Boulogne-sur-Mer présente pour la première fois ensemble les 70 masques découverts par l'explorateur sur l'île de Kodiak (Alaska). Et s'interroge sur leur authenticité.
Kaniktuk (Neige ?) (Philippe Beurtheret/Collection Château-Musée de Boulogne-sur-mer)
En présentant pour la première fois l'intégralité de sa collection de masques sugpiat d'Alaska, le ­Château-Musée de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) convie à une aventure fascinante. Celle de l'explorateur qui a rapporté par dizaines ces figures grimaçantes et mystérieuses, dont on ne connaît aujourd'hui qu'une quarantaine d'autres exemplaires dans le ­monde (au Smithsonian de Washington, au Musée national de Finlande et au Kunstkamera de Saint-Pétersbourg). Sa vie ferait un scénario idéal pour Hollywood.
Entre avril 1871 et mai 1872, le Boulonnais Alphonse Pinart (1852-1911) circule en kayak dans l'archipel Kodiak, encore majoritairement peuplé d'Inuits de ­langue alutiiq. Il cherche à démontrer que les populations natives d'Amérique sont originaires d'Asie. Malgré sa jeunesse, ce n'est pas sa première expédition dans le Grand Ouest. Une première, effectuée en 1869 en Californie et en Arizona, a été fructueuse en pièces anthropologiques. Hélas ! les caisses n'ont jamais atteint la France, le train qui les acheminait ayant été attaqué… par les Apaches !
Comme le précédent, ce second voyage est financé par les usines métallurgiques familiales. Le linguiste cartographe en herbe ne cherche pas seulement à constituer un dictionnaire ou à améliorer la géographie. Il traque l'objet indigène, car il veut frapper un grand coup afin de se faire reconnaître par la communauté scientifique. À Paris, le ministère de l'Instruction publique s'apprête à créer une commission des voyages qui pourrait subventionner ses travaux, du moins si le Muséum d'histoire naturelle estime sa collecte digne d'une exposition entre ses murs.
C'est au cours de l'hivernage de 1871 que Pinart aurait touché le jackpot. Dans ses notes ultérieures, il affirme être entré dans une caverne funéraire et avoir découvert l'essentiel des soixante-dix masques conservés depuis dans sa ville d'origine (plus sept autres conservés au Musée du Trocadéro puis au Musée du quai Branly).
Une identité et une fierté
Aujourd'hui, ces trésors contribuent à la gloire des institutions ethnologiques françaises et, en Alaska, sont le socle d'un vaste mouvement de renaissance culturelle. Danses, contes, langue (car les masques sont étiquetés avec leurs noms en alutiiq transcrits phonétiquement par Pinart) et bien sûr styles plastiques ont largement été reconstitués à partir de ces pièces prétendument originelles. Ce mince patrimoine fait surtout l'identité et la fierté des îles Kodiak, laminées depuis deux siècles par la présence ­successive des Russes et des ­Américains, victimes d'un tsunami en 1912 et de la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en 1989.
Ashigik (L'Idiot/Celui qui a de la chance) (Philippe Beurtheret/Collection Château-Musée de Boulogne-sur-mer)
Toutefois, ceux qui étudient sérieusement ce fonds ne peuvent occulter la question de son authenticité. «En général, partout dans le monde indien ou esquimau, à la fin des cérémonies, les masques sont brûlés, cassés ou jetés», rappelle Perry Eaton, sculpteur d'Anchorage invité en résidence au château-musée. «Il est possible que Pinart ait demandé aux autochtones de lui fabriquer des masques, avance la conservatrice Anne-Claire Laronde. Certains pourraient être des duplicatas, d'autres ne sont manifestement pas finis, enfin quelques-uns sont si petits qu'on dirait des objets de décor. Quoi qu'il en soit, il est fort peu probable que tous aient servi lors de rituels.» «Certaines de leurs peintures seraient européennes, ajoute Sven Haakanson, directeur de l'Alutiiq Museum de Kodiak. Car, en dehors de l'ocre rouge et du charbon, les colorants traditionnels s'effacent rapidement.»
Il n'empêche : grâce à ces masques, Pinart arriva à ses fins. Le Muséum l'exposa, il obtint le statut de voyageur-collecteur subventionné par l'État. Mais était-il si sérieux que cela ? Un témoin qui le croisa sur un bateau en partance pour Tahiti l'a décrit comme un original «touche-à-tout». Plus grave : c'est Pinart qui, en 1875, acheta à un marchand de curiosités et revendit à la France le fameux crâne de cristal précolombien aujourd'hui conservé au Quai Branly. Lui est, incontestablement, un faux (voir nos éditions du 18 avril 2008). Objets authentiques ou de circonstance ? La connaissance des masques sugpiat sera à jamais morcelée et lacunaire. On doit admettre leur ambiguïté. Elle fait aussi leur richesse.
Jusqu'au 7 décembre, «Giinaquq : comme un visage. Masques d'Alaska» au Château-Musée, rue de Bernet ,62200 Boulogne-sur-Mer. Tél. : 03 21 10 02 20. Catalogue édité par l'Université de l'Alaska, 280 p., 20 €.
