C'est une plaisanterie ? C'est encore pire.
Bardes et vates sont encore moins mentionnés que les druides dans les textes antiques (l'Irlande médiévale c'est une autre paire de manches, mais j'espère que l'on m'excusera de considérer qu'un récit irlandais du douzième siècle a peu de chances d'éclairer ce qui se passait douze siècles plus tôt en France). La plupart de nos informations viennent de la
Géographie de Strabon, IV, 4-6 :
Chez tous les peuples gaulois sans exception se retrouvent trois classes d'hommes qui sont l'objet d'honneurs extraordinaires, à savoir les Bardes, les Vatès et les Druides, les Bardes, autrement dits les chantres sacrés, les Vatès, autrement dits les devins qui président aux sacrifices et interrogent la nature, enfin les Druides, qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l'éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés les plus justes des hommes, et, à ce titre, c'est à eux que l'on confie l'arbitrage des contestations soit privées soit publiques : anciennement, les causes des guerres elles-mêmes étaient soumises à leur examen et on les a vus quelquefois arrêter les parties belligérantes comme elles étaient sur le point d'en venir aux mains. Mais ce qui leur appartient spécialement c'est le jugement des crimes de meurtre, et il est à noter que, quand abondent les condamnations pour ce genre de crime, ils y voient un signe d'abondance et de fertilité pour le pays. Les Druides (qui ne sont pas les seuls du reste parmi les barbares) proclament l'immortalité des âmes et celle du monde, ce qui n'empêche pas qu'ils ne croient aussi que le feu et l'eau prévaudront un jour sur tout le reste.
A leur franchise, à leur fougue naturelle les Gaulois joignent une grande légèreté et beaucoup de fanfaronnade, ainsi que la passion de la parure, car ils se couvrent de bijoux d'or, portent des colliers d'or autour du cou, des anneaux d'or autour des bras et des poignets, et leurs chefs s'habillent d'étoffes teintes de couleurs éclatantes et brochées d'or. Cette frivolité de caractère fait que la victoire rend les Gaulois insupportables d'orgueil, tandis que la défaite les consterne. Avec leurs habitudes de légèreté, ils ont cependant certaines coutumes qui dénotent quelque chose de féroce et de sauvage dans leur caractère, mais qui se retrouvent, il faut le dire, chez la plupart des nations du Nord. Celle-ci est du nombre : au sortir du combat, ils suspendent au cou de leurs chevaux les têtes des ennemis qu'ils ont tués et les rapportent avec eux pour les clouer, comme autant de trophées, aux portes de leurs maisons. Posidonius dit avoir été souvent témoin de ce spectacle, il avait été long à s'y faire, toutefois l'habitude avait fini par l'y rendre insensible. Les têtes des chefs ou personnages illustres étaient conservées dans de l'huile de cèdre et ils les montraient avec orgueil aux étrangers, refusant de les rendre même quand on voulait les leur racheter au poids de l'or. Les Romains réussirent pourtant à les faire renoncer à cette coutume barbare ainsi qu'à maintes pratiques de leurs sacrificateurs et de leurs devins qui répugnaient trop à nos moeurs : il était d'usage, par exemple, que le malheureux désigné comme victime reçût un coup de sabre [à l'endroit des fausses côtes,] puis l'on prédisait l'avenir d'après la nature de ses convulsions [et cela en présence des Druides], vu que jamais ils n'offraient de sacrifices sans que des Druides y assistassent. On cite encore chez eux d'autres formes de sacrifices humains : tantôt, par exemple, la victime était tuée [lentement] à coups de flèches, tantôt ils la crucifiaient dans leurs temples, ou bien ils construisaient un mannequin colossal avec du bois et du foin, y faisaient entrer des bestiaux et des animaux de toute sorte pêle-mêle avec des hommes, puis y mettant le feu, consommaient l'holocauste.
