En Californie, des arbres fantômes défient les lois de la nature…
Fascinante nature. Un mystère de plus à résoudre pour les biologistes..
Les séquoias à feuilles d’if de Californie (Sequoia sempervirens) sont parmi les arbres les plus spectaculaires de la planète. Ils peuvent vivre jusqu’à 1800 ans, et poussent à des hauteurs avoisinant les 100 mètres. Si leur majesté et leur aspect titanesque marque durablement l’imaginaire de tous ceux qui s’aventurent dans les forêts de Californie, une poignée d’entre eux défie l’entendement des biologistes : les séquoias albinos.
Disséminés le long d’une bande forestière qui s’étend le long de la côte du Pacifique, quelques séquoias aux branches et au feuillage blancs comme neige resplendissent crânement au milieu de leurs congénères. Certains ne possèdent que quelques branches blanches, d’autres sont à moitié verts, à moitiés blancs, et d’autres enfin sont quasi immaculés, tels des spectres des bois.
Outre leur aspect fascinant, ces arbres sont d’autant plus mystérieux qu’ils ne sécrètent pas de chlorophylle, la protéine utilisée par les plantes pour convertir la lumière du soleil en nourriture, et qui leur donne leur belle couleur verte. Pourtant, ces séquoias albinos ne possèdent ni la couleur, ni la protéine qui caractérisent leur condition végétale. Ils ne devraient tout simplement pas exister.
« Ces arbres dépourvus de chlorophylle devraient être morts. C’est incompréhensible », explique Zane Moore, doctorant de l’Université de Californie à Davis ; il étudie ces arbres mutants pour sa thèse.
L’été, lors de la période de croissance des arbres, les branches des sequoias gagnent une forme « d’autonomie » : elles n’utilisent plus les réserves d’énergie de l’arbre lui-même, mais uniquement l’énergie que leur procure leurs propres feuilles. Sans chlorophylle, les branches immaculées des séquoias albinos devraient donc sécher et tomber. Pourtant, elles continuent de croître, et possèdent une flexibilité et une solidité parfaitement normales.
À l’heure actuelle, on ne sait pas grand-chose de ces étranges arbres albinos. Ils sont extrêmement rares, et ont été très peu étudiés jusqu’ici. Quand Moore a commencé à étudier la génétique des plantes à l’université, il espérait en apprendre davantage sur ces spécimens qui le fascinent depuis l’adolescence.
« J’ai appris leur existence en 2008. Je me suis alors juré que j’en dénicherai un, afin de voir si les arbres albinos étaient aussi bizarres que ce qu’on m’en avait dit », m’explique Moore. « Je possède désormais mon propre système d’indices, qui me permet de tomber sur des spécimens blancs très facilement. »
En collaboration avec Tom Stapleton, arboriculteur – qui est l’un des rares experts à avoir passé un temps considérable à chercher ces arbres – Moore a cartographié l’emplacement de chacun des 441 séquoias albinos répertoriés. Après avoir compilé, analysé et comparé leurs données, les deux hommes ont fait une découverte stupéfiante : tous les albinos avaient été repérés en périphérie de la bande forestière des séquoias à feuilles d’if, qui s’étend le long de la côte est. En raison de la nature du sol et de conditions environnementales spécifiques, certaines zones fertiles de la bande forestière se sont considérablement réduites, et les arbres n’y poussent plus. C’est précisément là, sur un sol difficile, que poussent les albinos.
Moore et Stapleton ont alors entrepris d’analyser des échantillons du sol de ces zones périphériques, afin de mieux comprendre en quoi leur composition différait du sol qui couvrait le coeur de la bande forestière. Cette fois encore, ils ont observé plusieurs bizarreries : les zones périphériques contenaient des quantités élevées de métaux lourds, tels que le nickel, le cuivre et le cadmium. Lorsque Moore a analyse le tronc des séquoias, il a trouvé des quantités de métaux lourds deux fois plus élevées – en moyenne – chez les arbres albinos par rapport aux arbres verts.
Sur un spécimen d’arbre vert, des niveaux de métaux lourds aussi élevés auraient été fatals, explique Moore. Les métaux perturbent les circuits de production de la chlorophylle, empêchant l’arbre de photosynthétiser normalement.
