(Source : vieux-jade)
I - Hergé, renseignements généraux.
Peut-être connaissez vous ma passion pour l’œuvre de Monsieur Georges Remy, dit Hergé, et en particulier pour le cycle des aventures d’un dénommé Tintin ? Oui, bien sûr, j’appartiens à la génération qui attendait avec impatience chaque nouvel album. J’ai souvent lu et relu, découvert les analyses, exégèses, biographies tout au long de mon existence, sans être un spécialiste comme on en trouve dans plusieurs associations, qui ont recensé tous les boutons de porte.
Un beau jour, j’ai plongé le nez dans un livre d’un certain Bertrand Portevin , et là j’ai coulé à pic. J’en suis à trois lectures. Os court, Portevin m’a tuer. Le sens profond, l’âme de l’œuvre passionnément mais respectueusement mise à nu, par un travail impressionnant et toujours drôle. Respect.
Je respecte tant et j’ai tant été convaincu du bien-fondé de sa lecture, et de la véritable voie que ça ouvre à tout Amoureux de Sapience, que j’ai cherché à approfondir à mon tour certaines images, tirées en particulier d’un album : « Le Crabe aux pinces d’Or ». Pourquoi celui-ci ? A la suite d’un rêve dans lequel je descendais sur terre avec un personnage brun et frisé nommé Dario Carabo. Lors d’une relecture ultérieure et générale des Tintin, j’ai vu que Karabo se trouvait inclus dans le nom du bateau du capitaine Haddock à sa première apparition : le Karaboudjan. Et que mon personnage ressemblait beaucoup au Tintin grimé en mendiant qui guette Allan dans les rues de Bagghar, mais aussi lorsqu’il accompagne en tant que son neveu Alvaro le marchand Oliveira da Figueira chez le Pr Smith, alias Müller.
Depuis, je lis et relis cet album en particulier, et je crois avoir déjà réussi à en tirer un peu de moelle. Cela dit, je n’ai pas l’ambition de me comparer à Portevin, qui me dépasse de cent coudées, et que je ne remercierai jamais assez pour son splendide travail. Je dois préciser que Portevin démontre d’une manière éblouissante que toute l’œuvre est basée sur le symbolisme de la franc-maçonnerie et du Grand-Œuvre alchimique.
A ce point, je dois préciser (une fois de plus) que je n’ai aucun lien avec cette mouvance, mais que l’étude du symbolisme amène nécessairement dans ses parages. Je voudrais également dire qu’il n’y a (à mon avis) aucun point commun entre les vrais maçons au cœur pur dont était l’ami Hergé, et le grand guignol sataniste qu’on nous montre partout. Pas plus qu’avec les assemblées de gorets avides de pouvoir et de relations qui fraternisent ou s’empoignent autour de la marmite. Encore une fois la Bête a souillé et singé le meilleur pour en tirer le pire.
Hergé était un homme ardent et vulnérable, d’une discrétion totale, souvent dépressif et révolté, comme son héros Tintin, par l’injustice, qu’il a combattue toute sa vie par son œuvre, laquelle a insufflé de la lumière dans des millions de cœurs d’enfants. Sans lui, le monde serait aujourd’hui encore plus obscur.
Il y a eu, il y a, il y aura des polémiques autour de l’œuvre. Récemment, des noirs demandaient l’interdiction de Tintin au Congo*. Pourquoi pas ? Demain, on retirera Coke en stock sous la pression des Arabes décrits en marchands d’esclaves. L’album qui risque toutefois d’être retiré en premier, c’est Tintin en Amérique, dans laquelle un Hergé qui commençait à voir les choses comme elles sont décrit l’histoire et la mentalité américaines en moins d’une page : A la page 28, Tintin vient de découvrir du pétrole. A la première case de la page suivante, il dit : « Personne pour capter cette fortune liquide ! ». Moins de dix minutes plus tard arrive un premier chacal, contrat en main, puis deux, puis quatre autres, et les offres passent de 5 000 à 100 000 dollars en un clin d’œil. Tintin répond que le puits de pétrole ne lui appartient pas, mais aux Indiens Pieds Noirs. « Vous n’auriez pas pu le dire plus tôt ? » rétorque un businessman pendant que son complice donne vingt cinq dollars au chef indien, en lui disant : « Vous avez une demi-heure pour faire vos paquets et quitter le pays ». Une heure après, l’armée chasse les derniers indiens qui partent avec leurs baluchons. L’heure suivante, arrivent des matériaux et des architectes. L’heure suivante, la Petroleum et Cactus Bank a ouvert ses portes, et le lendemain matin, la prairie est devenue une ville. Le tout en onze dessins. Bertrand Portevin signale qu’Hergé a fait encore plus court : page 1, case 1 : un flic en uniforme fait le garde-à-vous à un bandit masqué, armé, traînant le fruit d’un hold up. Tout est dit : pays de voleurs et de corruption.
Hergé disparu, l’affaire devient un gros business, et les loups d’Hollywood rappliquent. Tintin va probablement être métamorphosé en un allié des forces du bien, celles des gentils blancs. C’était un peu la vision simpliste d’Hergé dans Tintin au Congo (« Quels as, ces missionnaires »), mais elle a très vite évolué. La lecture successive des albums montre bien que dès ce premier album en couleurs tous les thèmes hergéens étaient présents, et même l’infâme Rastapopoulos, mais que la pensée de l’auteur s’est régulièrement affinée, épurée, en même temps que son être profond. Pour moi, et ce n’est que mon avis, le premier album dans lequel Tintin a cessé d’être un justicier pour devenir un Juste, c’est « Le Lotus bleu », qui est le quatrième album en couleurs.
Si dans Tintin en Amérique il expose la cruauté des blancs, ses Indiens sont encore plus ou moins collectivement des crétins. Mais c’est la dernière fois. Dans tous les autres albums, les populations indigènes seront différenciées, et chaque personnage aura une vraie texture plus ou moins complexe.
Voilà, cette rapide présentation est terminée, il existe une foule d’ouvrages sur Tintin, dont entre autres l’œuvre indispensable de Pierre Tisseron et celle de Benoît Peeters.
Mais mon dessein n’est pas de retracer la vie et l’œuvre d’Hergé. Il est de vous exposer ce que j’ai pu tirer de l’examen attentif de la page de l’album « Le Crabe aux Pinces d’Or ». Ce que j’ai fait là, avec un peu de familiarité avec la langue des Oiseaux, chacun peut le faire à sa manière. L’œuvre est voilée mais ouverte. Chacun peut venir y boire, et y trouver de la substance. Au fond, Hergé continue la grande tradition d’Apulée, de Rabelais, de Cervantès, de Dante, mais son travail est beaucoup plus facile à ouvrir pour des gens du XXIème siècle, surtout – et c’est un préalable indispensable si l’on veut effectivement passer à la pratique – lorsqu’on a lu Portevin **.
Je voulais seulement vous montrer en quelques pages ce que l’on peut tirer d’un seul album en prenant la peine de le lire, de le relire, de le méditer, en quelque sorte, de laisser monter le sens de ses images ou de séquences d’images parfois quasi oniriques et de passer un peu au-delà de la surface. Montrer qu’il y a bien un fil, une rivière souterraine qui traverse l’œuvre.
