Remy Chauvin, Professeur à la Sorbonne, 1976
Le fantastique connaît actuellement une vogue extraordinaire. Tous les éditeurs se croient tenus d'avoir leur propre collection consacrée à toutes les branches du bizarre, de l'étrange et du fantastique. Et ces collections ont un grand caractère commun : leur épouvantable médiocrité, d'autant plus qu'elles se copient les unes les autres. Ce ne sont qu'extra-terrestres plus ou moins douteux, révélations extraordinaires qu'on vous promet sans jamais vous les donner, invocations à tout propos et hors de propos à la parapsychologie. Bref, l'encéphale du public se trouve soumis à un lavage des plus énergiques avec un liquide d'une propreté douteuse.
C'est dommage. Cela me tourmente passablement; surtout parce que la jeunesse constitue une clientèle assidue pour toutes les branches du fantastique, ce qui doit vouloir dire qu'il lui manque quelque chose d'important dans notre civilisation. Mais que faire?
Deux attitudes sont possibles
A mon avis, deux attitudes sont possibles : ou bien lutter à l'aveugle, comme l'Union rationaliste, en prétendant que tout est faux, qu'il n'y a rien de rien dans tout cela et qu'il faut s'en tenir en tout et pour tout à la science (mais c'est de la science du XIXe siècle qu'il s'agit). C'est une attitude inefficace: ces négations forcenées, ce refus de voir parfois l'évidence enlèvent à leurs auteurs toute crédibilité. Tout le monde sait qu'ils sont «obligatoirement contre» et seuls les écoutent ceux qui sont déjà convaincus d'avance. On ne peut guérir la folie par une cure de fanatisme.
La deuxième attitude est plus raisonnable.
N'est-il pas préférable, en effet, d'instruire et d'éduquer le public plutôt que de contredire d'une manière si radicale qu'elle en devient complètement inopérante? Pourquoi ne pas tenter une étude objective des phénomènes vrais ou supposés, essayer de trier le vrai du faux et raisonner le bon peuple à partir de cela, mais seulement après étude préalable et non pas avant?
Un exemple...
Prenons l'exemple des vitamines. Après la guerre de 1940 et dans les années difficiles qui ont suivi la Libération, beaucoup de personnes étaient ou s'imaginaient carencées en vitamines; en réalité, ils l'étaient bien plutôt en protides, glucides et lipides, car dans le régime moyen de l'Occidental les vitamines ne font guère défaut. Mais toujours est-il qu'ils le croyaient et que d'astucieux charlatans en profitèrent. J'ai tenu entre mes mains une préparation pharmaceutique qui contenait, dans toute la boîte, une dose de vitamines diverses correspondant à peu de chose près à ce que l'Occidental absorbe en une journée avec sa nourriture ! Et on recommandait de n'en prendre qu'une cuillère à café après les repas! Tous ces abus n'empêchent pas que les vitamines sont des substances physiologiquement intéressantes et les physiologistes ne rougissent nullement de les étudier. Que diriez-vous si de quelconques rationalistes avaient pris bruyamment parti contre les vitamines sous prétexte qu'en parler est malsain, trompe le public et l'emmène ainsi dans des voies contraires à la science? Cependant c'est ce qu'ils font non pas à propos des vitamines - ils ne sont pas fous à ce point-là! - mais à propos de mille autres questions tout aussi importantes.
Les rationalistes
Ah! Ces braves rationalistes! J'en ai lourd sur le cœur à leur propos et, de par tous les diables, il faut que je me libère!
Je les connais bien. J'ai même pris la parole dans leur antre et ils ne m'ont pas dévoré. Parce qu'ils ne sont pas méchants. Ce sont même de fort honnêtes gens. Mais j'ai toujours été l'ennemi du fanatisme, de la bigoterie et de la superstition, et ces trois maux les affligent au suprême degré. Et je vous jure qu'ils prostituent la déesse Raison dans de curieuses circonstances, et souvent.
Il faut savoir qu'ils se sont forgé une sorte de religion extrêmement tyrannique et se sont investis eux-mêmes de la mission de protéger le public contre le Mal, de le guider dans la voie du Bien, et par la force si c'est nécessaire. Oui, mais, qu'est-ce que le Mal? Pour eux, il réside dans toute une série de problèmes interdits et dont la liste s'allonge tous les jours.
