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Il nous fallait presser le pas car nous avions pris du retard les jours précédent, et il restait encore des choses que nous devions voir absolument. Comme tout d’abord la boutique philatéliste où les collectionneurs et simples amateurs peuvent admirer une impressionnante collection de timbres nord-coréens, et satisfaire leur boulimie d’achats. Bien que n’étant pas du tout philatéliste, je n’ai pas pu résister à un petit album de quelques dizaines de timbres très rouges, constituant un panorama assez représentatif de la propagande coréenne. Des albums beaucoup plus importants étaient bien entendu disponibles, et je reconnais que l’un d’entre eux, associant timbres et images de propagandes m’avait tapé dans l’œil. Mais je me suis abstenu.
La Chine était à l’honneur dans ce magasin car de nombreux timbres en vente commémoraient l’inébranlable amitié sino-coréenne, la vie de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, l’aventure spatiale chinoise et les rétrocessions de Hong Kong et Macao. On devine à qui s’adressaient tous ces timbres, mais pour une fois les inévitables touristes chinois étaient absents. En lieu et place, un petit groupe de jeunes nord-coréens du Japon jetait un œil peu intéressé à l’exposition. Le Japon abrite une importante communauté nord-coréenne, qui envoie régulièrement de l’argent frais à la mère patrie. Certaines familles sont installées depuis deux ou trois générations et certains n’ont d’ailleurs jamais mis les pieds en Corée du Nord. Toujours est-il que ces étranges lycéens habillés à la dernière mode japonaise, parlant japonais entre eux, et arborant l’indétronable pin’s du Respecté Président Kim Il Sung, étaient bel et bien là. Que pouvaient-ils penser de « leur » pays, eux qui savent ce qui existe à l’extérieur ? Difficile à dire, d’autant plus que nos tentatives de dialogue ont échoué faute de compétences linguistiques. Leur anglais était balbutiant, et notre coréen et notre japonais trop rudimentaire. De toute manière Monsieur Li buvait toutes nos paroles. Je n’ai donc pu que répéter la seule phrase en coréen que je maîtrisais à peu près bien, et dont je vais pour une fois vous épargner la répétion puisque vous devinerez sans peine de laquelle il s’agit. Les nippo-coréens ont apprécié !
Cap ensuite sur un site où j’avais personnellement demandé que l’on s’arrête. Sur le bord d’une rue, non loin de la Statue de Cholima et de la Statue géante du Respecté Président Kim Il Sung, et surtout au pied de trois gigantesques affiches de propagande absolument superbes. L’une d’entre elles, représentant trois poings écrasant un missile américain et un homme occidental avait particulièrement retenu mon attention et a fait notre unanimité. Ce fut aussi l’occasion d’un quasi bain de foule, puisque de nombreux piétons passaient par là. Nous étions naturellement toujours aussi invisibles. La plupart de ces piétons portaient naturellement le fameux pin’s, mais également des casquettes blanches toutes identiques. Je demandais donc à Monsieur Li la raison de la popularité de ce couvre-chef. Nouveau dialogue de sourds : « c’est pour protéger du soleil.» « mais pourquoi portent-ils tous la même casquette ? » « non, ils ont le choix entre le noir et le blanc » « mais pourquoi choisissent-ils tous le blanc ? » « les coréens aiment le blanc ». Il y avait certainement une autre explication, mais je n’ai pas réussi à l’obtenir.
Après ce bain de foule, on nous emmena à l’Arc de Triomphe sous lequel nous étions déjà passés à plusieurs reprises. L’Arc de Triomphe de Pyongyang ressemble beaucoup à celui de Paris dans sa forme générale, mais son architecture est bien entendu plus moderne et il fait deux ou trois mètres de plus en hauteur. Des sculptures révolutionnaires sont gravées sur chaque flanc, et les paroles du Chant du Général Kim Il Sung figurent au sommet. Je vous en livre un extrait : « Dis tempête de neige de la plaine de Mandchourie ; Dis nuit interminable de la forêt épaisse ; Qui est le partisan sans égal dans l’Histoire ; Qui est le patriote sans pareil dans le Monde. O, notre Général, cher est son nom ; O, Général Kim Il Sung, brille son nom. » Ce chant révolutionnaire est incontestablement le plus connu en DPRK et on l’entend relativement souvent en musique d’ambiance dans des musées ou sur des lieux touristiques. Il est également assez connu en Chine.
Les dates 1925-1945 sont gravées à mi-hauteur. Il s’agit des dates marquant le début de l’engagement du Respecté Président Kim Il Sung dans la Résistance anti-japonaise et la libération du pays. Je m’étonnais auprès de Monsieur Li du choix de ces dates, puisque j’imaginais que la résistance coréenne n’avait sans doute pas attendu le Grand Leader pour se développer. Monsieur Li me confirma qu’il existait bien une résistance avant 1925, et je lui ai alors demandé pourquoi c’est malgré tout 1925 qui avait été retenue. Réponse évidente : « ce monument ne commémore pas la résistance, mais le combat du Général Kim Il Sung ». Oui évidemment… Sympa pour ceux qui ont versé leur sang avant 1925 ! Plutôt que d’écouter la propagande qui nous était servie pluri-quotidiennement, j’ai moi-même joué au guide en faisant état de mon savoir – assez limité – sur l’Arc de Triomphe parisien, ce qui a beaucoup interessé les guides coréens. Surtout la présence du Soldat Inconnu !
Contrairement à son homologue parisien, l’Arc de Triomphe de Pyongyang peut sans problème être photographié du milieu de l’avenue qui le traverse. Aucun risque de se faire écraser ou de provoquer un accident puisqu’il ne doit passer qu’un ou deux véhicules par minute ! L’un d’entre nous a fini par demander à Monsieur Kim pourquoi les gens ne nous regardaient pas, contrairement à ce qui se passe en Chine. Là aussi la réponse fut sans appel : « les coréens sont habitués à voir des étrangers, ils n’ont donc aucune raison de vous regarder. » Pas très convaincant…
Ce fut enfin le temps de notre dernière visite, et pas des moindres : le Monument de l’Edification du Parti des Travailleurs. Une gigantesque horreur représentant trois poings tenant une faucille, un marteau et un pinceau (toujours le même triptique). Des lycéennes en uniforme posaient devant le monument pour des photos officielles, et lorsqu’elles eurent fini, nous avons pu nous rapprocher de la structure. Curieusement, ces lycéennes nous firent de grands gestes amicaux, apparemment encouragées en cela par leur professeur. Nous n’étions donc pas des gens si communs que ça !!!
Pour cette énième visite sous le signe de la propagande, nous ne jetions plus que de vagues coups d’œil en écoutant d’une oreille discrète la traduction de Monsieur Li. Ce Monument avait été construit par le Cher Leader Kim Jong Il juste après la mort de son père. Cela ne nous fut pas dit, mais ce monument est à ma connaissance la seule contribution architecturale de Kim Jong Il, tout le reste de la ville ayant été bâti du temps de son père. Mais alors que nous ne pouvions plus cacher notre lassitude, le hollandais nous interpela soudain et nous demanda de nous placer à un certain endroit et de regarder dans une certaine direction. L’un après l’autre, nous avons tous éclaté de rire et ne pouvions plus nous arrêter. Vu sous un certain angle, le poing tenant un pinceau ressemble exactement et à tous les détails près à une main serrant un pénis en érection. La ressemblance était extraordinaire et les proportions hilarantes, mais notre guide locale ne comprenait pas pourquoi nous étions tellement amusés par « le monument de la masturbation prolétarienne ». De retour dans le minibus, je montrais fièrement à Monsieur Li la photo que j’avais prise, sous le bon angle. Devant l’hilarité générale, Monsieur Li ne put pas s’empêcher de sourire et je suis même quasiment sûr qu’il s’est retenu d’éclater de rire à son tour. Pour seul commentaire il me lança « ça représente quoi cette photo ? ». Et je répondis avec le plus grand sérieux « juste un monument, ça ne se voit pas ? » Nouveau sourire amusé de Monsieur Li : il avait compris !
