Des physiciens stoppent la lumière pendant une minute
Dans une chambre noire, prenez une lampe torche et une boîte à chaussures. Soulevez le couvercle de la boîte, éclairez l'intérieur et éteignez dès que vous avez refermé le couvercle. Attendez une minute. Rouvrez la boîte. Que se passe-t-il ? Rien et c'est normal. Pourtant, des chercheurs allemands viennent de concevoir un système, une espèce de boîte dans laquelle la lumière est stoppée et réémise une minute plus tard, dès que la boîte s'ouvre ! Pour comprendre à la fois la physique et l'enjeu de cette expérience époustouflante, il faut faire un détour par le monde curieux de l'information quantique.
Tout ce que vous voyez sur votre écran, le texte de ce billet, l'image qui l'accompagne, a été codé sous forme de bits. Il en va de même pour les clichés que vous prenez avec votre appareil photo numérique, pour les films de vos DVD, pour la musique de votre lecteur MP3... Toutes ces informations visuelles ou sonores ont été passées à cette moulinette et quand les informations voyagent sur Internet dans les impulsions lumineuses de la fibre optique, elles empruntent aussi cette forme. Dans le monde actuel de l'informatique classique, le bit est ou bien 0 ou bien 1, et rien d'autre. Un jour viendra pourtant où l'on s'affranchira de cette tyrannie du binaire, où tout est noir ou blanc, ouvert ou fermé, haut ou bas. Dans le monde futur, à peine ébauché, de l'informatique quantique, le bit pourra à la fois être 0 et 1. Comme le disent les physiciens, dans le monde quantique les particules peuvent avoir deux états superposés, être ici et là, comme ci et comme ça. Grâce à sa souple gestion des possibles, le bit quantique (aussi connu sous l'abominablement obscène abréviation de qubit) permettra des tâches impossibles au bit classique
Ceci posé, on est encore très loin de l'ère du tout quantique tant sont nombreux les obstacles techniques à surmonter. L'un d'entre eux, et non le moindre, réside dans le domaine des communications : "Il y a un problème majeur quand vous envoyez des photons uniques – des particules de lumière – dans de la fibre optique : ils se font absorber, souligne Hugues de Riedmatten, professeur à l'Institut de sciences photoniques de Barcelone. Pour 100 photons envoyés, il n'en reste plus qu'un au bout de 100 kilomètres." Et, comme me l'a expliqué ce chercheur suisse, au bout de 500 kilomètres, il ne reste plus qu'un photon sur 10 milliards et plus qu'un sur 100 milliards de milliards après 1 000 kilomètres.
Le problème existe évidemment aussi dans les télécommunications classiques où il est résolu à l'aide de répéteurs installés le long des lignes, à intervalles relativement rapprochés. Ces dispositifs récupèrent le signal et le ré-amplifient, un peu comme des coureurs de relais qui récupèrent le bâton transmis par un équipier en bout de course et lui redonnent du "jus". Malheureusement, cette solution simple et pratique n'est pas applicable au monde de la communication quantique car une telle opération, qui équivaut à une mesure, détruirait tout ce qui fait l'intérêt de l'information quantique portée par les photons. En effet, dans ce monde bizarre, mesurer tel ou tel attribut d'une particule l'oblige à se décider pour le 0 ou pour le 1 : la mesure démolit la superposition d'états. Cette propriété est d'ailleurs exploitée par la cryptographie quantique puisque si quelqu'un espionne une communication sécurisée avec cette méthode, son intervention est aussitôt détectée...
Les physiciens ont donc dû puiser dans leur sac à astuces pour contourner ce problème et concevoir un système de répéteurs quantiques ne faisant que transmettre les états des photons de proche en proche sans jamais les mesurer. Pour cela, ils ont exploité une autre "bizarrerie" quantique, l'intrication. Quand deux systèmes sont intriqués, ils ne forment plus qu'un au sens où leurs états sont les mêmes. Le but du jeu consiste donc à découper la ligne de communication en segments intriqués les uns avec les autres pour pouvoir ainsi transporter l'information d'un bout à l'autre. Toute la difficulté de l'exercice, m'a expliqué Julien Laurat, professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris) et chercheur au Laboratoire Kastler Brossel, c'est qu'il faut que les extrémités desdits segments soient toutes intriquées en même temps. Or, l'opération ne se décide pas dès qu'on appuie sur un bouton : la durée de construction de l'intrication est aléatoire. "La probabilité pour que tous les événements soient concomitants décroît de manière exponentielle avec le nombre de segments", résume Julien Laurat. Certains segments seront donc préparés avant d'autres et il faudra, le temps que ces derniers soient prêts à leur tour, mettre cette intrication en mémoire. On tombe alors dans un autre casse-tête car allez donc stocker de la lumière dans une boîte...
