Histoire | Michée Chauderon fut exécutée pour maléfice en 1652. L’historien Michel Porret revient sur son cas et publie ses procès.
DR | Sorcellerie. C’est entre 1580 et 1620 que la chasse aux sorcières a connu son apogée.
ESTELLE LUCIEN | 26.10.2009 | 23:00
Que d’encre n’a-t-elle pas fait couler? Voltaire et Condorcet ont décrit le sort de Michée Chauderon, accusée de sorcellerie, condamnée, pendue et brûlée en avril 1652 à Genève. «C’est la sorcière de l’Ancien Régime sur laquelle on a le plus écrit», reconnaît Michel Porret. Dans son dernier ouvrage, à paraître en décembre, L’ombre du diable (*), l’historien genevois raconte à son tour cette affaire célèbre car, écrit-il: «Intenté vingt ans auparavant, le procès n’aurait connu aucune postérité. Vingt ans plus tard, alors que le diable devient l’hypothèse improbable pour expliquer le mal, le procès est impossible.»
Paillardise et sorcellerie
La particularité de ce nouveau livre tient dans la retranscription intégrale des deux procès intentés à cette lavandière catholique, née en pays de Savoie: le premier pour «paillardise» en 1639 et le second pour sorcellerie en 1652. Ces documents sont le fruit d’un travail de fourmi réalisé par une dizaine d’étudiants en histoire moderne du département d’histoire générale de l’Université de Genève.
Drame personnel, condition féminine, justice arbitraire, rumeurs publiques, peur du mal et croyances populaires, tels sont les ingrédients de cet imbroglio judiciaire qui a conduit à la potence une femme de 50 ans, un matin d’avril 1652.
Michée Chauderon voit le jour en 1600 ou peut-être 1601 à Boëge. Elle n’a pas 30 ans lorsqu’elle immigre à Genève. Avant d’avoir pu l’épouser, elle perd un premier homme dont elle porte l’enfant. Encore enceinte, elle fricote avec Louis Ducrest, marié mais qui devient veuf à son tour. Dans la Genève protestante de 1639, ça jase. Plus que cela. Michée Chauderon est bannie. Elle quitte la ville avec un nouveau mari et un enfant à naître. Ni l’un ni l’autre ne survivront.
Quelques années plus loin, Michée est de retour dans la cité calviniste. Elle y blanchit le linge de quelques bonnes familles. Et se taille une petite réputation de guérisseuse en mitonnant une soupe aux multiples vertus.
Une soupe, une sorcière, c’est un classique. Et c’est le malheur de Michée. Une histoire de bonnes femmes qui tourne mal. Du coup, la bouillie de la blanchisseuse, après avoir guéri, rendrait malade. La rumeur enfle. Une première salve atteint Michée, qu’on accuse d’avoir dérobé un chandelier. «Le vol domestique étant un des crimes les plus graves de l’Ancien Régime», relève Michel Porret. La lampe retrouvée rapidement, cette première accusation tombe. Mais un autre feu s’allume. Deux gamines, en prise à des crises inexpliquées, prétendent que la lavandière leur a «baillé le mal». Huit autres femmes témoignent. Elles ont vu ces deux jeunes filles en prise à d’atroces tourments. «C’est là tout le socle de l’accusation», pointe l’historien.
La visite du corps
Michée est arrêtée en mars 1652 et soumise à 400 questions. «Petit à petit, le procès bascule, relève Michel Porret. On passe d’un conflit de femmes à une accusation de sorcellerie.»
Le malin a-t-il rencontré Michée? Pour le savoir, on confie à deux chirurgiens genevois le soin de «visiter» le corps de la possédée. Le diable laisse la trace de son passage, une empreinte visible, mais insensible et qui ne doit pas saigner. Les experts suivent le protocole médico-légal: ils rasent entièrement Michée, lui bandent les yeux et traquent à l’aide d’une aiguille, qu’ils enfoncent partout, la marque du démon.
