source : http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/decryptage/20120814.OBS9604/soudan-des-projets-de-barrages-sur-le-nil-menacent-des-sites-archeologiques.htmlEn mai 2012, une importante réunion consacrée à cette menace s’est tenue à Londres, au British Museum: les archéologues ont demandé aux autorités soudanaises de clarifier leurs projets en matière de barrages.
Questions à Claude RILLY, Directeur de la Section française de la Direction des Antiquités du Soudan (SFDAS), à Khartoum.
Pourquoi était-il si urgent d’aborder ces questions?
Claude Rilly: Parce qu’au Soudan, d’importants sites archéologiques sont menacés de disparaitre. Lors de la réunion de Londres, après plusieurs années de rumeurs et de non-dits, les autorités soudanaises ont finalement clarifié leurs projets en matière de barrages sur le Nil. A Khartoum, en avril 2012, une exposition intitulée « Barrages sur le fleuve des civilisations », avait déjà officiellement dévoilés ces projets de barrages sur le Nil et ses affluents.
Quels sont précisément ces projets ?
Le rehaussement du barrage de Roseires sur le Nil Bleu et la construction du large ouvrage qui reliera le Haut-Atbara et son affluent, la Setait (voir carte). Ce dernier risque de noyer les vestiges d’une civilisation très peu connue, « la culture du Gash », sans doute un lointain rejeton des groupes présents en Nubie au IIIe millénaire et peut-être un territoire rattaché au fameux Royaume de Pount d’où les Égyptiens faisaient venir leur encens. Les travaux ont déjà commencé.
Suivront les trois barrages successifs de Shereik, Dagash et Mograt, sur la 5e cataracte, une région également fort peu explorée sur le plan archéologique, mais qui recèle sans doute des vestiges méroïtiques et chrétiens.
Quels sont les projets les plus controversés ?
Le barrage de Sabaloka, sur la sixième cataracte ferait disparaître un des rares paradis du Nord-Soudan, une zone verte à la flore et la faune luxuriante, enclavée dans des montagnes arides au milieu d’un désert de blocs erratiques. Le barrage de Kajbar, sur la 3e cataracte, effacerait non seulement le paysage magnifique des rapides du Nil en Moyenne Nubie, mais il engloutirait des sites importants comme le Wadi Sabo, un oued asséché dont les rives escarpées abritent la plus belle collection de gravures rupestres du Soudan.
Enfin, le barrage de Dal, entre la 2e et la 3e cataracte, s’il venait à se réaliser, détruirait les principaux sites pharaoniques de Nubie soudanaise : Amara et sa colonie égyptienne de la XIXe dynastie, l’île de Saï et ses vestiges étagés du paléolithique à l’époque ottomane disparaîtraient complètement sous les eaux tandis que les temples d’Aménophis III et de la reine Tiyi à Soleb et à Sedeinga seraient gravement touchés et devraient peut-être être déplacés malgré leur fragilité.
Quels risques encourent les populations locales ?
Aux destructions infligées au patrimoine archéologique s’ajouteraient le terrible coût humain de populations déracinées, réimplantées forcément loin du Nil où la densité est déjà maximale. Les plus touchés seraient les Rubatab, sur la 5e cataracte et surtout les Nubiens du Mahas et du Sukkot, en aval de la troisième cataracte. Ils ont en mémoire la tragédie de leurs cousins nubiens, tant Soudanais qu’Égyptiens, en amont de la première cataracte, dont l’habitat millénaire a été rayé de la carte lors de l’érection du barrage d’Assouan. Ils sont tous fortement opposés aux barrages en Nubie. Des heurts dans la région de Kajbar, lors des premières études de faisabilité il y quatre ans, ont déjà fait plusieurs morts.
Que demandent les archéologues ?