Pour tuer le temps avant le dîner, on nous emmena dans un grand magasin d’Etat. Certainement le plus sinistre qu’il m’ait jamais été donné de voir. Très sombre, sans clients et avec un nombre impressionnant de vendeuses qui ne savaient pas quoi faire pour tuer le temps. Le rayon alimentation était réellement déprimant. Aux autres étages, quelques produits de consommation étrangers se mêlaient à des produits plus typiquement coréens. Au milieu des téléviseurs je remarquais toutefois un camescope numérique, apparemment assez peu perfectionné, mais dont la mise en vente m’étonnait dans un pays où ce type d’objet est théoriquement interdit lors du passage de la douane. Ceci dit, cela n’empêche pas les meutes de touristes chinois de filmer tout ce qu’ils peuvent, tandis que les occidentaux qui ont été plus strictement mis en garde n’emportent en général avec eux que des appareils photo. Ce n’est pas le seul paradoxe hi-tech qu’il m’ait été donné de constater, puisque dans l’hôtel de Myohyangsan j’ai aperçu deux nord-coréens en train de se servir de téléphones portables. Une fois de retour en Chine, quelqu’un m’a dit que la Corée du Nord faisait des « essais » pour cette nouvelle technologie.
Quant à ce grand Magasin d’Etat, il était évidemment vide de tout client coréen.
(à suivre)
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Voyage en Corée du Nord
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Re: Voyage en Corée du Nord
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Re: Voyage en Corée du Nord
22 La crise
Quatre jours de propagande et de frustrations, ainsi que le fou rire lié au « Monument de la Masturbation Prolétarienne » nous avaient mis en conditions pour affronter notre dernier dîner en Corée du Nord. Celui-ci allait se passer dans un autre des rares restaurants de la ville, toujours fréquenté naturellement par des touristes chinois.
Fort heureusement, Messieurs Kim et Li, ainsi que le chauffeur nous accompagnaient à table. A côté, une grande table de touristes chinois bruyants nous a servi de rodage pour la suite. Sans vouloir apparaître comme un horrible xénophobe, je dois reconnaître que le comportement des touristes chinois de base à l’étranger est assez savoureux, puisqu’en fait il ne diffère guère de leur comportement naturel de chez eux. Je me demande ce qu’en pensent les nord-coréens qui de toute façon n’ont pas le droit de faire des remarques, mais les occidentaux trouvent en tout cas cela plutôt comique. Ca hurlait, ça raclait sa gorge, ça crachait par terre à tout-va, enfin bref ça prenait du bon temps comme n’importe où en Chine. Pour eux, la Corée du Nord n’est qu’un pays pauvre qui leur prouve à quel point la Chine a eu raison de s’engager sur la voie des réformes. Ce restaurant était un barbecue coréen, c’est-à-dire que l’on fait cuire soi-même sa viande et ses légumes dans une marmite individuelle. Nous avons été assez estomaqués en voyant les chinois d’à-côté sortir de leurs sacs des nouilles instantanées pour les faire cuire dans leur marmite, au milieu de ce que les coréens s’étaient décarcassés pour leur préparer. J’ai personnellement trouvé cela très choquant et méprisant, bien plus que ces horribles crachats. Messieurs Kim et Li ne réagirent cependant pas lorsque nous leur avons exprimé notre dégoût pour ce genre de pratique.
L’autre attraction du dîner, c’était la télévision qui pendant la majeure partie du dîner diffusait le spectacle d’une chorale militaire. Mais j’y reviendrai plus tard. Au cours du dîner, certains d’entre nous ont eu besoin d’extérioriser tous les commentaires désobligeants qu’ils avaient gardés pour eux pendant le voyage. L’américain et le hollandais ouvrirent le feu en tentant de se faire expliquer les subtilités de l’idéologie du Juche. Comme d’habitude, devant l’incompréhension générale, Monsieur Kim se contenta de dire que de toute façon tout cela nous dépassait, était hors de notre portée. Afin de calmer le jeu et de lui offrir une occasion de sauver la face, je demandais à Monsieur Kim quelle avait été l’attitude de la Corée du Nord lors du divorce sino-soviétique des années 60. Trop tard, Monsieur Kim était déjà braqué et répondit tout simplement « je t’ai déjà dit qu’un des piliers du Juche c’est l’indépendance politique. Nous n’avons choisi aucun camp ». Point final.
Qu’à cela ne tienne, nous allions donc parler d’économie. Et là, le businessman hollandais se déchaina en parlant des réussites économiques de la Chine grâce notamment à son ouverture aux capitaux étrangers. Monsieur Kim contre-attaqua en répondant que la DPRK avait de son côté elle aussi tenté de s’ouvrir aux investissements étrangers mais qu’en raison de l’arrogance des sociétés étrangères et de leur ignorance et de leur manque de savoir faire, tous les projets avaient échoué. Notre hollandais repassa à l’attaque en démontrant que si les Joint Ventures coréennes avaient échoué c’était tout simplement parce que les coréens leur avaient mis tous les bâtons dans les roues, notamment en fermant totalement le marché. Une société qui produit mais n’a pas le droit de vendre, ça finit par faire faillite, c’est normal ! La colère contenue de Monsieur Kim devenait de plus en plus perceptible, mais il réussit malgré tout à garder son contrôle et à clore le débat par un « Je n’aime pas parler de politique. Parlons d’autre chose ! » Cette réplique provoqua un fou-rire parmi nous, Monsieur Kim n’ayant justement pas arrêté de parler de politique pendant tout le voyage. A ce moment-là du dîner (vers le milieu), l’ambiance était de plus en plus chaleureuse et rigolarde entre les européens, mais les coréens étaient de plus en plus figés et grimaçants. Nos rapports avec eux s’étaient très nettement détérioriés pendant ce laps de temps !
Mais le pire était encore à venir. Puisque Messieurs Kim et Li ne nous parlaient plus, c’est alors vers la télévision que nous nous sommes tournés. Fort opportunément, la chorale militaire mit un terme à son spectacle, et ce fut le grand moment des informations internationales. Tout était bien sûr en coréen, mais les images devaient parler d’elle-même.
Contrairement à ce que j’avais vu le soir de mon arrivée, ces informations-là donnèrent la part belle aux reportages de terrain, le speaker étant quasiment absent. Bien entendu, c’est la Guerre en Irak et la crise du Proche-Orient qui monopolisaient l’actualité. On s’est alors tournés vers Monsieur Kim pour lui demander quelle était la position officielle de la DPRK sur la guérilla irakienne contre l’occupation américaine. Nous avons eu droit à une réponse posée « qu’est-ce que vous croyez ? Qu’on applaudit à chaque fois qu’un américain meurt ? Et bien non, détrompez-vous, nous sommes totalement neutres, tout cela ne nous regarde pas. » Admettons. « Et l’attaque du WTC il y a deux ans, vous en pensez quoi ? » rajoutai-je. Même réponse : « De nombreux innocents sont morts, bien sûr que non on n’approuve pas ça. » Cette fois Monsieur Kim était peut-être sincère, mais j’ai quand même un doute sur la guerre d’Irak. Cette haine anti-américaine est tellement forte en Corée du Nord, que j’ai du mal à croire que la presse n’applaudit pas lorsqu’un GI se fait tuer. D’après Monsieur Kim, l’information qui était donnée était parfaitement neutre. Je ne peux malheureusement rien faire d’autre que le croire sur parole, ne comprenant pas un seul mot de coréen.
Les actualités continuaient, et l’espagnol lâcha soudain « hey ! mais j’ai vu les mêmes images il y a deux semaines sur la BBC ! ». L’américain ajouta une minute plus tard « Oui, et moi j’ai vu ça il y a dix jours à la télé chinoise ! ». Pour des images d’actualité, ça la fout quand même mal, et nous avons ri de bon cœur. Messieurs Kim et Li restèrent à nouveau impassibles. Mais nous avons soudain vu apparaître sur l’écran des carrés gris et noirs qui cachaient une partie de l’image. Cette fois c’était trop, le fou-rire fut général et on ne put plus s’arrêter d’éclater de rire en voyant que cette forme si archaïque et grotesque de censure était largement pratiquée en DPRK. Il fallait en effet cacher toute indication du fait que les images avaient été réalisées par des télévisions étrangères et à une date… pas très fraiche. Toutes les insertions CNN, BBC ou CCTV (télévision chinoise) étaient donc savamment cachées, ainsi que les commentaires écrits qui devaient probablement figurer en bas de l’écran, comme la forme allongée des caches gris nous le suggérait. C’était vraiment à pisser de rire, et nous avons hurlé toutes les blagues stupides qui nous traversaient à l’esprit à ce moment-là. « ça leur arrive d’avoir un écran entièrement gris ? » ou bien « ils devraient vraiment remplacer le poste de télé dans ce restaurant ».
