Par Olivier Poch, Etudiant en Master 2 SGE, au LISA, administrateur du site Orbit-Mars
Arrivée depuis 2004 en orbite autour de Saturne, la sonde Cassini-Huygens a effectué de nombreux survols de Titan et nous dévoile un monde actif, géologiquement et chimiquement parlant. Un monde extraterrestre, très différent du notre, mais avec pourtant quelques ressemblances frappantes.
Avant la mission Cassini-Huygens, Titan avait été survolé en 1980 par la sonde Voyager 1 mais les images prises lors du survol ne permirent pas de visualiser la surface, une brume orangée épaisse couvrant tout le globe. Cette brume est constituée de fines particules, produites par photochimie dans la haute atmosphère de Titan. Sous l’effet du bombardement par des électrons de la magnétosphère de Saturne et du rayonnement UV solaire, la dissociation des molécules de diazote N2 et de méthane CH4, composés majoritaires de l’atmosphère (N2 98%, CH4 2%), donne lieu à la production de molécules de plus en plus grosses, produisant au final des aérosols donnant cette couleur orangée à l’atmosphère titanesque.
À gauche, une image de Titan prise par la sonde Voyager 1 lors de son survol en 1980. Une brume orangée cache la surface. (crédit : NASA/Calvin J. Hamilton) À droite, Titan vu par l’instrument RADAR de la sonde Cassini-Huygens en 2004. (crédit : NASA/JPL/Space Science Institute)
Vue d’artiste de la sonde Cassini larguant l’atterrisseur Huygens dans l’atmosphère de Titan en 2004.
La sonde Cassini-Huygens est équipée d’instruments scientifiques spécialement prévus pour étudier Titan, dont un radar (RADAR) et une caméra IR (VIMS), permettant de « voir » la surface à travers la brume d’aérosols. Aussi, en 2004, le vaisseau-mère a largué dans l’atmosphère de Titan un module baptisé Huygens qui a réalisé des mesures dans l’atmosphère et s’est posé à la surface. Huygens a également effectué une série de clichés lors de sa descente dans l’atmosphère de Titan. Ces clichés ont révélé des structures semblables à des réseaux fluviatiles asséchés, de même morphologie que les réseaux terrestres. Par la suite, la sonde Cassini-Huygens a cartographié au RADAR d’autres figures d’écoulements présents sur toute la surface du globe, ainsi que de vastes étendues liquides surtout localisées au pôle nord. Mais situé dix fois plus loin du Soleil que la Terre, Titan en reçoit peu d’énergie et la température à sa surface varie entre -181°C et -179°C ! Il ne peut donc s’agir d’écoulement d’eau liquide comme sur Terre. Sur Titan, les rivières et les lacs observés par la sonde Cassini, sont constitués de d’éthane et de méthane liquides !
Carte de l’hémisphère nord de Titan en 2008. De nombreux lacs, voire même des mers, d’hydrocarbures sont visibles. L’image est en fausses couleurs pour mieux faire ressortir les étendues liquides. (crédits : NASA/JPL/USGS)
À gauche, une mosaïque d’images prises par l’atterrisseur Huygens lors de sa descente dans l’atmosphère de Titan en 2004. Un réseau fluviatile, sans doute creusé par un écoulement d’éthane et de méthane liquides, est clairement visible. (crédit : ESA/NASA/JPL/University of Arizona) À droite, un exemple de réseau de drainage fossile terrestre, ici au Sahara. (crédit : EarthSat 2005/Google Earth/Pierre Thomas)
Après son atterrissage à la surface de Titan, -le plus lointain jamais accompli par un objet réalisé par l’Homme, le module Huygens a photographié des galets aux reflets blanchâtres recouverts d’une fine couche d’aérosols orangés. Là encore, il ne s’agit pas de roches, mais de galets de glace d’eau, sans doute mélangés à des constituants organiques complexes. Titan est en effet un corps glacé, formé dans une région du système solaire où l’eau était un constituant très abondant, bien plus abondant que les silicates constituants nos roches terrestres. Ainsi, sur Titan, les équivalents de nos rochers terrestres sont des blocs de glace, érodés par des écoulements d’hydrocarbures liquides ! Il est remarquable de retrouver ainsi les mêmes processus géologiques à l’œuvre dans un environnement extraterrestre où les constituants (glace d’eau, méthane) sont différents de ceux que nous connaissons sur Terre (roches silicatées, eau liquide).