* Concernant « Tintin au Congo », la position de Patrick Lozès qui demande l’ajout d’un texte expliquant la vision paternaliste qui prévalait à l’époque me paraît juste, mesurée, intelligente.
** J’ai écrit ces trois textes il y a six mois, environ ; soucieux de ne pas raconter n’importe quoi, je les ai soumis au maître, dont j’ai fini par trouver l’adresse, qui les a lus et relus, dit-il, avant de me donner l’imprimatur. Il semblerait même que j’ai fait quelques vraies trouvailles. Elle est pas belle, la vie ?
*** Pour finir, si vous voulez comprendre de quoi je cause, il vaudrait mieux que vous ayiez à portée de main l’album "Le crabe aux pinces d’Or", car les gens qui détiennent les droits de l’oeuvre sont particulièrement féroces, leur alchimie personnelle paraissant surtout basée sur l’or d’ici bas, et il m’est difficile d’illustrer mes propos.
II – Le Crabe aux pinces d’Or, mise en boîtes
Je me suis attaché à faire l’inventaire de ce que recélaient les poches d’Herbert Dawes, matelot du Karaboudjan, noyé dans les eaux du port.
On y a trouvé, comme le montre la case A1 de la page 6 :
cinq fausses pièces de 20 francs
un fragment d’étiquette de boîte de crabe
un couteau à trois lames
deux boutons
un crayon de papier bien taillé
une lettre de deux pages cachée par une enveloppe ouverte, venant de l’étranger
une petite clef
un paquet de cigarettes « Aristos »
une boîte d’allumettes au phosphore
Le tout se trouvant dans un tiroir (Bertrand Portevin est d’avis que c’est un vide poche) au bureau des Dupon(d)t, envoyé par la Sûreté, à côté d’un pot de colle. Le sens est clair : une colle est posée. Voyons voir, comme dit l’aveugle.
Le réceptacle informe d’emblée qu’il s’agit d’une histoire à tiroir(s). Les détectives insistent à plusieurs reprises sur les fausses pièces de 20 francs, qu’eux-mêmes ne savent pas reconnaître. Ce qu’ils ne savent pas distinguer, c’est les faux louis des vrais. Vingt francs, c’est un louis.
De fausses pièces de vingt francs, fausses pièces de vin, vin pas franc, alcool frelaté, dangereux pour le pauvre capitaine et par contrecoup pour Tintin. Fausses pièces de vin, fausses barriques, faux tonneaux, qui possèdent des couvercles à charnières, recélant des boyaux menant à d’autres caves cachées, on se croirait chez Erik, le fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux.
Quoi de plus normal, si l’on en croit Richard Khaitzine (La langue des Oiseaux) ?
Mais cette histoire de fausses pièces est aussi une fausse piste. L’album n’en parlera plus. Le sens est donc à manger sur place. Que voit-on ? Les pièces forment la base de l’arbre de vie, figure qu’on rencontre dans la kabbale mais aussi chez les Gypsies, les Egyptiens, les Gitans, dont nous parlera un jour Hergé (Les bijoux de la Castafiore). On a Malkut, séparée de Yesod, qui touche presque Hod. Les pièces sont posées sur une enveloppe dont des fragments de l’adresse apparaissent en dessous, ce qui procure à Yesod un petit crochet tendu vers Malkut. Sous celle-ci, on lit distinctement le numéro de la rue, 38. Curieux, car si l’on additionne la valeur des séphiroth visibles, on trouve 39 (10 9 8 7 5) ; 38 précède donc 39. Et 11 (3 précède le 10 de Malkuth, dernière émanation visible. On a donc deux linéarités croisées, un X, lettre symbolisant la lumière mais aussi l’inversion, par exemple celle de nos hémisphères cérébraux et de nos membres.
Afin d’avertir le lecteur attentif, le tiroir avoisine une feuille, la seule dont le texte est lisible dans l’immense foutoir des Dupon(d)t, et qui passe dans un premier temps pour un gag : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. » Nous sommes en fait prévenus que la disposition des objets a un sens. Cette maxime vaut pour le dessin, l’album, tous les albums d’Hergé, mais pour l’ensemble de la vie et de l’univers. Dans ce monde, ne nous en déplaise, chaque chose est à sa place. Dur à avaler.
Netzach est à sa place, ainsi que Geburah. Hesed manque, Tipheret (correspondant au Soleil) est logiquement remplacé par une boîte d’allumettes jaune, et les Séphiroth supérieurs par un paquet de cigarettes bleu ciel, de marque Aristos (aris T os, aris theos), l’origine ou les dieux élevés.
Le fait que Hesed manque peut avoir deux sens : que le matelot vivait dans le monde du jugement (Hod) et ignorait la Grâce, ou que Hesed (Vénus, Lucifer, Phosphoros) est représentée avec Tipheret par la boîte d’allumettes.
Les pièces sont fausses, car elles sont phos, comme le rappelle le phosphore des allumettes. Tintin est une lecture éclairante. Le phosphoros, le porte-lumière, Lucifer est déjà dans le tiroir, comme le Polichinelle (Ah, je ris de me voir si beau en ce tiroir !).
Phos, pi est-ce ? Y a-t-il un rapport entre le cercle et la lumière ?
Le tiroir est la première caisse aperçue dans cet album, qui en regorge, et les annonce. Caisses de sardines, de champagne, d’opium, de crabe, etc. Qu’est-ce ?
Mille et Une questions posées, qu’est-ce ?
Deux planches attachées plus ou moins en croix, venues d’une caisse servent à Tintin à sortir de la cale pour grimper jusqu’à la cabine d’Haddock au dessus. Chaque caisse recèle des objets fermés eux aussi, qui s’ouvrent d’eux-mêmes sous la pression interne (champagne) ou par intervention. Double peau.
Le canif (knife) est fermé. Fermer son couteau, c’est caner, mourir. Ouvrons-le, c’est-à-dire commençons l’Oeuvre. Ouvert, il peut se lire : K – nif. En langage anglé, ça signifie le « ka pue » (anglais to niff). Le ka, comme le rappelle Portevin, c’est le double qui nous accompagne dans ce voyage. D’abord puant, il peut (et doit) être lavé au cours du périple. Devenir un ka beau, comme Milou, qui est même un cabotin. Voyez comme Milou a presque toujours une patte noire dans les premières pages. Il rappelle le dallage noir et blanc des loges maçonniques, la dualité, l’ambivalence.
KA est une racine récurrente chez Hergé. Il a passé sa vie à laver son canif, pour en faire un cabot. Pour Portevin, le vrai Hergé, c’est Milou.
Nife, c’est aussi l’abréviation qui désigne le mélange de fer et de nickel qui constitue le noyau de la terre, et en assure le magnétisme. Je renvoie ici aux travaux d’astrothéologie d’Alan Duke « Le secret de Gaïa » dont je n’épouse pas nécessairement toutes les thèses mais qui est un livre nourrissant. Les mythes anciens assurent que l’enfer (en fer) est sous nos pieds. Et que c’est également le séjour de Satan. Tout ce qui est noir lui appartient. Et le lien entre ce noir et la parfaite Lumière, c’est le dénommé Lucifer, le phosphoros, l’Etoile du matin, que désigne le vair de l’héraldique.
