L'ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, a fait signifier, lundi 15 juillet, au site d'information Mediapart, sa condamnation à retirer les enregistrements audio liés à l'affaire Bettencourt, laissant huit jours au site pour se conformer à la justice, sous peine d'une amende de 10 000 euros par jour de retard.
La cour d'appel de Versailles a condamné, le 4 juillet dernier, Mediapart et Le Point à retirer les articles citant les enregistrements clandestins réalisés au domicile de la milliardaire.
La justice, qui a estimé que la diffusion des enregistrements pirates constituait une atteinte à la vie privée de Liliane Bettencourt, a également condamné Le Point et Mediapart à verser chacun 20 000 euros de dommages et intérêts à Liliane Bettencourt et 1 000 euros à Patrice de Maistre.
Toutefois, seul Patrice de Maistre a décidé de faire signifier la décision. "Alors que le tuteur légal de Liliane Bettencourt ainsi que sa famille ont choisi à ce jour de ne pas commenter l'arrêt liberticide de la cour d'appel et de ne pas [lancer] le processus légal de signification de la décision judiciaire, Patrice de Maistre veut donc aller jusqu'au bout", pointe Mediapart.
Une quarantaine de médias et d'associations ont appelé la semaine dernière à reprendre et à diffuser le plus largement possible les informations liées à l'affaire Bettencourt, soulignant : "La liberté de l'information n'est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens."
Le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a indiqué qu'il allait se pourvoir en cassation, mais ce pourvoi n'est pas suspensif.
Le dossier tentaculaire de l'affaire Bettencourt, dépaysé à Bordeaux, comprend de nombreux volets judiciaires. Le parquet de Bordeaux a requis le 5 juillet le renvoi en correctionnelle de six personnes, dont cinq journalistes, pour atteinte à l'intimité de la vie privée dans cette affaire. Ces réquisitions visent l'ex-majordome de Mme Bettencourt, Pascal Bonnefoy, et cinq journalistes : Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, Hervé Gattegno, alors rédacteur en chef de l'hebdomadaire, Edwy Plenel et Fabrice Arfi, respectivement directeur et journaliste à Mediapart, ainsi que Fabrice Lhomme, à l'époque journaliste à Mediapart et désormais au Monde.
La justice a ordonné, jeudi 4 juillet, au Point et à Mediapart de retirer de leurs sites Internet respectifs les retranscriptions des enregistrements pirates réalisés chez Liliane Bettencourt par son majordome, estimant que leur diffusion constituait une atteinte à la vie privée de la milliardaire.
Les deux organes de presse doivent retirer, sous huit jours, tous les articles citant ces documents audio, ainsi que les enregistrements eux-mêmes, sous peine d'une amende de 10 000 euros par jour de retard. La cour d'appel de Versailles a également condamné les deux publications à verser chacune 20 000 euros de dommages et intérêts à Mme Bettencourt et 1 000 euros à son ancien gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre. "L'information du public (...) ne peut légitimer la diffusion, même par extraits, d'enregistrements obtenus en violation du droit au respect de la vie privée d'autrui", indique la cour.
En juin 2010, la milliardaire et M. de Maistre avaient assigné en référé Le Point et Mediapart pour obtenir le retrait de ces retranscriptions écrites et des enregistrements audios révélés quelques jours auparavant. Le 1er juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris, suivi trois semaines plus tard par la cour d'appel, avait autorisé la diffusion de ces écoutes au motif que de telles informations relevaient "du débat démocratique". Mais la Cour de cassation en avait décidé autrement en octobre 2011, cassant l'arrêt de la cour d'appel de Paris et renvoyant l'affaire à Versailles.
Pour Emmanuel Derieux, professeur de droit des médias à l'université Paris-II Assas, auteur du Droit des médias (LGDJ, 2010), "on voit là les limites de l'effectivité de la décision rendue par rapport à ce qu'est l'information aujourd'hui sur Internet".
La décision de la cour d'appel de Versailles a-t-elle des précédents ?
Emmanuel Derieux : En vertu de l'article 9 du Code civil, il y a déjà eu des décisions où la justice a demandé de retirer des éléments en raison d'atteintes graves à la vie privée. C'est techniquement et juridiquement envisageable, même si c'est plus simple pour la presse écrite, car un journal remplace l'autre.
On trouvera en tout cas autant de décisions faisant valoir la liberté d'expression que de décisions faisant valoir le respect de la vie privée. En fonction de la sensibilité des uns et des autres, on pensera que c'est la liberté d'expression qui est gravement atteinte ou que c'est la vie privée qui l'est.
Que pensez-vous des déclarations des responsables de Mediapart qui parlent d'un "acte de censure judiciaire", d'une décision "liberticide et ubuesque" et qui l'estiment digne de la "dictature de Pinochet" ou de la "fin de l'ère Ceaucescu" ?