Certes, il y a bien quelques cicatrices suspectes, mais de l’avis des spécialistes, rien de satanique. Pour être sûr, une deuxième expertise est effectuée par deux autres chirurgiens et un médecin. «Ils rendent un rapport extraordinaire, spécifiant qu’il y a bien des marques mais que tous les corps en ont et qu’aucune ne peut avoir de cause surnaturelle», raconte Michel Porret.
La fin du calvaire pour Michée? Pas vraiment. A la visite impudique s’ajoute l’estrapade, un supplice qui consiste à suspendre au plafond la malheureuse par les mains et à la lâcher ensuite violemment pour qu’elle s’arrête à quelques centimètres du sol. Michée craque: «Que venant des champs il y a environ deux ans le Diable lui apparut en forme d’une ombre qui la baisa.» Ces paroles la perdent.
On fait venir encore deux chirurgiens de Nyon, vieux routiniers des procès en sorcellerie, qui font les mêmes gestes que les Genevois mais rendent une conclusion sans nuances: Michée porte trois marques du diable. A nouveau torturée, elle avoue: «Finalement qu’étant incitée par le Diable lequel lui avait baillé de la poudre et une pomme à ce sujet, elle a donné du mal à deux filles nommées au procès l’une desquelles en est encore à présent grièvement tourmentée.»
Pendue puis brûlée
Est-ce par pitié ou par douceur qu’on accorda à Michée une dernière volonté, celle de ne pas être brûlée vive? Elle sera d’abord pendue publiquement et sa dépouille brûlée sur le bûcher à Plainpalais. Depuis 1997, la lavandière a une rue à son nom. «A travers Michée Chauderon, la Ville veut honorer toutes celles et tous ceux qui, en tout temps, ont souffert, sont morts assassinés par l’obscurantisme, la peur, la jalousie et la haine. Elle veut aussi rappeler que toutes les époques connaissent leurs marginaux, leurs exclus, leurs proscrits, leurs bûchers. Notre siècle n’en est pas exempt», rappelait Jacqueline Burnand, alors conseillère administrative lors de l’inauguration de cette impasse dédiée à une sorcière.
❚ (*) A paraître: Michel Porret, «L’ombre du diable. Michée Chauderon, la dernière sorcière exécutée à Genève», Editions Georg.
DR | Sorcellerie. C’est entre 1580 et 1620 que la chasse aux sorcières a connu son apogée.
ESTELLE LUCIEN | 26.10.2009 | 23:00
Que d’encre n’a-t-elle pas fait couler? Voltaire et Condorcet ont décrit le sort de Michée Chauderon, accusée de sorcellerie, condamnée, pendue et brûlée en avril 1652 à Genève. «C’est la sorcière de l’Ancien Régime sur laquelle on a le plus écrit», reconnaît Michel Porret. Dans son dernier ouvrage, à paraître en décembre, L’ombre du diable (*), l’historien genevois raconte à son tour cette affaire célèbre car, écrit-il: «Intenté vingt ans auparavant, le procès n’aurait connu aucune postérité. Vingt ans plus tard, alors que le diable devient l’hypothèse improbable pour expliquer le mal, le procès est impossible.»
Paillardise et sorcellerie
La particularité de ce nouveau livre tient dans la retranscription intégrale des deux procès intentés à cette lavandière catholique, née en pays de Savoie: le premier pour «paillardise» en 1639 et le second pour sorcellerie en 1652. Ces documents sont le fruit d’un travail de fourmi réalisé par une dizaine d’étudiants en histoire moderne du département d’histoire générale de l’Université de Genève.
Drame personnel, condition féminine, justice arbitraire, rumeurs publiques, peur du mal et croyances populaires, tels sont les ingrédients de cet imbroglio judiciaire qui a conduit à la potence une femme de 50 ans, un matin d’avril 1652.
Michée Chauderon voit le jour en 1600 ou peut-être 1601 à Boëge. Elle n’a pas 30 ans lorsqu’elle immigre à Genève. Avant d’avoir pu l’épouser, elle perd un premier homme dont elle porte l’enfant. Encore enceinte, elle fricote avec Louis Ducrest, marié mais qui devient veuf à son tour. Dans la Genève protestante de 1639, ça jase. Plus que cela. Michée Chauderon est bannie. Elle quitte la ville avec un nouveau mari et un enfant à naître. Ni l’un ni l’autre ne survivront.