Mais ce canif noir est réversible, sans différence entre le haut et le bas. Retournons-le, KNF devient FNK, phoinikos, la pourpre, couleur royale, puis le phénix. Purpurea, c’est le feu du feu, qui purifie tout.
Donc le couteau noir a trois lames peut devenir blanc cabot puis phénix solaire. Je rappelle que nous parlons ici de la destinée humaine. Couteau est synonyme de fer : mourir sous le fer est une expression courante du passé pour dire « être poignardé ». Le phénix est l’emblème de la renaissance.
K est la onzième lettre. Le canif est posé à gauche du N° 38, soit 11. Je passe sur le symbolisme ambigu de Onze.
Il doit donc précéder Malkut, qui est 10. Les choses sont bien à leur place, Monsieur Hergé, on retrouve tout. Le graphisme du K montre un I se scindant en deux branches, comme le hiéroglyphe du ka représente deux bras levés. L’équivalent au niveau humain de la séparation divine qui a donné son reflet le monde. L’ombre. La conscience. Le couteau ressemble beaucoup à un poisson. Le poisson que nous sommes dans l’eau de la mer, ou réalité dans laquelle nous voyageons. En breton, mer veut dire : beaucoup. La multiplicité.
Le petit crochet apparent sous Yesod, la sphère lunaire n’est il pas un harpon, un hameçon pour pêcher les âmes des noyés, et les ramener à la vie ?
Le couteau de Dawes a trois lames, qu’on peut rapprocher de la triple nature émotionnelle, mentale, intellectuelle contenue dans le corps.
Notons qu’un synonyme de couteau est schlass, c’est-à-dire la bouteille brisée tenue par le goulot dans les bagarres d’ivrognes. Mais être schlass veut également dire être saoul. Or l’album nous parlera abondamment d’ivrognes, à commencer justement par Dawes, et de bouteilles cassées.
Si Haddock dans cette première aventure répugne par sa violence et son égoïsme, il émeut par sa profonde sincérité, par son désir de s’améliorer, de s’amender. Il va de crise en sottise, disant à chaque prise de conscience : « Mon Dieu, qu’ai-je fait ? ». Pour Bertrand Portevin, il est Dionysos, fils de Sémélé et de Zeus. En tout les cas, sa mère est bien une mortelle, de terre et d’eau, car lorsque Tintin lui reproche son ivrognerie et lui dit : « Que dirait votre vieille mère en vous voyant dans cet état ? », il bredouille : « Ma vieille mère. Bou-ouh, bou-ou-ouh… ». Oui, de la boue, comme vous et moi. Argile, matière, poussière une fois séchée : de la boue. Avec un H final, qui en kabbale hébraïque (hé) indique que l’esprit y est inclus. Ce qu’il recherche dans l’alcool, ce cher Capitaine, c’est sa nature divine, son étincelle.
Eustache est une autre appellation argotique du couteau, qui signifie : « bonne récolte ». Le couteau va donc servir de faux (phos), ou de serpe. La lame est dans le corps du couteau, la « serpe en ». Le serpent est en nous, comme la lumière, mais nous l’avons oublié depuis la chute dans l’eau du Léthè où nous nous sommes noyés en venant dans ce monde. Ne voyant plus clair, nous croyons voir deux faces, raison pour laquelle les pièces sont fausses : bien, et mal.
Nous voyons deux là où nous devrons finir par ne voir qu’UN. Les pièces disparaîtront alors, avec les portes, puisque les murs s’effaceront. Mille histoires, plus Une.
III - Le KRB opens the door
1) Qui est Dawes ?
Dawes est un ivrogne. Il a probablement été assassiné parce qu’il donnait des informations sur le trafic d’opium, mais il a pu également tomber tout seul dans les eaux du port. C’est un point à remarquer, car l’histoire entière parle d’alcool et d’opium, fausses lumières. Dawes est un double annonçant le capitaine Haddock, fameux poivrot, que Tintin va bientôt rencontrer. Il est peut-être le ka puant de Haddock.
Un « matelot » porte ce nom car il partage son lit (matelas) avec un compagnon (Maat en hollandais, clin d’œil pour Maat*, qui pèse les âmes à la mort dans le symbolisme égyptien ?). Ce compagnon, c’est le double. Ah, vous ne savez pas que vous avez un double ?
Remarquons qu’un matelot ne devait pas posséder de louis d’or, vrais ou faux, mais plutôt des pièces de cuivre, des liards. En anglais, et tout l’album est « anglé », liar est un menteur.
En 1887, le Dawes Act (de Henry Dawes) permet la vente des terres des tribus amérindiennes aux particuliers. Hergé connaissait bien l’histoire amérindienne pour avoir dessiné « Tintin en Amérique », où comme on l’a vu il a présenté les bussinessmen et le gouvernement américain (qui envoie l’armée pour déloger les indiens de leurs terres ?) comme des voyous.
Plus près d’Hergé, le plan Dawes (C.G) a été mis en place après la guerre de 1914-1918 pour régler la question des réparations réclamées à l’Allemagne, par l’octroi d’un emprunt aux banques anglaises et américaines. Peut-être y a-t-il un rapport avec la fausse monnaie et les menteurs ? Là encore, quelques années plus tard, les mêmes fonds ont financé Hitler.
La fausse monnaie est de la monnaie de singe, et ce mot sert fréquemment à désigner Saint-Jean. Je n’ai pas d’explication, je me contente de déballer ce qui est livré à nos yeux.
Quelle que soit l’origine du nom, Dawes représente un des visages du mal ou de l’ombre, car dans le « Lotus bleu » puis dans « Coke en Stock », sous le pseudonyme de Dubreuil (un breuil est un brûlis, un bois brûlé pour défricher la terre, donc un rapport avec le feu), on a le personnage odieux de JM Dawson. La racine bretonne AW qui a donné Avalon, aval, indique l’Ouest, la fin. Daw, c’est également deux, ça parle de double, de diable, de K, de ka. Dawson, c’est le fils du diable.
2) Passons aux louis
Examinons un louis.
Deux faits remarquables : sous les règnes de Louis XIII, XIV et XV, l’avers des pièces porte l’inscription DG - FR ET NAV REX, « par la Grace Divine, roi de France et de Navarre » ; sous le règne des deux premiers, le revers porte 4 paires de L adossés, soit huit L, ce qui peut se lire Lhuit, Louis. Quatre paires d’ailes évoquent les 4 évangélistes, le sphinx, les keroubim, et les 4 fils d’Horus. Retenons ici pour la suite la racine KRB, qu’on retrouve dans le nom du navire. Quel navire ?
FR ET NAV(arre), peut devenir fret nav(ire), c’est-à-dire un cargo, comme le Karaboudjan, sur lequel naviguait Dawes. Cette lecture est encouragée par la vision des mouettes qui avertissent Tintin de la chute d’une lourde caisse de boîtes de sardines.
