Ne vous laissez pas abuser par son titre, son pitch, la personnalité de son réalisateur, sa société de production. "Poultrygeist, Night of the Chicken Dead" est une véritable bénédiction, une authentique, sincère et jouissive œuvre trash comme on n’en avait pas vu depuis des temps immémoriaux. Mieux, non content d’être (de loin) la meilleure production Troma à ce jour, le film en est sa meilleure légitimation. L’avènement esthétique d’un ton politiquement incorrect, la preuve que l’irrespect frondeur de la firme est plus que jamais nécessaire dans un paysage cinématographique mondial balisé dans ses écarts, et, cerise sur le gâteau, le témoignage vibrant des progrès accomplis par Lloyd Kaufman en termes de mise en scène depuis "Troméo et Juliette".
L’intro de "Poultrygeist" annonce d’emblée la couleur. Une atmosphère gore, sexy et radicale (la scène s’achève sur un “hommage“ au climax hardcore du "Society" de Brian Yuzna), bien servie par des cadres loufoques et un montage cut garantissant la bonne tenue de ce qui fait défaut à bon nombre de productions Troma – le rythme.
Le jeune et fougueux Arbie revient à Tromaville pour constater deux cruelles vérités : le cimetière indien où il connut ses premiers ébats est désormais recouvert d’une enseigne de la chaîne de fast food American Chicken Bunker, dirigée par le très équivoque Général Lee Roy. Mais surtout, Wendy, son grand amour, s’est convertie aux joies du saphisme avec Micki, meneuse de la manifestation anti fast food. De dépit, Arbie décide de rejoindre le personnel d’American Chicken Bunker, et découvre l’envers peu reluisant du décor. Le manager Denny s’est résolu à accomplir les basses œuvres alimentaires du Général. Paco Bell, le cuistot homosexuel, assaisonne les plats de sa touche séminale personnelle ; le barbu Carl Jr. noue des liens lascifs avec les carcasses de volaille ; et Humus, préposée au nettoyage vêtue d’une très seyante burka, terrorise tout le monde dès qu’elle lève les bras. Profitant des règles sanitaires très permissives, des œufs dégueulasses aux veines apparentes, possédés par les esprits des natifs américains, parviennent à s’immiscer dans les menus du jour. Malgré les avertissements d’un versatile Ron Jeremy et d’un Paco transformé en burger, le fast food ouvre ses portes, et contamine vite ses consommateurs. Dans des orgies d’explosions intestinales, de projections massives de vomis et de pus verdâtres, les poulets géants indiens zombifiés se multiplient et massacrent joyeusement les survivants. Ce n’est qu’au sortir d’un véritable carnage qu’Arbie regagnera le cœur de sa belle…
"Poultrygeist" est un enchaînement discontinu de scènes choc, donnant littéralement l’impression de voir un épisode de "South Park" en grand format. Le nouveau parangon d’un mauvais goût irrévérencieux assumé, dont les réfractaires usuels du style Troma, et de l’idée d’indépendance totale qu’il implique, ne retiendront malheureusement que les élans scatologiques (il est vrai bien gratinés). Ce serait nier la grande force humoristique d’un film s’appuyant sur plusieurs énergies comiques à la fois, sans pour autant brouiller son appréciation. Du gore, du slapstick, de la provocation dérivée de l’univers de Trey Parker et Matt Stone, et même du musical. Lloyd Kaufman se lâche complètement, et ose enfin retranscrire tout son passif de cinéphile, comme ses premières amours pour les planches de Broadway. À ce titre, on notera la qualité des intermèdes musicaux et chorégraphiés - en particulier une scène saphique admirablement vulgaire et la confrontation d’Arbie avec son double plus âgé (interprété par Kaufman en personne) - même quand ils sont massacrés par la terrible voix de fausset d’Allyson Sereboff (Micki).
On soulignera également la pertinence d’un casting composé d’habitués des productions Troma récentes (Ron Jeremy ou l’énorme Joe Fleishaker) et d’amateurs dont la motivation manifeste ne parasite pas le jeu. La caractérisation lapidaire de leurs personnages ne fait jamais souffrir la narration, mais aide au contraire à accentuer son caractère satirique et profondément subversif. De nombreux gags, visionnés dans un cadre aussi fervent que celui des Étranges Nuits du Cinéma où un trio de nanardeurs ravis découvrit le film, passent comme une lettre à la poste, mais on n’ose imaginer la gêne considérable, les toussotements malaisés et autres haussements de sourcils consternés que "Poultrygeist" aurait déclenché s’il avait été projeté, au hasard, à la cinémathèque de la ville de naissance de votre site préféré (Grenoble, pour ne pas la citer). Le script de Lloyd Kaufman et de ses deux comparses Daniel Bova et Gabriel Friedman aligne les injures volontaires aux ligues de vertus en tous genres, fait du rentre-dedans à bon nombre de tabous. Et c’est exactement pour ça qu’on l’aime.
Déjà largement efficace, le film gagne en valeur quand on sait la précarité de son tournage. Avec un budget ridicule de 450 000 dollars, et une multitude de bénévoles venus mettre la main à la pâte des quatre coins du monde (Lloyd Kaufman avance le chiffre de 2000 personnes venues participer au tournage) dans des conditions salariales à faire rougir les pontes du MEDEF, le film ne montre aucun signe de son dénuement, mais fait au contraire preuve d’une générosité cinématographique incroyable, offrant aux fans de cinéma extrême un final digne du climax de "Brain Dead". Même si Lloyd Kaufman reste peu confiant quant au montage financier d’autres films du même tonneau, "Poultrygeist" reste une vision intègre et sans concessions d’un cinéma confectionné par la seule passion de ses maîtres d’œuvre et de leurs fans à travers le monde. Ce qui, l’air de rien, est assez unique dans l’histoire du 7e Art.
http://www.nanarland.com/Chroniques/Main.php?id_film=poultrygeist
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