Le journaliste américain Timothy Ryback a examiné les 16.000 volumes du Führer, souvent signés par des auteurs délirants chez qui le racisme le dispute à l’antisémitisme et l’occultisme à la mythologie. Un inventaire édifiant
Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. Dans le cas de Hitler la formule paraît superflue. C’est pourquoi personne n’a pensé avant Timothy Ryback(1) à examiner le contenu de la bibliothèque personnelle du Führer, ou du moins ce qu’il en restait. On a eu tort. Outre l’originalité de l’approche - les sujets sur le IIIe Reich commencent à s’épuiser -, l’étude révèle quelques surprises. On comprend qu’elle fut considérée par le « Washington Post » comme le meilleur livre historique de l’année 2008. Qu’y a-t-il donc dans les rayonnages de l’homme qui mit l’Europe à feu et à sang ?
Celui qui ordonna les autodafés de livres possédait 16.000 volumes, dont 1.200 ont survécu au pillage pour trouver refuge dans diverses universités américaines. En 1935, sa bibliothèque était si réputée qu’elle fit l’objet d’un reportage dans « The New Yorker ». Comme toute bibliothèque, celle de Hitler - il en possédait en fait une dans chaque résidence - était constituée de couches successives.
Œuvres de Shakespeare
Tout d’abord la bibliothèque de notaire, le fonds patrimonial, celui qui rassure et auquel on ne touche guère et qu’on lit peu. C’est là qu’on trouve « Don Quichotte », « les Voyages de Gulliver », « Robinson Crusoé », « la Case de l’oncle Tom », « Hamlet » ou les romans d’aventures de Karl May.
Et puis la bibliothèque active, la collection qui alimente le cerveau reptilien, les ouvrages auxquels on revient sans cesse, qu’on annote, qu’on fatigue, qu’on exploite à l’infini. Ajoutons-y une troisième partie constituée des envois, des livres reçus et dédicacés, qui valent surtout par ce qu’ils nous disent des auteurs comme Jünger, qui envoie son « Feu et sang » « au Führer national Adolf Hitler ».
« Le Juif international" de Henry Ford
C’est bien évidemment la deuxième partie qui nous intéresse. C’est là que le crayon s’arrête, souligne, annote. Le simple inventaire des livres de la bibliothèque de Hitler n’aurait pas suffit à faire un livre de 450 pages. Timothy Ryback a donc entrecoupé l’examen du fonds Hitler par un examen de la pensée de Hitler. Il montre en quoi certaines lectures ont pu alimenter des conversations ou déterminer des décisions. En considérant comme Walter Benjamin qu’un collectionneur est conservé par sa collection, il a cherché à suivre les obsessions et les évolutions de Hitler :
« J’ai sélectionné les volumes existants qui recelaient un contenu émotionnel ou intellectuel significatif apportant quelque clarté sur le personnage, sur ses pensées dans la solitude et ses futurs discours ou actes publics. »
Dans ces rayons, on trouve quantité d’auteurs racistes et antisémites : l’industriel Henry Ford, l’émule de Gobineau Hans Günther, l’ultranationaliste Paul Lagarde, le rugueux bavarois Anton Drexler, le pangermaniste Heinrich Class, le professeur de gymnastique Otto Dickel ou le haineux Dietrich Eckart, qui mélangeait « Peer Gynt », l’occultisme et la mythologie germanique.
Tous ces fielleux délirants trouvent refuge dans la bibliothèque de Hitler. On ne sait pas s’il digère tout, mais il lit, crayon à la main. C’est un lecteur boulimique, vorace, fanatique. Un livre chaque nuit. Une lubie chaque jour. Le buste de Schopenhauer sur son bureau, cet autodidacte dévore Clausewitz, les biographies de Jules César et d’Alexandre le Grand, Emmanuel Kant, qu’on retrouve avec Machiavel dans son bunker après son suicide, et se nourrit de Fichte, qui, d’après Ryback, était « le philosophe le plus proche de Hitler et de son mouvement national-socialiste, dans son esprit comme dans sa dynamique ».
« Manuel sur les tanks »
Hitler, qui déteste les intellectuels, surtout quand ils sont juifs, ingurgite également les ouvrages d’ésotérisme :
« Les livres retrouvés dans la bibliothèque de Hitler traitant de la spiritualité et de l’occultisme se comptent par douzaines et sont peut-être les témoins les plus bavards des préoccupations profondes de leur propriétaire. »
Dans la biographie de Heinrich Himmler(2) parue en septembre dernier en Allemagne, Peter Longerich, grande autorité allemande sur l’histoire de « la solution finale », s’est brièvement intéressé aux lectures du grand ordonnateur de la Shoah. A côté des romans de gare, on trouve la médiocre littérature d’extrême droite, les traités racistes de Hans Günther, « le Manuel de la question juive » de Theodor Fritsch et tout un bric-à-brac de livres toc sur la télépathie, l’astrologie et ces sciences tellement parallèles qu’elles ne rencontrent jamais l’intelligence.
