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La confiance dans la science chute-t-elle ?

Apollyôn
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Message par Apollyôn Jeu 23 Mai - 18:17

Professeur à l'université du Québec à Montréal, Yves Gingras est titulaire de la chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. Il est auteur de plusieurs ouvrages et notamment d'une Sociologie des sciences qui vient de paraître aux Presses universitaires de France dans la collection "Que sais-je ?".

On a l'impression depuis quelques années que la perte de confiance de la population dans les autorités touche aussi désormais les chercheurs. Quel est votre sentiment ?
Personnellement je ne crois pas que la crédibilité de la science et des chercheurs ait tant chuté. Aux Etats-Unis, le National Science Board publie tous les deux ans ses Science and Engineering Indicators, qui posent, depuis 1973, toujours la même question : faites-vous confiance à la science ? En gros, le résultat est toujours très élevé et très stable. Année après année, 70 % des Américains interrogés affirment que les avantages de la recherche scientifique sont supérieurs aux inconvénients et seulement 10 % pensent, bon an mal an, le contraire. Bien sûr, les gens sont plus critiques de nos jours, face aux OGM par exemple, mais c'est parce qu'ils sont mieux éduqués et cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont contre la science – surtout que les débats portent en fait plus sur la technologie, les applications de la science, que sur la science fondamentale. Un exemple de ce regard plus critique : dans les années 1950, toute personne qui allait voir son médecin restait silencieuse, prenait l'ordonnance puis le médicament. Il n'y avait pas de discussion. Aujourd'hui, la personne arrive chez le médecin et lui dit d'abord : « Je suis allé(e) sur Internet et j'ai l'impression que j'ai tel problème et qu'il me faut telle pilule. » Du coup, le médecin est obligé d'argumenter. Toujours dans l’enquête américaine, si vous regardez les questions sur la confiance qu'on accorde à telle ou telle profession, médecin, scientifique, professeur d'université, journaliste, politicien, c'est toujours pareil : en haut, vous avez toujours, depuis près de quarante ans, le médecin et le scientifique et, en bas, le journaliste et le politicien...

Il y a tout de même des courants d'opinion inquiétants pour la science comme par exemple le mouvement néo-créationniste aux Etats-Unis...
Aux Etats-Unis, le créationnisme a toujours été, depuis le fameux « procès du singe » en 1925, un phénomène récurrent et il a augmenté dans les années 1980-1990 parce qu'il y a eu l'élection de présidents conservateurs. D’abord avec Ronald Reagan et surtout avec le président George W. Bush, lui-même évangéliste chrétien, le principe des créationnistes du « Teach the controversy » , selon lequel tous les points de vue devraient être débattus en classe, a été mis en avant, comme s’il y avait vraiment une « controverse » scientifique sur la théorie de l’évolution. Bien sûr ce n’est pas le cas mais la rhétorique de « l’ouverture » est difficile à contrer car s’y opposer donne l’impression de dogmatisme. En fait, les organisations créationnistes se sont dit « avec des présidents conservateurs on peut sortir de notre tanière et être encore plus actif ». A l'inverse, avec un président comme Obama, dont un des premiers gestes après son arrivée au pouvoir a été d'annuler le décret de Bush qui, pour des raisons religieuses, avait interdit aux organismes relevant du gouvernement fédéral de subventionner la recherche sur les cellules souches embryonnaires, est-ce qu'on peut dire que le mouvement créationniste est aussi fort ? A mon avis, non.

Tout de même, un certain nombre de projets de lois ont été élaborés dans plusieurs Etats américains pour que, dans les écoles, on puisse présenter les avis divergents sur le réchauffement climatique ou l'évolution, soi-disant pour que les jeunes gens puissent se faire leur propre idée, comme s'il existait une controverse scientifique véritable sur ces sujets.
Effectivement, il faut être très vigilant et le dernier livre de Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge, le montre : sans tomber dans la théorie du complot, derrière ces mouvements qui paraissent spontanés aux yeux du public, il y a souvent la main cachée d'industriels ou de groupes religieux. Dans le cas du climat, ces mouvements sont subventionnés par les industriels des énergies fossiles voulant entretenir l'impression qu'il existe une controverse scientifique, tout comme les compagnies du tabac l'ont fait pendant cinquante ans. Les climatosceptiques ne sont pas des scientifiques, ce sont des économistes de droite, des think tanks conservateurs, des idéologues. D'ailleurs, le débat s'est déplacé. On ne trouve plus grand monde qui dise que le réchauffement n'existe pas. Ces gens disent plutôt « ce n'est pas grave, c'est même une bonne chose » parce que, par exemple, le champagne va être fait en Angleterre plutôt qu'en France... Ils ne sont pas vraiment sceptiques du réchauffement climatique car ça les obligerait à entrer dans un débat technique où ils seraient soumis à des contre-arguments scientifiques, mais ils sont sceptiques au sujet de l'action économique à entreprendre pour lutter contre le phénomène : ils ne veulent pas que des milliards soient dépensés là-dedans. On est dans des choix moraux, économiques mais plus dans le domaine de la science.