Les travaux de Bertrand Portevin ne laissent aucun doute : nous sommes ici prévenus qu’il faut lire ces scènes en langue des oiseaux. Je dirais même plus, Tintin est bien intuitivement prévenu du danger par la contemplation et une communication du monde ailé, des anges.
Un cargo fait la navette, menant et déchargeant son fret à chaque port, comme d’après Platon : « Il existe une antique tradition dont nous gardons mémoire, selon laquelle les âmes arrivées d’ici existent là-bas, puis à nouveau font retour ici même et naissent à partir des morts » (Phédon, 70c).
L’attention est donc attirée sur l’importance du bateau, ici vu comme vaisseau des morts. Cargo, dromadaire (vaisseau du désert), barque, canot automobile, et même sous sa forme ailée d’hydravion, qui comme la mouette est un oiseau aquatique, le bateau est ici toujours au premier plan. Le bateau, certes, mais aussi l’eau, l’eau de vie, whisky, rhum, mais aussi l’os, son homophone, qui ouvre et ferme le bal, puisque Milou qui dès la première page découvre le pot aux roses, ou boîte de crabe vide, cherche un os, en trouvera de beaux dans le désert, puis finira par s’en voir offrir un magnifique par un admirateur inconnu en dernière page, dans une boîte, encore.
Haddock connaît la valeur des os, car lorsque dans le « pays de la soif » Milou découvre un squelette de dromadaire, il est plein de joie, ce qui démontre qu’il a compris que pour lui, os et eau sont identiques. Mais qu’est ce qu’un os ? A l’identique du crabe dont la carapace protège le corps, l’os est une carapace qui enferme la moelle, et Milou peut dire (ou penser) à chaque trouvaille : à moi l’os. L’os à moelle. Moi – El. Rien que ça.
Le pays de la Soif désigne le pays des morts. Soi – feu. Comme on disait feu Untel. De l’ardent désir de vivre, comme dans l’Odyssée.
3) Ouvrons, trinquons, buvons !
Si toutes les caisses doivent être ouvertes, c’est également le cas de la bouteille, dive sans doute, dont fait grand usage le capitaine, et de toutes les boîtes, vide poches ou tiroirs de l’aventure. Casser la croute. Le crabe est dans l’O de la couverture, la chair est dans la carapace, et que se cache-t-il encore dans la chair ? Derrière la porte du tonneau aux charnières, explorons les boyaux, il s’y cache de drôles de gens. Si vous saviez ce qui se cache dans nos boyaux ! Visitez l’intérieur de la terre…
Puis de la cave aux vins capiteux, où l’on s’aperçoit avec ivresse qu’on est le Roi de la Montagne, et que la Dame blanche nous regarde, remontons dare-dare bousculer les préjugés, les fausses indignations, les fausses bibliothèques et le Omar qui porte au cou la clef qui ouvre les portes du cou, justement et font ouvrir grande la bouche. Quelle étonnante aventure !
Le cheik Omar est un faussaire, un trafiquant, un menteur ; lorsque Tintin débouche des sous-sols, il vient de proférer un gros mensonge aux Dupond(t). Le lecteur sait bien qu’il a menti. En égyptien, amenti désigne l’Occident, le pays des morts. Curieusement, juste après cela, Tintin le heurte en poussant la bibliothèque, et Omar ouvre grand la bouche sur six vignettes sur huit, ce qui rappelle le rite d’ouverture de la bouche pratiqué sur les momies pour leur insuffler le ba et le ka. Les Dupond(t) désignent ensuite le trafiquant d’un : « voici l’homme ! » redoublé, qui a désigné le Christ (ecce homo) dans les évangiles.
Je note toutes ces découvertes en désordre, sans chercher à leur donner un sens. Comme en archéologie, le sens s’impose lorsque tout est exhumé.
Combien faut-il de temps pour mettre à nu toutes les couches de sens ? Combien d’années, combien de patientes et attentives lectures ?
Tout l’album dit et répète : cherchez à l’intérieur, ouvrez les portes, qui claquent, explosent, débouchez le champagne, ôtez les bouchons, décapsulez. Même les boîtes de sardines qui manquent fracasser Tintin sur le port ont leur petite clef. Ouvrez la boîte, et vous y trouverez des poissons sans tête. Or à deux reprises Haddock délirant essaiera d’enlever la tête de Tintin. Mais Haddock sait ce qu’il fait. Enlevons la tête de Tintin, le T, et nous obtenons : in tin, soit en anglais : dans l’étain, ou dans la boîte de conserve. Etonnant, non ? D’autant que dans le Lotus bleu, certain jeune homme voulait déjà décapiter le détective. Au fait, que détecte-t-il, notre héros ? Pour Portevin, Tintin est Athéna, la Sagesse. Qui est dans la boîte, elle aussi. Parfaitement normal que Tintin Athéna soit dans l’éteint heu, l’étain pardon, de Jupiter auquel Héphaïstos a justement fendu le crâne pour qu’elle en sorte toute armée.
Rappelons qu’Athéna, c’est la Sagesse. Elle est toute armée car elle ne procède pas par analyse et apprentissage. Elle a ce que les anciens appelaient la "science infuse". Elle représente le pilier caché de l’arbre séphirotique du vide poches. Elle est cachée dans la bouteille, et seule l’ouverture de la tête la laissera surgir.
Mais pourquoi l’anglais ? Parce que l’album est « anglé », comme le disait le cryptographe Grasset d’Orcet réanimé par l’alchimiste Fulcanelli. Anglé, soit crypté. Tous les mots sont ouvrables, opérables, tout est permutable.
Rien que le titre est éloquent : LE CRABE AUX PINCES D’OR, c’est LE KERUB OPENS THE DOOR. Vous savez bien, le chérubin (le KRB réservé plus haut, de la racine BRK, la bénédiction ; inversé, c’est la malédiction qui nous a chassé du "jardin") qui garde la porte du Paradis, d’où nous venons, et l’Arbre de vie (puisque nous sommes morts). Ah pardon, vous ne le saviez pas ? Vous croyiez être vivant, au pays des vivants ? Ah, excusez-moi si je vous ai dérangé. Vous pouvez vous rendormir. Je ne ferai plus de bruit. J’étain la lumière.
Au fait, j’ai repéré quelque chose que Portevin n’a pas vu (incroyable) : S’il dit et explique bien que Fulcanelli est le personnage qui s’adresse à Bob depuis l’hydravion qui recueille les naufragés du Vol 714, j’ajouterai que ceux-ci sont enlevés depuis le cratère comme Élie le fut dans un char volant : VOLCAN ELIE.
4) En vrac
Revenons à nos crabes : que voit-on sur la page de couverture ? Un crabe dans un bel O (lequel annonce la couverture de l’album suivant, l’Etoile mystérieuse, où c’est une étoile à cinq branches que contient le O), et lequel pourrait être un os vu en coupe, Tintin et le capitaine assis chacun sur un méhara, lesquels n’ont qu’une bosse, pleine d’eau, croyais-je, mais non, Bertrand Portevin me fait signe que c’est de la graisse, pas de l’eau ; (dans bosse, il y a os, c’est beau) derrière la croix de leur selle, dans le désert. Le capitaine tient une bouteille à la main, laquelle éclate sous l’impact d’une balle.
