, nous savions exactement quand ils arrivaient à l'horizon.
On rentrait tout dans ce que nous appelions le Hoot & Scoot Building si on avait un avion au sol on le rentrait dans ce petit bâtiment pour qu'ils ne le voient pas, nous désactivions tous les radars, toutes les communications et restions silencieux jusqu'à ce qu'il soit passé. Vous saviez exactement quand. Avec l' U-2 et avec L'A-2, on n'avait pas cette prévisibilité. D'un coup d'un seul, ils sont là et ils vous ont par surprise.
On essayait aussi le drone B-21, un petit drone lancé de l'avion-mère A-12 à mach-3 et alors il montait à mach-6. Conçu pour des vols inhabités pour prendre des photos. Il les laissait tomber pour qu'un navire en mer les récupèrent. A cette époque nous n'avions pas tous les gadgets numériques pour les instruments aéronautiques comme maintenant, même pas avec les U-2. Alors ils prenaient les photos, les laissaient tomber en mer, un navire les récupéraient et les envoyaient rapidement au Japon pour le développement si bien qu'on ne savait pas ce qu'elles représentaient pendant une semaine.
Lockheed A-12 et D-21
Maintenant, tout est tout de suite... vous savez en temps et en heure, tout est live. Nous n'avions pas ça à l'époque. Et nos caméras...vous savez ce qu'ils ont dans les petits Predators, ils pèsent 107 livres et notre caméra pèse environ 700 livres. Alors imaginez, il y avait plein de types là bas. Honeywell, de nombreuses autres sociétés et beaucoup ont monté des compagnies fictives pour travailler sur ces projets pour que personne ne sache ce qui se passait.
Et celui qui fabriquait n'avait aucune idée de pour qui il fabriquait. Il faut d'abord savoir que la caméra pouvait lire un journal à 90,000 pieds et de plus, tout ça filmé d'un véhicule qui filait à plus de 2,000 miles de l'heure, il fallait donc compenser pour ça afin de ne pas avoir une image floue. Mais le facteur le plus important est que la peau de cet avion faisait 1200 degrés. [Fahrenheit] Ça fondrait tout ce que nous avions, il fallait avoir une protection par dessus qui pouvait tenir à des hautes températures. Même le pare-brise de l'avion à cette vitesse était de 600 à 700 degrés, bien plus chaud qu'un four. Si vous le touchiez, vous aviez une sacrée brulure.
Nous avions donc pas mal de travail pour acquérir cette capacité. Les ingénieurs devaient concevoir un moteur qui pouvait supporter cette vitesse en des temps prolongés. Quel Défi ! Comme pour le X-15 on a utilisé un agent propulseur mais ce n'était rien, ça n'a pas duré 6 minutes et c'était fini. Sur les Blackbirds il fallait que ça dure de 8 à 10 heures.
Bien, nous parlions des nouvelles inventions qui étaient à découvrir pour que la température de l'A-12 et des U-2 soit supportée et vous disiez que les moteurs étaient nouveaux. Ils étaient développés.
Oui. Pratt et Whitney était le fabriquant de ces moteurs. Ce qu'ils devaient accomplir pour faire un moteur qui pouvait voler longtemps à cette vitesse était un énorme challenge. Ils ont beaucoup avancé là dessus au fil des ans et ils sont bien mieux maintenant mais à ce moment là, tout était nouveau. Je me souviens de nos pilotes des premiers U-2, Quand ils sont arrivés sur la zone, c'était un avion tout nouveau et à chaque vol ils battaient le record parce qu'ils n'avaient jamais volé aussi haut.
Et puis les avions n'avaient jamais volé avant, alors il n'y avait pas de manuels sur eux, pas d'école, pas d'instructeur de vol, ils arrivaient et disaient : Écoute, n'essaye pas ça, ne fais pas ça... Vous appreniez de cette façon. Ce n'est pas comme aujourd'hui, ils ont des ordinateurs, des simulateurs de vol. Ils le faisaient en live, et quand ça ne marchait pas, ils disaient : Wow, c'était proche n'est-ce pas ?
Quand on y pense, nous étions des pionniers parce qu'il n'y avait aucun modèle à suivre. C'était du neuf. L'U-2 a été fait... d'une pensée à un avion fonctionnel en 8 mois. Et avec un budget limité. Pas possible d'arriver à ça aujourd'hui. A cette époque, on n'avait pas de syndicats et toute l'EPA, [Environmental Protection Agency] vous faisiez ce que vous aviez à faire. C'est comme pendant WWII, ce qu'ils ont fait pour avoir la quantité nécessaire d'avions et de tanks et tout ce qu'ils ont fait. Ce serait difficile aujourd'hui de faire ça, parce que vous ne pouvez plus travailler avec l'amiante, il y a trop de problèmes.
Oui. Vous avez travaillé sur plusieurs projets, mais quand vous êtes arrivé sur l'aire 51 vous avez commencé sur le radar MIG, n'est-ce pas ?
Oui. le radar soviétique et aussi piloter les MIGs.
C'était donc en 1968 ? Juste à la fin du A-12...