« En fait, le processus est similaire à l’empoisonnement au plomb chez les humains », explique Moore.
Parce que les arbres albinos ne fabriquent pas de chlorophylle, la présence de métaux lourds au coeur de leurs branches et de leurs feuilles ne peut pas compromettre la photosynthèse. Moore pense que les sequoias blancs possèdent une relation symbiotique avec leurs voisins verts : les premiers absorbent les métaux toxiques présents dans l’environnement, et en échange, les seconds leur fournissent une partie de l’énergie qu’ils ont absorbé par l’intermédiaire de réseaux de racines souterrains qui lient les arbres les uns aux autres.
Moore aux côtés d’un séquoia partiellement albinos. Image : Zane Moore
Les arbres fantômes seraient donc en quelque sorte « les dépollueurs » de la forêt. Ce phénomène de symbiose serait également à l’oeuvre sur le séquoia albinos lui-même, puisque les branches vertes fourniraient leur nourriture aux branches blanches.
« Pour mieux comprendre comment ce système d’interdépendance a pu se mettre en place sur un arbre albinos, il faut raisonner en terme d’investissement », m’explique Moore. « Du point de vue de la plante, si vous investissez un peu d’énergie pour créer une grande structure blanche a priori inutile – qui se révélait finalement avoir un intérêt en permettant à la plante de croître plus vite – alors vous investirez de nouveau dans des branches blanches. C’est ainsi qu’année après année, un arbre se couvre de branches privées de chlorophylle. »
Moore teste actuellement son hypothèse par l’intermédiaire d’une série d’expériences. Il a toutes les raisons de penser qu’elle fait sens d’un point de vue évolutif. « Même s’il s’avérait que j’avais tort, je pense avoir réussi à affiner notre compréhension des sequoias albinos, » explique-t-il. « Ce n’est qu’une question de temps avant que le mystère soit entièrement résolu. »
Source - https://motherboard.vice.com/fr/article/en-californie-des-arbres-fantomes-defient-les-lois-de-la-nature
Fascinante nature. Un mystère de plus à résoudre pour les biologistes..
Les séquoias à feuilles d’if de Californie (Sequoia sempervirens) sont parmi les arbres les plus spectaculaires de la planète. Ils peuvent vivre jusqu’à 1800 ans, et poussent à des hauteurs avoisinant les 100 mètres. Si leur majesté et leur aspect titanesque marque durablement l’imaginaire de tous ceux qui s’aventurent dans les forêts de Californie, une poignée d’entre eux défie l’entendement des biologistes : les séquoias albinos.
Disséminés le long d’une bande forestière qui s’étend le long de la côte du Pacifique, quelques séquoias aux branches et au feuillage blancs comme neige resplendissent crânement au milieu de leurs congénères. Certains ne possèdent que quelques branches blanches, d’autres sont à moitié verts, à moitiés blancs, et d’autres enfin sont quasi immaculés, tels des spectres des bois.
Outre leur aspect fascinant, ces arbres sont d’autant plus mystérieux qu’ils ne sécrètent pas de chlorophylle, la protéine utilisée par les plantes pour convertir la lumière du soleil en nourriture, et qui leur donne leur belle couleur verte. Pourtant, ces séquoias albinos ne possèdent ni la couleur, ni la protéine qui caractérisent leur condition végétale. Ils ne devraient tout simplement pas exister.
« Ces arbres dépourvus de chlorophylle devraient être morts. C’est incompréhensible », explique Zane Moore, doctorant de l’Université de Californie à Davis ; il étudie ces arbres mutants pour sa thèse.
L’été, lors de la période de croissance des arbres, les branches des sequoias gagnent une forme « d’autonomie » : elles n’utilisent plus les réserves d’énergie de l’arbre lui-même, mais uniquement l’énergie que leur procure leurs propres feuilles. Sans chlorophylle, les branches immaculées des séquoias albinos devraient donc sécher et tomber. Pourtant, elles continuent de croître, et possèdent une flexibilité et une solidité parfaitement normales.