Messieurs Kim et Li restèrent cette fois totalement muets et grimaçants jusqu’à la fin du repas et dans le trajet en minibus. Nous avions fait ce qu’il ne fallait pas, mais comme ça avait eu lieu à la fin du voyage, il n’y aurait aucune conséquence. D’après les rumeurs, les groupes de touristes « méchants » (c’est-à-dire qui font tout le temps ce qu’on a fait pendant ce repas, à savoir contredire les guides, et rire de la propagande) se voient supprimer de nombreuses visites, et on leur gâche sciemment leur voyage. Une fois de retour à l’hôtel, les guides allaient toutefois à nouveau nous adresser la parole.
(à suivre)
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Re: Voyage en Corée du Nord
23 Adieu Pyongyang
Malgré l’affront du dîner, je reformulais à Monsieur Kim la demande que je lui avais faite le matin, à savoir me procurer un journal coréen autre que le Pyongyang Times. On m’avait dit que les journaux coréens grouillaient de photos du Cher Leader Kim Jong Il, et je voulais absolument en avoir le cœur net. Quelques minutes plus tard, Monsieur Kim revint souriant en tenant le précieux bout de papier à la main. Je fus hélas déçu de constater qu’aucune photo du Leader n’apparaissait. Mais de qui se moque-t-on ??? Je demandais tout de même où se trouvaient les pages internationales, mais Monsieur Kim me déçut une nouvelle fois en m’informant que ce journal ne comportait que des informations nationales. Toutefois, en parcourant ces pages, une lueur traversa l’œil de Monsieur Kim. Il nous annonça avec un grand sourire que la Corée du Nord venait de franchir un pas important dans l’élaboration de l’arme nucléaire en transformant je ne sais quel résidu radioactif en matière fissible. Comment pouvions-nous bien réagir à une nouvelle de la sorte ? Et bien en le félicitant tout simplement : « bravo, vous devez être très fier de votre pays ». Et oui, il en était fier le bougre. Apparemment il nous avait bien dit la vérité – ou du moins il nous avait fidèlement retranscrit ce qui était écrit dans le journal - puisque le soir-même, la télévision taiwanaise confirmait l’annonce. D’après le journal télévisé taiwanais, les américains avaient d’ailleurs annoncé en même temps qu’ils étaient certains que la DPRK possédait en fait l’arme nucléaire.
Après ces « bonnes » nouvelles, il fallait encore s’occuper. La librairie de l’hôtel où nous voulions tous effectuer nos derniers achats était malheureusement fermée. « C’est dimanche » s’exclama fièrement Monsieur Li, comme pour donner raison aux affirmations de la matinée selon lesquelles les coréens ne travaillent pas le dimanche. Cap donc sur la salle de bowling que nous n’avions pas repérée les jours précédents. Mais là encore, Monsieur Li courut dans notre direction en piaffant « non non, désolé, aujourd’hui c’est dimanche. Les coréens ne travaillent pas. Donc pas de bowling. » Ah il était content le bougre, il avait raison et pouvait, enfin, apporter un peu d’eau au moulin de sa propagande.
Direction donc le bureau de poste où j’ai envoyé les quelques cartes postales que j’avais rédigées. Deux pour la France, deux pour la Chine (dont une pour moi). Il faut dire que je ne suis pas très cartes postales… Je n’avais pas écrit de bêtises sur ces cartes, car je savais qu’elles seraient lues, et que les propos « méchants » ne sont pas autorisés à quitter le pays. J’ai donc juste écrit des banalités, sauf sur l’une des cartes chinoises où je faisais un éloge exagéré – en chinois – des prouesses du régime nord-coréen et de son Cher Leader. Ces cartes allaient-elles arriver à destination ? J’avais un doute. J’attends toujours celle qu’on m’avait envoyée un an et demi plus tôt…
Le lendemain matin, nous avions en théorie une vingtaine de minutes entre l’ouverture de la librairie et le départ. Il fallait donc faire vite pour acheter : un extrait des œuvres choisies de Kim Jong Il, un gros livre sur l’histoire de la Corée du Nord depuis sa fondation à nos jours, et un VCD sur le spectacle géant annuel « Arirang » qui a lieu dans le gigantesque Stade du Premier Mai, et qui rassemble 100.000 participants (plus les spectateurs bien sûr). N’ayant pas vu le spectacle, il fallait au moins que je me procure le film ! Je voulais aussi m’acheter encore toutes les petites bricoles que je pouvais trouver : une véritable boulimie !
Hélas, mille fois hélas, la librairie n’ouvrit pas. « C’est lundi » ai-je failli dire, mais je n’ai pas osé. On avait déjà dit assez de conneries comme ça la veille. En attendant, Monsieur Li nous présenta le chef de l’agence de voyages coréenne qui était de passage à l’hôtel. Un coréen parfaitement francophone ! J’avoue avoir été impressionné par son niveau de français, auquel je n’ai pu répondre que par mon malheureux et désormais fameux « A bas l’impérialisme américain » qui l’amusa beaucoup. Au moment de se dire au revoir, il me donna sa carte de visite sur laquelle figurait… une adresse e-mail !!! Ciel ! Un nord-coréen avec un e-mail, voilà qui est vraiment hors du commun dans un pays où internet est strictement interdit. L’adresse était en silibank.com. Lorsque je demandais ce qu’était cette mystérieuse institution, l’inénarrable Monsieur Li répondit en riant que c’était une banque stupide (silly bank). Je n’en sus pas davantage, mais on m’a tout de même fait comprendre que cette adresse était partagée par tous les services touristiques nord-coréens. Une adresse pour tout le monde. Pour tout le pays peut-être même, ai-je imaginé. Mais je me suis rappelé que le Cher Leader Kim Jong Il, passionné d’internet, en avait une lui aussi, et qu’il avait même demandé à une Madeleine Allbright stupéfaite d’échanger leurs mails.
Preuve qu’ils nous avaient pardonné l’affront de la veille, Messieurs Kim et Li suggérèrent d’aller dans l’autre hôtel de la ville pour pouvoir effectuer nos emplettes, puisque la librairie de notre hôtel ne voulait décidément pas ouvrir. Le temps était réellement compté et nous avons eu droit à environ cinq-dix minutes dans la librairie de l’hôtel pour chinois. Tout y était sauf hélas le VCD que je voulais tant acheter. Cette fois, je devais me faire une raison.
Il était tout juste temps de nous rendre à la gare ferroviaire toute proche où nous attendait le train pour Pékin. Le quai était noir de monde, digne d’une gare chinoise et à ma grande surprise, nous n’avons quasiment pas été contrôlés avant de monter dans le train. La présence militaire n’était pas non plus à la hauteur de ce que j’imaginais, même si bien entendu les uniformes étaient légions.
Ce fut le moment de faire nos adieux à Messieurs Kim et Li – et de leur donner leur pourboire. Permettez de moi de faire un retour en arrière sur un épisode du dîner que j’ai oublié de mentionner plus haut. Nous discutions ce soir-là aussi de l’échelle des salaires coréens et de la comparaison de ceux-ci avec le prix d’un repas au restaurant. Comme il était évident qu’aucun coréen ne pouvait se permettre une telle folie, l’un d’entre nous osa dire à Monsieur Kim qu’en tant que guide, il était en fait dans une situation extrêmement privilégiée par rapport à ses compatiotes. Cette réflexion lui déplut au plus au point et il ne répondit qu’en grimaçant « si vous le dites… »
Je ferme cette parenthèse pour en revenir aux pourboires, qui sans être exorbitants, multiplient par dix ou quinze le revenu des guides, et en font donc probablement des hommes très riches. Oui, Messieurs Kim et Li sont bel et bien des privilégiés, même si leur souligner cette évidence porte un coup très dur à leurs "inébranlables" convictions communistes.