Oui. J'y suis allé en 68. En mars 68 et c'était à la toute fin des vols A-12. J'avais déjà participé au programme du coté NASA toutes les années avant mais je n'étais pas encore sur le site.
Source
Interview conduite par Julia Stetler en janvier 2007. Les questions sont en italiques.
Extrait de l'interview qui couvre la période de travail de Mr.Barnes pour la NASA ainsi que sur la zone 51. T.Barnes était ingénieur spécialisé dans les radars.1/2
"Je voulais travailler pour la FAA [Federal Aviation Administration] à Oklahoma City et pendant que j'attendais une ouverture j'ai reçu un appel, on me demandait d'être dans le Nevada le lendemain. Ils avaient besoin d'un radariste, c'était urgent.
C'était la CIA ?
Non. C'était un sous-traitant pour la NASA et la CIA était impliquée dans ce programme, le Projet X15. Ils prévoyaient un vol X-15 pour le lendemain et ils avaient des problèmes de radar. Il leur fallait de l'aide rapidement. Je leur ai dit que je ne pouvais pas venir si vite, mais nous y sommes parvenus. (Nous venions d'acheter une maison à Oklahoma City et l'avons vendue de suite. L'agent immobilier a pu nous en libérer sur le champ.) Nous avons tout emporté et le jour suivant nous partions pour le Nevada. Et nous y sommes depuis ce jour.
Vous avez donc déménagé d'Oklahoma au Nevada..
Oui. Nous sommes allés dans la petite ville de Beatty, nous étions une bonne dizaine sur le site des radars et la ville entière avait préparé une fête pour nous accueillir le soir de notre arrivée, toute la ville était là. On s'est aperçu ensuite que n'importe quelle excuse pour faire la fête était bonne à prendre. Y avait pas grand-chose à faire à Beatty à cette période. Deux véhicules de la NASA venaient nous chercher chaque matin pour nous conduire sur le site. Nous avons fait des missions pour le X-15 et peu de temps après pour le XB-70, le bombardier géant. Puis nous avons commencé à travailler sur les vols en provenance de l'aire 51. Nous avions le seul radar de la région qui pouvait enregistrer la vélocité et c'est ce qu'ils avaient besoin pour les essais de vitesse, alors nous participions. Tout ce qui volait dans cette partie du pays, nous en étions.
Okay, le X-15 était un projet de la NASA ?
Oui.
Et que faisiez-vous exactement ?
Ils nous appelaient les "conseillers techniques" mais ça concernait particulièrement le radar et le système de transmission des données. En fait, nous le pistions. Nous avions...un peu comme ce qu'ils avaient au Cap [Cap Carnaveral], nous avions la télémétrie, et tout ce qu'ils avaient au Cap, à une plus petite échelle.
Donc vous surveilliez tout ce qui bougeait ?
Oui, et c'était une véritable mission parce que c'étaient nos premiers astronautes. Je travaillais avec Neil Amstrong avant même qu'il aille sur la lune. Les premiers astronautes, à chaque fois qu'ils volaient au dessus des 50 miles dans l'atmosphère...c'était ça la démarcation.
Est-ce là que l'on gagne ses ailes d'astronautes ?
Oui, donc Joe Walker et Neil, plusieurs d'entre eux, ils étaient déjà astronautes avant d'entrer dans le programme spatial. Mais ce que nous faisions, nous testions le matériel qu'ils utilisaient dans l'espace, voyez, c'était tout le sujet du X-15. Peut-être qu'il y avait un nouveau système de guidage qu'ils voulaient utiliser dans les véhicules qu'ils concevaient pour aller sur la Lune, on devait les essayer hors atmosphère et le X-15, il allait à la limite de l'espace. Quand on les lançait dans la journée, c'était la nuit là où ils allaient. Ils voyaient les étoiles à 10 heures du matin ici, et on les lançait aussi loin que Wendover, Utah. C'était le plus loin possible. Ils étaient lancés et 7 minutes plus tard, ils buvaient le café sur la base d'Edwards. [Californie]
X-15
Quelles genre de choses testiez-vous ?
Nous testions plein de trucs sur le X-15. Je me souviens d'une mission, nous avions une pluie de météorites et nous avons fait des lancements pour essayer d'en attraper quelques unes. On avait des petites excroissances [pods] sur l'aile que nous avions ouvertes pour ramasser un peu de poussières, rien de gros, ça s'envolait mais c'était un petit quelque chose. Nous testions tout, comme les tuiles qu'ils utilisaient sur le Space Shuttle, nous testions ce genre de truc pour voir comment ça réagissait parce que quand le X-15 rentrait dans l'atmosphère, il devenait juste rouge tomate, comme le Space Shuttle ou n'importe quel autre, et pour le ralentir, parce qu'il allait à mach-6, donc pour le ralentir quand il rentrait dans l'atmosphère, il fallait lui faire subir une brève secousse due à la pesanteur, puis il y échappait de nouveau.
C'est comme cela qu'il ralentissait parce que s'il plongeait, alors il se serait consumé tellement il était chaud. Nous avons rencontré des tas de problèmes qui hantait les missions de la navette spatiale. Par exemple, il y a un moment dans chaque mission où nous perdions la communication radio avec le pilote et au début on n'avait aucune idée de ce que c'était, hé bien c'était un champ d'ions qui s'accumulaient devant l'avion en bloquant la communication.
