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Le Rafale : chronique d’un flop annoncé ?
Le salon du Bourget a fermé ses portes récemment et le Rafale, avion de combat Français, a une nouvelle fois été présenté en démonstration, 19 ans après le vol inaugural du premier prototype et 6 ans après le premier essai de l’avion de série. Une de ses dernières chances de décoller ?
Il devait être la fierté de l’armée de l’air Française, le fer de lance de l’industrie de l’armement et de Dassault aviation. Le Rafale, avion polyvalent, bijou technologique, coûtera 33,2 milliards d’euros pour son développement sur 30 ans(1). Mais à ce jour, l’armée Française n’en a reçu que quelques exemplaires, et aucun Rafale n’a encore été exporté. Fallait-il se lancer dans un tel programme ? Des voix s’élèvent contre ce qui pourrait être un des plus grands gouffres financiers que la défense n’ait jamais connu.
Un avion polyvalent aux caractéristiques alléchantes
Disponible en plusieurs versions (B pour biplace, C pour monoplace, M pour Marine et N pour biplace embarqué sur porte-avions) et capable de prouesses inédites, selon ses fabricants, le Rafale pourra, sans revenir à sa base, réaliser différentes missions air-air ou air-sol. Il est doté de radars hyper performants et peut voler à mach 1,8 de 30 à 16500 m d’altitude, avec une vitesse ascensionnelle de 325 m/s. Son rayon d’action est de 1800 km (pour 3 heures de mission) et sa version M peut atterrir sans peine sur le porte-avions Charles de Gaulle et se ranger sans avoir à replier ses ailes grâce à sa modeste envergure.
Du retard à l’allumage
Cependant, pour en arriver là, il a fallu près de 20 ans. « Le Rafale A de démonstration technologique a effectué son premier vol en juillet 1986. Après l’échec des discussions entre la France et les 4 nations de l’Eurofighter, le gouvernement français a décidé en 1987 de procéder de manière unilatérale au développement et à la production du Rafale. Le premier des 4 prototypes produits a volé en 1991. »(2) En 1989, le marché du Rafale était estimé de 800 à 1200 exemplaires, dont 250 pour notre armée de l’air et 86 pour la marine. Mais fin 2004, le projet de loi de finances 2005 notifie : « La commande globale de 59 avions, dont 46 pour l’armée de l’air, devrait être passée d’ici la fin de 2004, à l’issue de longues négociations. Le retard de cette commande, qui devait être initialement passée en 2003, se traduit par un léger réaménagement du calendrier de livraison des appareils. » Charles Edelstenne lui-même, PDG de Dassault Aviation, reconnaissait devant la commission parlementaire de la défense que « Les contraintes budgétaires et les étalements imposés ont cependant érodé cette cohérence initiale. La constitution du premier escadron destiné à l’armée de l’air a été décalée de huit ans, de 1997 à 2005 ». Ce qui n’est pas sans conséquence puisque « des obsolescences coûteuses, concernant les composants, sont apparues. Le programme a dû faire face à une concurrence renforcée, qui inclut maintenant l’appareil américain F-35, ex-JSF (Joint Strike Fighter). De plus, ce programme a souffert d’une remise en cause récurrente de sa crédibilité, de sa stabilité et de sa cohérence. Aujourd’hui, dix Rafale Marine ont été livrés, de septembre 1999 à octobre 2002, ce qui représente un avion tous les quatre mois, suivi d’un arrêt de production de dix-huit mois. Le nombre d’heures de vol réalisé est très faible ; 3 600 heures à la fin 2003, alors qu’il est d’usage de considérer que la maturation et la fiabilité d’un avion de combat sont acquises à 100 000 heures de vol. Alors que le programme initial prévoyait 137 avions livrés à la fin 2000, il n’y en a eu que cinq. Aujourd’hui, treize avions ont été livrés. »(3) L’Etat français a cependant commandé 120 appareils (dont un tiers en version marine) : on devrait atteindre les 300 à l’horizon 2020. En principe.
Un coût unitaire à la hauteur de la sophistication de l’appareil
Mais le « jouet » coûte cher. S’il est, paraît-il, l’un des meilleurs du marché, il est aussi un des plus chers : 89 millions d’euros l’unité, selon Dassault aviation, soit environ 3 fois plus que le Mirage 2000 auquel il est censé succéder. Il faut dire que « le Rafale est un programme national comprenant une cellule, une motorisation, une avionique et des armes complètement nouvelles. En conséquence, le coût exorbitant du programme l’a amené à concurrencer d’autres projets – comme le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et l’hélicoptère de combat Tigre – dans le cadre d’un budget fluctuant et limité, ce qui a longuement retardé le financement de la production. »(4) Cependant, d’après son fabricant, il est moins cher que ses deux concurrents directs. Le F-15 américain coûte 98 millions d’euros, et l’Eurofighter Typhoon 145 millions d’euros. Charles Edelstenne défend d’ailleurs son bilan en assurant que le programme Rafale est « le seul programme au monde à avoir respecté son budget national ». Et de noter que « le bilan industriel et financier des treize premiers avions livrés est positif »(5). De plus, il assure que le Rafale est un avion fiable et à l’entretien facile, ce qui se traduit par des coûts de maintenance considérablement réduits. Ainsi, par exemple, la fiabilité de l’avion permet de réduire les besoins en effectifs de maintenance (-30% par rapport au Mirage 2000).
Export : le Rafale ne décolle pas, le poussera-t-on ?