Passons sur le problème de Dieu: il est entendu depuis au moins deux siècles qu'il n'existe pas. Nous voilà soulagés. Mais il reste bien des mauvaises herbes dans le champ du père de famille rationaliste. Par exemple, les planètes. Il ne faut pas parler des planètes; qui parle de planètes est soupçonné d'être astrologue, surtout s'il insinue qu'elles peuvent avoir une influence quelconque sur quoi que ce soit. Mais, me direz-vous, la Lune et les marées? Sans doute, un rationaliste admettra d'assez mauvaise grâce que la Lune n'est peut-être pas tout à fait inutile pour expliquer les marées. Mais tenez-vous-en là; il serait malsain de vous demander si, parce qu'elle agite la mer, elle ne pourrait pas non plus agiter les pattes d'une mouche (Brown a cru distinguer une certaine influence des phases de la Lune sur le comportement de divers insectes): mais ceci constitue une influence des astres sur le plan biologique, et donc de l'astrologie! Je ne plaisante aucunement; moi qui suis du métier, je vous jure bien que si un jeune s'avisait de faire une thèse sur l'influence de la Lune sur les végétaux et les animaux il aurait tout le monde contre lui, et il faudrait que le travail soit diablement bon pour être admis; et, même dans cette hypothèse, je ne suis pas sûr que la thèse passerait.
Donc, les influences planétaires sont exclues. Reste le Soleil. Ce n'est pas une planète, mais il a tout de même un passé chargé du côté astrologique. Il n'est pas dépourvu de toute influence sur la Terre ; on ne peut pas le nier, il est trop gros. Mais, s'il vous plaît, pas de recherches malsaines sur l'influence du Soleil en biologie! Les taches solaires et leurs variations? Oui, peut-être; enfin il est admis qu'elles «font quelque chose» à la terre. Mais des travaux là-dessus ne sont que modérément recommandés. Il y a tant de belles choses à faire, disent les rationalistes; pourquoi vous exciter justement là-dessus? N'auriez-vous pas par hasard des tendances mystiques refoulées et, pour tout dire, astrologiques, embusquées dans votre subconscient?
La vie ailleurs que sur la Terre
A part l'influence des planètes, on peut lever un autre lièvre, horrible, quant à l'existence possible de la vie ailleurs que sur la Terre. Et comme cela paraît difficile à supposer sur les étoiles, il faut bien que ce soit sur les - excusez l'obscénité du terme, j'hésite à l'écrire - sur les planètes. Alors, là, vous déclenchez des accès de rage véritables chez une foule de collègues qui, à part leurs obsessions rationalistes, sont tout à fait gentils et normaux. Je me souviens d'une scène incroyable dans le bureau d'Ostoya, l'ancien directeur de «la Nature». Il me suppliait, à propos d'un article que je devais écrire, de convenir du moins avec lui qu'il ne pouvait y avoir de vie sur Mars, non seulement des animaux supérieurs mais même pas des inférieurs! Je me défendais comme un diable en réclamant le droit de ne pas savoir, et donc ne rien dire ni pour ni contre! Cela a duré près d'une heure; et, après plus de dix ans, je m'en souviens encore sans parvenir à y croire.
Avez-vous noté le ton triomphal avec lequel les rationalistes ont accueilli les premiers matériaux lunaires parvenus sur la Terre, en déclarant que maintenant on était bien sûr qu'il n'y avait pas de vie sur la Lune : Or, j’admet bien volontiers que si on trouvait quelque chose de vivant à la surface de la Lune, cela serait bien surprenant ; si l'on y trouvait des fossiles, ça m'étonnerait déjà moins. Mais convenez à votre tour que nous avons à peine égratigné une infime partie du sol lunaire et qu'il ne faut pas parler trop vite. Croyez-vous qu'un Martien qui atterrirait au milieu du Tanezrouft ou dans le désert de Perse y trouverait la vie en abondance? Enfin, passons pour la Lune. Je crois que la vie, dans l'hypothèse improbable où elle existerait, n'y abonde pas! Mais il y a Mars.