Oh, quand l'avion rentrait ?
Oui, quand il rentrait. Ce sont des choses comme ça qu'on apprenait pour la première fois avec le X-15, ensuite ils s'en sont servi. Puis nous avons eu ces petites choses que nous avons appelées "planeur à fuselage portant". On les lançait du B-52, comme on lançait le X-15, et ils fonçaient en l'air, tout cela c'était pour le développement du Space Shuttle. Ils servaient pour la forme, voyez, leur forme [il parle de modèles de ces planeurs sur l'étagère] ils n'ont pas de coins. On les appelait les baignoires volantes. On les lançait pour la navette. Puis le B-70, c'était pour les gros transports supersoniques. Tout ce qu'on faisait avait une application future. Mais le X-15 était tout d'abord pour les missions Apollo et les missions vers la lune. C'étaient les tests que nous faisions.
Et vous étiez immergé là-dedans.
Oui, et il y a autre chose. Nous avons aussi testé les modules d'alunissage, on mettait des types dedans, ça avait l'air de sortir d'un film de Buck Rogers ! On a essayé tellement de trucs bizarres jusqu'à ce que l'on trouve le bon design. On a vraiment fait voler des trucs dingues à cette époque !
Vous avez donc travaillé avec Neil Amstrong ?
Oui. Justement, voilà une photo qu'il m'a envoyée récemment. [montre la photo] C'est Neil au bout et l'autre, c'est Bob Gilliland, il était le premier pilote du SR-71. Ils déjeunaient à Pasadena l'autre matin, à moins que ce soit pour le breakfeast et l'un d'eux a prononcé mon nom: " Bien, tu connais T.Barnes ? Oui, j'ai travaillé avec lui. Ah moi aussi." Ils m'ont donc envoyé une photo d'eux deux. Oui, j'ai connu beaucoup d'astronautes parce qu'ils étaient nombreux à travailler sur la base Edwards comme pilotes d'essais. Les pilotes n'étaient pas forcément des types de la NASA. La Nasa mène le show mais les pilotes étaient de la Navy et de l'Air Force. Joe Walker lui, était un civil, il est mort dans la collision en vol avec le V-70. Nous avions des types de toutes les branches.
Combien de temps avez-vous travaillé pour la Nasa ?
J'ai travaillé pour eux pendant 5 ans.
C'était dans quelles années ?
De 64 à..Non, ce n'était pas tant que ça. 3 ans, j'avais arrêté une année. Ils m'ont envoyé à Wright-Patterson. Ils faisaient les tests d'intégrité sur la première capsule Apollo, j'ai donc travaillé dans le lab de dynamique de vol quelques mois puis ils m'ont renvoyé sur le X-15. J'ai eu l'occasion de faire des tas de choses tout en restant dans un champ d'activité restreint. Nous n'étions pas si nombreux. En fait quand nous sommes arrivés sur la zone 51, nous n'étions que 2. Nous étions les seuls qu'ils avaient. Nous n'étions pas autorisés à venir par le même vol ou le même transporteur, même pour aller à la cantine en voiture quoique ce ne soit qu'à 3 ou 4 pâtés de maisons, nous devions conduire dans des véhicules différents.
Au cas ou quelque chose arrivait, parce que vous représentiez une valeur réelle.
Oui. A cette époque, oui. Nous étions très avancés dans notre spécialité.
Wow, C'est vraiment cool.
Toutes les écoles que j'ai fréquentées auraient fait une demande de doctorat. J'aurais eu plus de 400 crédits. Elles étaient toutes spécialisées sans être universitaires, une fois que vous étiez entré, vous n'arrêtiez jamais d'apprendre et il n'y avait pas réellement de formation à proprement parler. Nous étions des pionniers dans tout ce que nous faisions. Nous allions aussi prendre des cours de mise à niveau sur ceci ou sur cela, mais c'était pour quelque chose que nous aurions à concevoir dans le futur. C'était le travail en amont et il y a les cours de comment tel truc marche ou telle autre chose, puis ensuite, il faut tout piger pour l'appliquer sur ce que vous travailliez sur le moment.
D'accord, c'était la Nasa. Ensuite ?
Ok. En 1968, la CIA m'a recruté en tant que contractant pour travailler sur l'aire 51. Et à ce moment là à la Nasa, je travaillais sans accréditation top secret. Mon autorisation top secret était périmée parce que je ne m'en servais pas, il fallait qu'ils m'en refassent une, alors en attendant ils m'ont envoyé au Projet NERVA (Nuclear Engine for Rocket Vehicle Application), un programme où nous développions un moteur nucléaire de fusée pour aller sur Mars. J'y ai travaillé un moment pendant qu'ils obtenaient mes autorisations. En fait ce projet était une combinaison de Nasa, CIA, et..en fait ces 2 là, et il me fallait une autorisation de classe Q pour ça. J'ai donc eu l'autorisation Q avant d'avoir ma top secret !
L'accréditation Q, ça veut dire ?