Naturellement, nous avons invité Messieurs Kim et Li à venir nous voir à Pékin et Shanghai si jamais ils avaient l’occasion d’y passer. Après tout, cela n’est pas totalement impossible, puisque les nord-coréens se rendant en Chine ne sont pas si rares que ça. J’avoue que ce n’est pas sans un plaisir malsain que je me verrais bien guider à mon tour Monsieur Kim dans les rues luxueuses de Shanghai, ville où l’abondance et la débauche de consommation n’ont que peu d’égales dans le monde. Nous avons dit au revoir à Pyongyang, mais pas encore à la Corée du Nord. Contrairement à ce que je craignais, l’aventure allait se poursuivre dans le train…
(à suivre)
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Re: Voyage en Corée du Nord
24 Dans le train
Une chance pour ce trajet de 24 heures, c’est en wagon couchettes molles que nous allions voyager. Les trains nord-coréens ressemblent aux chinois, avec ses « classes » couchettes molles, couchettes dures et sièges. Les couchettes molles sont réparties dans des compartiments de quatre lits. Toutefois, le train coréen donnait une impression d’exiguïté bien plus prononcée que ses homologues chinois. Il faut dire que nous n’étions pas seuls dans ce wagon. Outre le petit groupe d’européens que nous formions, nous avons également retrouvé un voyageur irlandais qui avait fait seul la même chose que nous durant ces quelques jours. Ceci dit, bien que « seul », il était en fait accompagné de deux guides et d'un chauffeur. C’est bel et bien la règle. Il y avait aussi avec nous un groupe de chinois : pas des touristes cette fois, mais apparemment des hommes d’affaires qui voyageaient avec une quantité impressionnante de gros sacs pleins à craquer de ce qu’on allait nous présenter plus tard comme des vêtements. Quelques coréens enfin, tous badgés bien sûr, les compartiments jouxtant le mien étant d’ailleurs occupés par l’équipe nationale nord-coréenne de kung-fu qui partait à Pékin pour une compétition internationale.
Au moment du départ, les chinois étaient toujours en train d’encombrer les couloirs avec leurs sacs et il était difficile de se frayer un passage. Une fois arrivé à hauteur de mon compartiment, je regardais par la fenêtre et tombais nez à nez avec une militaire d’une bonne quarantaine d’années, dont les traits du visage n’exprimaient pas vraiment la joie de vivre ni la bonne humeur. Comment donc allais-je réagir face à cette rencontre imprévue… par fenêtre interposée ? Elle était là, immobile sur le quai, attendant sans doute le départ du train pour retourner à des occupations plus gratifiantes. Il fallait donc que je la distraie en attendant. J’ai alors commencé à la fixer droit dans les yeux, en prenant les mêmes traits figés et grimaçants qu’elle. Son visage s’est alors d’autant plus crispé et sa grimace s’est accentuée : elle avait remarqué mon manège. Qu’à cela ne tienne, une petite voix me disait de continuer ce cirque. Mon attitude ne produisant aucun effet significatif, je lui ai alors fait quelques sourires discrets, ce qui apparemment ne lui a pas du tout plu : la tension commençait à monter, c’était perceptible. Mais à mesure que je souriais de plus en plus, elle finit soudain, ô miracle, à sourire elle aussi. Victoire ! Mais son sourire fut de très courte durée et sa discipline reprit rapidement le dessus, son sourire laissant alors la place à la même grimace que juste avant.
Le train démarra alors et nous vimes défiler les uns après les autres les monuments de Pyongyang avant d’atteindre rapidement la campagne. Toujours la même campagne colorée, avec ses armées de paysans. Le train était d’une lenteur exaspérante : la pénurie d’électricité l’obligeait à de nombreux arrêts en rase campagne et nous avons pris deux ou trois heures de retard sur notre itinéraire. Dans les petites gares que nous traversions, les sempiternels portraits du Respecté Président Kim Il Sung rivalisaient toujours avec les slogans « Kim Jong Il est le soleil du 21ème siècle » pour attirer notre attention. Des convois de tanks ainsi que des trains à vapeur donnaient une touche assez exotique à ces petites gares, dont nous aurions d’ailleurs bien volontiers examiné les alentours si nous en avions eu le droit : ce n’est pas le temps qui manquait ! La bonne nouvelle, c’est que Messieurs Kim et Li n’étaient plus là pour nous interdire de prendre des photos, et que personne ne les remplaçait.
C’est d’abord avec les chinois que j’engageais la conversation. Ceux-ci fumant comme des pompiers, le wagon était presque irrespirable et je n’ai pas pu m’empêcher de crier sur un ton accusateur « tai kepa !! » (effroyable !) Le chef des chinois, un type d’environ cinquante ans et le parfait archétype du businessman de province, en profita alors pour discuter avec moi. C’était en fait un brave type, ce genre de gars avec qui on devient pote au bout de deux minutes de conversation, et qui ne peut plus s’arrêter de parler. Il vit à Dandong (la ville chinoise à la frontière coréenne) et se rend en Corée du Nord pour affaires trois ou quatre fois par an. Il fait du commerce de vêtements de sport (d’où les sacs) entre une usine sud-coréenne de Pyongyang (il faut croire que ça existe) et… l’Europe occidentale. D’après lui, ses vêtements de sport se vendent particulièrement bien en Allemagne, et il m’a d’ailleurs dit que tous ses produits étaient vendus en Europe avec l’étiquette Made in DPRK. J’ai un peu de mal à le croire, mais je n’ai pas alors cherché à creuser plus loin. Il m’a expliqué choisir de s’approvisionner en Corée du Nord, non pour des questions de coûts, équivalents aux coûts chinois, mais pour des questions de qualité, les ouvriers nord-coréens travaillant selon lui mieux que les chinois.
Après les chinois, c’est vers les sportifs nord-coréens que je suis allé. L’un d’entre eux bredouillait quelques mots d’anglais et avait l’air très demandeur de contact avec les occidentaux. Nous allions pouvoir enfin parler avec un nord-coréen sans la présence de Messieurs les censeurs Kim et Li. L’équipe était bien entendu chapeautée par le Vice-Président de la Fédération de kung fu, mais l’homme était totalement ivre mort dès le début du voyage, et il n’a pas fallu moins de deux sportifs pour le trainer péniblement jusqu’à son compartiment où il s’est effondré, non sans avoir auparavant proféré quelques jurons en anglais à notre encontre. Le sportif avec qui nous parlions s’appelait … Kim, comme la plupart de ses compatriotes. Kim Pyongham pour être exact. Agé de trente ans, c’était apparemment le doyen de l’équipe, et malgré les grosses difficultés de language qui empêchaient toute conversation élaborée, il nous a donné l’impression d’être un chic type. Il venait d’ailleurs d’être papa, et nous racontait avec beaucoup d’émotion comment il aimait se lever la nuit pour tenir son bébé dans ses bras quand il gémissait. Je n’ai pas pu alors m’empêcher de penser à cette chanson des années 80 « Russians » où je ne sais plus quel artiste américain (Sting?) chantait que les russes aussi aimaient leurs enfants. Mais tout à coup, profitant d’un blanc dans la conversation, notre nouvel ami ne put s’empêcher de nous faire une déclaration : « je suis convaincu que mon pays sera bientôt réunifié. Nous avons une armée puissante et nous écraserons les américains. » Silence gêné dans le compartiment après ces propos qui tranchaient avec le personnage que nous avions cru cerner. Puis la conversation reprit rapidement un tour plus normal. Chassez le naturel et il revient au galop. Mais où était le naturel cette fois ?
A midi et quart, mon estomac m’indiqua qu’il était déjà l’heure de déjeuner, et un autre nord-coréen du wagon, sinopohone celui-là, m’indiqua où se trouvait le wagon-restaurant. Il se proposa même de m’accompagner, ce que je n’ai pas refusé, un interprète coréen-chinois pouvant se révéler fort utile. Les wagons que nous avons alors traversés étaient beaucoup moins avenants que le notre. Outre les sempiternels portraits de papa leader et de son fiston, c’est la crasse et la fumée qui m’ont frappé. Mais nous sommes arrivés sains et saufs dans le wagon-restaurant… où il me fut dit qu’il ne restait déjà plus rien. Tout était vendu, il aurait fallu venir plus tôt ! Très très mauvaise nouvelle pour le grand mangeur que je suis, et qui déteste sauter des repas. Il m’a donc fallu retourner dans mon wagon et annoncer la triste nouvelle à mes compagnons de voyage et d’infortune. Les chinois et les coréens, plus prévoyants, avaient tous en fait pris des provions avec eux, et le wagon était alors empli d’odeurs de nourriture. Mais nous, les européens, n’avions pas fait de même car non seulement nous ne savions pas à quoi nous attendre, mais de toute manière nous n’avions pas eu une seule occasion de nous approvisionner en nourriture. Il faudrait donc tenir jusqu’à la Chine que nous devions atteindre en début de soirée. Voyant nos mines désespérées, les sportifs nous proposèrent spontanément de partager leur repas, ce que nous avons eu beaucoup de mal à accepter. Non qu’il soit honteux de recevoir l’aumône de nord-coréens, mais parce que nous ne voulions surtout pas leur enlever le pain de la bouche. Mais à force d’insister, ils ont fini par nous faire avaler quelques sushis et des pommes. « Les pommes coréennes sont bien meilleures que les chinoises » nous affirma notre ami Kim, à qui nous n’avons pas osé répondre que les fruits chinois étaient en tout cas certainement plus nombreux que les coréens. De toute façon ajouta-t-il, il fallait que tous ces sportifs perdent du poids afin de se battre dans la catégorie qui leur soit la plus favorable. Le nombre de kilos qu’ils devaient perdre en quelques jours était vertigineux !