Le fantastique connaît actuellement une vogue extraordinaire. Tous les éditeurs se croient tenus d'avoir leur propre collection consacrée à toutes les branches du bizarre, de l'étrange et du fantastique. Et ces collections ont un grand caractère commun : leur épouvantable médiocrité, d'autant plus qu'elles se copient les unes les autres. Ce ne sont qu'extra-terrestres plus ou moins douteux, révélations extraordinaires qu'on vous promet sans jamais vous les donner, invocations à tout propos et hors de propos à la parapsychologie. Bref, l'encéphale du public se trouve soumis à un lavage des plus énergiques avec un liquide d'une propreté douteuse.
C'est dommage. Cela me tourmente passablement; surtout parce que la jeunesse constitue une clientèle assidue pour toutes les branches du fantastique, ce qui doit vouloir dire qu'il lui manque quelque chose d'important dans notre civilisation. Mais que faire?
Deux attitudes sont possibles
A mon avis, deux attitudes sont possibles : ou bien lutter à l'aveugle, comme l'Union rationaliste, en prétendant que tout est faux, qu'il n'y a rien de rien dans tout cela et qu'il faut s'en tenir en tout et pour tout à la science (mais c'est de la science du XIXe siècle qu'il s'agit). C'est une attitude inefficace: ces négations forcenées, ce refus de voir parfois l'évidence enlèvent à leurs auteurs toute crédibilité. Tout le monde sait qu'ils sont «obligatoirement contre» et seuls les écoutent ceux qui sont déjà convaincus d'avance. On ne peut guérir la folie par une cure de fanatisme.
La deuxième attitude est plus raisonnable.
N'est-il pas préférable, en effet, d'instruire et d'éduquer le public plutôt que de contredire d'une manière si radicale qu'elle en devient complètement inopérante? Pourquoi ne pas tenter une étude objective des phénomènes vrais ou supposés, essayer de trier le vrai du faux et raisonner le bon peuple à partir de cela, mais seulement après étude préalable et non pas avant?
Un exemple...
Prenons l'exemple des vitamines. Après la guerre de 1940 et dans les années difficiles qui ont suivi la Libération, beaucoup de personnes étaient ou s'imaginaient carencées en vitamines; en réalité, ils l'étaient bien plutôt en protides, glucides et lipides, car dans le régime moyen de l'Occidental les vitamines ne font guère défaut. Mais toujours est-il qu'ils le croyaient et que d'astucieux charlatans en profitèrent. J'ai tenu entre mes mains une préparation pharmaceutique qui contenait, dans toute la boîte, une dose de vitamines diverses correspondant à peu de chose près à ce que l'Occidental absorbe en une journée avec sa nourriture ! Et on recommandait de n'en prendre qu'une cuillère à café après les repas! Tous ces abus n'empêchent pas que les vitamines sont des substances physiologiquement intéressantes et les physiologistes ne rougissent nullement de les étudier. Que diriez-vous si de quelconques rationalistes avaient pris bruyamment parti contre les vitamines sous prétexte qu'en parler est malsain, trompe le public et l'emmène ainsi dans des voies contraires à la science? Cependant c'est ce qu'ils font non pas à propos des vitamines - ils ne sont pas fous à ce point-là! - mais à propos de mille autres questions tout aussi importantes.
Les rationalistes
Ah! Ces braves rationalistes! J'en ai lourd sur le cœur à leur propos et, de par tous les diables, il faut que je me libère!
Je les connais bien. J'ai même pris la parole dans leur antre et ils ne m'ont pas dévoré. Parce qu'ils ne sont pas méchants. Ce sont même de fort honnêtes gens. Mais j'ai toujours été l'ennemi du fanatisme, de la bigoterie et de la superstition, et ces trois maux les affligent au suprême degré. Et je vous jure qu'ils prostituent la déesse Raison dans de curieuses circonstances, et souvent.
Il faut savoir qu'ils se sont forgé une sorte de religion extrêmement tyrannique et se sont investis eux-mêmes de la mission de protéger le public contre le Mal, de le guider dans la voie du Bien, et par la force si c'est nécessaire. Oui, mais, qu'est-ce que le Mal? Pour eux, il réside dans toute une série de problèmes interdits et dont la liste s'allonge tous les jours.