Certains vont tout de même sur le terrain de la science pour faire croire qu'il y a toujours un débat entre les chercheurs, dans des questions comme le réchauffement climatique ou l'évolution, alors que le consensus scientifique est très fort.
Ce phénomène-là est effectivement central et il est plus lié à la transformation des modes de communication au cours des quinze dernières années qu'à un véritable scepticisme. Ceux qui l'utilisent, ce sont toujours des groupes stratégiques et pas la population. En ce moment au Canada, les compagnies de tabac sont poursuivies en justice et se défendent en affirmant que la cause du cancer du poumon n'est pas démontrée. C'est jouer sur les mots. Ils disent qu'au niveau moléculaire, au niveau microscopique, on ne connaît pas pas toutes les causes, tous les enchaînements qui se produisent entre la fumée qu'on inhale et la cellule qui devient cancéreuse. Mais sur le plan macroscopique, les corrélations sont telles que c'est démontré depuis les années 1950... Comme nous vivons désormais dans un monde techno-scientifique, les groupes de pression ont adapté leur discours pour le faire porter sur la science, introduire un pseudo-doute scientifique. On a utilisé cette stratégie dans les années 1960 pour le tabac, dans les années 1980 pour le trou de la couche d'ozone et maintenant pour d'autres sujets comme le réchauffement climatique ou la disparition des colonies d'abeilles.

Y a-t-il une responsabilité des médias dans le succès des « marchands de doute », pour reprendre le titre du livre de Naomi Oreskes et Erik Conway ?
Oui, dans le sens que les journalistes, en général, ne comprennent pas comment la science fonctionne. Ils ont été fondamentalement formés pour avoir une vision politique du monde, ce qui veut dire que si on interviewe un indépendantiste, il faut interviewer un fédéraliste, si on sollicite l'avis du Parti socialiste, on voudra aussi l'avis de l'UMP. Les médias se disent qu'en science, ce doit être pareil. S'il y a des gens qui disent que deux et deux font quatre et certains que ça fait cinq, les journalistes vont vouloir équilibrer les deux. Cela a été flagrant dans le cas du mouvement anti-vaccination en Amérique du Nord. L'idéologie de l'équilibre a amené les journalistes à confondre un cinglé qui remet en cause la vaccination et tous les médecins expliquant les bénéfices de la vaccination et comment elle a fait disparaître certaines maladies. C'est un gros problème. Les journalistes pourraient simplement, en interviewant les scientifiques, se faire l'avocat du diable en leur soumettant des objections, plutôt que d'asseoir un climatologue face à un climatosceptique, ce qui donne l'impression que c'est du 50-50 alors que ce n'est pas le cas.

On reproche souvent aux journalistes scientifiques d'insister sur le côté mystérieux de la science. Mais dans quelle mesure les chercheurs eux-mêmes ne sont-ils pas responsables de ce mélange des genres ?
Il arrive en effet que les chercheurs deviennent cyniques sur ces questions-là lorsqu'ils se plaisent à rappeler le mystère qu'il y a dans la science alors que la science c'est l'inverse : quand elle explique quelque chose, le mystère est enlevé. Le mystère c'est l'ignorance. La science va contre l'ignorance et donc contre le mystère. Et pourtant, pour le boson de Higgs certains chercheurs parlent de « la particule de Dieu ». Au lieu de donner une explication froide du boson de Higgs, on entretient cette fibre mystique. Les gens n'aiment pas ce que je dis du boson de Higgs parce que je le désenchante. Je dis : « Ecoutez, il y a cinquante ans qu'on l'attend, le fait qu'on l'ait découvert vient juste confirmer les théories actuelles. » On fait semblant de croire que la découverte du boson de Higgs a été une surprise, une révolution. C'est absurde : c'est une confirmation du Modèle standard qui date du milieu des années 1960. C'est comme si on détectait demain les ondes gravitationnelles prédites par la relativité d'Einstein. Ce ne serait pas une surprise. La surprise, ce serait que la prédiction d'Einstein soit fausse. Là ce serait extraordinaire !
source : http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/05/22/la-confiance-dans-la-science-chute-t-elle/
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La confiance dans la science chute-t-elle ? Empty Re: La confiance dans la science chute-t-elle ?