C'est just un nouveau niveau d'autorisation, bien au dessus de top secret. Mais le Ministère de l'Énergie [DOE: Department of Energy] utilise une autorisation Q alors que le DoD [Défense] utilise top secret et au dessus. Je travaillais sur le projet Nerva et 3 ou 4 essais de bombes nucléaires et après ça je suis allé sur la zone 51 pour travailler pour ces mêmes sujets. Entre les périodes de boulot, quand ils n'avaient plus d'argent, ils nous faisaient passer dans ce qu'on appelait le white world. On avait le black world et le white world et ils nous "prêtaient" à des sociétés du white world jusqu'à ce qu'ils récupèrent des fonds. On ne savait jamais de quelle boite viendraient nos fiches de paye. Si c'était sous contrat de sous-traitance, ça n'avait pas d'importance, on pouvait être payés par n'importe quelle entreprise. Tout ce qu'ils avaient était un nom auquel ils étaient supposés envoyer un chèque. La CIA les remboursait, bien sûr.
Ok. Quand vous dites "nous"..
Nous étions 23 en tout.
Et vous étiez une équipe qui..
Ils nous appelaient "les Projets Spéciaux". Chacun de nous avait sa propre spécialité et vous ne demandiez jamais à l'autre ce qu'il faisait. Mais nous prenions tous le même vol pour venir sur la zone et nous travaillions tous dans le même coin. Maintenant nous savons que certains d'entre eux étaient "ordinateurs", c'était le tout début des ordis et nous avions des programmeurs, nous avions différents types de radaristes, nous avions des gens pour la télémétrie, des dessinateurs, juste un peu de tout qui travaillait là.
Nous étions les Projets Spéciaux et nous travaillions ensemble. Et quand ils venaient nous chercher... C'est plutôt intéressant, vous aviez soit un yacht de croisière sur le Lake Mead, ou bien un chalet sur le Mont Charleston parce qu'il y avait 2 groupes. Ils avaient tout prévu. Quand on montait à la zone le lundi matin pour y rester toute la semaine et qu'on rentrait le vendredi soir, la plupart du temps, comme on était super surveillés par les soviétiques, on tournait en rond à rien faire parce qu'ils nous gardaient coincés là où on ne pouvait pas travailler à nos projets, si bien qu'il leur fallait un groupe de gens qui avaient quelque chose en commun afin que ça ne se termine pas par des bagarres internes etc.
Alors on s'asseyait et planifiait notre week-end soit sur le lac soit dans la montagne au chalet, on peut dire qu'on travaillait ensemble et qu'on jouait ensemble. On ne sortait pas de notre cercle. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes toujours liés aujourd'hui. On était tous devenus comme une famille. Et en même temps que nous ils avaient interviewé les familles et elles étaient toutes très compatibles. Une épouse pouvait faire éjecter un type du programme plus vite que n'importe qui d'autre. Ils ne voulaient pas qu'elles aillent voir un député en disant: Eh, je ne vois jamais mon mari, je ne sais pas ce qu'il fait.. ou quelque chose comme ça.
Ils avaient donc choisi, les familles se ressemblaient presque à l'identique. Nous avions tous 2 enfants, et les épouses s'entendaient bien. C'était presque comme dans l'armée, elles s'aidaient mutuellement parce qu'elles ne pouvaient pas nous appeler. Nous, nous pouvions les joindre mais elles, elles n'avaient que le numéro de téléphone de Nellis à utiliser en cas d'urgence. Nous pouvions les appeler aussi souvent que nous le voulions. Elles n'avaient aucune idée du lieu où nous nous trouvions. Tout ce qu'elles savaient c'est qu'on prenait un avion le lundi matin et qu'on rentrait le vendredi soir.
Votre femme vous a t-elle demandé ?
Non. Pas folle. A l'Agence quand ils les interviewaient, ils leur faisaient réellement rentrer dans le crâne que jamais, absolument JAMAIS vous ne dites où se trouve votre mari. Si quelqu'un vous demande où travaille votre mari, votre mari travaille sur le site des essais. Autrement dit les épouses avaient été entrainées à donner les bonnes réponses. C'était la consigne générale, vous disiez que vous travailliez sur le Nevada Test Site.
Lors des interviews, quel genre de questions posaient-ils ?
Dans mon cas c'est un peu différent car j'avais déjà travaillé pour eux mais en général pour parler des gens qui travaillaient.. l'Air Force etc, ils les emmenaient à Langley, quartier général de la CIA et commençaient en leur disant : Nous avons un travail intéressant, nous pensons que vous y seriez heureux et nous voulons vous faire passer quelques tests si cela vous intéresse... et la plupart des types pensaient qu'ils étaient interviewés pour faire astronaute.
Ils leur faisaient passer toutes sortes de tests psychologiques, des tas de questions et ...Ciel ils vérifiaient votre histoire, je veux dire votre histoire entière passait au peigne fin parce que c'était très très confidentiel. Puis ils vous renvoyaient chez vous et quand vous partiez vous n'en saviez pas plus qu'à votre arrivée. Vous ne saviez même pas le nom de celui qui vous avait interviewé. Parfois, les gens ne savaient même pas que c'était la CIA parce qu'ils conduisaient (des fois) l'entrevue dans un hôtel et les gens pensaient que c'était la NASA ou d'autres agences.