Quelques années plus loin, Michée est de retour dans la cité calviniste. Elle y blanchit le linge de quelques bonnes familles. Et se taille une petite réputation de guérisseuse en mitonnant une soupe aux multiples vertus.
Une soupe, une sorcière, c’est un classique. Et c’est le malheur de Michée. Une histoire de bonnes femmes qui tourne mal. Du coup, la bouillie de la blanchisseuse, après avoir guéri, rendrait malade. La rumeur enfle. Une première salve atteint Michée, qu’on accuse d’avoir dérobé un chandelier. «Le vol domestique étant un des crimes les plus graves de l’Ancien Régime», relève Michel Porret. La lampe retrouvée rapidement, cette première accusation tombe. Mais un autre feu s’allume. Deux gamines, en prise à des crises inexpliquées, prétendent que la lavandière leur a «baillé le mal». Huit autres femmes témoignent. Elles ont vu ces deux jeunes filles en prise à d’atroces tourments. «C’est là tout le socle de l’accusation», pointe l’historien.
La visite du corps
Michée est arrêtée en mars 1652 et soumise à 400 questions. «Petit à petit, le procès bascule, relève Michel Porret. On passe d’un conflit de femmes à une accusation de sorcellerie.»
Le malin a-t-il rencontré Michée? Pour le savoir, on confie à deux chirurgiens genevois le soin de «visiter» le corps de la possédée. Le diable laisse la trace de son passage, une empreinte visible, mais insensible et qui ne doit pas saigner. Les experts suivent le protocole médico-légal: ils rasent entièrement Michée, lui bandent les yeux et traquent à l’aide d’une aiguille, qu’ils enfoncent partout, la marque du démon.
Certes, il y a bien quelques cicatrices suspectes, mais de l’avis des spécialistes, rien de satanique. Pour être sûr, une deuxième expertise est effectuée par deux autres chirurgiens et un médecin. «Ils rendent un rapport extraordinaire, spécifiant qu’il y a bien des marques mais que tous les corps en ont et qu’aucune ne peut avoir de cause surnaturelle», raconte Michel Porret.
La fin du calvaire pour Michée? Pas vraiment. A la visite impudique s’ajoute l’estrapade, un supplice qui consiste à suspendre au plafond la malheureuse par les mains et à la lâcher ensuite violemment pour qu’elle s’arrête à quelques centimètres du sol. Michée craque: «Que venant des champs il y a environ deux ans le Diable lui apparut en forme d’une ombre qui la baisa.» Ces paroles la perdent.
On fait venir encore deux chirurgiens de Nyon, vieux routiniers des procès en sorcellerie, qui font les mêmes gestes que les Genevois mais rendent une conclusion sans nuances: Michée porte trois marques du diable. A nouveau torturée, elle avoue: «Finalement qu’étant incitée par le Diable lequel lui avait baillé de la poudre et une pomme à ce sujet, elle a donné du mal à deux filles nommées au procès l’une desquelles en est encore à présent grièvement tourmentée.»
Pendue puis brûlée
Est-ce par pitié ou par douceur qu’on accorda à Michée une dernière volonté, celle de ne pas être brûlée vive? Elle sera d’abord pendue publiquement et sa dépouille brûlée sur le bûcher à Plainpalais. Depuis 1997, la lavandière a une rue à son nom. «A travers Michée Chauderon, la Ville veut honorer toutes celles et tous ceux qui, en tout temps, ont souffert, sont morts assassinés par l’obscurantisme, la peur, la jalousie et la haine. Elle veut aussi rappeler que toutes les époques connaissent leurs marginaux, leurs exclus, leurs proscrits, leurs bûchers. Notre siècle n’en est pas exempt», rappelait Jacqueline Burnand, alors conseillère administrative lors de l’inauguration de cette impasse dédiée à une sorcière.
❚ (*) A paraître: Michel Porret, «L’ombre du diable. Michée Chauderon, la dernière sorcière exécutée à Genève», Editions Georg.
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