Kim était déjà sorti une fois de Corée du Nord. Pour aller à Khabarovsk, en Sibérie russe, qui est à mon humble avis une ville au moins aussi lugubre et sinistre que Pyongyang, les monuments en moins. Ceci dit je ne suis jamais allé à Khabarovsk et me trompe peut-être. Kim se doutait-il que Khabarovsk était la ville natale de son Cher Leader Kim Jong Il, dont la propagande mensongère affirme qu’il est né dans les montagnes frontalières sino-coréennes ? La propagande ne pourrait bien entendu pas laisser imaginer que le Respecté Président Kim Il Sung ait deserté la Corée occupée par les japonais pour aller se réfugier en Sibérie. Ce serait une hérésie !
En revanche, un autre sportif, parlant beaucoup mieux anglais, avait eu l’occasion de visiter beaucoup plus de pays, mais bizarrement notre contact ne semblait pas l’intéresser. Nous allions donc continuer la conversation avec Kim, qui n’avait pas l’air particulièrement excité à l’idée de découvrir de nouvelles contrées. Se doutait-il de ce qui l’attendait à Pékin, ville aujourd’hui presque aussi débridée que la fastueuse Shanghai ? De toute manière, nous confia-t-il, il n’aurait pas le temps de visiter la ville, puisque son bref séjour devait être consacré à l’entrainement et à la compétition. Décidément, tout semblait être fait pour que ces éminents représentants de la Corée du Nord en voient le moins possible sur l’extérieur.
(à suivre)
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Re: Voyage en Corée du Nord
25 Le passage
Après d’interminables pauses en rase campagne, le train a fini par arriver à la gare de Sinuiju, la ville faisant frontière avec la Chine, en face de Dandong, de l’autre côté de la rivière Yalu. L’instant tant redouté était donc enfin arrivé. Ce qui me faisait peur n’était pas bien entendu le terrible désespoir qui devait m’envahir à l’idée de quitter peut-être pour toujours le Paradis des Travailleurs. Non, ce qui m’inquiétait vraiment, c’était les contrôles réputés terriblement stricts et tatillons qui attendaient tous les voyageurs avant le passage de la frontière.
Ma plus grande crainte était de voir mes précieux achats saisis en raison de l’absence de facture. L’excitation sans borne qui me faisait perdre la tête lors de l’acquisition de chaque article a fait que je n’ai pas toujours eu la présence d’esprit de demander ces précieux bouts de papier, sans lesquels on n’a en principe pas le droit de sortir les articles du pays. Le matin, en catastrophe, j’avais demandé à Monsieur Li de me faire établir des fausses factures dans la librairie où j’allais faire mes dernières acquisitions. L’ironie du sort a en effet voulu que dans ce pays si délirant politiquement parlant, où chaque mot, chaque geste peut constituer le pire des crimes, mon seul délit ait été de faire usage de fausses factures.
En gare de Sinuiju, la police nord-coréenne nous a distribué des papiers, que nous devions selon les instructions que l’on nous avait communiquées avant le départ, remplir le plus honnêtement possible. Il fallait déclarer absolument tout ce que nous avions, objets comme argent. Dans ce genre de situation, ma réaction naturelle consiste à faire un excès de zèle, et à réellement TOUT déclarer. J’ai donc absolument tout rempli : mes livres, mon camescope, mes slips, mes chaussettes, mon tube de dentifrice, etc. Quant à mon argent, j’ai donné au centime près l’état de mes finances en euros et en yuans. J’ai toutefois volontairement omis de déclarer mes quelques billets nord-coréens, au cas où leur exportation serait interdite.
Quelques instants plus tard, la police est venue ramasser nos copies, ainsi que les passeports et visas. Une demi-heure plus tard, un autre policier est venu procéder à l’inspection. A mon grand soulagement, celle-ci fut extrêmement succinte et se limita à un rapide coup d’œil à l’intérieur de nos sacs. Finalement, la douane ferroviaire ne fut pas à la hauteur de sa réputation ! Il faut dire que nos douaniers avaient beaucoup mieux à faire que de trier les slips des touristes : ils avaient une cargaison entière de businessmen chinois à vérifier. Et là, il y avait de quoi s’en donner à cœur joie ! Tandis que je m’apprêtais à descendre sur le quai pour me dégourdir les jambes, je vis que mon « ami » chinois du matin avait des diffcultés. Non seulement il avait déclaré des dollars américains, ce qui n’est pas censé circuler en DPRK, mais en plus, dans la case « montant », il avait simplement écrit « indénombrable ». Et ça, le douanier coréen n’a pas manqué de le remarquer et de lui en tenir rigueur. Mais notre homme était un vieux de la vieille, il est apparemment arrivé à convaincre le douanier qu’il ne recommencerait pas. Qu’à cela ne tienne, il restait les sacs de vêtements pour le coincer.
Le quai de la gare de Siniuju ne présentait bien entendu pas le moindre intérêt, sinon les quelques figures de kung fu qu’exécutaient nos amis qui ne perdaient jamais la moindre occasion de s’entraîner. Leur entraîneur qui avait entre temps en partie désaoûlé avait réussi à se trainer hors du train et même à faire quelques pas. Mais il eut tôt fait de regagner l’intérieur du wagon. La plupart des wagons avaient été détachés du train, seuls quatre ou cinq devant poursuivre leur voyage vers la Chine. Tout d’un coup, en regardant par la vitre, j’aperçus notre ami irlandais discutant avec le douanier : il était apparemment en difficulté et il fallait intervenir, car il ne parlait pas chinois et ne pouvait donc pas s’expliquer avec les autorités coréennes, qui pour les besoins de la cause devaient maîtriser cette langue à défaut de l’anglais. Lorsque j’entrai dans son compartiment, il me demanda d’expliquer au douanier que la collection de billets de tous les pays asiatiques qu’il trainait avec lui venait du fait qu’il faisait un tour de ce continent et aimer conserver un billet de chaque pays. Le douanier comprit mes explications, mais ne les accepta pas. Se déplacer avec de la monnaie d’autant de pays, ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas commun non plus. Et les autorités coréennes n’aiment pas du tout ce qui sort du commun, même si c’est le fait d’étrangers. Après de longs palabres, le douanier finit toutefois par le laisser tranquille sans rien saisir.
Plus tard, il me raconta que lui et la française s’étaient vus demander ce qu’ils avaient aimé en Corée du Nord. La française - qui ne pouvait réellement pas supporter toute cette propagande - ne sut que répondre, et finit par avouer que les montagnes lui avaient plu. Cette réponse ne plut pas au douanier, qui attendait apparemment quelque chose de plus révolutionnaire. Sentant son impatience monter, l’irlandais finit par dire, par interprète interposé, qu’il avait été très impressionné par les monuments. Cette réponse le contenta et il repartit pour de bon.
Pendant ce temps, le hollandais nous raconta en riant comment la douanière, qui n’était plus toute jeune, lui avait mis la main aux fesses en le poussant dans le wagon. Comme les autres, l’anecdote m’a bien entendu beaucoup amusé, mais j’ignorais à ce moment-là que le même sort m’attendait quelques minutes plus tard. Elle aussi m’a mis la main… dans le bas du dos pour me pousser. Et je ne peux pas vous cacher que j’aurais largement préféré que ce fût Mademoiselle Kim du restaurant, où l’une des charmantes policières qui réglaient la circulation, qui fit ce geste, l’idée de me faire tripoter les fesses par une douanière nord-coréenne en pré-retraite n’étant guère du genre à réveiller ma libido.