Les chercheurs impliqués dans les fouilles au Soudan souhaitent évidemment que ces projets ne se réalisent pas. Certains, à la conférence de Londres, (où étaient présents la Société internationale des études nubiennes (ISNS) présidée par M. Vincent Rondot, ainsi que M. Abdelrahman Ali Mohammed, nouveau directeur de la National Corporation for Antiquities and Museum (NCAM), et le Service des Antiquités du Soudan) soulignaient à juste titre que, d’ici à ce que ces barrages, surtout les derniers prévus, soient mis en eau, les technologies énergétiques se seront suffisamment développées pour que, par exemple, le solaire pourrait être moins coûteux non seulement en dégâts causés à l’environnement et aux populations, mais aussi en termes financiers.
Toutefois, pour la plupart, ils ne souhaitent pas être accusés de sacrifier les morts aux vivants. Les fouilles de sauvetage archéologique leur apparaissent donc comme un mal moindre que l’éventuelle disparition de tout ce patrimoine sans qu’il soit documenté.
Le pire est-il inéluctable ?
Ce n’est pas encore certain. Tout d’abord, l’État soudanais connaît actuellement de graves difficultés économiques qui ont toutes chances de perdurer, du fait de la sécession du Soudan du Sud, où se situaient les trois-quarts des gisements pétroliers du pays. L’aide de la Chine au Soudan, autrefois sans limites, doit se diviser maintenant entre les deux états dont le plus prometteur à long terme est le Soudan du Sud. Les projets dispendieux sont donc mis en sommeil et, d’ici le temps où la prospérité, espérons-le, reviendra au Nord, les réserves que certains émettent, au sein même de l’équipe gouvernementale, sur le coût humain, patrimonial et écologique des barrages en Nubie, auront peut-être fait leur chemin. Enfin, un gigantesque barrage sur le Nil Bleu, le Renaissance Dam, est actuellement en cours de réalisation en Éthiopie, non loin de la frontière soudanaise. D’ici à quelques années, il produira assez d’électricité pour que le Soudan puisse en bénéficier à bas prix. Malgré tous ces éléments qui réduisent l’urgence de la menace, il semble indispensable de commencer dès maintenant les fouilles de sauvetage afin de n’être pas pris de court.
Les fouilles de sauvetage ont-elles déjà débutées ?
Une mission du British Museum, s’est rendu en juin 2011 en Nubie afin d’évaluer en coopération avec le Département soudanais de construction des barrages (Dam Implementation Unit) l’impact des projets et le chiffrage des interventions éventuelles. Le rapport a justement été rendu public lors de la réunion de Londres. Il reste à décider de la répartition des concessions entre les différents acteurs de ces fouilles de sauvetage.
Le cours du Nil et de ses affluents est déjà barré depuis les années 1920, de plusieurs barrages à vocation hydro-électrique ou agricole : sur le Nil Bleu, Roseires, près de la frontière éthiopienne et Sennar, à 200 km en amont de Khartoum ; sur le Nil Blanc, Gebel Aulia, dans la banlieue sud de la capitale ; sur l’Atbara, Khasm el-Girba, où les Nubiens chassés de leurs terres ancestrales par le barrage d’Assouan ont été déplacés. En 2009 a été inauguré le grand barrage de Mérowé (ne pas confondre avec la cité royale de Méroé), sur la quatrième cataracte, le premier construit sur le Nil uni au Soudan. La retenue d’eau avoisine les 170 km de long et a ennoyé de nombreux sites mineurs du Soudan anciens, malgré une dizaine d’années de fouilles de sauvetage en coopération internationale. Elle a de plus chassé de leur habitat millénaire près de 40 000 riverains du Nil, les Manassir, relocalisés principalement à proximité d’el-Debba, au nord de la boucle du Nil, au prix de nombreux troubles et d’une amertume tenace. Ce barrage, dont le bâti est dû à l’ingénierie chinoise, a néanmoins permis de doubler la capacité hydro-électrique du pays et de minorer les coupures de courant dont souffrait périodiquement la capitale.
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Apollyôn- Modérateur
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