Super article sur les vagues scélérates + le docu de france 3
Avez-vous déjà entendu parler de vagues géantes ou "scélérates"? Depuis Dumont d'Urville et même avant, les récits de vagues géantes ont eu cours chez les marins (à tel point que certains ont fini par croire à leur existence), puis chez les chercheurs océanographes ou hydrodynamiciens qui, à partir de mesures physiques, ont progressivement pris conscience d'un phénomène troublant :
inexpliqué par la théorie classique de l'hydrodynamique,
ignoré par les essais en bassin,
survenant très rarement donc ignoré "statistiquement",
mais aux conséquences très graves. Les chercheurs, sans doute pour confirmer le fait que les vagues géantes existent bien dans la nature, leur ont même donné un nom : "Freak waves" ou "Rogue Waves" en anglais, ou en français "Vagues scélérates". Deux colloques scientifiques organisés par le groupe Océano-Météo d'Ifremer ont réuni les principaux chercheurs internationaux s'intéressant au phénomène. Ils se sont tenus à Brest respectivement en 2000 et en 2004. Leur but était de tenter de dissiper les "mystères" qui planaient sur le phénomène et, si possible, de parvenir à un consensus sur les conditions qui le faisaient naître. Le lecteur "qui veut en savoir plus" pourra consulter un article de Michel Olagnon dans le numéro 191 de Metmar, ainsi que le site www.ifremer.fr/. Des émissions de télévision traitant du sujet ont été diffusées à partir de 2002 sur certaines chaînes françaises.
Des récits de marins
Les récits de marins ayant dû affronter une ou plusieurs vagues énormes sont maintenant assez nombreux. Surprenantes par leur amplitude et par leur forme (en général, un "mur d'eau" précédé d'un important creux), ces vagues apparaissent au milieu d'une mer, certes démontée, mais habituellement sans risque majeur pour le comportement du navire. Les auteurs de ces récits se félicitent d'avoir survécu et donc de pouvoir raconter le phénomène... !. Parmi ces récits, nous avons fait le choix suivant: Les paquebots de la Cunard
Les récits des commandants des :
Queen Mary en 1942 transportant 15 000 soldats,
Queen Elisabeth en 1943 (vitres défoncées à 27 m au-dessus du pont),
Queen Elisabeth II en 1996,
laissent peu de doutes sur l'existence de vagues énormes dans l'Atlantique Nord. La Jeanne d'Arc et "les Trois Glorieuses" Ceux qui les ont subies se souviennent certainement des trois vagues exceptionnelles (on les a appelées "les Trois Glorieuses") que l'ancienne Jeanne rencontra au matin du 4 Février 1963 dans le Pacifique : par des creux de 7-8 mètres, les officiers de quart de la Jeanne, privée d'une hélice par la fatigue de la ligne d'arbre, ont décelé juste à temps trois vagues exceptionnelles très rapprochées de 15 à 20 mètres de hauteur et commandé une manœuvre. | Le navire a réussi à les franchir sans chavirer, au prix de coups de gîte de 35 degrés environ. Nous disposons (la mémoire des témoins étant sujette à caution, c'est ce que nous enseignent les historiens) de deux documents sur cet évènement, établis par le Capitaine de Frégate Frédéric Moreau, Commandant en Second : un Communiqué à destination de l'équipage et un Rapport dont nous extrayons les encadrés ci-contre. L'extrait du communiqué traduit l'esprit dans lequel les marins d'alors doivent recevoir le message de la mer (surtout les midships), celui du rapport fournit aux chercheurs une description précise du phénomène. | |
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Le témoignage de T.W. Cameron. Typique de plusieurs témoignages est celui de T.W. Cameron, alors qu'il naviguait comme second sur un minéralier de 156 000 tonnes. Remarquant que la route était tracée, du Portugal au Golfe de Gascogne, au voisinage de la ligne de sonde des cent brasses, il fit part à son commandant des avertissements qu'il avait lui-même reçus quelques années plus tôt de son second lieutenant espagnol : "Dans ces parages, les vagues dangereuses sont particulièrement fréquentes, mon père et mon grand-père m'en ont souvent averti". Ayant estimé qu'on ne pouvait se fier au folklore colporté par des lieutenants en second, le navire se trouva quelques nuits plus tard à tailler sa route au nord-ouest de l'Espagne dans les eaux en question, par vent de force 6-7 et recevant occasionnellement quelques paquets de mer : des conditions tout à fait tenables qui n'inquiétaient en rien l'équipage. | Le ciel était peu nuageux, et la lune pleine dans l'ouest, à une élévation angulaire calculée ultérieurement de 17deg.42min. A 5 heures 20, la lune se voila et il fit soudain sombre comme dans un four. T.W. Cameron se tourna vers bâbord pour voir quelle sorte de nuage pouvait bien masquer aussi totalement la lune. A sa stupéfaction horrifiée, ce n'était pas un nuage, mais une vague immense arrivant par le travers. Elle s'étendait loin au nord et au sud, sans déferlement ni traînée d'écume d'aucune sorte. | |
