Représentation de l'interaction de la protéine Spike avec une cellule cible humaine, calculée grâce au supercalculateur Jean Zay
:copyright: Université de Limoges CNAM
Le 1er mai, la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), fondation fonctionnant sur le modèle de la DARPA aux Etats-Unis, lancera la première phase de son défi "Billion molecules against Covid-19". Il permettra à près de cent équipes pluridisciplinaires de bénéficier d'une puissance de calcul massive pour passer au crible près d'un milliard de molécules et identifier les plus prometteuses dans la lutte contre l'épidémie.
Le 1er mai, la Joint European Disruption Initiative (JEDI) lancera la première phase d’un grand challenge inédit en Europe, dédié à la recherche de molécules permettant de lutte contre le Covid-19. Baptisée « Billion molecules against Covid-19 » (un milliard de molécules contre le Covid-19), l’initiative récompensera d’un montant de 2 millions d’euros une équipe de chercheurs qui aura atteint un objectif ambitieux : repérer dans une bibliothèque de plus d’un milliard de molécules celles capables de bloquer les mécanismes du virus SARS-CoV-2 et l’empêcher de pénétrer dans les cellules humaines. Les participants de ce défi pourront s'appuyer sur des partenaires stratégiques qui donneront accès à des équipements dans le domaine du calcul haute fréquence.
« Ce challenge est un moyen de sortir des sentiers battus pour trouver une voie rapide vers un traitement thérapeutique », explique André Loesekrug-Pietri, directeur exécutif de la fondation qui se veut l’équivalent européen de la DARPA (Defense Advanced Research Project Agency), aux Etats-Unis. « Il est ouvert, et n'entre donc pas en concurrence avec les projets en cours sur la recherche d'un traitement ». L'initiative, qui est le premier défi lancé officiellement par la JEDI, est soutenue financièrement par le fonds AXA pour la recherche, et le groupe pharmaceutique Merck.
Une approche pluridisciplinaire
Pour accélérer la recherche de médicaments contre l’épidémie, la JEDI mise sur une approche pluridisciplinaire, ouverte aussi bien au laboratoires, qu'aux entreprises et aux start-up. « Nous fixons les objectifs à atteindre. Les moyens sont libres », appuie André Loesekrug-Pietri, « Nous voulons être surpris par les solutions apportées ». Au total une centaine d’équipes, réunissant des compétences en modélisation dynamique, en algorithme, biologie moléculaire et en virologie, sont attendues lors du coup de départ de la première phase.
Celle-ci se déroulera sur quatre semaines et consistera en un criblage moléculaire, réalisé à « une échelle encore jamais connue » selon la JEDI. Ce travail « in-silico » s’annonce en effet vertigineux : les équipes devront utiliser 3 méthodes de calcul différentes, laissées à la discrétion des chercheurs, afin de passer au crible la bibliothèque d’un milliard de molécules.
Elles devront ensuite établir une liste, consensuelle aux 3 méthodes déployées, de 10 000 molécules classées par affinités sur au moins 3 cibles du virus SARS-CoV-2 (comme par exemple les fameuses protéines Spike, dont la disposition en couronne est spécifique à la la famille des coronavirus), parmi la vingtaine déjà identifiée. L’affinité recherchée doit être inférieure à 100 nanomoles. « C’est un niveau d’affinité très fort avec la molécule », souligne André Loesekrug-Pietri.
Entre 10 et 50 petaflops de puissance disponible
Des partenaires stratégiques fourniront les outils de base : Merck mettra à disposition des participants la bibliothèque de molécules de sa filiale Sigma Aldrich, le projet américain Folding@home, spécialisée dans la simulation de la dynamique des protéines, apportera son catalogue de cibles, tandis que le spécialistes du calcul haute performance Atos et l’organisme français GENCI (Grand équipement national de calcul intensif) donneront accès à leurs supercalculateurs, dont le supercalculateur Jean Zay ,déjà mobilisé dans la lutte contre le Covid-19. Deutsche Telekom mettra également à disposition la puissance de CPU et de GPU pour soutenir ce projet.
« Un article de la revue Nature paru récemment a estimé qu’il faudrait l’équivalent de 160 000 cœurs pour tester quelques dizaines de milliers de molécules en une journée », pointe André Loesekrug-Pietri « Nous avons voulu sécuriser une puissance de calcul colossale pour ce projet ». Un système de ticket sera mis en place pour permettre aux équipes de bénéficier de temps de calcul. Le JEDI Billion Molecules GrandChallenge vise a minima entre 10 et 50 petaflops de puissance disponible pour les équipes participantes.
« Dans le criblage moléculaire, c’est souvent la technique de la force brute qui est utilisée. C’est dans ce domaine que la pluridisciplinarité va s’avérer intéressante, car elle va permettre de mettre au point des algorithmes qui vont pouvoir accroître d’un facteur 50, voire 100, la capacité de calcul. C’est très proche de ce qui se fait dans les modèles climatiques », poursuit André Loesekrug-Pietri.
Un comité scientifique prestigieux
Un comité scientifique, également pluridisciplinaire et composé de grands noms de la science, comme Sir Peter Ratcliffe, prix Nobel de médecine 2019, Bernhard Schölkopf de l’institut Max Planck for Intelligent Systems, Marion Guillou ancienne PDG de l'INRA, Stephane Requena directeur technique du GENCI ou encore Daniel Verwaerde ancien administrateur général du CEA, sera chargé d’évaluer les soumissions et d’établir une liste « ultime » de molécules. Elle constituera le point de départ de la deuxième phase du challenge. L’équipe dont la liste de molécules affichera le plus d’affinités avec le virus recevra un prix de 250 000 euros.
Réduire la charge virale de 99%
Celle-ci qui durera également 4 semaines et devrait se conclure fin juin, consistera à une évaluation in-vitro des molécules pour permettre une réduction de la charge virale de 99%. Les équipes pourront être les mêmes que lors de la première phase ou rejointes par de nouvelles. Là encore une enveloppe de 250 000 euros sera accordée à l’équipe ayant obtenu les meilleurs résultats.
Si les deux premières phases sont séquentielles, la phase 3 possède un objectif annexe : elle consiste à trouver des cocktails de molécules « sur étagère », approuvée par l’agence de santé américaine FDA et pouvant rapidement être évaluée cliniquement, qui montre un niveau d'interaction très élevé avec le virus. Véritable graal, l’équipe qui parviendrait à identifier cette molécule recevra un "prix spécial" de 1,5 million d’euros. Cette troisième phase est activable à tout moment et devrait s'étendre sur au moins 12 semaines. Son industrialisation pourrait en revanche prendre plus de temps.
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