Message par Apollyôn Ven 12 Juil - 11:05

Les progrès de la méfiance

INTERVIEW Antennes-relais, gaz de schiste, OGM… Le sociologue Gérald Bronner analyse les craintes populaires face aux technologies, qui se manifestent dans les débats publics .

Par SYLVESTRE HUET
Gérald Bronner est professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot. Auteur de plusieurs ouvrages, dont la Démocratie des crédules (1), il développe une réflexion sur les mécanismes sociologiques et intellectuels qui, selon lui, biaisent les délibérations collectives mêlant citoyens, élus et scientifiques sur l’usage des technologies.

Nos économies seraient «ralenties» par la peur des technologies, estiment nombre de responsables politiques. Vos recherches sur la «démocratie des crédules» confirment-elles cette idée ?

Oui. Sans préjuger de l’intérêt des OGM ou des gaz de schiste, ces technologies ont effectivement trouvé, en Europe, des freins à leur déploiement liés aux craintes exprimées par les populations. Allant même jusqu’à la destruction d’expériences de la recherche publique pour les plantes transgéniques. Ces propositions technologiques font d’ailleurs parfois l’objet de débats publics au sens de la loi Barnier - mis en œuvre par la Commission nationale du débat public - dont la tenue même a été empêchée par des militants (sur les nanotechnologies ou, récemment, sur l’enfouissement des déchets nucléaires). On peut s’attendre à ce type de réaction sur la biologie de synthèse. Or, sur le plan économique, il y a là le risque d’une perte de compétitivité économique d’autant plus importante que notre atout majeur réside dans l’innovation. Cette perte se traduit par des drames humains, comme le chômage. Il existe une armée invisible de victimes de normes excessives qui freine l’innovation, et dont le coût détourne l’argent public, par exemple de politiques de santé plus rationnelles.

Des enquêtes montrent qu’environ 40% de la population attend «plus de bien que de mal de la science», et une part similaire «autant de mal que de bien». Cela reflète-t-il, selon vous, une évolution de l’appréciation populaire du rôle de la science ?

Les Français ont un rapport très ambigu à cette question. S’ils déclarent avoir confiance dans la science en général, ils deviennent méfiants dès lors que l’on évoque des applications concrètes, et surtout lorsqu’ils ont l’impression de connaître le sujet. Rares sont ceux qui se méfient des neurosciences, dont les applications soulèvent pourtant des questions d’éthique, mais qui leur paraissent inconnues. A l’inverse, dès qu’ils ont le sentiment de savoir, d’avoir été informés sur les risques de telle ou telle technologie, l’expertise scientifique devient suspecte à leurs yeux si elle en fait une présentation qui module ou infirme ce «savoir». C’est une méfiance à courte vue qui relève d’une forme d’ingratitude. L’espérance de vie était de 30 ans en 1800 et de 60 ans en 1960. C’est la science qui nous a libérés des épidémies de peste, de choléra ou de typhus qui ont tué des millions de personnes. N’y a-t-il pas là un syndrome d’enfants gâtés ?

Nous serions, selon vous, des «avares cognitifs» devant le corpus scientifique. Que signifie cette formule ?