Vous n'aviez aucune idée de qui ils étaient. Ils avaient beaucoup de tests à faire passer puis ils affinaient à une poignée de questions et même là, les gens ne savaient pas encore ce qu'ils feraient exactement. Les ordres disaient "March Air Force Base" [Californie] mais ils disaient: Vous allez à Las Vegas et vous appelez ce numéro. Et c'est seulement lorsqu'ils arrivaient sur la Zone (on l'appelait la Zone ou le Ranch) qu'ils savaient à quoi ils allaient travailler. Ils arrivaient et voyaient les avions pour la première fois et s'exclamaient : Put.in de Bord.l ! Qu'est-ce que c'est que ça !? C'est ce que tu vas piloter, mon vieux.
Mais vous n'avez pas eu à faire tout cela puisque vous aviez déjà l'accréditation ?
Non, parce qu'ils me connaissaient déjà très bien, j'avais travaillé avec eux à Fort Bliss et en d'autres endroits, mon cas était donc spécial.
Quand vous êtes arrivé au Ranch, comment était-ce ?
C'était comme je m'y attendais. On est arrivés en avion (à cette époque on ne savait jamais par quel moyen de transport on arriverait, on continue d'en parler entre nous), on avait un petit avion garé en bout de piste sur McCarran [Aéroport international de Las Vegas] et il y avait un petit bâtiment au bout de la piste et on pouvait décoller et atterrir à l'insu du reste. Bien sûr la tour de contrôle le savait mais il n'y avait aucune annonce publique. Ils savaient que c'était un vol classifié.
Quand je suis arrivé, les types dans l'avion ne me connaissaient pas très bien et ils ont baissé les rideaux avant l'atterrissage sur le Ranch parce qu'ils avaient peur ..ils ne savaient pas exactement ce que j'étais supposé savoir. C'est parce que tout là-bas, tout fonctionne sur le "besoin de savoir". Pourtant, dans les débuts il n'y avait pas tant de projets que ça mais malgré tout ils avaient couvert les hublots pour que je ne voie rien dans la descente.
Ils font toujours ça lorsqu'ils ne sont pas certains de la conduite à tenir avec quelqu'un, jusqu'à ce qu'ils connaissent les autorisations, votre badge informait de tous vos accès et personne n'avait accès à tout ce qu'il y avait là bas. Il s'y passait des choses qui ne vous concernaient pas et à la première question, vous étiez certain de ne pas être invité de nouveau. Fini. Je suis sorti et je savais déjà qu'ils avaient apporté l'un de mes vieux radars de Fort Bliss.
Vous aviez donc une idée..
Oui parce que je savais qu'ils avaient besoin de quelqu'un avec ce genre d'expérience, ils appellent ça l'expérience radar X-band. C'était rare. A cette époque, seule l'armée pratiquait ça, et j'étais le seul type de l'armée ici. J'étais un civil mais la plupart d'entre eux étaient entrainés par l'Air Force. Il y avait aussi quelques Navy. Mon ancien système de radar m'attendait et je m'y suis mis de suite. L'une des raisons pour laquelle ils me voulaient là, est parce que la CIA avait fourni une couverture U-2 pendant la guerre des six jours et avait donné les informations à Israel. C'est pourquoi ils avaient gagné la guerre si vite.
En échange ils avaient capturé un paquet d'équipement soviétique et ils l'apportaient sur la zone et c'est là que j'entrais dans le jeu puisqu'ils leur fallait quelqu'un qui possédait mon expérience assez vaste des radars afin de pouvoir s'attaquer à ces systèmes de radars soviétiques une fois qu'ils arriveraient ici. Il fallait trouver ce qui les faisait marcher et puis les faire fonctionner. Nous les avons utilisés en fait car nous commencions les débuts des Programmes Stealth [invisibilité, 1964] et il nous fallait savoir ce que les soviétiques allaient voir quand ils allaient déceler ceux-ci. Nous utilisions leur équipement pour regarder ce que nous faisions. C'est donc l'une des raisons de ma présence sur la zone, l'angle soviétique.
MIG-21
Nous pilotions donc des avions soviétiques et nous les pistions avec un radar soviétique, et la raison de tout ça, c'était le Vietnam. Nous étions dedans.. jusque là..à cette époque et avec le MIG-21, le ratio de tués était de 9-1 contre nous. Nous avions tous ces avions super et ils en abattaient 9 et nous 1. On essayait de comprendre pourquoi, comment faisaient-ils ? Alors avec ce projet qu'on a nommé Have Doughnut, parce qu'il y avait des avions avec comme un doughnut sur le devant, et cet avion nous causait tous ces problèmes.
MIG-17
Nous avons donc commencé à faire voler ceux qui étaient là, nous en avions plusieurs. Nous observions leurs aspects techniques, nous vérifions tous leurs équipements, et jamais quitter le sol s'ils surveillaient.. puis nous avons commencé à les piloter et à prendre leurs armes pour cibles. La rumeur que nous les avions ici s'est propagée et les généraux de l'Air Force voulaient venir les voir. Ils avaient suffisamment de pouvoir pour voir leurs vœux exaucés et l'idée était là : Pourquoi ne pas voler contre eux?