Elle avait un front quasi-vertical, et à moins d'une centaine de mètres du navire, elle commença à déferler. Heureusement, un coup de gîte atténua l'impact. Aucune voie d'eau ne se déclara, mais certains dégâts n'en furent pas moins significatifs: le pont du château avant était descendu de 8 centimètres, et les membrures qui le soutenaient, des fers de 35 centimètres, étaient fissurées de part en part. Les projecteurs boulonnés sur la passerelle, à 15 mètres au-dessus de la flottaison, avaient été emportés avec leurs supports. Malgré leurs lourds capots de laiton, les verres des compas et des répéteurs de gyro du poste de vigie, à 21 mètres de la flottaison, étaient fêlés. |
Le "Bremen" Cette description est semblable à celle de l'équipage du paquebot allemand Bremen, qui naviguait dans l'Atlantique Sud. Sa machine s'arrêta sous le choc; heureusement, l'équipage réussit, après des heures d'efforts, à remettre en route. L'équipage insiste sur l'importance du creux précédant la vague. |
Des naufrages soudains, survenus à des unités réputées sûres Des enquêtes ont conclu à l'implication probable de vagues scélérates au milieu d'une tempête dans la disparition soudaine de gros navires. Nous n'en citerons que quelques unes comme :
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l'enquête sur le naufrage du minéralier MV Derbyshire en 1980, le navire de plus fort tonnage que le Royaume Uni ait jamais perdu,
le naufrage corps et biens du cargo allemand München, grand navire considéré comme particulièrement sûr,
les accidents de mer survenus à de nombreux supports flottants de production offshore, Foinhaven, Schiehallion,
la perte de la plate-forme semi-submersible Ocean Ranger avec 84 vies.
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Et tout récemment, on peut citer: Le 27 Janvier 2005, les 700 étudiants embarqués à bord du paquebot de 180 m, l'Explorer, pour le programme universitaire << Semester at Sea >> de l'Université de Pittsburgh (USA) ont observé de près, après une semaine de tempête, une énorme vague qui est venue briser les vitres de la passerelle et mettre hors service trois des quatre moteurs. Le navire a pu rejoindre Honolulu pour une semaine de réparations, avant de reprendre sa route vers Shanghai. Le 14 Février 2005, en Méditerranée, par mer de force 8, une vague s'abattit sur la verrière de passerelles du Grand Voyager, un paquebot accomplissant une croisière de Tunis à Barcelone, avec à son bord 477 passagers et un équipage de 313 personnes. Des mesures Définition Comment caractériser et définir la "vague scélérate"? Par sa hauteur bien sûr, mais aussi par sa cambrure... et à condition qu'on dispose d'instruments permettant de mesurer ces paramètres, ce qui est rarement le cas à bord des navires : on se contente alors de mesurer les dégâts induits, mais cela dépend aussi de l'attitude prise par le navire - corps flottant - au moment de l'arrivée de cette vague. La présence de capteurs enregistreurs sur des plate-formes insensibles aux mouvements de la mer en surface a permis, depuis quelques années, de mesurer les contours mêmes de la vague. Pour les marins, on peut définir la vague scélérate comme étant celle qui est totalement démesurée par rapport aux autres dans les conditions de mer qui règnent lorsqu'elle survient. Plus quantitativement, elle se caractérise par une hauteur "crête-creux" supérieure à deux fois la hauteur significative de l'état de mer, ou encore par l'élévation atteinte par la crête au dessus du niveau moyen supérieure de 1,1 à 1,25 fois la hauteur "crête-creux". NB: les "vagues scélérates" sont dues à l'effet du vent sur la surface de la mer; de ce point de vue, elles sont à