Le dilemme est inévitable. Plus la connaissance disponible augmente, plus la science progresse, plus la part de ce que chacun peut en maîtriser diminue. Ce paradoxe signifie que plus le savoir s’accumule et plus augmente le taux de croyance par délégation. Chacun doit faire confiance, c’est un défi de notre contemporanéité cognitive. Les scientifiques eux-mêmes vivent ce paradoxe - le géochimiste ne vérifie pas les calculs des physiciens nucléaires qui fondent sa discipline -, mais sur leur «marché des idées», la sélection est drastique. Et si la fraude peut survenir, elle demeure minoritaire et ne résiste guère à l’investigation, comme le montrent les exemples du psychologue néerlandais Diederik Stapel ou du physicien Hendrick Schön, dont les fraudes pourtant sophistiquées n’ont trompé que durant quelques années leurs collègues. Or, ce phénomène de confiance est grippé dans nos démocraties dès lors qu’il s’agit du public et de ses relations avec ce corpus scientifique. Et l’une des raisons majeures en est cette avarice cognitive qui nous fait préférer l’information - même rare et controversée - qui confirme notre préjugé, plutôt que l’analyse laborieuse du corpus de connaissances disponibles sur un sujet. Et voilà comment un argument, même faible, voire faux, l’emporte sur une expertise collective produisant un rapport le plus complet possible. C’est ainsi, par exemple, que 69% de nos concitoyens déclarent croire, contre les données scientifiques disponibles, que vivre à proximité d’une antenne-relais augmente les risques de cancer. Ce «biais de confirmation» est la solution de facilité que nous préférons face au dédale cognitif et intellectuel qui remplit l’espace public, un dédale où la production scientifique est vivement concurrencée par la production «d’arguments» provenant d’autres acteurs sociaux. Du coup, le taux de bêtises que l’on peut lire dans l’espace public est élevé relativement à celui de l’espace scientifique. Or, notre fil d’Ariane, dans ce dédale, consiste à suivre la voie du moindre effort pour trouver une proposition satisfaisante à nos yeux, donc conforme à nos préjugés.

Comment apprécier correctement et maîtriser les risques des technologies ?

Le problème central consiste à trouver des moyens d’associer les citoyens aux débats de ces enjeux. En visant un horizon, celui d’un terrain «psychologiquement neutre», permettant de mieux évaluer la balance des avantages et des risques, de l’usage comme du non-usage. Le partage de la connaissance disponible permet en principe cette balance. Mais ce partage suppose d’acquérir l’équipement intellectuel qui permettrait d’aller la chercher, et de ne pas vivre dans notre démocratie de la crédulité où notre fil d’Ariane conformiste nous éloigne des meilleures informations. Or, l’analyse des débats publics montre que tout s’organise autour de la perspective du pire. Coûts et risques occupent le centre de gravité du débat, à la place d’une évaluation pondérée tenant compte des avantages. Comment, dans ces conditions déséquilibrées, juger raisonnablement ? Un tel processus risque de conduire nos démocraties vers la banlieue de l’histoire. Et d’en laisser le centre à d’autres puissances économiques, non démocratiques, comme la Chine, qui auront alors le moyen de conduire notre destin collectif.

Une polémique a éclaté lorsque le CNRS a créé la mission «science citoyenne», destinée à promouvoir les sciences «participatives». Comment l’interprétez-vous ?

Cette mission doit réfléchir à la façon dont des citoyens pourraient participer à la production de la science - par l’apport d’observations, de capacités de calculs voire d’analyses personnelles - mais aussi d’élaboration de projets de recherche. Je comprends tout à fait la légitimité de la question, mais je crains qu’elle soit traitée de façon démagogique. Il faut s’interroger, nous disent des résultats classiques de psychologie sociale, sur les aspects techniques impliqués par une délibération mêlant citoyens et scientifiques avec des dynamiques de groupe très sous-estimées par les promoteurs de ces sciences citoyennes. Les effets de polarisation des groupes, avec une radicalisation des points de vue, les effets d’ancrage qui vont faire du premier avis exprimé fortement le centre de gravité des débats, comme on a pu l’observer, par exemple, en 1998 autour de la construction en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur d’une ligne à très haute tension, et l’effet de mutualisation des erreurs de raisonnement… Le risque de voir une telle procédure orienter les flux de subventions sur la manière dont des citoyens se polarisent sur telle ou telle approche peut induire des programmes inefficaces où l’éthique de conviction l’emporte sur celle de la responsabilité. La seule manière efficace de traiter ce sujet des relations entre les citoyens et la production scientifique est de la désincarcérer de l’idéologie.
source : http://www.liberation.fr/sciences/2013/07/04/les-progres-de-la-mefiance_916009
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