C'est pourtant l'exploit que viennent de réaliser trois chercheurs de l'Université technologique de Darmstadt (Allemagne) grâce à un magistral tour de passe-passe qu'ils décrivent dans Physical Review Letters. Leur boîte est un cristal dans lequel sont prisonniers des atomes de praséodyme, lesquels vont être les cibles d'un rayon laser. Le hic, c'est qu'en temps normal, ce cristal est en quelque sorte opaque. Qu'à cela ne tienne : à l'aide d'un second laser et d'un phénomène connu sous le nom de transparence induite électromagnétiquement (TIE), une fenêtre de transparence est ouverte dans le cristal, qui permet à la lumière d'y entrer. Celle-ci y est considérablement ralentie et comprimée, au point qu'une brève impulsion lumineuse de quelques microsecondes, qui, dans le vide, mesurerait 2 kilomètres, tient en moins de 3 millimètres !
Puis la TIE est arrêtée, ce qui referme la fenêtre de transparence et la boîte par la même occasion. Les photons sont pris au piège du cristal. De l'extérieur, on a l'impression que la lumière est stoppée mais c'est une illusion – d'où l'expression de tour de passe-passe que j'ai utilisée plus haut. En réalité, l'énergie et les informations des photons sont transférées aux atomes de praséodyme. Toute la difficulté de l'expérience consiste à empêcher ces atomes de les perdre lors d'interactions avec le reste de la matière. L'équipe allemande a, pour préserver cette cohérence, utilisé divers dispositifs et notamment un champ magnétique particulier pour "geler" autant qu'il se pouvait ces interactions destructrices. Cela n'a pas empêché la très grande majorité des informations de disparaître. Toutefois, lorsque les chercheurs ont rouvert la fenêtre de transparence au bout d'une minute, un certain nombre d'atomes de praséodyme ont restitué leur énergie superflue en émettant des photons porteurs de l'information de départ. Celle-ci contenait une image de trois bandes horizontales, qui a été retrouvée, très atténuée, à la sortie, comme on peut le voir ci-dessous.
Une minute, cela peut sembler bien court comme mémoire, mais dans le monde de l'information quantique, c'est plus de temps qu'il ne faut pour synchroniser les segments d'une ligne de communication. Tout en m'expliquant que l'intérêt de cette expérience tient essentiellement dans ce record de durée (le précédent record, qui date du début de l'année, était de 16 secondes avec un gaz d'atomes ultra-froids), Hugues de Riedmatten et Julien Laurat ont insisté sur le fait que l'équipe allemande a travaillé avec de grosses impulsions laser, c'est-à-dire dans le domaine de l'optique traditionnelle, et qu'elle n'est pas descendue dans ce que les physiciens appellent "le régime quantique", celui où les photons sont envoyés un par un. De plus, l'efficacité du procédé est très faible puisque moins de 1 % des photons sont récupérés. Même s'il commence à être balisé, le chemin vers l'informatique et la communication quantiques est encore long.
Pierre Barthélémy
Dans une chambre noire, prenez une lampe torche et une boîte à chaussures. Soulevez le couvercle de la boîte, éclairez l'intérieur et éteignez dès que vous avez refermé le couvercle. Attendez une minute. Rouvrez la boîte. Que se passe-t-il ? Rien et c'est normal. Pourtant, des chercheurs allemands viennent de concevoir un système, une espèce de boîte dans laquelle la lumière est stoppée et réémise une minute plus tard, dès que la boîte s'ouvre ! Pour comprendre à la fois la physique et l'enjeu de cette expérience époustouflante, il faut faire un détour par le monde curieux de l'information quantique.