Ce fut la naissance des programmes Top Gun et Red Flag. Ces pilotes venaient au Ranch et se mettaient en compétition contre les nôtres qui les pilotaient. C'est comme ça qu'ils ont appris leurs forces et leurs faiblesses. Quel programme c'était ! Je vous donne juste un exemple : Si vous pilotiez le F-4, un avion américain et que vous rencontriez l'un de ces MIG-21, s'il était en dessous de 15,000 pieds vous aviez une chance de l'avoir. Si vous ne l'aviez pas, inutile d'y revenir parce que lui, vous aurait.
Autrement dit, il pouvait vous surpasser en manœuvre à moins de 15,000 pieds. Nous avons donc appris quand attaquer et quand ne pas attaquer. Et nous avons renversé ce ratio au Vietnam en faisant ça. Ils continuent à le faire aujourd'hui avec Red Flag et Top Gun, ils viennent ici se mettre en compétition avec ce qu'ils appellent l'ennemi, des pilotes américains dans des avions étrangers pour qu'ils sachent à quoi s'attendre au combat et ils volent contre eux. Ils le font toujours aujourd'hui. Tout a commencé ici.
Wow. C'était donc la raison de tant d'avions US abattus.
Oui, oui. Les avions soviétiques étaient vraiment simples. Ils ne croient pas à tout le confort et toutes les précautions comme nous le faisons. Ils n'auront pas de systèmes superflus par exemple. Nous avons une sauvegarde pour tout. Pas eux. Ils les ont fait simples et rapides, Ils ne les ont pas rendu confortables mais les avions faisaient ce qu'ils avaient à faire tout en nous surpassant car ils étaient plus légers. Ils n'étaient pas plus malins que nous mais ils dépensaient moins. Nous cherchons toujours à avoir trop de confort dans ce que nous faisons, avec du superflu, pas eux et on peut dire que ça laissait plus de disponibilité à leurs pilotes.
Mais technologiquement parlant, les 2 technologies, soviétique et américaine, étaient-elles semblables ?
Pas réellement. Il a été intéressant de s'apercevoir que dans ces avions l'électronique venait de Sunnyvale dans la Silicon Valley. Les soviétiques avaient des copies de nos avions. On en avait vendu à l'Iran qui les avait immédiatement vendu aux soviétiques. Ceux-ci faisaient donc exactement la même chose avec nos avions que ce que nous faisions ici au Ranch. Ils les mettaient en pièces pour voir les mécanismes de leur fonctionnement. Puis ils ont commencé à copier et à utiliser notre électronique.
Ils abattaient l'un de nos avions au Vietnam et ils couraient sur place le vider de son électronique parce qu'ils pouvaient l'utiliser pour leurs pièces de rechange dans leurs avions. C'est pour ça (entre autres) que nous sommes passés au système métrique, pour changer toute l'instrumentation que les soviets ne pourraient plus utiliser. Ils avaient construit tous ces avions et tout d'un coup , nous changeons le système et ils ne peuvent plus se procurer de pièces de rechange sur notre dos. C'est ce qui a causé la banqueroute chez les soviétiques, ils ne pouvaient plus nous suivre. C'était beaucoup trop cher. Nous avions tellement plus de ressources. Nous n'étions pas plus intelligents qu'eux mais capables de les devancer plus longtemps.
Oui. Vous aviez ces avions. Vous disiez que le Projet se nommait: Have Doughnuts ?
Oui. Have Doughnuts. Nous en avions un autre appelé : Have Drill, c'était le MIG-17. Puis on a eu le projet " Have Ferry" qui était aussi pour le MIG-17. Pour le MIG-21 c'est Have Doughnut qui a tout décidé pour celui-là. Nous avons beaucoup appris. Voyez, les pilotes de la Navy arrivaient ici, ils voyaient ça et ils avaient un équipement de pointe... ils partaient pour leur première virée contre nos types en pensant qu'ils allaient nous montrer comment piloter et on obtenait un 100% tué contre eux dés le premier vol.
Jamais ils ne nous ont battus au premier vol, parce qu'ils ne savaient pas comment. C'était toute l'idée.Ils ne savaient pas comment combattre ces avions. Ils arrivaient et nous savions ce que nous ferions et on les avait à chaque fois. Mais ils ont appris et dés qu'ils ont appris tous nos trucs ça renversé la donne. Ces pilotes savaient maintenant ce que la partie adverse peut et ne peut pas faire.
Quel était votre rôle dans ces projets ?
Les radars et ECCM [Electronic Counter-Countermeasures] Nous étions très sensibles au fait de rendre nos avions invisibles ou tout du moins de surmonter l' encombrement que l'autre coté produisait, nous étions au top de nos capacités. Puis ils arrivaient avec une nouvelle technique de brouillage et nous trouvions une nouvelle façon de la contrer. A la base, ce sont des jeux électroniques en fait. Mais à ce moment là nous commencions à construire nos premiers avions Stealth. Les 2 premiers s'appelaient Have Blue. Tous les noms avaient "Have" .
Okay. C'était en 1969 ?