Alors que le train redémarrait, après que l’on nous ait rendu les passeports sans les visas, le chinois me confia qu’il avait dû laisser de côté une bonne partie de sa marchandise, qui suivrait quelques jours plus tard. Je ne veux même pas savoir ce qui a pu se négocier entre lui et les autorités…
Il faisait déjà nuit lorsqu’après environ deux heures et demi d’arrêt, le train traversa le pont qui séparait les deux pays. Tandis que d’un côté on pouvait admirer l’ancien pont, à moitié détruit par un bombardement américain pendant la guerre de Corée, c’est en fait de l’autre côté que se situait le véritable spectacle. Au milieu du fleuve, on avait une vue imprenable sur la Corée du Nord et la Chine : deux villes, deux pays, si différents l’un de l’autre. Alors que seules quelques timides lumières émergeaient de la sinistre Sinuiju, l’autre côté du fleuve était illuminé par des néons et des publicités géantes, sans oublier bien sûr l’éclairage public et le trafic automobile de Dandong, ville pourtant considérée comme pauvre et peu développée selon les standards chinois. Mais jamais des lumières ne nous avaient paru aussi belles. Jamais des publicités pour du matériel électroménager ou des sites internet ne nous avaient semblé tellement porteuses d’espoir. Après cinq jours dans l’obscurité, les premiers phares de voiture, les premiers dot com, les premiers néons nous firent réellement quelque chose au cœur. Je ne peux imaginer ce que pouvait ressentir un coréen voyant ces merveilles pour la première fois, après avoir passé toute sa vie dans ce que je peux maintenant appeler sans hésiter un autre monde. Mais nos amis sportifs étaient totalement impassibles et ne semblaient guère intéressés par ce qui se passait de l’autre côté de la fenêtre.
Mais nous avions encore, nous les européens, au moins deux autres motifs de satisfaction. De retour dans le monde libre, nous allions enfin pouvoir dire à voix haute ce que nous n’avions pas le droit de dire jusque là, sans craindre les reproches et crispations de nos anges gardiens. Mais surtout, nous allions enfin pouvoir manger à notre faim. La nourriture coréenne c’est bon, mais les portions qui nous étaient servies ne pouvaient pas satisfaire mon appétit. Et cette journée de quasi-jeûne m’avait mis dans un état second.
(à suivre)
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Re: Voyage en Corée du Nord
26 Retour dans le Monde Libre
Il ne fallut que moins de dix minutes pour aller de la gare de Sinuiju à celle de Dandong. Deux heures d’arrêt étaient prévues, mais en raison du retard accumulé en DPRK, nous allions passer beaucoup moins de temps à Dandong. Inutile donc de penser sortir du train pour aller faire un tour en ville, et essayer d’acheter les pin’s Kim Il Sung de contrefaçon, dont l’existence nous avait été révélée en Chine. Monsieur Li nous avait assuré que cela était rigoureusement impossible car un tel sacrilège entrainerait de très graves conséquences diplomatiques entre la Chine et la Corée du Nord. Il ignorait réellement tout des réalités du marché chinois. Tout y est copié, et lorsqu’un nouveau produit apparait sur le marché, ou est demandé par ce dernier, il est immédiatement fabriqué puis vendu. Les petits malins qui aiment fabriquer ce genre de gadgets par milliers ou millions se moquent d’ailleurs éperdument des improbables incidents diplomatiques qui pourraient résulter de leurs fantaisies.
Vu le temps qui nous était donc imparti, seule une chose nous intéressait à Dandong : la nourriture. Nous étions réellement affamés, il fallait manger quelque chose. Mais le contrôle des passeports s’éternisa à bord du train. Les policiers chinois de l’immigration étaient certes très sympathiques et souriants, mais ils n’en étaient pas moins inefficaces, et nous ne pouvions que faire les cent pas dans l’étroit couloir du train en essayant de repérer par la fenêtre les éventuels vendeurs de nouilles et de fruits qui arpentent en général les gares chinoises. Après les visages grimaçants en uniforme que nous avions croisées en Corée du Nord, les policiers chinois faisaient figure de joyeux déconneurs et je crois m’être laissé aller à quelques familiarités à leur endroit, alors qu’ils ne voulaient qu’une chose, en finir avec la besogne ingrate du contrôle des passeports.
Et soudain, au bout de trois quarts d’heure, l’heureux événement se produit. On nous rendit nos passeports tamponnés. Nous avions donc le droit de descendre du train et de fouler la terre de Chine. Un quart d’heure nous était alloué pour faire le plein de nourriture. C'est en ces termes que j’ai chaleureusement remercié le policier qui me remit le précieux document: « oh merci, merci infiniment. Nous allons enfin pouvoir manger. Vous savez, là-bas, il n’y a rien à manger, c’est vraiment terrible. » Le policier éclata de rire, de même que tous les chinois des environs. Aucune réaction bien entendu des coréens qui de toute façon étaient trop loin pour entendre et ne parlaient pas chinois. Il m’a été dit que les occidentaux revenant de Pyongyang en avion se laissent également aller à ce genre d’effusions lorsqu’ils passent l’immigration à Pékin, et les policiers chinois approuvent souvent « oui je sais, ce sont des fous là-bas. Des fous furieux. » avec un clin d’œil complice.
Mais j’avais assez parlé comme ça. Il fallait piquer un sprint en direction de l’unique échoppe qui vendait un peu de nourriture sur le quai. Curieusement, les vendeurs ambulants étaient totalement absents. Etant le plus rapide, je suis arrivé le premier devant la vendeuse, une dame d’une cinquantaine d’années à l’accent impossible et qui me regardait avec des yeux tout ronds tandis que je dévalisais ses maigres réserves. Après avoir pu mettre de côté des cacahuètes, des nouilles instantanées, boissons, biscuits et autres friandises, les autres européens arrivèrent à leur tour, de même que quelques chinois. Cette nourriture extrêmement bas de gamme que nous prenons en général soin d’éviter était un véritable eldorado pour nous. Nous aurions dévoré n’importe quoi. Mais tandis que nous nous adonnions à cette frénésie d’achats, un nord-coréen entra à son tour discrètement dans l’échoppe. Il n’acheta rien et se contenta de nous regarder avec des yeux tout ronds, bouche béée. Si c’était effectivement la première fois qu’il quittait son pays, le spectacle de clients agitant des billets de banque pour acheter des fruits et des biscuits devait être tout à fait exceptionnel pour lui. Mais n’ayant pas les précieux indispensables yuans chinois, il ne put malheureusement rien acheter.
De retour dans le train, nous avons commencé à dévorer nos emplettes, non sans avoir bien entendu proposé de les partager avec nos amis sportifs. Ceux-ci déclinèrent poliment l’invitation, car ils avaient prévu tout ce qu’il fallait. Une fois rassasié, j’ai proposé à Kim d’écouter un peu de musique. Il comprit très rapidement comment faire fonctionner les menus déroulants du lecteur MP3 et me demanda si je n’avais pas de musique occidentale. Comme ce n’était bien entendu pas le cas, son choix se porta sur une chanteuse chinoise qui était d’ailleurs arrivée par accident dans mes répertoires, car son style très occidental me déplait beaucoup. Mais c’est sur elle que Kim jeta son dévolu. A tel point qu’il me demanda de lui prêter pour toute la nuit. Je n’ai pas compris ce qu’il expliqua à ses collègues, mais mon petit gadget avait vraiment l’air de beaucoup lui plaire et il voulut le présenter à tout le monde.
N’ayant décidemment rien à faire avant d’aller dormir, je faisais mes cent pas dans le couloir. Monsieur le Vice-Président de la Fédération de Kung-Fu de Corée du Nord s’était entre temps à nouveau bourré la gueule et était retourné s’effondrer dans son compartiment. Il avait laissé la porte entrouverte, et il nous était possible de le voir à plat ventre en train de se faire masser par les membres féminines de l’équipe. Un peu plus tard, un jeune homme, le benjamin, se joignit à cette équipe de massage avant que la porte ne soit brusquement refermée, lorsqu’il s’aperçut que nous l’espionnions. Le communisme dans toute sa splendeur…
Peu de temps après avoir passé la frontière, il était temps de dresser un bilan du voyage. L’espagnol nous avoua qu’il n’était pas l’employé de bureau qu’il nous avait annoncé être, mais qu’il était en fait journaliste pour l’agence espagnole de presse, en mission en Corée du Nord. Les journalistes n’ayant pas le droit d’entrer sur le territoire de la DPRK, il dut donc user de ce stratagème pour se mêler à nous. Sans doute avait-il peur que l’un d’entre nous ne soit un agent double pro-coréen, et ce n’est donc qu’une fois hors de Corée du Nord qu’il nous avoua sa félonie.