L’atterrisseur européen Huygens s’est posé sur Titan ! Au premier plan, des galets de glace d’une quinzaine de centimètres de large sont visibles. (crédit : ESA/NASA/University of Arizona)
Mais la comparaison ne s’arrête pas là. En effet, l’observation de nuages de méthane et d’éthane sur Titan permet d’envisager l’existence d’un cycle du méthane et de l’éthane (évaporation, condensation, précipitation), comme il y a un cycle de l’eau sur Terre. Par ailleurs, de larges champs de dunes ont été cartographiés dans les régions équatoriales de Titan, là où les conditions sont les plus « sèches » (c’est-à-dire où l’atmosphère est moins chargée en hydrocarbures liquides). Ces champs de dunes se sont révélés être de morphologie très semblable à ceux observés sur Terre dans les zones arides tels que le désert de Namibie. Mais quand sur Terre les grains constituants les dunes sont des minéraux silicatés, le « sable » de Titan serait d’une toute autre composition. On suspecte qu’il s’agisse de grains de glace d’eau et de matière organique complexe résultant du dépôt des aérosols produits dans l’atmosphère. À l’heure actuelle, le processus conduisant à la formation de ces dunes reste toutefois largement inexpliqué. L’utilisation de modèles de climat (reproduisant les conditions de l’atmosphère de Titan, le régime des vents etc.) fera sans doute partie des clés qui pourront expliquer la formation de ces dunes, et plus généralement faire progresser nos connaissances en physique de l’environnement.
Outre des écoulements, des lacs et des dunes, le radar et la caméra IR de Cassini-Huygens ont identifié ce qui semblent être des traces d’un volcanisme de glace d’eau et d’ammoniaque, aussi appelé cryo-volcanisme. Là où sur Terre nous avons des volcans de lave en fusion, sur Titan les volcans éjecteraient un cryo-magma de glace d’eau, d’ammoniaque et de méthane. Des édifices cryo-volcaniques tels que des dômes, ou caldeira, d’où semblent s’épancher des coulées de cryomagma, sont régulièrement observés lors des survols de Titan par Cassini-Huygens. Titan, avec son épaisse atmosphère, ses écoulements, ses dunes et ses cryovolcans est donc un monde actif, et malgré sa température et sa composition différentes, il possède des ressemblances frappantes avec notre Terre.
À gauche une image radar de la surface de Titan montrant ce qui pourrait être un dôme cryo-volcanique, baptisé Ganesa Macula. Les flèches indiquent l’emplacement d’une possible caldeira et de coulées de cryo-magma. (crédit : Lopes et al. in Icarus 2007) À droite, une vue d’artiste de ce que pourrait être Ganesa Macula. (crédit : Michael Carroll)
Dernièrement, l’étude des images radar a permis d’avancer une nouvelle hypothèse sur les écoulements et les lacs d’hydrocarbure précédemment décrits.
Un des mystères de Titan est la présence de figures d’écoulement à toutes les latitudes, alors que les lacs se trouvent principalement aux hautes latitudes et surtout au pôle nord. La question se pose donc de savoir ce qui alimentent ces écoulements dans les régions où aucune étendue liquide de surface n’a été observée (évaporation et/ou infiltration ?). Or, de récentes études ont montré que les écoulements, de même que certains lacs, présentent une morphologie particulière, caractéristique des processus de dissolution karstiques observés sur Terre. Ce phénomène est observé lorsqu’un liquide repose sur un matériau soluble dans celui-ci. Il peut alors y avoir infiltration du contenu du lac ou de l’écoulement dans les pores ou les fractures du matériau. L’existence d’écoulements dans la croûte, voire d’aquifères, serait alors envisageable. La glace pure, constituant la croûte de Titan, étant très peu soluble dans le méthane liquide, un autre candidat doit être trouvé pour expliquer les morphologies observées. Il est probable que les produits de la photochimie atmosphérique (en particulier l’acétylène) s’étant accumulés sur plusieurs centaines de mètres au fil des millions d’années, constituent un tel matériau, pouvant se dissoudre dans ces hydrocarbures liquides et former de tels paysages.
Image satellite de lacs karstiques en Floride, près d’Orlando. (crédit : NASA/Landsat)
Images radar de la surface de Titan par Cassini-Huygens. La géomorphologie des lacs (les étendues sombres sur cette image) rappelle celle des lacs karstiques terrestres. (crédit : NASA/JPL)
Une vidéo illustrant un survol en 3D des paysages de Titan de morphologie semblable aux paysages karstiques terrestres a été réalisée par Mike Malaska, Bjorn Jonsson et Doug Ellison membres actifs du forum de référence Unmannedspaceflight.com. Le relief a été reconstitué à l’aide des données collectées par l’instrument RADAR de Cassini-Huygens et la coloration du paysage déduite des images réalisées par le module Huygens en 2004. Si l’origine karstique de ces terrains est confirmée lors des prochains survols, cela indiquera que le sous-sol de Titan est aussi le siège d’une activité importante.