Oui, c'est ça. 69. Voici comment on opérait: Ils sortaient les prototypes dehors et nous avions ce qu'on appelait un pôle. Son nom officiel était : Le pylône. Vous placiez l'avion au dessus de ce pylône et il s'élevait, vous pouviez faire effectuer des rotations à l'avion et le pencher etc. Et vous aviez tous ces radars qui le scrutaient en enregistrant sur un graphique ce qu'ils voyaient. Les niveaux de force etc., selon des angles différents, puis tout d'un coup vous aviez une pointe plus grande et là il y avait quelque chose qui serait visible, alors ils travaillaient dessus.
Et on est arrivés à affiner l'invisibilité au point que ce qui rendait l'avion visible ,c'était le casque du pilote. Ils ne pouvaient pas voir l'avion mais ils voyaient le casque. Ou alors un oiseau qui se posait sur le proto.Vous voyiez l'oiseau. C'était aussi précis que ça. Au début, les concepteurs nous apportaient de drôles de trucs, des prototypes, on les analysait puis ils repartaient pour 2-3 mois et revenaient avec des améliorations pour voir si ça marchait , c'est comme ça qu'on travaillait.
A-12
Vous avez commencé avec les A-12, n'est-ce pas ?
Les A-12. Gary Powers a été abattu. Nous nous sommes rendus compte que les missiles des soviétiques pouvaient abattre nos U-2. Nous avions pensé longtemps qu'ils ne pouvaient pas nous atteindre. Ils essayaient et nos pilotes leur riaient au nez. Mais là, nous avions compris que nos U-2 n'étaient plus hors de leurs missiles. On a donc décidé que nous utiliserions le facteur vitesse. La même altitude en un peu plus vite. On s'est approché de 90,000.[pieds] Et l'U-2 ne volait pas tout à fait si haut habituellement. Mais la vitesse, c'est ça qui le ferait. Si on pouvait avoir une vitesse de mach-3, nous pourrions distancer les missiles. Ça a marché. Nous n'avons pas eu un seul avion abattu depuis, même pendant le Vietnam après ça. Où que nous allions, ils ne nous ont plus jamais touché.
Ils ont essayé et au mieux, ils les envoyaient en espérant qu'ils rencontreraient quelque chose qu'ils envoyaient dans le ciel. L'A-12 allait remplacer le U-2. Nous l'avons donc développé. Nous avons volé pour plusieurs missions d'opérations comme les missions de la Kadena Air Base à Okinowa parce que c'était plus proche du Vietnam, de la Corée du Nord et de la Chine. Tous les endroits chauds étaient là. On ne l'a pas fait voler au dessus de Cuba pendant la crise cubaine parce qu'on avait trop peur que l'un des avions soit abattu. Personne ne connaissait leur existence. Ils ont fini par se rendre compte que nous les avions et qu'ils pouvaient commencer à les traquer mais ils ne savaient rien d'eux.
Nous avions peur d'en perdre un à cause de la technologie qu'ils contenaient. Surtout au Vietnam où nous avons effectué plusieurs missions. Je pense que tous les pilotes ont eu une ou deux missions là bas. Mais à mach-3 le rayon pour tourner de l'A-12 était de 80-85 miles. Il fallait toute cette distance pour tourner. Et le Vietnam n'était pas très large alors nous avions peur de nous retrouver dans l'espace aérien chinois, ou cambodgien, ou bien laotien où nous aurions pu être abattus.
U-2 Lockheed
On a donc continué à utiliser l'U-2 et d'autres avions pour la surveillance malgré que nous ayons celui-là mais nous avions trop peur de le perdre. Mais après quand ils ont eu le blackbird et que l'Air Force l'a eu ils ont effectué de nombreuses missions avec. Mais pour la CIA, il n'était pas question de prendre le risque de voler quelque part s'il y avait la possibilité d'en perdre un. Ils étaient bien trop précieux. On ne pouvait pas se permettre qu'ils en obtiennent la technologie.
Après que Gary Powers soit abattu, la technologie était exposée alors il fallait avoir quelque chose d'autre ?
Oui. Ce n'était pas seulement la technologie, c'était aussi la capacité de leurs missiles et c'est ce qui a tué beaucoup de nos projets. Même le XB-70 sur lequel je travaillais, on ne l'a pas rendu opérationnel parce qu'on a compris.. et c'était un avion mach-3 - que tout comme l'A-12 les soviétiques pouvaient l'abattre. Ils ont donc décidé qu'il fallait trouver la réponse dans les satellites. Nous avions déjà des satellites en place qui faisaient la même chose que nous.
XB-70
Ils n'étaient pas habités mais pour les photos ils faisaient un aussi bon boulot. Le seul inconvénient est qu'ils étaient prévisibles. ils savaient exactement à quel moment ils arrivaient à l'horizon et vous ne pouviez pas les faire changer de trajectoire en leur disant : Pendant que tu es là, vas voir ici et là aussi tout était pré-arrangé. Nous, on se cachait des satellites soviétiques quand ils passaient sur la zone 51, nous savions exactement quand ils arrivaient à l'horizon.