Nous avons ensuite interrogé notre « ancien », le hollandais qui avait connu l’Europe de l’Est des années 60, et notamment la Bulgarie et la Roumanie qui à l’époque n’étaient pas les plus joyeux des pays. D’après lui, la Corée du Nord actuelle ressemble beaucoup à ce qu’était l’Europe de l’Est à cette époque. Même degré de propagande et mêmes visages sinistres dans la population. Toutefois, les gigantesques monuments de Pyongyang étaient bel et bien uniques et sans équivalent dans l’Europe de l’Est. Ni d’ailleurs en Chine. Mais s’il fallait comparer la DPRK à quelque chose, ce serait certainement à cette partie la plus pauvre de l’Europe stalinienne, plutôt qu’à la Chine maoiste.
Après une nuit de sommeil plutôt confortable, et après avoir traversé la Mandchourie, c’est dans les faubourgs de Tianjin (grande métropole voisine de Pékin) que je me suis réveillé. Au petit matin, après une toilette que l’état des pièces d’eau ne pouvait rendre que rapide, il était temps de ranger mes affaires, après avoir fauché un magasine gratuit nord-coréen qui trainait dans un coin. Mon dernier souvenir du pays. Kim me rendit mon lecteur MP3 et me proposa de venir le voir à son gymnase la prochaine fois que je passerais à Pyongyang. Savait-il que les visiteurs étrangers n’ont pas le droit d’avoir des amis en Corée et de leur rendre visite ? Il avait décidemment beaucoup d’illusions sur son pays.
Tandis que le train entrait dans Pékin et que le spectacle d’une grande métropole riche et moderne s’offrait à nous, je ne quittais pas Kim du regard. Allait-il enfin regarder par la fenêtre, allait-il s’émerveiller de ce qu’il lui suffisait de tourner la tête pour voir ? Des gratte-ciels de verre, des autoroutes urbaines, des centres commerciaux, des publicités géantes, de belles voitures, des gens habillés à la dernière mode. Tout cela représente pour certains une vision plutôt négative de ce qu’est la modernité, mais lorsque l’on voit cela pour la première fois, j’imagine qu’on doit être plutôt impressionné. Le syndrôme « un indien dans la ville » transposé en Asie du Nord-Est. Mais Kim ne tourna pas la tête et ne vit donc pas tout cela. Il allait garder ses œillères jusqu’au bout.
Une fois en gare de Pékin, il était temps de faire nos adieux aux sportifs, le temps tout de même de poser en photo avec eux. Monsieur le Vice-Président de la Ligue des Alcooliques Communistes de Pyongyang, qui avait à nouveau plus ou moins dessaoulé, refusa toutefois de poser sur la photo, même s’il consentit à me serrer la main lorsque j’ai souhaité bonne chance à son équipe. J’aurais beaucoup aimé aller assister à cette compétition d’arts martiaux, mais elle devait avoir lieu quelques jours plus tard, et je devais être le lendemain matin à Shanghai pour retourner au travail.
Après avoir ensuite dit au revoir aux européens, je suis allé retrouver l’organisateur anglais dans son bureau, pour récupérer mon téléphone portable que je lui avais laissé, en raison de l’interdiction d’en amener en DPRK. Puis j’ai mis le cap vers la Place Tian’anmen en compagnie de l’autre française du groupe. Puisqu’il ne nous avait pas été possible de voir le corps du Soleil de l’Humanité Coréen, je voulais me consoler en voyant au moins le Soleil de l’Humanité Chinois, le Président Mao. Malheureusement il était en réparation à ce moment-là, et je ne pus donc pas lui rendre hommage.
La Place Tian’anmen était noire de monde en cette fin de congés de fête nationale. Les gens parlaient, souriaient, riaient, se prenaient en photo, dépensaient leur argent, faisaient du bruit, mangeaient, grignotaient, crachaient. En d’autres termes, ils étaient heureux. Les plus anciens avaient connu les années sombres. Ils avaient connu l’équivalent de ce qu’endurent encore les coréens du nord. Mais eux avaient pu y échapper par la grâce de l’Histoire. Ayant vu la veille à quoi cela ressemblait, j’ai pour la première fois compris le pourquoi cette débauche de consommation, ce grand bond en avant vers l’inconnu, ce passage trop rapide à l’ère moderne, qui fait de la Chine moderne un pays totalement désorienté et des chinois un peuple à cheval entre un passé archaïque et un futur qui ne leur ressemble pas. Tout était clair désormais. Comment leur reprocher de fuir à grandes ejambées l’horreur stalinienne ? Comment pourrait-on reprocher aux nord-coréens de tenter de rattraper à toute vitesse leur retard si jamais le régime stalinien s’écroulait ? Ce voyage en Corée du Nord s’est avéré être une formidable leçon d’histoire, et c’est d’ailleurs bien dans cette optique que j’y étais allé. Ce saut de trente ans dans le passé m’a effectivement aidé à y voir plus clair dans la Chine du Troisième millénaire.
Et cette Chine ne m’avait jamais paru aussi belle que ce jour-là. Ces milliers de familles découvrant les congés payés, tandis que leurs lointains cousins coréens se morfondent encore dans un univers quasi-concentrationnaire, cela faisait bien sûr chaud au cœur. Comme si je devais rattrapper ces quelques jours de mutisme forcé, j’adressais la parole à tout le monde et m’incrustais sur toutes les photos de famille, au grand bonheur des intéressés qui, eux, avaient le droit de parler aux étrangers.
Pour déjeuner, j’ai retrouvé un ami pékinois journaliste qui m’a emmené dans un délicieux restaurant de canard laqué. Comme s’il fallait enfoncer encore le clou des retrouvailles avec le monde moderne et opulent. Ce journaliste faisait d’ailleurs partie de ces chinois qui ont pu se rendre à Pyongyang sans visa il y a un an. Il avait toutefois lui aussi dissimulé sa qualité, même si les règles sont moins strictes pour les chinois. Il avait vu exactement les mêmes choses que moi, et dans les mêmes conditions. Tandis que nous dégustions le canard, il me demanda si les coréens m’avait parlé de l’accident qu’avait subi la femme du Respecté Leader Kim Jong Il. Celle-ci avait eu pendant mon séjour un grave accident de voiture et s’était retrouvée dans le coma. Non, je l’ignorais. Messieurs Kim et Li ne m’en avaient pas parlé. Cela aurait pourtant pu illustrer leur propos sur les méfaits de l’automobile…
(à suivre)
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Re: Voyage en Corée du Nord
27 L’aventure continue
Difficile de se réhabituer à sa vie quotidienne après cinq jours de Corée du Nord. La réacclimatation a dû en fait me prendre deux semaines, deux semaines pendant lesquelles j’avais véritablement la tête ailleurs. Et pendant quelques semaines, les événements allaient vraiment me poursuivre. La Corée du Nord me suivait partout !
Tout a commencé le lendemain de mon retour à Shanghai, pour mon premier jour de travail. En allumant mon ordinateur et en vérifiant les mails qui s’étaient accumulés pendant les vacances, j’ai découvert avec étonnement un mail de cet avocat allemand que j’avais rencontré peu de temps avant mon départ et qui m’avait promis de m’envoyer les coordonnées d'un juriste influent de Pyongyang. Il me les avait en fait envoyées, et dans les temps ! Mais par une extraordinaire malchance et un odieux caprice des nouvelles technologies, ce mail a mis deux jours entiers pour me parvenir. J’étais en fait déjà en Corée du Nord lorsqu’il est arrivé dans ma boîte aux lettres ! C’était extrêmement rageant, mais en même temps je me demande vraiment quelle aurait pu être la réaction de Messieurs Kim et Li si je leur avais demandé d’organiser un tel rendez-vous. A la réflexion, j’aurais sans doute eu extrêmement peu de chances de le rencontrer, même si j’avais eu ses coordonnées.