Tout ce que vous voyez sur votre écran, le texte de ce billet, l'image qui l'accompagne, a été codé sous forme de bits. Il en va de même pour les clichés que vous prenez avec votre appareil photo numérique, pour les films de vos DVD, pour la musique de votre lecteur MP3... Toutes ces informations visuelles ou sonores ont été passées à cette moulinette et quand les informations voyagent sur Internet dans les impulsions lumineuses de la fibre optique, elles empruntent aussi cette forme. Dans le monde actuel de l'informatique classique, le bit est ou bien 0 ou bien 1, et rien d'autre. Un jour viendra pourtant où l'on s'affranchira de cette tyrannie du binaire, où tout est noir ou blanc, ouvert ou fermé, haut ou bas. Dans le monde futur, à peine ébauché, de l'informatique quantique, le bit pourra à la fois être 0 et 1. Comme le disent les physiciens, dans le monde quantique les particules peuvent avoir deux états superposés, être ici et là, comme ci et comme ça. Grâce à sa souple gestion des possibles, le bit quantique (aussi connu sous l'abominablement obscène abréviation de qubit) permettra des tâches impossibles au bit classique
Ceci posé, on est encore très loin de l'ère du tout quantique tant sont nombreux les obstacles techniques à surmonter. L'un d'entre eux, et non le moindre, réside dans le domaine des communications : "Il y a un problème majeur quand vous envoyez des photons uniques – des particules de lumière – dans de la fibre optique : ils se font absorber, souligne Hugues de Riedmatten, professeur à l'Institut de sciences photoniques de Barcelone. Pour 100 photons envoyés, il n'en reste plus qu'un au bout de 100 kilomètres." Et, comme me l'a expliqué ce chercheur suisse, au bout de 500 kilomètres, il ne reste plus qu'un photon sur 10 milliards et plus qu'un sur 100 milliards de milliards après 1 000 kilomètres.
Le problème existe évidemment aussi dans les télécommunications classiques où il est résolu à l'aide de répéteurs installés le long des lignes, à intervalles relativement rapprochés. Ces dispositifs récupèrent le signal et le ré-amplifient, un peu comme des coureurs de relais qui récupèrent le bâton transmis par un équipier en bout de course et lui redonnent du "jus". Malheureusement, cette solution simple et pratique n'est pas applicable au monde de la communication quantique car une telle opération, qui équivaut à une mesure, détruirait tout ce qui fait l'intérêt de l'information quantique portée par les photons. En effet, dans ce monde bizarre, mesurer tel ou tel attribut d'une particule l'oblige à se décider pour le 0 ou pour le 1 : la mesure démolit la superposition d'états. Cette propriété est d'ailleurs exploitée par la cryptographie quantique puisque si quelqu'un espionne une communication sécurisée avec cette méthode, son intervention est aussitôt détectée...
Les physiciens ont donc dû puiser dans leur sac à astuces pour contourner ce problème et concevoir un système de répéteurs quantiques ne faisant que transmettre les états des photons de proche en proche sans jamais les mesurer. Pour cela, ils ont exploité une autre "bizarrerie" quantique, l'intrication. Quand deux systèmes sont intriqués, ils ne forment plus qu'un au sens où leurs états sont les mêmes. Le but du jeu consiste donc à découper la ligne de communication en segments intriqués les uns avec les autres pour pouvoir ainsi transporter l'information d'un bout à l'autre. Toute la difficulté de l'exercice, m'a expliqué Julien Laurat, professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris) et chercheur au Laboratoire Kastler Brossel, c'est qu'il faut que les extrémités desdits segments soient toutes intriquées en même temps. Or, l'opération ne se décide pas dès qu'on appuie sur un bouton : la durée de construction de l'intrication est aléatoire. "La probabilité pour que tous les événements soient concomitants décroît de manière exponentielle avec le nombre de segments", résume Julien Laurat. Certains segments seront donc préparés avant d'autres et il faudra, le temps que ces derniers soient prêts à leur tour, mettre cette intrication en mémoire. On tombe alors dans un autre casse-tête car allez donc stocker de la lumière dans une boîte...