distinguer d'autres vagues anormales dues à d'autres causes (tsunamis, raz de marée, mascarets, etc.). La "vague du Nouvel An" 1995 | Des mesures de hauteur d'eau ont été faites sur la plate-forme Draupner E en Mer du Nord, au moyen d'un dispositif à écho laser (distancemètre) "regardant vers le bas", enregistrant la hauteur d'eau sous le capteur, chaque heure pendant 20 minutes. | Au cours d'une tempête telle qu'on en rencontre tous les cinq ou six ans, où les hauteurs crête-creux significatives étaient mesurées entre 10 et 12 mètres (cf. encadré), vers 15h20 le 1er Janvier 1995, une vague s'éleva inopinément à plus de 18 mètres au dessus du niveau moyen et endommagea du matériel entreposé sur un pont provisoire.L'ingénieur chargé des questions océano-météorologiques à Statoil, qui avait été consulté quelques jours auparavant sur la possibilité de stocker ce matériel à ce niveau, avait évalué à 3000 ans la période de retour associée à un tel phénomène, et ses calculs laissaient penser que s'il se produisait jamais, ce serait avec des hauteurs crête-creux significatives de 16-18 mètres au moins. Il était dès lors évident que les méthodes et les règles de l'Art utilisées pour cette estimation étaient en défaut, et qu'il fallait chercher autre chose. La communauté scientifique internationale s'attela à cette tâche. Les plate-formes pétrolières | Les données provenant d'observations sur les plates-formes pétrolières, telles celles de Draupner, ont l'avantage d'être quantifiées, car mesurées par des capteurs ou mises en évidence par des dommages observés à une élévation précise. Depuis 1995, une dizaine d'observations concernant des vagues extrêmes, ont été faites par ce moyen dans le monde. | |
L'observation satellitaire Les chercheurs ont également exploité les mesures faites par des satellites équipés de radars susceptibles de reconnaître les vagues individuelles (notamment les satellites de l'Agence Spatiale Européenne ERS-2 et Envisat) pour identifier celles qui pouvaient être considérées comme scélérates. C'est ainsi qu'on confirma que, sur l'ensemble des mers du globe, on pouvait à tout moment isoler des vagues dont les caractéristiques laissaient penser qu'elles pouvaient être scélérates. Comme toute vague au large, elles apparaissent, se manifestent sur une longueur de quelques kilomètres, puis disparaissent.
Pourquoi ces vagues inattendues ? Où le phénomène se produit-il? Est-il possible d'établir une carte de sa localisation? Quand se produit-il? Est-il possible d'évaluer sa fréquence? Comment se produit-il? Quelles en sont les conséquences? Ces questions se ramènent actuellement aux deux suivantes, qui sont posées à la communauté des chercheurs et des ingénieurs: Les vagues scélérates sont-elles simplement
les extrêmes normaux de l'ensemble des vagues "communes", auquel cas ce serait simplement une tendance de l'observateur à s'endormir dans une tranquillité oublieuse de l'intensité des extrêmes qu'il faudrait accuser,
ou bien des représentants d'une population de vagues différente, exogène, qui aurait des mécanismes spécifiques de génération ou de propagation?
Quelle que soit leur cause, peut-on relier leur occurrence à certains signes précurseurs ? Modélisations hydrodynamiques Plusieurs laboratoires tentent de reconstituer, en bassin ou sur ordinateur et dans le respect des lois de l'hydrodynamique, des événements similaires à ceux qui ont pu être observés dans la nature. Ils utilisent pour la plupart des équations qui modélisent le phénomène dit de "focalisation non-linéaire". Ces équations représentent les interactions entre systèmes de vagues qui se rejoignent, soit en provenance de directions différentes, soit en raison de leurs célérités différentes lorsqu'elles viennent de la même direction. Si ces équations sont scientifiquement justes et apparemment plausibles, on n'a pas encore pu vérifier que leurs conditions d'application se rassemblaient spontanément dans la nature. Ce serait de toute façon extrêmement rare. Au stade actuel, l'hypothèse de l'acceptabilité de l'approximation au second ordre des termes non-linéaires qui s'ajoutent au modèle de superposition linéaire des ondes élémentaires qu'on utilise depuis plus de 30 ans, ne peut être écartée, pas plus que d'autres nouveaux développements théoriques.