Arrivée depuis 2004 en orbite autour de Saturne, la sonde Cassini-Huygens a effectué de nombreux survols de Titan et nous dévoile un monde actif, géologiquement et chimiquement parlant. Un monde extraterrestre, très différent du notre, mais avec pourtant quelques ressemblances frappantes.
Avant la mission Cassini-Huygens, Titan avait été survolé en 1980 par la sonde Voyager 1 mais les images prises lors du survol ne permirent pas de visualiser la surface, une brume orangée épaisse couvrant tout le globe. Cette brume est constituée de fines particules, produites par photochimie dans la haute atmosphère de Titan. Sous l’effet du bombardement par des électrons de la magnétosphère de Saturne et du rayonnement UV solaire, la dissociation des molécules de diazote N2 et de méthane CH4, composés majoritaires de l’atmosphère (N2 98%, CH4 2%), donne lieu à la production de molécules de plus en plus grosses, produisant au final des aérosols donnant cette couleur orangée à l’atmosphère titanesque.
À gauche, une image de Titan prise par la sonde Voyager 1 lors de son survol en 1980. Une brume orangée cache la surface. (crédit : NASA/Calvin J. Hamilton) À droite, Titan vu par l’instrument RADAR de la sonde Cassini-Huygens en 2004. (crédit : NASA/JPL/Space Science Institute)
Vue d’artiste de la sonde Cassini larguant l’atterrisseur Huygens dans l’atmosphère de Titan en 2004.
La sonde Cassini-Huygens est équipée d’instruments scientifiques spécialement prévus pour étudier Titan, dont un radar (RADAR) et une caméra IR (VIMS), permettant de « voir » la surface à travers la brume d’aérosols. Aussi, en 2004, le vaisseau-mère a largué dans l’atmosphère de Titan un module baptisé Huygens qui a réalisé des mesures dans l’atmosphère et s’est posé à la surface. Huygens a également effectué une série de clichés lors de sa descente dans l’atmosphère de Titan. Ces clichés ont révélé des structures semblables à des réseaux fluviatiles asséchés, de même morphologie que les réseaux terrestres. Par la suite, la sonde Cassini-Huygens a cartographié au RADAR d’autres figures d’écoulements présents sur toute la surface du globe, ainsi que de vastes étendues liquides surtout localisées au pôle nord. Mais situé dix fois plus loin du Soleil que la Terre, Titan en reçoit peu d’énergie et la température à sa surface varie entre -181°C et -179°C ! Il ne peut donc s’agir d’écoulement d’eau liquide comme sur Terre. Sur Titan, les rivières et les lacs observés par la sonde Cassini, sont constitués de d’éthane et de méthane liquides !
Carte de l’hémisphère nord de Titan en 2008. De nombreux lacs, voire même des mers, d’hydrocarbures sont visibles. L’image est en fausses couleurs pour mieux faire ressortir les étendues liquides. (crédits : NASA/JPL/USGS)
À gauche, une mosaïque d’images prises par l’atterrisseur Huygens lors de sa descente dans l’atmosphère de Titan en 2004. Un réseau fluviatile, sans doute creusé par un écoulement d’éthane et de méthane liquides, est clairement visible. (crédit : ESA/NASA/JPL/University of Arizona) À droite, un exemple de réseau de drainage fossile terrestre, ici au Sahara. (crédit : EarthSat 2005/Google Earth/Pierre Thomas)
Après son atterrissage à la surface de Titan, -le plus lointain jamais accompli par un objet réalisé par l’Homme, le module Huygens a photographié des galets aux reflets blanchâtres recouverts d’une fine couche d’aérosols orangés. Là encore, il ne s’agit pas de roches, mais de galets de glace d’eau, sans doute mélangés à des constituants organiques complexes. Titan est en effet un corps glacé, formé dans une région du système solaire où l’eau était un constituant très abondant, bien plus abondant que les silicates constituants nos roches terrestres. Ainsi, sur Titan, les équivalents de nos rochers terrestres sont des blocs de glace, érodés par des écoulements d’hydrocarbures liquides ! Il est remarquable de retrouver ainsi les mêmes processus géologiques à l’œuvre dans un environnement extraterrestre où les constituants (glace d’eau, méthane) sont différents de ceux que nous connaissons sur Terre (roches silicatées, eau liquide).