Kaniktuk (Neige ?) (Philippe Beurtheret/Collection Château-Musée de Boulogne-sur-mer)
En présentant pour la première fois l'intégralité de sa collection de masques sugpiat d'Alaska, le ­Château-Musée de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) convie à une aventure fascinante. Celle de l'explorateur qui a rapporté par dizaines ces figures grimaçantes et mystérieuses, dont on ne connaît aujourd'hui qu'une quarantaine d'autres exemplaires dans le ­monde (au Smithsonian de Washington, au Musée national de Finlande et au Kunstkamera de Saint-Pétersbourg). Sa vie ferait un scénario idéal pour Hollywood.
Entre avril 1871 et mai 1872, le Boulonnais Alphonse Pinart (1852-1911) circule en kayak dans l'archipel Kodiak, encore majoritairement peuplé d'Inuits de ­langue alutiiq. Il cherche à démontrer que les populations natives d'Amérique sont originaires d'Asie. Malgré sa jeunesse, ce n'est pas sa première expédition dans le Grand Ouest. Une première, effectuée en 1869 en Californie et en Arizona, a été fructueuse en pièces anthropologiques. Hélas ! les caisses n'ont jamais atteint la France, le train qui les acheminait ayant été attaqué… par les Apaches !
Comme le précédent, ce second voyage est financé par les usines métallurgiques familiales. Le linguiste cartographe en herbe ne cherche pas seulement à constituer un dictionnaire ou à améliorer la géographie. Il traque l'objet indigène, car il veut frapper un grand coup afin de se faire reconnaître par la communauté scientifique. À Paris, le ministère de l'Instruction publique s'apprête à créer une commission des voyages qui pourrait subventionner ses travaux, du moins si le Muséum d'histoire naturelle estime sa collecte digne d'une exposition entre ses murs.
C'est au cours de l'hivernage de 1871 que Pinart aurait touché le jackpot. Dans ses notes ultérieures, il affirme être entré dans une caverne funéraire et avoir découvert l'essentiel des soixante-dix masques conservés depuis dans sa ville d'origine (plus sept autres conservés au Musée du Trocadéro puis au Musée du quai Branly).
Une identité et une fierté
Aujourd'hui, ces trésors contribuent à la gloire des institutions ethnologiques françaises et, en Alaska, sont le socle d'un vaste mouvement de renaissance culturelle. Danses, contes, langue (car les masques sont étiquetés avec leurs noms en alutiiq transcrits phonétiquement par Pinart) et bien sûr styles plastiques ont largement été reconstitués à partir de ces pièces prétendument originelles. Ce mince patrimoine fait surtout l'identité et la fierté des îles Kodiak, laminées depuis deux siècles par la présence ­successive des Russes et des ­Américains, victimes d'un tsunami en 1912 et de la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en 1989.
Ashigik (L'Idiot/Celui qui a de la chance) (Philippe Beurtheret/Collection Château-Musée de Boulogne-sur-mer)
Toutefois, ceux qui étudient sérieusement ce fonds ne peuvent occulter la question de son authenticité. «En général, partout dans le monde indien ou esquimau, à la fin des cérémonies, les masques sont brûlés, cassés ou jetés», rappelle Perry Eaton, sculpteur d'Anchorage invité en résidence au château-musée. «Il est possible que Pinart ait demandé aux autochtones de lui fabriquer des masques, avance la conservatrice Anne-Claire Laronde. Certains pourraient être des duplicatas, d'autres ne sont manifestement pas finis, enfin quelques-uns sont si petits qu'on dirait des objets de décor. Quoi qu'il en soit, il est fort peu probable que tous aient servi lors de rituels.» «Certaines de leurs peintures seraient européennes, ajoute Sven Haakanson, directeur de l'Alutiiq Museum de Kodiak. Car, en dehors de l'ocre rouge et du charbon, les colorants traditionnels s'effacent rapidement.»
Il n'empêche : grâce à ces masques, Pinart arriva à ses fins. Le Muséum l'exposa, il obtint le statut de voyageur-collecteur subventionné par l'État. Mais était-il si sérieux que cela ? Un témoin qui le croisa sur un bateau en partance pour Tahiti l'a décrit comme un original «touche-à-tout». Plus grave : c'est Pinart qui, en 1875, acheta à un marchand de curiosités et revendit à la France le fameux crâne de cristal précolombien aujourd'hui conservé au Quai Branly. Lui est, incontestablement, un faux (voir nos éditions du 18 avril 2008). Objets authentiques ou de circonstance ? La connaissance des masques sugpiat sera à jamais morcelée et lacunaire. On doit admettre leur ambiguïté. Elle fait aussi leur richesse.
Jusqu'au 7 décembre, «Giinaquq : comme un visage. Masques d'Alaska» au Château-Musée, rue de Bernet ,62200 Boulogne-sur-Mer. Tél. : 03 21 10 02 20. Catalogue édité par l'Université de l'Alaska, 280 p., 20 €.
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