C'est pourtant l'exploit que viennent de réaliser trois chercheurs de l'Université technologique de Darmstadt (Allemagne) grâce à un magistral tour de passe-passe qu'ils décrivent dans Physical Review Letters. Leur boîte est un cristal dans lequel sont prisonniers des atomes de praséodyme, lesquels vont être les cibles d'un rayon laser. Le hic, c'est qu'en temps normal, ce cristal est en quelque sorte opaque. Qu'à cela ne tienne : à l'aide d'un second laser et d'un phénomène connu sous le nom de transparence induite électromagnétiquement (TIE), une fenêtre de transparence est ouverte dans le cristal, qui permet à la lumière d'y entrer. Celle-ci y est considérablement ralentie et comprimée, au point qu'une brève impulsion lumineuse de quelques microsecondes, qui, dans le vide, mesurerait 2 kilomètres, tient en moins de 3 millimètres !
Puis la TIE est arrêtée, ce qui referme la fenêtre de transparence et la boîte par la même occasion. Les photons sont pris au piège du cristal. De l'extérieur, on a l'impression que la lumière est stoppée mais c'est une illusion – d'où l'expression de tour de passe-passe que j'ai utilisée plus haut. En réalité, l'énergie et les informations des photons sont transférées aux atomes de praséodyme. Toute la difficulté de l'expérience consiste à empêcher ces atomes de les perdre lors d'interactions avec le reste de la matière. L'équipe allemande a, pour préserver cette cohérence, utilisé divers dispositifs et notamment un champ magnétique particulier pour "geler" autant qu'il se pouvait ces interactions destructrices. Cela n'a pas empêché la très grande majorité des informations de disparaître. Toutefois, lorsque les chercheurs ont rouvert la fenêtre de transparence au bout d'une minute, un certain nombre d'atomes de praséodyme ont restitué leur énergie superflue en émettant des photons porteurs de l'information de départ. Celle-ci contenait une image de trois bandes horizontales, qui a été retrouvée, très atténuée, à la sortie, comme on peut le voir ci-dessous.
Une minute, cela peut sembler bien court comme mémoire, mais dans le monde de l'information quantique, c'est plus de temps qu'il ne faut pour synchroniser les segments d'une ligne de communication. Tout en m'expliquant que l'intérêt de cette expérience tient essentiellement dans ce record de durée (le précédent record, qui date du début de l'année, était de 16 secondes avec un gaz d'atomes ultra-froids), Hugues de Riedmatten et Julien Laurat ont insisté sur le fait que l'équipe allemande a travaillé avec de grosses impulsions laser, c'est-à-dire dans le domaine de l'optique traditionnelle, et qu'elle n'est pas descendue dans ce que les physiciens appellent "le régime quantique", celui où les photons sont envoyés un par un. De plus, l'efficacité du procédé est très faible puisque moins de 1 % des photons sont récupérés. Même s'il commence à être balisé, le chemin vers l'informatique et la communication quantiques est encore long.
Pierre Barthélémy
Aujourd'hui à 14:10 par TrustNo1
» Une grotte mystérieuse...En réalité pas grand chose!
Hier à 12:37 par Satanas
» La France en 2024
Mer 13 Nov - 22:16 par Satanas
» L'HISTOIRE QUI A TERRIFIÉ L'EST DE LA FRANCE
Lun 11 Nov - 19:29 par Schattenjäger
» Le cas Paul Bernardo
Lun 11 Nov - 18:09 par Satanas
» 11 Km de Profondeur Sous l’Océan : Ce Que Cachent les Abysses
Mer 6 Nov - 21:50 par Schattenjäger
» 5 THÉORIES SUR BOUDDHA
Mer 6 Nov - 15:11 par Satanas
» GILDAS BOURDAIS
Dim 3 Nov - 19:28 par Schattenjäger
» Lieux hantés d'Écosse : châteaux, légendes et malédictions.
Ven 1 Nov - 18:45 par Schattenjäger
» Roswell 75 ans /documentaire chaine W9
Jeu 31 Oct - 20:27 par Mulder26
» Les Incidents les plus Sombres de la TV (ft.@Feldup)
Jeu 31 Oct - 12:41 par Satanas
» L'étrange disparition de l'homme qui aurait construit une machine à voyager dans le temps
Mer 30 Oct - 22:16 par Schattenjäger
» SECRETS CACHÉS SOUS TERRE - "The Oldest View"
Mer 30 Oct - 20:56 par Schattenjäger
» L'Iceberg des Red Rooms : La plus grande enquête sur ce mystère d'internet
Mar 29 Oct - 23:14 par Schattenjäger
» 1/2 tonne: la quête mortelle des géants de la force
Jeu 24 Oct - 18:09 par Mulder26