AFPL'AQUILA (Italie) (AFP) - Les scientifiques jugés à L'Aquila ont été condamnés lundi à six ans de prison ferme et à l'interdiction d'exercer tout emploi public pour avoir sous-évalué les risques avant le séisme meurtrier qui avait dévasté cette ville des Abruzzes en 2009.
Le tribunal a reconnu coupable d'"homicide par imprudence" les sept membres de la Commission italienne "grands risques", qui s'était réunie à L'Aquila six jours avant le séisme du 6 avril 2009 et comptait six experts des tremblements de terre et le sous-directeur de la Protection civile Bernardo De Bernardinis.
Alors que la défense avait réclamé leur acquittement, arguant du fait qu'aucun scientifique ne peut prévoir un séisme, le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet, qui avait demandé fin septembre quatre ans de prison pour tous les accusés.
"Je suis découragé, désespéré. Je pensais être acquitté, je ne comprends toujours pas de quoi je suis accusé", a commenté Enzo Boschi, jusqu'à récemment président de l'Institut national de géophysique et vulcanologie (INGV).
"Ce jugement est selon moi injuste. Nous ferons certainement appel", a aussitôt réagi Alessandra Stefano, l'avocat d'un des condamnés, Gian Michele Calvi, à la sortie du tribunal, bondé pour l'occasion.
Les plaignants ont en revanche salué une "sentence historique, avant tout pour les victimes" : "Cela marque un pas en avant pour le système judiciaire et j'espère que cela conduira à des changements, non seulement en Italie, mais dans le monde entier", a réagi Wania della Vigna, avocate de 11 plaignants dont la famille d'un étudiant israélien mort dans la catastrophe.
Le tremblement de terre, qui avait ravagé cette ville d'Italie centrale et fait plus de 300 morts et des dizaines de milliers de sans-abri, reste un traumatisme dans ce pays.
Une dizaine de survivants étaient d'ailleurs présents lundi dans la petite salle bondée, installée dans un bâtiment en métal bleu vif de la zone industrielle, le palais de justice de L'Aquila ayant été détruit dans le séisme.
Un massacre
"On ne peut pas appeler ça une victoire. C'est une tragédie, de toute façon, ça ne ramènera pas nos proches", a réagi, très ému et en larmes, Aldo Scimia, dont la mère a été tuée dans le tremblement de terre. "Je continue d'appeler ça un massacre commis par l'Etat, mais au moins nous espérons que nos enfants auront des vies plus sûres", a-t-il ajouté.
Avant la lecture du jugement, le procureur Fabio Picuti n'avait pas hésité à établir une comparaison avec l'évaluation des risques terroristes aux Etats-Unis à l'époque des attentats du 11 septembre 2001.
"Après le 11 septembre, le rapport qui démontrait une analyse insuffisante des risques en rapport avec l'attentat a conduit à la démission du chef de la CIA et de son adjoint. Cela montre qu'un tel raisonnement existe" ailleurs, avait-il affirmé.
Cette sentence risque de faire grand bruit dans la communauté scientifique, dont plus de 5.000 membres avaient adressé au président de la République Giorgio Napolitano une lettre ouverte dans laquelle ils affirmaient l'impossibilité de prédire un tremblement de terre.
Le parquet a reproché aux experts d'avoir donné des informations trop rassurantes à la population, qui aurait pu prendre des mesures pour se protéger. Après la réunion de L'Aquila, M. De Bernardinis avait ainsi affirmé à la presse que l'activité sismique de la zone ne constituait "aucun danger".
"La communauté scientifique continue de m'assurer que nous nous trouvons dans une situation favorable en raison de la décharge continue d'énergie" sismique, avait-il déclaré à l'époque. Les scientifiques ont nié avoir fait une assertion de ce type à M. De Bernardinis.
Selon le parquet, ce dernier a utilisé cette réunion d'experts pour calmer la population, notamment en conseillant aux habitants, dans une déclaration devenue depuis célèbre, de se détendre avec un verre de vin.
La Commission s'était réunie le 31 mars 2009 afin d'analyser une série de secousses sismiques à L'Aquila survenues les mois précédents et de fournir des indications aux autorités locales qui sont les seules à pouvoir prendre d'éventuelles mesures.
A l'issue de cette réunion, elle avait indiqué qu'il n'était pas possible de prédire la survenue éventuelle d'un séisme plus fort, mais avait recommandé de respecter davantage les mesures de prévention antisismiques, en particulier dans la construction des immeubles.
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