Dans l'Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de l'embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d'étendue, qu'habitent soi-disant les femmes des Namnètes. Ces femmes, possédées de la fureur bachique, cherchent, par des mystères et d'autres cérémonies religieuses, à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu'elles sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur île. Elles ont couturne aussi, une fois par an, d'enlever la toiture du temple de Bacchus et de le recouvrir, le tout dans une même journée, avant le coucher du soleil, chacune d'elles apportant sa charge de matériaux. Mais s'il en est une dans le nombre qui en travaillant laisse tomber son fardeau, aussitôt elle est mise en pièces par ses compagnes, qui, aux cris d'évoé, évoé, promènent autour du temple les membres de leur victime, et ne s'arrêtent que quand la crise furieuse qui les possède s'est apaisée d'elle-même. Or ce travail ne s'achève jamais sans que quelqu'une d'entre elles se soit laissée choir et ait subi ce triste sort. L'histoire des corbeaux dont parle Artémidore tient encore plus de la fable : à l'en croire, il existerait sur la côte de l'Océan un port appelé le Port-des-Deux-Corbeaux, parce qu'il s'y trouvait en effet naguère deux de ces oiseaux ä l'aile droite blanchâtre : les personnes ayant ensemble quelque contestation s'y transportaient, plaçaient une planche en un lieu élevé, et, sur cette planche, des gâteaux, chaque partie disposait les siens de manière à ce qu'on ne pût les confondre, puis les corbeaux s'abattaient sur les gâteaux, mangeaient les uns, culbutaient les autres, et celle des deux parties qui avait eu ses gâteaux ainsi culbutés triomphait. Mais, si ce récit d'Artémidore sent trop la fable, il y a moins d'invraisemblance dans ce que le même auteur nous dit au sujet de Cérès et de Proserpine, qu'une des îles situées sur les côtes de Bretagne possède des cérémonies religieuses rappelant tout à fait les rites du culte de Cérès et de Proserpine dans l'île de Samothrace. Le fait suivant est de ceux aussi qu'on peut admettre : il s'agit d'un arbre, assez semblable au figuier, qui vient en Gaule, et dont le fruit est fait à peu près comme un chapiteau corinthien ; si l'on coupe ce fruit, il en découle, dit-on, un suc mortel dans lequel on trempe les flèches. Enfin, s'il faut en croire un bruit très répandu, tous les Gaulois seraient d'humeur querelleuse ; on assure de même qu'ils n'attachent aucune idée de honte à ce que les garçons prostituent la fleur de leur jeunesse. - Dans Ephore, l'étendue de la Celtique est singulièrement exagérée, car il résulte de ce que dit cet auteur que les Celtes auraient peuplé la plus grande partie de la contrée appelée aujourd'hui Ibérie, et que leurs possessions s'y seraient étendues jusqu'à Gadira. Ajoutons qu'il réduit les Celtes à n'être plus que de purs philhellènes, et qu'il leur prête maint détail de moeurs bien peu en rapport avec ce qu'on observe aujourd'hui chez eux, celui-ci entre autres, qu'ils s'étudient à ne pas trop engraisser, à ne pas trop prendre de ventre, et que la loi punit même d'une amende tout jeune garçon dont l'embonpoint excède la ceinture réglementaire. - Nous n'en dirons pas davantage touchant la Celtique ou Gaule transalpine.
Ainsi que quelques passages chez Diodore de Sicile (
Bibliothèque Historique, V, 31) :
Les Gaulois sont d'un aspect effrayant ; ils ont la voix forte et tout à fait rude ; ils parlent peu dans leurs conversations, s'expriment par énigmes et affectent dans leur langage de laisser deviner la plupart des choses. Ils emploient beaucoup l'hyperbole, soit pour se vanter eux-mêmes, soit pour ravaler les autres. Dans leurs discours ils sont menaçants, hautains et portés au tragique ; ils sont cependant intelligents et capables de s'instruire. Ils ont aussi des poètes qu'ils appellent bardes, et qui chantent la louange ou le blâme, en s'accompagnant sur des instruments semblables aux lyres. Ils ont aussi des philosophes et des théologiens très honorés, et qu'ils appellent druides. Ils ont aussi des devins, qui sont en grande vénération. Ces devins prédisent l'avenir par le vol des oiseaux et par l'inspection des entrailles des victimes ; tout le peuple leur obéit. Lorsqu'ils consultent les sacrifices sur quelques grands événements, ils ont une coutume étrange et incroyable : ils immolent un homme en le frappant avec un couteau dans la région au-dessus du diaphragme ; ils prédisent ensuite l'avenir d'après la chute de la victime, d'après les convulsions des membres et l'écoulement du sang ; et, fidèles aux traditions antiques, ils ont foi dans ces sacrifices. C'est une coutume établie parmi eux que personne ne sacrifie sans l'assistance d'un philosophe ; car ils prétendent qu'on ne doit offrir des sacrifices agréables aux dieux que par l'intermédiaire de ces hommes, qui connaissent la nature divine et sont, en quelque sorte, en communication avec elle, et que c'est par ceux-là qu'il faut demander aux dieux les biens qu'on désire. Ces philosophes ont une grande autorité dans les affaires de la paix aussi bien que dans celles de la guerre ; amis et ennemis obéissent aux chants des bardes. Souvent, lorsque deux armées se trouvent en présence, et que les épées sont déjà tirées et les lances en arrêt, les bardes se jettent au-devant des combattants, et les apaisent comme on dompte par enchantement les bêtes féroces. C'est ainsi que, même parmi les Barbares les plus sauvages, la colère cède à la sagesse, et que Mars respecte les muses.
