Avec cette force née de la simplicité d'une voix, d'un banjo à cinq cordes ou d'une guitare à douze cordes, le chanteur américain Pete Seeger répétait : « La question n'est pas : est-ce de la bonne musique ? Mais : à quoi sert cette musique ? » Pete Seeger avait déroulé un chapelet de ballades ancrées dans l'inconscient américain, telle Goodnight Irene, certaines servant d'étendards aux grèves de mineurs (Which Side Are You On ?), à la bataille pour les droits civiques (We Shall Overcome) ou contre la guerre au Vietnam (Study War no More).
Chanteur folk, au début des années 1950, Pete Seeger transforma la musique populaire américaine, avec son groupe the Weavers. Engagé, poursuivi pour avoir adhéré au Parti Communiste (jusqu'en 1956), il a décrit une Amérique où la brutalité patronale face aux ouvriers, l'exploitation des immigrés dans les grandes propriétés n'a pourtant pas entamé les espoirs de cette Amérique industrielle et industrieuse de l'après-New Deal. Pete Seeger est mort lundi 27 janvier à New-York. Il était âgé de 94 ans.
Né le 3 mai 1919, Pete Seeger fut le porte-parole, avec et après Woodie Guthrie (1912-1967), de la contestation folk, brandissant un banjo, proférant des menaces de révolution à la face des capitalistes, des fascistes et des conformistes. Il fut l'un des héros de Bob Dylan avant d'être un modèle pour Bruce Springsteen, qui lui consacra un album de reprises en 2006, We Shall Overcome, The Seeger Sessions (Columbia/Sony).
Toujours sur la brèche, ce chanteur à la voix claire, gorge déployée et cheveux en arrière, possédait une force de conviction hors du commun, un regard droit qui influencera grandement les attitudes scéniques de Joan Baez. C'est un fouineur qui passe au crible les archives musicales de la bibliothèque du Congrès puis part, en 1938, écumer les campagnes pour y trouver des chanteurs traditionnels et collecter leurs chants. Avec un père musicologue et un Pygmalion nommé Alan Lomax, le plus important des ethnomusicologues de l'Amérique contemporaine, il avait de quoi construire ses bases.
Il avait commencé à jouer du ukulélé avant se mettre au banjo en accompagnant son père dans un festival de « square dance » en Caroline du Nord. Il a alors découvert, confie-t-il dans How Can I Keep From Singing, une biographie écrite par David Dunaway, « ces tragédies bien réelles, jamais sentimentales », incarnées, racontées avec humour et sans vulgarité par ces chanteurs populaires au « ton strident » et ces danseurs « vigoureux ».
Alan Lomax lui avait présenté le bluesman Lead Belly et lui avait trouvé un emploi – il transcrivait des thèmes populaires pour les archives de l'American Folk Song à la Librarie du Congrès – quand il rencontre Woodie Guthrie lors d'un concert donné au bénéfice des travailleurs migrants de Californie. Pete Seeger voyage alors à travers les Etats-Unis, saute dans les wagons de chemin de fer, marche dans les montagnes et les déserts, apprend des centaines de chansons folk.
Revenu en 1940 à New-York, il enregistre son premier album. Il co-fonde The Almanac Singers, qui chantent des thèmes ouvriers, des chansons pacifistes alors que l'Allemagne vient d'envahir l'URSS. Pendant la guerre, le groupe multiplie les interventions antifacistes, dans les concerts, à la radio, et devient la bête noire du FBI. En 1945, Pete Seeger fonde People's Song Inc., une société qui publie des chansons politiques et organise des concerts. Il chante dans les clubs, dont le Village Vanguard, à Greenwich Village. Il s'installe à Beacon, sur les bords de la rivière Hudson, qu'il ne quittera plus.
Avec son nouveau groupe, The Weavers, il enregistre pour la maison de disques Decca Records. Et c'est le succès, avec If I Had a Hammer, ou encore avec une version d'une chanson sud-africaine, Wimoweh, adaptée de Mbube, de Solomon Linda). Les Weavers popularisent aussi Tzena, Tzena, Tzena, une chanson de soldats israéliens, et une version très contemporaine de Goodnight Irene, de Lead Belly.