Dédicace de Leni Riefenstahl sur le premier volume des Œuvres complètes de Fichte : "A mon cher Führer, avec ma profonde admiration"
« Nous sommes là au cœur même du personnage d’Adolf Hitler, constate Timothy Ryback. Ce fut moins une distillation des philosophies de Schopenhauer et de Nietzsche qu’une théorie bon marché, puisée dans des livres de poche et des gros livres ésotériques, où l’on distingue la genèse d’un esprit mesquin, calculateur et prêt à cogner plus qu’à discuter. »
Jsf : Autrement dit, Hitler était-il un ’New Ageux’, un peintre raté... qui, s’il avait pu, aurait accueilli avant l’heure un "Maitreya" descendu des cieux ?
Hitler reçoit un livre en cadeau pour son cinquantième anniversaire
Que peut-on conclure ? Que la lecture de Cervantès ou de Shakespeare ne préserve de rien, bien sûr. On le savait déjà. La culture n’est pas un rempart contre la barbarie. Elle se situe juste à côté. Il suffit de lire en ne voulant pas comprendre. Chez Hitler, ce ne sont pas les grands auteurs, les lourds classiques qui comptent, mais ce qu’il y a à côté. Le problème, c’est quand Goethe voisine avec des auteurs racistes. Les livres peuvent préserver de l’inhumanité, mais ils ne sont pas une condition suffisante. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.
Au fond, c’est la limite de l’investigation de Timothy Ryback. Il a cherché à comprendre ce qui se passait dans la tête de Hitler en examinant a posteriori sa bibliothèque. Imaginons un seul instant qu’on ne sache rien de son propriétaire, que nous possédions juste une liste. On pourrait, en faisant l’inventaire, en déduire que l’homme sait choisir ses classiques, qu’il aime la guerre, qu’il est antisémite, qu’il apprécie l’occultisme, qu’il est curieux, bizarre, dérangé peut-être, mais rien ne nous dirait qu’il mit l’Europe à feu et à sang et qu’il extermina 6 millions de juifs. On peut faire dire beaucoup à une bibliothèque, mais sûrement pas ce que pensait vraiment son propriétaire.
L. L.
Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. Dans le cas de Hitler la formule paraît superflue. C’est pourquoi personne n’a pensé avant Timothy Ryback(1) à examiner le contenu de la bibliothèque personnelle du Führer, ou du moins ce qu’il en restait. On a eu tort. Outre l’originalité de l’approche - les sujets sur le IIIe Reich commencent à s’épuiser -, l’étude révèle quelques surprises. On comprend qu’elle fut considérée par le « Washington Post » comme le meilleur livre historique de l’année 2008. Qu’y a-t-il donc dans les rayonnages de l’homme qui mit l’Europe à feu et à sang ?
Celui qui ordonna les autodafés de livres possédait 16.000 volumes, dont 1.200 ont survécu au pillage pour trouver refuge dans diverses universités américaines. En 1935, sa bibliothèque était si réputée qu’elle fit l’objet d’un reportage dans « The New Yorker ». Comme toute bibliothèque, celle de Hitler - il en possédait en fait une dans chaque résidence - était constituée de couches successives.
Œuvres de Shakespeare
Tout d’abord la bibliothèque de notaire, le fonds patrimonial, celui qui rassure et auquel on ne touche guère et qu’on lit peu. C’est là qu’on trouve « Don Quichotte », « les Voyages de Gulliver », « Robinson Crusoé », « la Case de l’oncle Tom », « Hamlet » ou les romans d’aventures de Karl May.
Et puis la bibliothèque active, la collection qui alimente le cerveau reptilien, les ouvrages auxquels on revient sans cesse, qu’on annote, qu’on fatigue, qu’on exploite à l’infini. Ajoutons-y une troisième partie constituée des envois, des livres reçus et dédicacés, qui valent surtout par ce qu’ils nous disent des auteurs comme Jünger, qui envoie son « Feu et sang » « au Führer national Adolf Hitler ».