Une balle de plomb tirée d’une carabine volatilise la fausse lumière contenue dans le flacon, et qui rend fou le capitaine. Cela a lieu dans le voisinage du puits de Kefheïr (de la Samaritaine ?).
On retrouve le plomb dans la mine du crayon, son âme. Le crayon est dans le tiroir. Originellement en plomb, puis en alliage plomb/étain, puis enfin en graphite, lequel est une forme allotropique du carbone, comme le diamant. Possibilité de transmutation et rappel du couteau noir qui peut devenir blanc puis rouge.
D’une manière générale, l’album, comme « Coke en stock » (et bien d’autres albums, rappelle Bertrand Portevin, l’Île noire, l’Or noir, etc.) met en scène le noir, l’intérieur des choses, les passages verticaux (escaliers, marches, échelles, hublots, évocation de puits et de montagnes), les cales, les caves, les passages secrets (tonneau, boyau, charnières). Tout est faux et truqué. Fausses pièces, fausse bibliothèque, faux aveugle, faux crabe. Je ne dis pas que tout est bidon, puisque c’est dans « Le lotus bleu » que tout le monde passe la moitié de son temps fermé dans des bidons.
Nous sommes dans le noir. Tintin aura beaucoup exploré le noir : or noir, âmes noires, et quelques poubelles, comme dans cette aventure. Comme Hergé son père a affronté le noir qui l’envahissait souvent, pour enfin parvenir à la lumière. Certaines indications peuvent nous éclairer. D’après Tintin, Karaboudjan est arménien. En arménien, kara signifie noir, ar, har, kar voulant dire montagne. Abou est le père, et Djan désigne l’âme, ce qui est précieux et cher. Un bateau arménien fait immédiatement songer à l’arche du dénommé Noé, échouée sur le mont Ararat. Au fait, en arménien, lumière se dit : louys. Pour Portevin, KARAB OUDJAT, c’est le mauvais œil. Qui renvoie à l’œil monoculé de l’affreux Rastapopulos, le méchant des méchants. Ca rappelle le cyclope Polyphème d’Ulysse, l’oeil de Sauron, l’oeil des Illuminati, et ça désigne toujours l’Ennemi des hommes, le Malin, dit la prière orthodoxe.
A propos de louys, lux, le breton, qui provient tout droit le la langue mère des Pélasges distingue Lous, Louz, ‘bienfait’ de la racine Lùs ou Lùz, ‘sale’, ‘impur’. Autant dire qu’il faut ouvrir l’œil, et le bon, et ne pas oublier cette parole du Christ : "Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes." ([url=http://topchretien.jesus.net/topbible/external/ref.php?q=Matt 10.16&traduction=LSG]Matt[/url] 10.16)
Le bateau maquillé portera le nom de Djebel Amilah, ou le Mont de la Promesse. Vaisseau alchimique qui de vaisseau des morts, mauvais oeil, porte maintenant la promesse. Certaines boîtes contiennent de l’opium, d’autres du véritable crabe. Ouvrons les boîtes pour savoir qui est qui, quoi contient quoi, car sinon nous resterons dans l’opinion, la généralisation, la connaissance superficielle, l’amalgame... Les mots sont des boîtes aux lettres. Ouvrons les boîtes, les lettres, les mots, les maux, l’Être, le néant. Ouvrons les fenêtres.
Quoi d’autre, dans ce tiroir ? Une lettre ouverte, justement sous une enveloppe décachetée, qui a franchi les mers. La lettre cachée. Lettre volée, d’Edgar Poe. Décachetons, sortons du cachot, jetons au feu les lettres de cachet, ouvrons les lettres des mots qui nous appartiennent, puisque la parole est humaine, et qu’elle sert à construire, découvrir et déconstruire le monde. Ouvrons les lettres, ouvrons les mots, ouvrons les yeux, réalisons enfin le grand œuvre.
Les boutons ? La promesse des fleurs épanouies ? A moins que ce ne soient des petites pièces percées, comme celles qui servent au tirage du Yi king, dont Hergé était un grand pratiquant ? Je l’ignore.
La clef ? Cherchez la serrure. C’est vrai, parfois on est devant une porte fermée, et on n’a pas la clef, d’autres fois, c’est l’inverse. Quelle bêtise d’avoir une clef, la petite clef d’un coffret intime, et de ne pas savoir où est passé le coffret ! Je ne vous dirai pas de quel précieux coffre il s’agit, vous êtes bien assez grands. A chacun son mystère.
5) J’y retourne
Voilà comment on peut lire la vie d’un homme dans le contenu de ses poches, quand c’est Hergé qui raconte l’histoire. Peut-être que tout cela ne sort que de mes fantasmes, n’est que poussière ajoutée et ne mène nulle part. Ou peut-être pas. Vivons dangereusement et légèrement. Nous sommes poussière, et le propre de la poussière, c’est la légèreté. Que la poussière vole et danse dans les rayons du soleil.
J’arrête là ce périlleux exercice. S’il vous a plu, mais laissé sur votre faim, ce qui est normal car je n’ai moi qu’une petite boîte à outils, empressez-vous de dévorer Portevin, qui lui en a une énorme, grosse comme ça, mais pas la grosse tête, attention, dont les deux livres (hélas, il n’y en a que deux, un troisième est en cours, mais vue la consistance et le fait que le monsieur travaille concomitamment pour gagner sa portion, c’est normal qu’on attende un peu) s’appellent : « Le Monde inconnu d’Hergé », et « Le Démon inconnu d’Hergé » (attention, ce dernier ne se trouve déjà plus que d’occasion).
Et surtout, lisez et relisez les prodigieuses aventures d’un héros immortel au cœur limpide : Tintin. Ora, lege et relege…
PS : Dans sa relecture de ces oeuvrettes, Bertrand Portevin m’a signalé que c’est dans saint Luc et saint Jean, tous deux au chapitre X, que Jésus dit « Je suis la porte ».
Hé bien, j’ai jeté un coup d’œil en page 10, où l’on voit Allan Thompson faire entrer les Dupondt dans sa cabine. Il signale : "attention, il y a une marche". Et les Dupondt qui ne baissent pas la tête se prennent tous les deux le chambranle. « Et la porte est fort basse », ajoute Allan. Normal, c’est la « porte étroite ». Effectivement, il y a une marche, il faut s’élever. Et baisser la tête, car ici n’entre nul orgueilleux, plein de lui-même. Pour s’élever, il faut nécessairement mettre la tête en berne, couper le mental.
Pour ceux qui ne baissent pas la tête, cette fameuse tête qui nous sert de bouchon, ça décoiffe.
I - Hergé, renseignements généraux.
Peut-être connaissez vous ma passion pour l’œuvre de Monsieur Georges Remy, dit Hergé, et en particulier pour le cycle des aventures d’un dénommé Tintin ? Oui, bien sûr, j’appartiens à la génération qui attendait avec impatience chaque nouvel album. J’ai souvent lu et relu, découvert les analyses, exégèses, biographies tout au long de mon existence, sans être un spécialiste comme on en trouve dans plusieurs associations, qui ont recensé tous les boutons de porte.