À l’heure actuelle, on ne sait pas grand-chose de ces étranges arbres albinos. Ils sont extrêmement rares, et ont été très peu étudiés jusqu’ici. Quand Moore a commencé à étudier la génétique des plantes à l’université, il espérait en apprendre davantage sur ces spécimens qui le fascinent depuis l’adolescence.
« J’ai appris leur existence en 2008. Je me suis alors juré que j’en dénicherai un, afin de voir si les arbres albinos étaient aussi bizarres que ce qu’on m’en avait dit », m’explique Moore. « Je possède désormais mon propre système d’indices, qui me permet de tomber sur des spécimens blancs très facilement. »
En collaboration avec Tom Stapleton, arboriculteur – qui est l’un des rares experts à avoir passé un temps considérable à chercher ces arbres – Moore a cartographié l’emplacement de chacun des 441 séquoias albinos répertoriés. Après avoir compilé, analysé et comparé leurs données, les deux hommes ont fait une découverte stupéfiante : tous les albinos avaient été repérés en périphérie de la bande forestière des séquoias à feuilles d’if, qui s’étend le long de la côte est. En raison de la nature du sol et de conditions environnementales spécifiques, certaines zones fertiles de la bande forestière se sont considérablement réduites, et les arbres n’y poussent plus. C’est précisément là, sur un sol difficile, que poussent les albinos.
Moore et Stapleton ont alors entrepris d’analyser des échantillons du sol de ces zones périphériques, afin de mieux comprendre en quoi leur composition différait du sol qui couvrait le coeur de la bande forestière. Cette fois encore, ils ont observé plusieurs bizarreries : les zones périphériques contenaient des quantités élevées de métaux lourds, tels que le nickel, le cuivre et le cadmium. Lorsque Moore a analyse le tronc des séquoias, il a trouvé des quantités de métaux lourds deux fois plus élevées – en moyenne – chez les arbres albinos par rapport aux arbres verts.
Sur un spécimen d’arbre vert, des niveaux de métaux lourds aussi élevés auraient été fatals, explique Moore. Les métaux perturbent les circuits de production de la chlorophylle, empêchant l’arbre de photosynthétiser normalement.
« En fait, le processus est similaire à l’empoisonnement au plomb chez les humains », explique Moore.
Parce que les arbres albinos ne fabriquent pas de chlorophylle, la présence de métaux lourds au coeur de leurs branches et de leurs feuilles ne peut pas compromettre la photosynthèse. Moore pense que les sequoias blancs possèdent une relation symbiotique avec leurs voisins verts : les premiers absorbent les métaux toxiques présents dans l’environnement, et en échange, les seconds leur fournissent une partie de l’énergie qu’ils ont absorbé par l’intermédiaire de réseaux de racines souterrains qui lient les arbres les uns aux autres.
Moore aux côtés d’un séquoia partiellement albinos. Image : Zane Moore
Les arbres fantômes seraient donc en quelque sorte « les dépollueurs » de la forêt. Ce phénomène de symbiose serait également à l’oeuvre sur le séquoia albinos lui-même, puisque les branches vertes fourniraient leur nourriture aux branches blanches.
« Pour mieux comprendre comment ce système d’interdépendance a pu se mettre en place sur un arbre albinos, il faut raisonner en terme d’investissement », m’explique Moore. « Du point de vue de la plante, si vous investissez un peu d’énergie pour créer une grande structure blanche a priori inutile – qui se révélait finalement avoir un intérêt en permettant à la plante de croître plus vite – alors vous investirez de nouveau dans des branches blanches. C’est ainsi qu’année après année, un arbre se couvre de branches privées de chlorophylle. »
Moore teste actuellement son hypothèse par l’intermédiaire d’une série d’expériences. Il a toutes les raisons de penser qu’elle fait sens d’un point de vue évolutif. « Même s’il s’avérait que j’avais tort, je pense avoir réussi à affiner notre compréhension des sequoias albinos, » explique-t-il. « Ce n’est qu’une question de temps avant que le mystère soit entièrement résolu. »
Source - https://motherboard.vice.com/fr/article/en-californie-des-arbres-fantomes-defient-les-lois-de-la-nature
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