Au début des années 1950, the Weavers sont des stars nationales. Ils vendent plus de 4 millions de disques, avec des reprises de thèmes traditionnels comme Kisses Sweeter Than Wine, ou So Long (It's Been Good to Know Yuh), de Woodie Guthrie. Mais leurs prises de position politiques leur a valu d'être inscrits sur la « Liste noire » du maccarthysme. Interdits de télévision et de radio, nos comparses ne parviennent pas à publier une perle, composée en 1949 avec Lee Hays, The Hammer Song ( « If I had a Hammer », « Si j'avais un marteau », succès à longue vie qui parviendra en France sous une forme édulcorée, par la voix de Claude François). La chanson dut attendre 1956 pour être enregistrée, Peter, Paul and Mary la reprendront en 1962. Le groupe se dissout.
Pete Seeger écume les universités, les bars, les églises, les camps de vacances. Il écrit des chroniques pour le magazine folk Sing Out ! et enregistre en abondance, des comptines enfantines aux chants de la Guerre d'Espagne pour le label Folkways. En 1957, Pete Seeger est condamné à un an de prison, une peine qu'il n'avait pas effectuée après son procès en appel. Il est sauvé de l'obscurité par le renouveau du folk qui est en marche. En 1959, il est le cofondateur du festival de Newport (Rhode Island), qui devient le rendez-vous incontournable des amateurs du genre : de jeunes Blancs politisés, opposés aux interventions américaines à l'étranger (à Cuba, et bientôt au Vietnam) et proches du mouvement pour les droits civiques de Martin Luther King.
Leurs goûts musicaux vont vers la recherche de l'authenticité : les ballades de Woody Guthrie écrites pendant la Grande Dépression, la musique des fermiers des Appalaches, le blues des Afro-Américains. Ils méprisent le rock et la pop, bassement commerciaux. En 1965, au Festival de Newport, il fulmine dans les coulisses quand Dylan branche sa guitare sur un amplificateur pour interpréter Like a Rolling Stone, prenant ainsi son tournant rock sous les huées des amateurs de folk.
En 1961, Pete Seeger a rejoint les rangs de la major Columbia. Mais il est sulfureux, toujours interdit de télévision, même aux côtés de la nouvelle génération qui s'en méfie. En 1967, il écrit une chanson contre la Guerre au Vietnam, Waist Deep in the Big Muddy, qui sera encore une fois censurée à la télévision. A la fin des années 1960, il monte un projet écologique : un voilier où des musiciens sont embarqués part en croisade pour le retour à la pureté des eaux de l'Hudson River. Il monte l'organisation Hudson River Sloop Clearwater, dénonce le rejet de PCB par General Electric, et crée avec son épouse, Oshi (qui décédera en 2013) un festival, le Clearwater.
Dans les années 1980 et 1990, il continue à se produire, notamment avec Arlo Guthrie, le fils de Woody (mort en 1967). Il reçoit en 1993 un premier Grammy Award, puis un second en 1997 pour son album Pete. Le 18 janvier 2009, Pete Seeger chante pour l'investiture de Barack Obama devant le Lincoln Memorial à Washington, appelé en scène par Bruce Springsteen. Le banjo en bandoulière, la voix un peu éraillée mais le tempo toujours vif, il entonne This Land is Your Land. La chanson a été composée en 1940 par Woody Guthrie, pour répondre à une autre chanson célèbre de l'époque, God Bless America..., écrite par Irving Berlin, et dont il détestait les paroles mièvres et patriotiques.
Pour ses 90 ans, le 3 mai 2009, il avait choisi de recentrer l'hommage qui lui était rendu par des dizaines d'artistes, dont Bruce Springsteen, John Mellencamp, Joan Baez, Ani DiFranco, Emmylou Harris… au Madison Square Garden sur son association, Hudson River Sloop Clearwater.
Source : http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/01/28/mort-de-pete-seeger-icone-du-folk-song-americain_4355440_3382.html
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