Un très court passage d'Ammien Marcellin [vates, ovates, eubates, c'est kif-kif],
Rerum Gestarum Libri, XV, 9 :
Dans ces contrées, les hommes, peu à peu, se sont civilisés, l'étude des arts et des sciences louables a fleuri, entreprise grâce à l'action des bardes, des eubages et des druides. Les bardes chantaient les doux accents aux doux accents de la lyre les actes les plus remarquables des hommes illustres, dans des compositions aux vers héroïques ; tandis que les eubages, explorant les domaines les plus élevés, entreprenaient de révéler les merveilles de la nature. Parmi eux, les druides, supérieurs sur le plan de l'intelligence, et, comme le veut la doctrine de Pythagore, étroitement liés en confréries communautaires, se sont élevés par leur recherche dans les domaines les plus obscurs et les plus profonds et, dédaignant la réalité humaine, ils proclamèrent que les âmes sont immortelles. Deux vers dans le premier livre de la
Pharsale de Lucain :
vous recommencez vos chants, bardes, qui consacrez par des louanges immortelles la mémoire des hommes vaillants frappés dans les combats. Et vous, Druides, vous reprenez vos rites barbares, vos sanglants sacrifices que la guerre avait abolis. Vous seuls avez le privilège de choisir entre tous les dieux ceux qu'on doit adorer, ceux qu'on doit méconnaître. Vous célébrez vos mystères dans des forêts ténébreuses ; vous prétendez que les ombres ne vont point peupler les demeures tranquilles de l'Érèbe, les sombres royaumes de Pluton ; mais nos esprits dans un monde nouveau vont animer de nouveaux corps. La mort, à vous en croire, n'est que le milieu d'une longue vie. Cette opinion fût-elle un mensonge, heureux les peuples qu'il console, ils ne sont point tourmentés par la crainte du trépas ; de là cette ardeur qui brave le fer, ce courage qui embrasse la mort, cette honte attachée aux soins d'une vie qui doit renaître.
Pour achever cette longue litanie de citations, voici ce que dit César sur les druides (au point où j'en suit...), Guerre desGaule, VI, 13-14 et VI, 16-18 :
Dans toute la Gaule, il n'y a que deux classes d'hommes qui soient comptées pour quelque chose et qui soient honorées ; car la multitude n'a guère que le rang des esclaves, n'osant rien par elle-même, et n'étant admise à aucun conseil. La plupart, accablés de dettes, d'impôts énormes, et de vexations de la part des grands, se livrent eux-mêmes en servitude à des nobles qui exercent sur eux tous les droits des maîtres sur les esclaves. Des deux classes privilégiées, l'une est celle des druides, l'autre celle des chevaliers. Les premiers, ministres des choses divines, sont chargés des sacrifices publics et particuliers, et sont les interprètes des doctrines religieuses. Le désir de l'instruction attire auprès d'eux un grand nombre de jeunes gens qui les ont en grand honneur. Les Druides connaissent de presque toutes les contestations publiques et privées. Si quelque crime a été commis, si un meurtre a eu lieu, s'il s'élève un débat sur un héritage ou sur des limites, ce sont eux qui statuent ; ils dispensent les récompenses et les peines. Si un particulier ou un homme public ne défère point à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices ; c'est chez eux la punition la plus grave. Ceux qui encourent cette interdiction sont mis au rang des impies et des criminels, tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, et craint la contagion du mal dont ils sont frappés ; tout accès en justice leur est refusé ; et ils n'ont part à aucun honneur. Tous ces druides n'ont qu'un seul chef dont l'autorité est sans bornes. À sa mort, le plus éminent en dignité lui succède ; ou, si plusieurs ont des titres égaux, l'élection a lieu par le suffrage des druides, et la place est quelquefois disputée par les armes. À une certaine époque de l'année, ils s'assemblent dans un lieu consacré sur la frontière du pays des Carnutes, qui passe pour le point central de toute la Gaule. Là se rendent de toutes parts ceux qui ont des différends, et ils obéissent aux jugements et aux décisions des druides. On croit que leur doctrine a pris naissance dans la Bretagne, et qu'elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd'hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie vont ordinairement dans cette île pour s'y instruire.