L’atterrisseur européen Huygens s’est posé sur Titan ! Au premier plan, des galets de glace d’une quinzaine de centimètres de large sont visibles. (crédit : ESA/NASA/University of Arizona)
Mais la comparaison ne s’arrête pas là. En effet, l’observation de nuages de méthane et d’éthane sur Titan permet d’envisager l’existence d’un cycle du méthane et de l’éthane (évaporation, condensation, précipitation), comme il y a un cycle de l’eau sur Terre. Par ailleurs, de larges champs de dunes ont été cartographiés dans les régions équatoriales de Titan, là où les conditions sont les plus « sèches » (c’est-à-dire où l’atmosphère est moins chargée en hydrocarbures liquides). Ces champs de dunes se sont révélés être de morphologie très semblable à ceux observés sur Terre dans les zones arides tels que le désert de Namibie. Mais quand sur Terre les grains constituants les dunes sont des minéraux silicatés, le « sable » de Titan serait d’une toute autre composition. On suspecte qu’il s’agisse de grains de glace d’eau et de matière organique complexe résultant du dépôt des aérosols produits dans l’atmosphère. À l’heure actuelle, le processus conduisant à la formation de ces dunes reste toutefois largement inexpliqué. L’utilisation de modèles de climat (reproduisant les conditions de l’atmosphère de Titan, le régime des vents etc.) fera sans doute partie des clés qui pourront expliquer la formation de ces dunes, et plus généralement faire progresser nos connaissances en physique de l’environnement.
En haut, la mer de sable du Belet sur Titan. (crédit : NASA/JPL/Science) En bas, une vue aérienne du désert de Namibie, prise depuis la navette spatiale à 283 km d’altitude. (crédit : NASA/Johnson Space Center)
Outre des écoulements, des lacs et des dunes, le radar et la caméra IR de Cassini-Huygens ont identifié ce qui semblent être des traces d’un volcanisme de glace d’eau et d’ammoniaque, aussi appelé cryo-volcanisme. Là où sur Terre nous avons des volcans de lave en fusion, sur Titan les volcans éjecteraient un cryo-magma de glace d’eau, d’ammoniaque et de méthane. Des édifices cryo-volcaniques tels que des dômes, ou caldeira, d’où semblent s’épancher des coulées de cryomagma, sont régulièrement observés lors des survols de Titan par Cassini-Huygens. Titan, avec son épaisse atmosphère, ses écoulements, ses dunes et ses cryovolcans est donc un monde actif, et malgré sa température et sa composition différentes, il possède des ressemblances frappantes avec notre Terre.
À gauche une image radar de la surface de Titan montrant ce qui pourrait être un dôme cryo-volcanique, baptisé Ganesa Macula. Les flèches indiquent l’emplacement d’une possible caldeira et de coulées de cryo-magma. (crédit : Lopes et al. in Icarus 2007) À droite, une vue d’artiste de ce que pourrait être Ganesa Macula. (crédit : Michael Carroll)
Dernièrement, l’étude des images radar a permis d’avancer une nouvelle hypothèse sur les écoulements et les lacs d’hydrocarbure précédemment décrits.
Un des mystères de Titan est la présence de figures d’écoulement à toutes les latitudes, alors que les lacs se trouvent principalement aux hautes latitudes et surtout au pôle nord. La question se pose donc de savoir ce qui alimentent ces écoulements dans les régions où aucune étendue liquide de surface n’a été observée (évaporation et/ou infiltration ?). Or, de récentes études ont montré que les écoulements, de même que certains lacs, présentent une morphologie particulière, caractéristique des processus de dissolution karstiques observés sur Terre. Ce phénomène est observé lorsqu’un liquide repose sur un matériau soluble dans celui-ci. Il peut alors y avoir infiltration du contenu du lac ou de l’écoulement dans les pores ou les fractures du matériau. L’existence d’écoulements dans la croûte, voire d’aquifères, serait alors envisageable. La glace pure, constituant la croûte de Titan, étant très peu soluble dans le méthane liquide, un autre candidat doit être trouvé pour expliquer les morphologies observées. Il est probable que les produits de la photochimie atmosphérique (en particulier l’acétylène) s’étant accumulés sur plusieurs centaines de mètres au fil des millions d’années, constituent un tel matériau, pouvant se dissoudre dans ces hydrocarbures liquides et former de tels paysages.
Image satellite de lacs karstiques en Floride, près d’Orlando. (crédit : NASA/Landsat)
Images radar de la surface de Titan par Cassini-Huygens. La géomorphologie des lacs (les étendues sombres sur cette image) rappelle celle des lacs karstiques terrestres. (crédit : NASA/JPL)
Une vidéo illustrant un survol en 3D des paysages de Titan de morphologie semblable aux paysages karstiques terrestres a été réalisée par Mike Malaska, Bjorn Jonsson et Doug Ellison membres actifs du forum de référence Unmannedspaceflight.com. Le relief a été reconstitué à l’aide des données collectées par l’instrument RADAR de Cassini-Huygens et la coloration du paysage déduite des images réalisées par le module Huygens en 2004. Si l’origine karstique de ces terrains est confirmée lors des prochains survols, cela indiquera que le sous-sol de Titan est aussi le siège d’une activité importante.
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