Etienne Klein " l'infini a le don de mettre la physique sous tension :
Le dernier numéro hors-série de Sciences et Avenir propose une promenade dans tous les recoins de l’infiniment petit. A cette occasion, le physicien Etienne Klein explique comment les scientifiques approchent le cœur de la matière. Il nous livre ici sa vision d'un problème passionant: l'origine de cette matière.
Etienne Klein dirige le laboratoire de Recherche sur les sciences de la matière au CEA. (Gérard Chambon, Sipa)
Sciences et Avenir: Les Anciens disaient la matière éternelle. Aujourd’hui, que pensent les physiciens de l’origine de la matière?
Etienne KLEIN: Ils ont pu établir que la plupart des éléments chimiques qui composent l’univers actuel, la matière qui nous environne aussi bien que celle de nos propres corps, ont été synthétisés dans les étoiles, à l’exception des éléments les plus légers (formés, eux, au tout début de l’évolution de l’univers). Dans le prolongement de ce résultat spectaculaire, on se persuade parfois que les sciences seront bientôt capables de saisir l’origine même de l’univers.
Pourtant, la prudence devrait ici s’imposer, pour deux raisons. La première tient à ce que, lorsqu’on prend la question de l’origine vraiment au sérieux, lorsqu’on se pose vraiment la question du passage du néant à l’être, on bute systématiquement sur des paradoxes sans doute indépassables: arrive toujours un moment où l’on doit envisager une entité, une chose, dont on puisse dire: «cette chose n’est rien et doit devenir quelque chose», et le moteur de cette transition qui transforme un rien en quelque chose est toujours insaisissable.
Fils et filles
La seconde raison tient au fait que, lorsqu’on écoute les physiciens dissertant sur l’origine de telle ou telle chose, on découvre qu’il n’est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout –et en fait seulement– de généalogies, de métamorphoses, de structurations de constituants élémentaires en systèmes plus complexes.
Par exemple, ils expliquent que les atomes sont fils des étoiles, qui sont elles-mêmes filles de nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l’univers…
En d’autres termes, ils n’évoquent jamais que des transitions d’un état à un autre, des processus permettant de comprendre l’apparition d’un nouvel objet, le commencement de son histoire. Dès lors, toute origine entraperçue n’est jamais qu’une étape, une origine secondaire, un commencement précédé d’un autre commencement, de sorte que le statut des origines que nous sommes capables d’envisager doit être relativisé: nous n’identifions des sources qu’à la condition d’y associer, en amont d’elles-mêmes, les rochers d’où elles jaillissent.
La cuisse de Jupiter
En somme, les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives, c’est-à-dire des mécanismes d’émergence, des contextes de première apparition. S’agissant de l’univers, elles invoquent toujours une «cuisse de Jupiter» constituée des ingrédients préalables dont elles doivent disposer pour approcher la question de son origine: ce peut être le vide quantique, l’explosion d’un trou noir primordial, ou n’importe quoi d’autre. L’important, c’est de noter qu’il est toujours question de quelque chose, jamais de rien. Du coup, le commencement en question n’est plus un commencement ex nihilo: en tant que conséquence de ce qui l’a précédé, il constitue plutôt un achèvement. Et pour progresser d’un pas supplémentaire, il n’y a pas d’autre moyen que d’invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la mère de toutes les cuisses.
Mieux vaut donc rester modestes, et admettre que l’origine de l’univers – si origine il y a eu! – demeure un mystère qu’aucune forme de discours ne peut saisir, ni celui de la science, ni celui des cosmogonies traditionnelles qui elles aussi commencent par «au début, il y avait…».
Propos recueillis par Azar Khalatbari, Aline Kiner et Dominique Leglu
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/sciences/fondamental/20100330.OBS1498/etienne_klein_linfini_a_le_don_de_mettre_la_physique_so.html
Le dernier numéro hors-série de Sciences et Avenir propose une promenade dans tous les recoins de l’infiniment petit. A cette occasion, le physicien Etienne Klein explique comment les scientifiques approchent le cœur de la matière. Il nous livre ici sa vision d'un problème passionant: l'origine de cette matière.
Etienne Klein dirige le laboratoire de Recherche sur les sciences de la matière au CEA. (Gérard Chambon, Sipa)
Sciences et Avenir: Les Anciens disaient la matière éternelle. Aujourd’hui, que pensent les physiciens de l’origine de la matière?
Etienne KLEIN: Ils ont pu établir que la plupart des éléments chimiques qui composent l’univers actuel, la matière qui nous environne aussi bien que celle de nos propres corps, ont été synthétisés dans les étoiles, à l’exception des éléments les plus légers (formés, eux, au tout début de l’évolution de l’univers). Dans le prolongement de ce résultat spectaculaire, on se persuade parfois que les sciences seront bientôt capables de saisir l’origine même de l’univers.
Pourtant, la prudence devrait ici s’imposer, pour deux raisons. La première tient à ce que, lorsqu’on prend la question de l’origine vraiment au sérieux, lorsqu’on se pose vraiment la question du passage du néant à l’être, on bute systématiquement sur des paradoxes sans doute indépassables: arrive toujours un moment où l’on doit envisager une entité, une chose, dont on puisse dire: «cette chose n’est rien et doit devenir quelque chose», et le moteur de cette transition qui transforme un rien en quelque chose est toujours insaisissable.
Fils et filles
La seconde raison tient au fait que, lorsqu’on écoute les physiciens dissertant sur l’origine de telle ou telle chose, on découvre qu’il n’est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout –et en fait seulement– de généalogies, de métamorphoses, de structurations de constituants élémentaires en systèmes plus complexes.
Par exemple, ils expliquent que les atomes sont fils des étoiles, qui sont elles-mêmes filles de nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l’univers…
En d’autres termes, ils n’évoquent jamais que des transitions d’un état à un autre, des processus permettant de comprendre l’apparition d’un nouvel objet, le commencement de son histoire. Dès lors, toute origine entraperçue n’est jamais qu’une étape, une origine secondaire, un commencement précédé d’un autre commencement, de sorte que le statut des origines que nous sommes capables d’envisager doit être relativisé: nous n’identifions des sources qu’à la condition d’y associer, en amont d’elles-mêmes, les rochers d’où elles jaillissent.
La cuisse de Jupiter
En somme, les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives, c’est-à-dire des mécanismes d’émergence, des contextes de première apparition. S’agissant de l’univers, elles invoquent toujours une «cuisse de Jupiter» constituée des ingrédients préalables dont elles doivent disposer pour approcher la question de son origine: ce peut être le vide quantique, l’explosion d’un trou noir primordial, ou n’importe quoi d’autre. L’important, c’est de noter qu’il est toujours question de quelque chose, jamais de rien. Du coup, le commencement en question n’est plus un commencement ex nihilo: en tant que conséquence de ce qui l’a précédé, il constitue plutôt un achèvement. Et pour progresser d’un pas supplémentaire, il n’y a pas d’autre moyen que d’invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la mère de toutes les cuisses.
Mieux vaut donc rester modestes, et admettre que l’origine de l’univers – si origine il y a eu! – demeure un mystère qu’aucune forme de discours ne peut saisir, ni celui de la science, ni celui des cosmogonies traditionnelles qui elles aussi commencent par «au début, il y avait…».
Propos recueillis par Azar Khalatbari, Aline Kiner et Dominique Leglu
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/sciences/fondamental/20100330.OBS1498/etienne_klein_linfini_a_le_don_de_mettre_la_physique_so.html
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