En dépit de combats acharnés pour lesquels nos politiques sont largement montés au créneau, le Rafale n’a été vendu à aucune armée étrangère. Les Pays-Bas et la Corée du Sud lui ont préféré le F-12 américain et l’Autriche le concurrent européen, l’Eurofighter. Il demeure cependant quelques espoirs en Arabie Saoudite, à Singapour, en Suisse, ou même au Brésil et en Algérie(6) . A Singapour, après l’éviction de l’Eurofighter, le Rafale est désormais seul en course contre le F-15 Eagle de Boeing pour un marché d’un milliard de dollars portant sur une vingtaine d’appareils. Le Rafale serait-il trop cher à l’export ? Ce ne sont pourtant pas les moyens commerciaux qui manquent, certains n’entrant d’ailleurs pas dans les comptes de Dassault Aviation : l’État organise et finance la participation aux nombreux salons des industriels, que cela soit en France ou à l’étranger. Les services des ambassades sont tous dotés d’attachés de défense qui se donnent pour mission de promouvoir ce business. Les nombreuses visites de ministres viennent alourdir la balance. Toutes ces dépenses sortent directement du budget de I’État, donc des impôts. Il n’est cependant pas impossible de penser que l’appareil pourrait être vendu à perte pour amorcer la pompe. En effet, l’état français dispose d’une botte secrète appelée COFACE. Cet organisme privé, dont le principal actionnaire est l’UAP, assure entre autres les ventes d’armes à l’étranger. Sur un contrat classique, si l’acheteur ne paye pas, c’est l’assureur qui paye. Pour les armes, c’est l’Etat. Pertes épongées royalement par le contribuable.
Le Rafale, une nécessité ou une rente financière pour Dassault Aviation ?
Alors que rien n’assure le démarrage d’une carrière commerciale de l’avion, et que le programme risque de se traduire par une perte sèche au final, certains rappelleront qu’ils s’étaient opposés à la fabrication du Rafale, objectant toute nécessité de se lancer dans un tel programme. Le plus emblématique d’entre eux est certainement Etienne Copel. Il fait d’autant plus autorité qu’il a été en 1981 le plus jeune général des armées françaises. Auparavant, en 1973, il avait été l’un des trois pilotes d’avions français qui ont largué une bombe atomique pour des essais à Mururoa, et le premier à le faire sur un monoplace. Après 1981 il a dirigé une des plus importantes bases aériennes françaises, celle de Reims, puis a été nommé sous-chef d’état-major de l’armée de l’air, c’est-à-dire son N°3. En 1984 il démissionnait de l’armée pour défendre ses idées qui n’étaient pas conformes à la doctrine militaire officielle. Il est actuellement Vice-Président du Haut Comité français pour la Défense Civile. À propos du programme Rafale, il déclarait : « En ce qui concerne la composante aérienne de notre force de dissuasion, elle a été conçue pour bombarder Moscou, avec ravitaillements en vol. Ces ravitaillements étant d’ailleurs la partie la plus exposée du vol. Le bombardement de Moscou n’est plus vraiment d’actualité. On peut imaginer des circonstances exceptionnelles où nous aurions encore besoin de cette composante aérienne, par exemple au cas où une guerre menacerait entre l’Inde et le Pakistan, et où nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ne pourraient pas être rapidement dans la zone. Avec de multiples ravitaillements en vol, nous pourrions peut-être ainsi faire, si nécessaire, une démonstration rapide, sur place, de notre capacité de dissuasion. Cependant il faut bien voir que le Rafale, comme le Mirage 2000 qui équipe actuellement notre force aérienne de dissuasion, est un avion de chasse, capable de monter très vite intercepter des avions ennemis. Ce n’est pas véritablement un avion de bombardement à long rayon d’action : son armement le rend peu aérodynamique, et il n’est pas “furtif“ (invisible aux radars). Les Mirage 2000 et Super Etendard sont de bons avions. Les remplacer par des Rafale n’apporte pas d’avantage majeur. J’ai d’ailleurs publié un livre montrant que l’achat des Rafale, soit plus de 35 Milliards d’euros pour les 300 annoncés, était inutile. Ce genre d’information n’est guère repris par les media, qui ne tiennent pas à faire de peine à M. Dassault. On aurait donc pu, comme les Anglais, supprimer la composante aérienne de notre force de dissuasion, et réduire le nombre de nos avions de guerre, sans acheter de Rafale. Cela aurait permis de développer un avion furtif à long rayon d’action digne du XXIème siècle. »(7)
Vers un des plus grands scandales ?
Si l’avion ne se vend pas, s’il s’avère plus coûteux que prévu ou rapidement obsolète (sa conception a plus de 20 ans), ou encore s’il ne répond pas aux réels besoins militaires, le Rafale pourrait entamer une nouvelle carrière sur le devant de la scène médiatico-judiciaire. À moins que l’on ne nous explique, comme pour le Concorde par exemple, qu’il aura contribué au rayonnement de la France et que l’argent dépensé ainsi n’aura pas été perdu. Mais continuer l’exploitation du Rafale coûte que coûte, c’est surtout sauvegarder Dassault Aviation. On peut se demander alors qui est réellement maître du choix : la représentation nationale, les Forces armées ou les industriels ? Ce qui est certain, c’est que sur ces questions sensibles, les citoyens, une fois de plus, n’ont pas leur mot à dire.
Claude Romanet, juillet 2005
(1) Michel Cabirol La Tribune - 28/06/04. Par comparaison, le projet civil ITER de Cadarache coûtera trois fois moins sur la même durée et crée une polémique sur son coût..
(2) Bill Sweetman, «Killer Angels», Journal of Electronic Defense, Novembre 2002.
(3) Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées, Compte rendu n°27, Mercredi 23 juin 2004.
(4) op. cit. Bill Sweetman.
(5) op.cit. Michel Cabirol.
(6) RFI, Philippe Leymarie, 19/06/2005.
(7) Propos recueillis par Alain Mathieu, Société Civile n°39, septembre 2004.
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