Modélisations statistiques
Indépendamment de ces travaux, on recherche sur les mesures disponibles des corrélations entre l'apparition de vagues exceptionnelles et des caractéristiques à différentes échelles de temps de l'état de mer ou de la tempête. Malheureusement, les hypothèses émises de "running fetch" (tempête dont le maximum se déplace en synchronisation avec le champ de vagues généré), ou de combinaison entre les systèmes créés avant et après le passage du front froid n'ont à ce jour pu être validées. Néanmoins, certains traits se dégagent des conditions de mer susceptibles de contenir une vague scélérate :
trains de vagues en provenance d'une seule direction (sans garantie d'ailleurs que la vague scélérate ne se propage pas à un certain angle de cette direction),
vent particulièrement violent (ou mer particulièrement peu levée par rapport à la force du vent),
vagues fortement cambrées, conditions de mer proches du paroxysme.
Au total, il semble que si, pour un navigateur, la probabilité de rencontrer une "vague scélérate" dans l'année est extrêmement faible, il reste que l'"espérance mathématique" de rencontrer le phénomène plusieurs fois par an, est notable pour l'ensemble de la flotte mondiale, d'autant que celle-ci continue à croître en nombre et en taille des navires.
Perspectives de prévision et d'alerte
On sait que certaines régions océaniques sont des zones à risque pour les vagues scélérates: il en existerait 19 dans le monde: c'est le cas particulièrement lorsqu'un courant s'oppose au vent. Par exemple, on a pu identifier de nombreux cas de vagues scélérates dans le courant des Aiguilles, au large de l'Afrique du Sud. Dans ce cas, le commandant de navire doit faire route pour éviter le courant quand il apprend par la météo que les conditions ne sont pas favorables. Les accidents et naufrages, fréquents autrefois, ont presque complètement disparu depuis qu'il y a une dizaine d'années le service météorologique d'Afrique du Sud a mis en place un système qui alerte les navigateurs lorsque les conditions défavorables sont réunies.
Mais d'autres zones sont cataloguées "à risque": le Golfe de Gascogne, la Mer du Nord, la Mer Baltique... pour lesquels des services d'alerte auraient peut-être une utilité considérable. Les Météos Nationales expérimentent depuis peu des indicateurs liés aux causes théoriques potentielles, pour identifier des tempêtes et des moments où des vagues scélérates peuvent se produire. Les vagues scélérates étant heureusement rares, et comme de plus, personne ne souhaite s'y exposer pour le plaisir de confirmer la théorie, la validation de ces indicateurs est une tâche ardue. Toutefois, on a beau sortir des statistiques ces cas de vagues "expliquées", il reste un grand nombre de cas pour lesquels on ne peut trouver d'autre raison que de s'être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ce qui n'est guère satisfaisant pour la tranquillité d'esprit du marin.
Conclusion
Il reste un long chemin à parcourir avant que l'on puisse détecter avec fiabilité un accroissement du risque de vague anormalement haute ou cambrée, et qu'on puisse prôner, sauf en des endroits particuliers du globe, un dispositif de prévision opérationnelle des conditions d'occurrence de vagues extrêmes. Mais on a progressé dans la compréhension des causes du phénomène. Il convient de rappeler aux navigateurs qu'il n'y a pas de borne théorique au rapport entre la vague maximale et la moyenne de celles qui la précèdent. Car si la vague scélérate est inattendue, n'est ce pas avant tout parce que nous nous endormons dans une fausse sécurité en ne jugeant du risque que sur la seule hauteur moyenne des vagues ?
Remerciements Merci à Michel Olagnon, Chef de la Cellule Océano-Météo à Ifremer/Brest, qui m'a communiqué la plus grande part de la documentation utilisée dans ce papier et a bien voulu le relire et le corriger. Et aussi à Jean Labrousse qui m'a incité à rédiger le présent document. Cet article est à paraître dans la revue Arc en Ciel de l'Association des Anciens de de la Météorologie. www.anciensmeteos.info |
Pour en savoir plus : http://www.ifremer.fr/metocean/vagues_scelerates.htm http://www.ifremer.fr/web-com/stw2004/rw/ : Proceedings du séminaire "Rogues waves 2004" des 20, 21 et octobre 2004 édité par Michel Olagnon et Marc Prevosto Voir aussi extrait de l'émission de Thalassa du 2 novembre 2007 |
Vagues scélérates - Ma-Tvideo France3 Vagues scélérates - Ma-Tvideo France3
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