Le soir même, je me replongeais dans le bain nord-coréen en écoutant les CD que j’avais achetés là-bas. Quelle merveilleuse musique, quel rythme, quelle puissance ! J’ai vraiment été hypnotisé par quelques unes de ces chansons, et c’est d’ailleurs ce que je suis en train d’écouter au moment où je tape ces lignes. Tout ce que j’arrive à comprendre des paroles, c’est « mansé, mansé Kim Jong Il » (Vive, vive Kim Jong Il). C’est peu, mais j’aurais au moins appris quelque chose pendant ce séjour.
A ceux qui me demandaient comment était la Corée du Nord, j’avais deux réponses à fournir. La courte : « c’est tous des malades » et l’autre : « ah la Corée du Nord, les femmes sont belles, on y bouffe bien et ils ont vraiment le sens de la musique ». Tout dépendait de mon humeur et de mon interlocuteur. En général, la deuxième réponse surprend beaucoup !
Au bout de quelques jours, je revoyais mon ami français qui avait fait la même chose que moi un an plus tôt. Je lui ai amené mes livres de propagande pour lui montrer, et nous avons décidé d’aller déjeuner dans un restaurant coréen près du bureau. Dès que nous avons commencé à feuilleter l’album photo de Kim Jong Il, une des serveuses s’est précipitée vers nous et nous a arraché le livre. Tandis qu’elle le collait contre son cœur, elle nous suppliait de lui en faire cadeau. Cette serveuse, comme toutes ses collègues était une chinoise d’ethnie coréenne, originaire de la province frontalière avec la Corée du Nord. Mais elle était avant tout chinoise. Il fut très difficile de lui reprendre le livre, tant elle insistait pour le garder. Elle avait presque la larme à l’œil lorsqu’elle nous expliquait que « ce livre est très important pour moi. Mon sang est coréen, ça me fait quelque chose de voir ça ». Stupéfait, je lui ai alors demandé si elle trouvait beau le Cher Leader Kim Jong Il. « Oui, il est si beau et si intelligent » répondit-elle devant nos airs ahuris. Elle était déjà allée une fois en Corée du Nord, il y a dix ans, ajouta-t-elle. Et lorsque je lui ai demandé si elle préférait la Corée du Nord ou du Sud, c’est sans la moindre hésitation qu’elle répondit préférer celle du Nord. « Ils ont un leader brillant et intelligent » ajouta-t-elle. Rapidement tout le personnel du restaurant se joignit à elle : ils étaient tous contaminés par la propagande nord-coréenne… Bien entendu, j’ai profité de l’occasion pour scander tous mes slogans politiques nord-coréens, ce qu’elles ont eu l’air d’apprécier énormément. J’ai dorénavant mon petit succès à chaque fois que je passe devant ce restaurant !
Quelques jours plus tard encore, j’ai assisté à un ballet nord-coréen en représentation à Shanghai, dans mon théâtre préféré. Je n’avais pas pu assister à un tel spectacle en Corée du Nord, mais ce manque allait enfin être comblé. Hélas, ce ballet n’était pas du tout révolutionnaire. C’était certes très beau, mais uniquement traditionnel. La Révolution coréenne était quasiment absente de leur répertoire, à part une garde rouge dansant au milieu des anges lors de la scène finale (la lutte finale ?) Grand motif de déception : le spectacle était adapté à la sauce chinoise et une chanson sur deux était en fait une chanson chinoise (parfois révolutionnaire) afin de contenter le public. Mais c’était tout de même une belle expérience.
Tandis que je commençais à oublier la Corée du Nord et que j’étais au bureau, l’esprit absorbé par un casse-tête juridique, mon téléphone sonna soudain. Une étrange voix en chinois me posa une question incompréhensible. J’ai d’abord cru que c’était le partenaire chinois d’un de nos clients, dont j’avais déjà repéré le fort accent campagnard, mais ce n’était finalement pas lui. J’ai cru qu’il s’agissait d’une erreur et lui ai demandé avec insistance à qui il voulait parler. « Je voudrais parler à l’avocat De » (ça c’est mon nom chinois). Lorsque je me suis identifié, il me demanda ensuite si j’étais bien allé en Corée du Nord deux semaines plus tôt. Et là j’ai réellement été étonné et suis resté silencieux quelques secondes avant d’acquiescer. « Rappelle-toi, c’est moi, Kim, tu as posé en photo avec moi au Palais des Expositions ». Oh nom de Dieu ! C’était le sosie de Kim Jong Il à qui j’avais effectivement donné ma carte de visite, et qui était le seul coréen que j’ai rencontré maîtrisant le chinois ! Jamais je n’aurais imaginé un seul instant qu’il me contacterait un jour ! Il ajouta alors qu’il m’appelait de Chine. Bon sang, mais que se passait-il ? Avait-il fait défection ? Etait-il un nouveau réfugié coréen parmi tant d’autres ? Non, rien de tout cela, Kim me précisa qu’outre son métier de guide, il était également businessman et se rendait à Dandong environ une fois par mois pour faire de l’import-export. Malheureusement aucun voyage à Shanghai n’était prévu mais je l’ai bien entendu chaudement invité à venir me rendre visite lorsqu’il en aurait l’occasion. En retour, il m’invita aussi à le contacter lorsque je repasserais à Pyongyang, et à lui envoyer tous mes amis qui s’y rendraient. « Je pourrai les emmener au casino » ajouta-t-il. Comme quoi, on peut être communiste et avoir le business dans la peau.
J’aurais certes bien envie de maintenir le contact avec lui, par fax, mais ce ne serait sans doute pas très prudent. Il est à peu près certain qu’un coréen surpris à entretenir une correspondance avec un étranger s’exposerait à des problèmes que je peux deviner. Ne souhaitant pas le mettre dans l’embarras, je m’abstiendrai donc de le contacter. Peut-être viendra-t-il un jour à Shanghai après tout…
Tandis que je grignotais mon sandwich dans le parc pendant la pause déjeuner un peu plus tard, c’est cette fois mon téléphone portable qui sonna. Cette fois, c’était l’irlandais du train qui m’appelait ! Toujours dans le cadre de son périple asiatique, il était de passage à Shanghai, et m’appelait du lobby de ma tour en fait. Nous sommes donc allé prendre un verre ensemble. Il était resté quelques temps à Pékin après la Corée du Nord, et avait donc pu rendre visite aux sportifs coréens à leur hôtel, et lors de la compétition. Il me confirma que les sportifs n’avaient rien visité de la ville et n’avaient pas eu l’occasion de découvrir cet autre monde. Ils ont obtenu la médaille de bronze, derrière la Chine et le Vietnam, et ce résultat eut l’air de beaucoup les décevoir. J’espère qu’ils ne finiront pas en camp de concentration comme cette équipe de football coréenne qui avait laissé passer un but italien lors d’un Mondial des années 60.
Mes cartes postales arrivèrent dans des délais raisonnables tant en France qu’en Chine. Les caramels achetés en DPRK se révélèrent tout juste mangeables, et mes livres impressionnèrent tout le monde.
Je ne pourrais pas dire que je suis nostalgique de ce pays, mais ayant un goût très prononcé pour la bizarrerie et les anachronismes, je ne peux pas cacher que le souvenir de ce pays est encore très présent en moi. Par provocation, il m’est même arrivé de me rendre à des soirées en arborant un pin’s aux couleurs nord-coréennes, ce que d’ailleurs très peu de gens arrivaient à identifier.
Comment de toute façon transmettre l’expérience relatée dans ces 27 épisodes sans la faire lire dans son intégralité ? C’est ce que j’ai essayé de faire, avec un style souvent maladroit, en pêchant fréquemment par la longueur, en donnant une foule de détails sans intérêt, et en omettant d’autres anecdotes qui m’avaient échappé à un moment donné. Je pense toutefois avoir été relativement exhaustif, tant en ce qui concerne ce que j’ai pu voir que ce que j’ai pu ressentir.
Ceux qui ont eu le courage de tout lire, ainsi que les autres sont les bienvenus pour me poser toutes les questions qui leur passeraient par la tête. Et pour les accros, il y a plus de 300 photos sur mon site, elles aussi le plus exhaustives possible.
Voilà, cette fois c’est fini.
Satanas- Dictateur en Chef... A vie
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- Message n°28
Re: Voyage en Corée du Nord
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