Un beau jour, j’ai plongé le nez dans un livre d’un certain Bertrand Portevin , et là j’ai coulé à pic. J’en suis à trois lectures. Os court, Portevin m’a tuer. Le sens profond, l’âme de l’œuvre passionnément mais respectueusement mise à nu, par un travail impressionnant et toujours drôle. Respect.
Je respecte tant et j’ai tant été convaincu du bien-fondé de sa lecture, et de la véritable voie que ça ouvre à tout Amoureux de Sapience, que j’ai cherché à approfondir à mon tour certaines images, tirées en particulier d’un album : « Le Crabe aux pinces d’Or ». Pourquoi celui-ci ? A la suite d’un rêve dans lequel je descendais sur terre avec un personnage brun et frisé nommé Dario Carabo. Lors d’une relecture ultérieure et générale des Tintin, j’ai vu que Karabo se trouvait inclus dans le nom du bateau du capitaine Haddock à sa première apparition : le Karaboudjan. Et que mon personnage ressemblait beaucoup au Tintin grimé en mendiant qui guette Allan dans les rues de Bagghar, mais aussi lorsqu’il accompagne en tant que son neveu Alvaro le marchand Oliveira da Figueira chez le Pr Smith, alias Müller.
Depuis, je lis et relis cet album en particulier, et je crois avoir déjà réussi à en tirer un peu de moelle. Cela dit, je n’ai pas l’ambition de me comparer à Portevin, qui me dépasse de cent coudées, et que je ne remercierai jamais assez pour son splendide travail. Je dois préciser que Portevin démontre d’une manière éblouissante que toute l’œuvre est basée sur le symbolisme de la franc-maçonnerie et du Grand-Œuvre alchimique.
A ce point, je dois préciser (une fois de plus) que je n’ai aucun lien avec cette mouvance, mais que l’étude du symbolisme amène nécessairement dans ses parages. Je voudrais également dire qu’il n’y a (à mon avis) aucun point commun entre les vrais maçons au cœur pur dont était l’ami Hergé, et le grand guignol sataniste qu’on nous montre partout. Pas plus qu’avec les assemblées de gorets avides de pouvoir et de relations qui fraternisent ou s’empoignent autour de la marmite. Encore une fois la Bête a souillé et singé le meilleur pour en tirer le pire.
Hergé était un homme ardent et vulnérable, d’une discrétion totale, souvent dépressif et révolté, comme son héros Tintin, par l’injustice, qu’il a combattue toute sa vie par son œuvre, laquelle a insufflé de la lumière dans des millions de cœurs d’enfants. Sans lui, le monde serait aujourd’hui encore plus obscur.
Il y a eu, il y a, il y aura des polémiques autour de l’œuvre. Récemment, des noirs demandaient l’interdiction de Tintin au Congo*. Pourquoi pas ? Demain, on retirera Coke en stock sous la pression des Arabes décrits en marchands d’esclaves. L’album qui risque toutefois d’être retiré en premier, c’est Tintin en Amérique, dans laquelle un Hergé qui commençait à voir les choses comme elles sont décrit l’histoire et la mentalité américaines en moins d’une page : A la page 28, Tintin vient de découvrir du pétrole. A la première case de la page suivante, il dit : « Personne pour capter cette fortune liquide ! ». Moins de dix minutes plus tard arrive un premier chacal, contrat en main, puis deux, puis quatre autres, et les offres passent de 5 000 à 100 000 dollars en un clin d’œil. Tintin répond que le puits de pétrole ne lui appartient pas, mais aux Indiens Pieds Noirs. « Vous n’auriez pas pu le dire plus tôt ? » rétorque un businessman pendant que son complice donne vingt cinq dollars au chef indien, en lui disant : « Vous avez une demi-heure pour faire vos paquets et quitter le pays ». Une heure après, l’armée chasse les derniers indiens qui partent avec leurs baluchons. L’heure suivante, arrivent des matériaux et des architectes. L’heure suivante, la Petroleum et Cactus Bank a ouvert ses portes, et le lendemain matin, la prairie est devenue une ville. Le tout en onze dessins. Bertrand Portevin signale qu’Hergé a fait encore plus court : page 1, case 1 : un flic en uniforme fait le garde-à-vous à un bandit masqué, armé, traînant le fruit d’un hold up. Tout est dit : pays de voleurs et de corruption.
Hergé disparu, l’affaire devient un gros business, et les loups d’Hollywood rappliquent. Tintin va probablement être métamorphosé en un allié des forces du bien, celles des gentils blancs. C’était un peu la vision simpliste d’Hergé dans Tintin au Congo (« Quels as, ces missionnaires »), mais elle a très vite évolué. La lecture successive des albums montre bien que dès ce premier album en couleurs tous les thèmes hergéens étaient présents, et même l’infâme Rastapopoulos, mais que la pensée de l’auteur s’est régulièrement affinée, épurée, en même temps que son être profond. Pour moi, et ce n’est que mon avis, le premier album dans lequel Tintin a cessé d’être un justicier pour devenir un Juste, c’est « Le Lotus bleu », qui est le quatrième album en couleurs.
Si dans Tintin en Amérique il expose la cruauté des blancs, ses Indiens sont encore plus ou moins collectivement des crétins. Mais c’est la dernière fois. Dans tous les autres albums, les populations indigènes seront différenciées, et chaque personnage aura une vraie texture plus ou moins complexe.
Voilà, cette rapide présentation est terminée, il existe une foule d’ouvrages sur Tintin, dont entre autres l’œuvre indispensable de Pierre Tisseron et celle de Benoît Peeters.
Mais mon dessein n’est pas de retracer la vie et l’œuvre d’Hergé. Il est de vous exposer ce que j’ai pu tirer de l’examen attentif de la page de l’album « Le Crabe aux Pinces d’Or ». Ce que j’ai fait là, avec un peu de familiarité avec la langue des Oiseaux, chacun peut le faire à sa manière. L’œuvre est voilée mais ouverte. Chacun peut venir y boire, et y trouver de la substance. Au fond, Hergé continue la grande tradition d’Apulée, de Rabelais, de Cervantès, de Dante, mais son travail est beaucoup plus facile à ouvrir pour des gens du XXIème siècle, surtout – et c’est un préalable indispensable si l’on veut effectivement passer à la pratique – lorsqu’on a lu Portevin **.
Je voulais seulement vous montrer en quelques pages ce que l’on peut tirer d’un seul album en prenant la peine de le lire, de le relire, de le méditer, en quelque sorte, de laisser monter le sens de ses images ou de séquences d’images parfois quasi oniriques et de passer un peu au-delà de la surface. Montrer qu’il y a bien un fil, une rivière souterraine qui traverse l’œuvre.
* Concernant « Tintin au Congo », la position de Patrick Lozès qui demande l’ajout d’un texte expliquant la vision paternaliste qui prévalait à l’époque me paraît juste, mesurée, intelligente.