Les druides ne vont point à la guerre et ne paient aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; ils sont exempts du service militaire et de toute espèce de charges. Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois viennent auprès d'eux de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs parents et leurs proches. Là, dit-on, ils apprennent un grand nombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans cet apprentissage. Il n'est pas permis de confier ces vers à l'écriture, tandis que, dans la plupart des autres affaires publiques et privées, ils se servent des lettres grecques. Il y a, ce me semble, deux raisons de cet usage : l'une est d'empêcher que leur science ne se répande dans le vulgaire ; et l'autre, que leurs disciples, se reposant sur l'écriture, ne négligent leur mémoire ; car il arrive presque toujours que le secours des livres fait que l'on s'applique moins à apprendre par coeur et à exercer sa mémoire. Une croyance qu'ils cherchent surtout à établir, c'est que les âmes ne périssent point, et qu'après la mort, elles passent d'un corps dans un autre, croyance qui leur paraît singulièrement propre à inspirer le courage, en éloignant la crainte de la mort. Le mouvement des astres, l'immensité de l'univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont en outre les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse.
Toute la nation gauloise est très superstitieuse ; aussi ceux qui sont attaqués de maladies graves, ceux qui vivent au milieu de la guerre et de ses dangers, ou immolent des victimes humaines, ou font voeu d'en immoler, et ont recours pour ces sacrifices au ministère des druides. Ils pensent que la vie d'un homme est nécessaire pour racheter celle d'un homme, et que les dieux immortels ne peuvent être apaisés qu'à ce prix ; ils ont même institué des sacrifices publics de ce genre. Ils ont quelquefois des mannequins d'une grandeur immense et tressés en osier, dont ils remplissent l'intérieur d'hommes vivants ; ils y mettent le feu et font expirer leurs victimes dans les flammes. Ils pensent que le supplice de ceux qui sont convaincus de vol, de brigandage ou de quelque autre délit, est plus agréable aux dieux immortels ; mais quand ces hommes leur manquent, ils se rabattent sur les innocents.
Le dieu qu'ils honorent le plus est Mercure. Il a un grand nombre de statues ; ils le regardent comme l'inventeur de tous les arts, comme le guide des voyageurs, et comme présidant à toutes sortes de gains et de commerce. Après lui ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Ils ont de ces divinités à peu près la même idée que les autres nations. Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les éléments de l'industrie et des arts ; Jupiter tient l'empire du ciel, Mars celui de la guerre ; c'est à lui, quand ils ont résolu de combattre, qu'ils font voeu d'ordinaire de consacrer les dépouilles de l'ennemi. Ils lui sacrifient ce qui leur reste du bétail qu'ils ont pris, le surplus du butin est placé dans un dépôt public ; et on peut voir, en beaucoup de villes de ces monceaux de dépouilles, entassées en des lieux consacrés. Il n'arrive guère, qu'au mépris de la religion, un Gaulois ose s'approprier clandestinement ce qu'il a pris à la guerre, ou ravir quelque chose de ces dépôts. Le plus cruel supplice et la torture sont réservés pour ce larcin.
Les Gaulois se vantent d'être issus de Dis Pater, tradition qu'ils disent tenir des druides. C'est pour cette raison qu'ils mesurent le temps, non par le nombre des jours ; mais par celui des nuits. Ils calculent les jours de naissance, le commencement des mois et celui des années, de manière que le jour suive la nuit dans leur calcul. Dans les autres usages de la vie, ils ne diffèrent guère des autres nations qu'en ce qu'ils ne permettent pas que leurs enfants les abordent en public avant d'être adolescents et en état de porter les armes. Ils regardent comme honteux pour un père d'admettre publiquement en sa présence son fils en bas âge.
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