Passons sur le problème de Dieu: il est entendu depuis au moins deux siècles qu'il n'existe pas. Nous voilà soulagés. Mais il reste bien des mauvaises herbes dans le champ du père de famille rationaliste. Par exemple, les planètes. Il ne faut pas parler des planètes; qui parle de planètes est soupçonné d'être astrologue, surtout s'il insinue qu'elles peuvent avoir une influence quelconque sur quoi que ce soit. Mais, me direz-vous, la Lune et les marées? Sans doute, un rationaliste admettra d'assez mauvaise grâce que la Lune n'est peut-être pas tout à fait inutile pour expliquer les marées. Mais tenez-vous-en là; il serait malsain de vous demander si, parce qu'elle agite la mer, elle ne pourrait pas non plus agiter les pattes d'une mouche (Brown a cru distinguer une certaine influence des phases de la Lune sur le comportement de divers insectes): mais ceci constitue une influence des astres sur le plan biologique, et donc de l'astrologie! Je ne plaisante aucunement; moi qui suis du métier, je vous jure bien que si un jeune s'avisait de faire une thèse sur l'influence de la Lune sur les végétaux et les animaux il aurait tout le monde contre lui, et il faudrait que le travail soit diablement bon pour être admis; et, même dans cette hypothèse, je ne suis pas sûr que la thèse passerait.
Donc, les influences planétaires sont exclues. Reste le Soleil. Ce n'est pas une planète, mais il a tout de même un passé chargé du côté astrologique. Il n'est pas dépourvu de toute influence sur la Terre ; on ne peut pas le nier, il est trop gros. Mais, s'il vous plaît, pas de recherches malsaines sur l'influence du Soleil en biologie! Les taches solaires et leurs variations? Oui, peut-être; enfin il est admis qu'elles «font quelque chose» à la terre. Mais des travaux là-dessus ne sont que modérément recommandés. Il y a tant de belles choses à faire, disent les rationalistes; pourquoi vous exciter justement là-dessus? N'auriez-vous pas par hasard des tendances mystiques refoulées et, pour tout dire, astrologiques, embusquées dans votre subconscient?
La vie ailleurs que sur la Terre
A part l'influence des planètes, on peut lever un autre lièvre, horrible, quant à l'existence possible de la vie ailleurs que sur la Terre. Et comme cela paraît difficile à supposer sur les étoiles, il faut bien que ce soit sur les - excusez l'obscénité du terme, j'hésite à l'écrire - sur les planètes. Alors, là, vous déclenchez des accès de rage véritables chez une foule de collègues qui, à part leurs obsessions rationalistes, sont tout à fait gentils et normaux. Je me souviens d'une scène incroyable dans le bureau d'Ostoya, l'ancien directeur de «la Nature». Il me suppliait, à propos d'un article que je devais écrire, de convenir du moins avec lui qu'il ne pouvait y avoir de vie sur Mars, non seulement des animaux supérieurs mais même pas des inférieurs! Je me défendais comme un diable en réclamant le droit de ne pas savoir, et donc ne rien dire ni pour ni contre! Cela a duré près d'une heure; et, après plus de dix ans, je m'en souviens encore sans parvenir à y croire.
Avez-vous noté le ton triomphal avec lequel les rationalistes ont accueilli les premiers matériaux lunaires parvenus sur la Terre, en déclarant que maintenant on était bien sûr qu'il n'y avait pas de vie sur la Lune : Or, j’admet bien volontiers que si on trouvait quelque chose de vivant à la surface de la Lune, cela serait bien surprenant ; si l'on y trouvait des fossiles, ça m'étonnerait déjà moins. Mais convenez à votre tour que nous avons à peine égratigné une infime partie du sol lunaire et qu'il ne faut pas parler trop vite. Croyez-vous qu'un Martien qui atterrirait au milieu du Tanezrouft ou dans le désert de Perse y trouverait la vie en abondance? Enfin, passons pour la Lune. Je crois que la vie, dans l'hypothèse improbable où elle existerait, n'y abonde pas! Mais il y a Mars.
Dernière édition par Schattenjägger le Dim 21 Juin - 15:07, édité 1 fois
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