** J’ai écrit ces trois textes il y a six mois, environ ; soucieux de ne pas raconter n’importe quoi, je les ai soumis au maître, dont j’ai fini par trouver l’adresse, qui les a lus et relus, dit-il, avant de me donner l’imprimatur. Il semblerait même que j’ai fait quelques vraies trouvailles. Elle est pas belle, la vie ?
*** Pour finir, si vous voulez comprendre de quoi je cause, il vaudrait mieux que vous ayiez à portée de main l’album "Le crabe aux pinces d’Or", car les gens qui détiennent les droits de l’oeuvre sont particulièrement féroces, leur alchimie personnelle paraissant surtout basée sur l’or d’ici bas, et il m’est difficile d’illustrer mes propos.
II – Le Crabe aux pinces d’Or, mise en boîtes
Je me suis attaché à faire l’inventaire de ce que recélaient les poches d’Herbert Dawes, matelot du Karaboudjan, noyé dans les eaux du port.
On y a trouvé, comme le montre la case A1 de la page 6 :
cinq fausses pièces de 20 francs
un fragment d’étiquette de boîte de crabe
un couteau à trois lames
deux boutons
un crayon de papier bien taillé
une lettre de deux pages cachée par une enveloppe ouverte, venant de l’étranger
une petite clef
un paquet de cigarettes « Aristos »
une boîte d’allumettes au phosphore
Le tout se trouvant dans un tiroir (Bertrand Portevin est d’avis que c’est un vide poche) au bureau des Dupon(d)t, envoyé par la Sûreté, à côté d’un pot de colle. Le sens est clair : une colle est posée. Voyons voir, comme dit l’aveugle.
Le réceptacle informe d’emblée qu’il s’agit d’une histoire à tiroir(s). Les détectives insistent à plusieurs reprises sur les fausses pièces de 20 francs, qu’eux-mêmes ne savent pas reconnaître. Ce qu’ils ne savent pas distinguer, c’est les faux louis des vrais. Vingt francs, c’est un louis.
De fausses pièces de vingt francs, fausses pièces de vin, vin pas franc, alcool frelaté, dangereux pour le pauvre capitaine et par contrecoup pour Tintin. Fausses pièces de vin, fausses barriques, faux tonneaux, qui possèdent des couvercles à charnières, recélant des boyaux menant à d’autres caves cachées, on se croirait chez Erik, le fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux.
Quoi de plus normal, si l’on en croit Richard Khaitzine (La langue des Oiseaux) ?
Mais cette histoire de fausses pièces est aussi une fausse piste. L’album n’en parlera plus. Le sens est donc à manger sur place. Que voit-on ? Les pièces forment la base de l’arbre de vie, figure qu’on rencontre dans la kabbale mais aussi chez les Gypsies, les Egyptiens, les Gitans, dont nous parlera un jour Hergé (Les bijoux de la Castafiore). On a Malkut, séparée de Yesod, qui touche presque Hod. Les pièces sont posées sur une enveloppe dont des fragments de l’adresse apparaissent en dessous, ce qui procure à Yesod un petit crochet tendu vers Malkut. Sous celle-ci, on lit distinctement le numéro de la rue, 38. Curieux, car si l’on additionne la valeur des séphiroth visibles, on trouve 39 (10 9 8 7 5) ; 38 précède donc 39. Et 11 (3 précède le 10 de Malkuth, dernière émanation visible. On a donc deux linéarités croisées, un X, lettre symbolisant la lumière mais aussi l’inversion, par exemple celle de nos hémisphères cérébraux et de nos membres.
Afin d’avertir le lecteur attentif, le tiroir avoisine une feuille, la seule dont le texte est lisible dans l’immense foutoir des Dupon(d)t, et qui passe dans un premier temps pour un gag : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. » Nous sommes en fait prévenus que la disposition des objets a un sens. Cette maxime vaut pour le dessin, l’album, tous les albums d’Hergé, mais pour l’ensemble de la vie et de l’univers. Dans ce monde, ne nous en déplaise, chaque chose est à sa place. Dur à avaler.
Netzach est à sa place, ainsi que Geburah. Hesed manque, Tipheret (correspondant au Soleil) est logiquement remplacé par une boîte d’allumettes jaune, et les Séphiroth supérieurs par un paquet de cigarettes bleu ciel, de marque Aristos (aris T os, aris theos), l’origine ou les dieux élevés.
Le fait que Hesed manque peut avoir deux sens : que le matelot vivait dans le monde du jugement (Hod) et ignorait la Grâce, ou que Hesed (Vénus, Lucifer, Phosphoros) est représentée avec Tipheret par la boîte d’allumettes.
Les pièces sont fausses, car elles sont phos, comme le rappelle le phosphore des allumettes. Tintin est une lecture éclairante. Le phosphoros, le porte-lumière, Lucifer est déjà dans le tiroir, comme le Polichinelle (Ah, je ris de me voir si beau en ce tiroir !).
Phos, pi est-ce ? Y a-t-il un rapport entre le cercle et la lumière ?
Le tiroir est la première caisse aperçue dans cet album, qui en regorge, et les annonce. Caisses de sardines, de champagne, d’opium, de crabe, etc. Qu’est-ce ?
Mille et Une questions posées, qu’est-ce ?
Deux planches attachées plus ou moins en croix, venues d’une caisse servent à Tintin à sortir de la cale pour grimper jusqu’à la cabine d’Haddock au dessus. Chaque caisse recèle des objets fermés eux aussi, qui s’ouvrent d’eux-mêmes sous la pression interne (champagne) ou par intervention. Double peau.
Le canif (knife) est fermé. Fermer son couteau, c’est caner, mourir. Ouvrons-le, c’est-à-dire commençons l’Oeuvre. Ouvert, il peut se lire : K – nif. En langage anglé, ça signifie le « ka pue » (anglais to niff). Le ka, comme le rappelle Portevin, c’est le double qui nous accompagne dans ce voyage. D’abord puant, il peut (et doit) être lavé au cours du périple. Devenir un ka beau, comme Milou, qui est même un cabotin. Voyez comme Milou a presque toujours une patte noire dans les premières pages. Il rappelle le dallage noir et blanc des loges maçonniques, la dualité, l’ambivalence.
KA est une racine récurrente chez Hergé. Il a passé sa vie à laver son canif, pour en faire un cabot. Pour Portevin, le vrai Hergé, c’est Milou.
Nife, c’est aussi l’abréviation qui désigne le mélange de fer et de nickel qui constitue le noyau de la terre, et en assure le magnétisme. Je renvoie ici aux travaux d’astrothéologie d’Alan Duke « Le secret de Gaïa » dont je n’épouse pas nécessairement toutes les thèses mais qui est un livre nourrissant. Les mythes anciens assurent que l’enfer (en fer) est sous nos pieds. Et que c’est également le séjour de Satan. Tout ce qui est noir lui appartient. Et le lien entre ce noir et la parfaite Lumière, c’est le dénommé Lucifer, le phosphoros, l’Etoile du matin, que désigne le vair de l’héraldique.