On rentrait tout dans ce que nous appelions le Hoot & Scoot Building si on avait un avion au sol on le rentrait dans ce petit bâtiment pour qu'ils ne le voient pas, nous désactivions tous les radars, toutes les communications et restions silencieux jusqu'à ce qu'il soit passé. Vous saviez exactement quand. Avec l' U-2 et avec L'A-2, on n'avait pas cette prévisibilité. D'un coup d'un seul, ils sont là et ils vous ont par surprise.
On essayait aussi le drone B-21, un petit drone lancé de l'avion-mère A-12 à mach-3 et alors il montait à mach-6. Conçu pour des vols inhabités pour prendre des photos. Il les laissait tomber pour qu'un navire en mer les récupèrent. A cette époque nous n'avions pas tous les gadgets numériques pour les instruments aéronautiques comme maintenant, même pas avec les U-2. Alors ils prenaient les photos, les laissaient tomber en mer, un navire les récupéraient et les envoyaient rapidement au Japon pour le développement si bien qu'on ne savait pas ce qu'elles représentaient pendant une semaine.
Lockheed A-12 et D-21
Maintenant, tout est tout de suite... vous savez en temps et en heure, tout est live. Nous n'avions pas ça à l'époque. Et nos caméras...vous savez ce qu'ils ont dans les petits Predators, ils pèsent 107 livres et notre caméra pèse environ 700 livres. Alors imaginez, il y avait plein de types là bas. Honeywell, de nombreuses autres sociétés et beaucoup ont monté des compagnies fictives pour travailler sur ces projets pour que personne ne sache ce qui se passait.
Et celui qui fabriquait n'avait aucune idée de pour qui il fabriquait. Il faut d'abord savoir que la caméra pouvait lire un journal à 90,000 pieds et de plus, tout ça filmé d'un véhicule qui filait à plus de 2,000 miles de l'heure, il fallait donc compenser pour ça afin de ne pas avoir une image floue. Mais le facteur le plus important est que la peau de cet avion faisait 1200 degrés. [Fahrenheit] Ça fondrait tout ce que nous avions, il fallait avoir une protection par dessus qui pouvait tenir à des hautes températures. Même le pare-brise de l'avion à cette vitesse était de 600 à 700 degrés, bien plus chaud qu'un four. Si vous le touchiez, vous aviez une sacrée brulure.
Nous avions donc pas mal de travail pour acquérir cette capacité. Les ingénieurs devaient concevoir un moteur qui pouvait supporter cette vitesse en des temps prolongés. Quel Défi ! Comme pour le X-15 on a utilisé un agent propulseur mais ce n'était rien, ça n'a pas duré 6 minutes et c'était fini. Sur les Blackbirds il fallait que ça dure de 8 à 10 heures.
Bien, nous parlions des nouvelles inventions qui étaient à découvrir pour que la température de l'A-12 et des U-2 soit supportée et vous disiez que les moteurs étaient nouveaux. Ils étaient développés.
Oui. Pratt et Whitney était le fabriquant de ces moteurs. Ce qu'ils devaient accomplir pour faire un moteur qui pouvait voler longtemps à cette vitesse était un énorme challenge. Ils ont beaucoup avancé là dessus au fil des ans et ils sont bien mieux maintenant mais à ce moment là, tout était nouveau. Je me souviens de nos pilotes des premiers U-2, Quand ils sont arrivés sur la zone, c'était un avion tout nouveau et à chaque vol ils battaient le record parce qu'ils n'avaient jamais volé aussi haut.
Et puis les avions n'avaient jamais volé avant, alors il n'y avait pas de manuels sur eux, pas d'école, pas d'instructeur de vol, ils arrivaient et disaient : Écoute, n'essaye pas ça, ne fais pas ça... Vous appreniez de cette façon. Ce n'est pas comme aujourd'hui, ils ont des ordinateurs, des simulateurs de vol. Ils le faisaient en live, et quand ça ne marchait pas, ils disaient : Wow, c'était proche n'est-ce pas ?
Quand on y pense, nous étions des pionniers parce qu'il n'y avait aucun modèle à suivre. C'était du neuf. L'U-2 a été fait... d'une pensée à un avion fonctionnel en 8 mois. Et avec un budget limité. Pas possible d'arriver à ça aujourd'hui. A cette époque, on n'avait pas de syndicats et toute l'EPA, [Environmental Protection Agency] vous faisiez ce que vous aviez à faire. C'est comme pendant WWII, ce qu'ils ont fait pour avoir la quantité nécessaire d'avions et de tanks et tout ce qu'ils ont fait. Ce serait difficile aujourd'hui de faire ça, parce que vous ne pouvez plus travailler avec l'amiante, il y a trop de problèmes.
Oui. Vous avez travaillé sur plusieurs projets, mais quand vous êtes arrivé sur l'aire 51 vous avez commencé sur le radar MIG, n'est-ce pas ?
Oui. le radar soviétique et aussi piloter les MIGs.
C'était donc en 1968 ? Juste à la fin du A-12...
Oui. J'y suis allé en 68. En mars 68 et c'était à la toute fin des vols A-12. J'avais déjà participé au programme du coté NASA toutes les années avant mais je n'étais pas encore sur le site.
Source
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