« Le Juif international" de Henry Ford
C’est bien évidemment la deuxième partie qui nous intéresse. C’est là que le crayon s’arrête, souligne, annote. Le simple inventaire des livres de la bibliothèque de Hitler n’aurait pas suffit à faire un livre de 450 pages. Timothy Ryback a donc entrecoupé l’examen du fonds Hitler par un examen de la pensée de Hitler. Il montre en quoi certaines lectures ont pu alimenter des conversations ou déterminer des décisions. En considérant comme Walter Benjamin qu’un collectionneur est conservé par sa collection, il a cherché à suivre les obsessions et les évolutions de Hitler :
« J’ai sélectionné les volumes existants qui recelaient un contenu émotionnel ou intellectuel significatif apportant quelque clarté sur le personnage, sur ses pensées dans la solitude et ses futurs discours ou actes publics. »
Dans ces rayons, on trouve quantité d’auteurs racistes et antisémites : l’industriel Henry Ford, l’émule de Gobineau Hans Günther, l’ultranationaliste Paul Lagarde, le rugueux bavarois Anton Drexler, le pangermaniste Heinrich Class, le professeur de gymnastique Otto Dickel ou le haineux Dietrich Eckart, qui mélangeait « Peer Gynt », l’occultisme et la mythologie germanique.
Tous ces fielleux délirants trouvent refuge dans la bibliothèque de Hitler. On ne sait pas s’il digère tout, mais il lit, crayon à la main. C’est un lecteur boulimique, vorace, fanatique. Un livre chaque nuit. Une lubie chaque jour. Le buste de Schopenhauer sur son bureau, cet autodidacte dévore Clausewitz, les biographies de Jules César et d’Alexandre le Grand, Emmanuel Kant, qu’on retrouve avec Machiavel dans son bunker après son suicide, et se nourrit de Fichte, qui, d’après Ryback, était « le philosophe le plus proche de Hitler et de son mouvement national-socialiste, dans son esprit comme dans sa dynamique ».
« Manuel sur les tanks »
Hitler, qui déteste les intellectuels, surtout quand ils sont juifs, ingurgite également les ouvrages d’ésotérisme :
« Les livres retrouvés dans la bibliothèque de Hitler traitant de la spiritualité et de l’occultisme se comptent par douzaines et sont peut-être les témoins les plus bavards des préoccupations profondes de leur propriétaire. »
Dans la biographie de Heinrich Himmler(2) parue en septembre dernier en Allemagne, Peter Longerich, grande autorité allemande sur l’histoire de « la solution finale », s’est brièvement intéressé aux lectures du grand ordonnateur de la Shoah. A côté des romans de gare, on trouve la médiocre littérature d’extrême droite, les traités racistes de Hans Günther, « le Manuel de la question juive » de Theodor Fritsch et tout un bric-à-brac de livres toc sur la télépathie, l’astrologie et ces sciences tellement parallèles qu’elles ne rencontrent jamais l’intelligence.
Dédicace de Leni Riefenstahl sur le premier volume des Œuvres complètes de Fichte : "A mon cher Führer, avec ma profonde admiration"
« Nous sommes là au cœur même du personnage d’Adolf Hitler, constate Timothy Ryback. Ce fut moins une distillation des philosophies de Schopenhauer et de Nietzsche qu’une théorie bon marché, puisée dans des livres de poche et des gros livres ésotériques, où l’on distingue la genèse d’un esprit mesquin, calculateur et prêt à cogner plus qu’à discuter. »
Jsf : Autrement dit, Hitler était-il un ’New Ageux’, un peintre raté... qui, s’il avait pu, aurait accueilli avant l’heure un "Maitreya" descendu des cieux ?
Hitler reçoit un livre en cadeau pour son cinquantième anniversaire
Que peut-on conclure ? Que la lecture de Cervantès ou de Shakespeare ne préserve de rien, bien sûr. On le savait déjà. La culture n’est pas un rempart contre la barbarie. Elle se situe juste à côté. Il suffit de lire en ne voulant pas comprendre. Chez Hitler, ce ne sont pas les grands auteurs, les lourds classiques qui comptent, mais ce qu’il y a à côté. Le problème, c’est quand Goethe voisine avec des auteurs racistes. Les livres peuvent préserver de l’inhumanité, mais ils ne sont pas une condition suffisante. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.
Au fond, c’est la limite de l’investigation de Timothy Ryback. Il a cherché à comprendre ce qui se passait dans la tête de Hitler en examinant a posteriori sa bibliothèque. Imaginons un seul instant qu’on ne sache rien de son propriétaire, que nous possédions juste une liste. On pourrait, en faisant l’inventaire, en déduire que l’homme sait choisir ses classiques, qu’il aime la guerre, qu’il est antisémite, qu’il apprécie l’occultisme, qu’il est curieux, bizarre, dérangé peut-être, mais rien ne nous dirait qu’il mit l’Europe à feu et à sang et qu’il extermina 6 millions de juifs. On peut faire dire beaucoup à une bibliothèque, mais sûrement pas ce que pensait vraiment son propriétaire.
L. L.
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