Sous le coup de l'émotion, ils ont pu employer des formules excessives. Ce n'est pas très digne de comparer la justice française au régime de Pinochet. Il faut en toute chose garder mesure. La décision de la cour d'appel de Versailles n'est pas une mesure de censure d'ordre politique. C'est une décision de justice, avec toutes les voies de recours possibles.
Comment déterminer si une information porte atteinte à la vie privée ou si elle relève de l'intérêt général et poursuit un "but légitime" ?
Au risque de vous choquer, je pose la question de savoir s'il appartient aux seuls journalistes de déterminer ce qui relève de l'intérêt général. Un journaliste n'a pas tous les droits, c'est au juge de trancher. C'est au juge de dire s'il y a atteinte à la liberté d'expression. Même si je crois me souvenir que les journalistes de Mediapart avaient retiré les éléments de vie privée des enregistrements, il faut rappeler que ces enregistrements sont clandestins, ce qui constitue en soi une infraction pénale.
Mediapart a annoncé son pourvoi en cassation, mais ce pourvoi n'est pas suspensif. Jean-Pierre Mignard, l'avocat du site, demande à la famille Bettencourt "de ne pas exécuter la décision". Existe-t-il une façon pour Mediapart de ne pas retirer les enregistrements dans les prochains jours ?
Il faut effectivement une nouvelle démarche des Bettencourt pour faire constater que la décision de retrait n'aurait pas été exécutée. Il n'y aura pas d'initiative du juge. Mais, en attendant le pourvoi en cassation, il n'y a pas d'autre possibilité que de miser sur cette éventuelle "passivité" des Bettencourt.
Mediapart parle également d'un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
La CEDH ne pourra être saisie que lorsqu'il y aura une décision définitive des juridictions françaises. Si le nouvel arrêt de la Cour de cassation casse la décision d'hier, il y aura encore un nouveau renvoi devant une cour d'appel. Et à ce moment-là, si la demande de retrait est confirmée, il restera la CEDH.
La CEDH a forgé la formule de "la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime". Dans l'affaire du livre du docteur Gübler, sorti juste après la mort de François Mitterrand, la CEDH avait d'abord décidé en référé qu'il était légitime d'interdire le livre et avait ensuite décidé, par l'arrêt du 18 mai 2004, qu'il n'était plus légitime de maintenir cette interdiction plusieurs années après.
Ces enregistrements sont-ils tombés dans le "domaine public" depuis leur divulgation, comme le fait valoir Mediapart ?
Cette notion de domaine public s'applique au droit d'auteur, elle n'est pas juridiquement définie dans le cadre de cette affaire. Qu'un message ait été diffusé ne justifie pas son maintien ensuite. Mais on peut par ailleurs constater que ces enregistrements ont déjà produit une partie de leurs effets.
Médiapart met en avant "l'absurdité" de retirer toute citation de ces enregistrements dans ces centaines d'articles mais aussi "dans les dizaines de milliers de commentaires qui les ont accompagnés" et "dans les milliers de billets de blogs" rédigés par les abonnés....
Cela devient effectivement difficile à réaliser, même si j'imagine que des moteurs de recherche permettraient de le faire. Je dois reconnaître qu'il ne s'agit pas juste de retirer les enregistrements et leur retranscription.
Par un effet boule de neige ou dominos, il n'y aurait plus beaucoup de place pour la liberté d'expression si tous les messages faisant référence à ces enregistrements devaient être retirés. Tous ne portent pas atteinte à la vie privée. On voit là les limites de l'effectivité de la décision rendue par rapport à ce qu'est l'information aujourd'hui sur Internet.
D'autres sites comme Rue89, Arrêt sur image ou Libération ont proposé à Mediapart d'héberger ces enregistrements...
Les autres sites ne sont pas concernés par cette décision de la cour d'appel car un juge ne peut se prononcer qu'entre deux parties. La "contagion" est donc possible. Il y a une forme d'"absurdité" dans la décision de la cour d'appel de Versailles. Mais le juge ne pouvait pas faire autrement.
Les enregistrements sont d'ores et déjà hébergés sur des serveurs à l'étranger...
La vraie difficulté, c'est la dimension internationale. Pour un fichier hébergé à l'étranger, le juge français n'a pas de garantie de pouvoir obtenir l'effectivité de la condamnation qu'il prononce.
Le droit de la presse est-il toujours adapté à l'heure d'Internet et des sites d'information en ligne ?
On voit les limites de ce droit mais cela n'interdit pas pour autant qu'on essaye de faire respecter des principes qui relèvent de nos valeurs fondamentales. En France, nous avons cette tradition de recherche de conciliation. Sinon, on accepte tout, n'importe quelle atteinte au droit d'auteur, à la vie privée, etc.
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