Mais ce canif noir est réversible, sans différence entre le haut et le bas. Retournons-le, KNF devient FNK, phoinikos, la pourpre, couleur royale, puis le phénix. Purpurea, c’est le feu du feu, qui purifie tout.
Donc le couteau noir a trois lames peut devenir blanc cabot puis phénix solaire. Je rappelle que nous parlons ici de la destinée humaine. Couteau est synonyme de fer : mourir sous le fer est une expression courante du passé pour dire « être poignardé ». Le phénix est l’emblème de la renaissance.
K est la onzième lettre. Le canif est posé à gauche du N° 38, soit 11. Je passe sur le symbolisme ambigu de Onze.
Il doit donc précéder Malkut, qui est 10. Les choses sont bien à leur place, Monsieur Hergé, on retrouve tout. Le graphisme du K montre un I se scindant en deux branches, comme le hiéroglyphe du ka représente deux bras levés. L’équivalent au niveau humain de la séparation divine qui a donné son reflet le monde. L’ombre. La conscience. Le couteau ressemble beaucoup à un poisson. Le poisson que nous sommes dans l’eau de la mer, ou réalité dans laquelle nous voyageons. En breton, mer veut dire : beaucoup. La multiplicité.
Le petit crochet apparent sous Yesod, la sphère lunaire n’est il pas un harpon, un hameçon pour pêcher les âmes des noyés, et les ramener à la vie ?
Le couteau de Dawes a trois lames, qu’on peut rapprocher de la triple nature émotionnelle, mentale, intellectuelle contenue dans le corps.
Notons qu’un synonyme de couteau est schlass, c’est-à-dire la bouteille brisée tenue par le goulot dans les bagarres d’ivrognes. Mais être schlass veut également dire être saoul. Or l’album nous parlera abondamment d’ivrognes, à commencer justement par Dawes, et de bouteilles cassées.
Si Haddock dans cette première aventure répugne par sa violence et son égoïsme, il émeut par sa profonde sincérité, par son désir de s’améliorer, de s’amender. Il va de crise en sottise, disant à chaque prise de conscience : « Mon Dieu, qu’ai-je fait ? ». Pour Bertrand Portevin, il est Dionysos, fils de Sémélé et de Zeus. En tout les cas, sa mère est bien une mortelle, de terre et d’eau, car lorsque Tintin lui reproche son ivrognerie et lui dit : « Que dirait votre vieille mère en vous voyant dans cet état ? », il bredouille : « Ma vieille mère. Bou-ouh, bou-ou-ouh… ». Oui, de la boue, comme vous et moi. Argile, matière, poussière une fois séchée : de la boue. Avec un H final, qui en kabbale hébraïque (hé) indique que l’esprit y est inclus. Ce qu’il recherche dans l’alcool, ce cher Capitaine, c’est sa nature divine, son étincelle.
Eustache est une autre appellation argotique du couteau, qui signifie : « bonne récolte ». Le couteau va donc servir de faux (phos), ou de serpe. La lame est dans le corps du couteau, la « serpe en ». Le serpent est en nous, comme la lumière, mais nous l’avons oublié depuis la chute dans l’eau du Léthè où nous nous sommes noyés en venant dans ce monde. Ne voyant plus clair, nous croyons voir deux faces, raison pour laquelle les pièces sont fausses : bien, et mal.
Nous voyons deux là où nous devrons finir par ne voir qu’UN. Les pièces disparaîtront alors, avec les portes, puisque les murs s’effaceront. Mille histoires, plus Une.
III - Le KRB opens the door
1) Qui est Dawes ?
Dawes est un ivrogne. Il a probablement été assassiné parce qu’il donnait des informations sur le trafic d’opium, mais il a pu également tomber tout seul dans les eaux du port. C’est un point à remarquer, car l’histoire entière parle d’alcool et d’opium, fausses lumières. Dawes est un double annonçant le capitaine Haddock, fameux poivrot, que Tintin va bientôt rencontrer. Il est peut-être le ka puant de Haddock.
Un « matelot » porte ce nom car il partage son lit (matelas) avec un compagnon (Maat en hollandais, clin d’œil pour Maat*, qui pèse les âmes à la mort dans le symbolisme égyptien ?). Ce compagnon, c’est le double. Ah, vous ne savez pas que vous avez un double ?
Remarquons qu’un matelot ne devait pas posséder de louis d’or, vrais ou faux, mais plutôt des pièces de cuivre, des liards. En anglais, et tout l’album est « anglé », liar est un menteur.
En 1887, le Dawes Act (de Henry Dawes) permet la vente des terres des tribus amérindiennes aux particuliers. Hergé connaissait bien l’histoire amérindienne pour avoir dessiné « Tintin en Amérique », où comme on l’a vu il a présenté les bussinessmen et le gouvernement américain (qui envoie l’armée pour déloger les indiens de leurs terres ?) comme des voyous.
Plus près d’Hergé, le plan Dawes (C.G) a été mis en place après la guerre de 1914-1918 pour régler la question des réparations réclamées à l’Allemagne, par l’octroi d’un emprunt aux banques anglaises et américaines. Peut-être y a-t-il un rapport avec la fausse monnaie et les menteurs ? Là encore, quelques années plus tard, les mêmes fonds ont financé Hitler.
La fausse monnaie est de la monnaie de singe, et ce mot sert fréquemment à désigner Saint-Jean. Je n’ai pas d’explication, je me contente de déballer ce qui est livré à nos yeux.
Quelle que soit l’origine du nom, Dawes représente un des visages du mal ou de l’ombre, car dans le « Lotus bleu » puis dans « Coke en Stock », sous le pseudonyme de Dubreuil (un breuil est un brûlis, un bois brûlé pour défricher la terre, donc un rapport avec le feu), on a le personnage odieux de JM Dawson. La racine bretonne AW qui a donné Avalon, aval, indique l’Ouest, la fin. Daw, c’est également deux, ça parle de double, de diable, de K, de ka. Dawson, c’est le fils du diable.
2) Passons aux louis
Examinons un louis.
Deux faits remarquables : sous les règnes de Louis XIII, XIV et XV, l’avers des pièces porte l’inscription DG - FR ET NAV REX, « par la Grace Divine, roi de France et de Navarre » ; sous le règne des deux premiers, le revers porte 4 paires de L adossés, soit huit L, ce qui peut se lire Lhuit, Louis. Quatre paires d’ailes évoquent les 4 évangélistes, le sphinx, les keroubim, et les 4 fils d’Horus. Retenons ici pour la suite la racine KRB, qu’on retrouve dans le nom du navire. Quel navire ?
FR ET NAV(arre), peut devenir fret nav(ire), c’est-à-dire un cargo, comme le Karaboudjan, sur lequel naviguait Dawes. Cette lecture est encouragée par la vision des mouettes qui avertissent Tintin de la chute d’une lourde caisse de boîtes de sardines.
Les travaux de Bertrand Portevin ne laissent aucun doute : nous sommes ici prévenus qu’il faut lire ces scènes en langue des oiseaux. Je dirais même plus, Tintin est bien intuitivement prévenu du danger par la contemplation et une communication du monde ailé, des anges.
Un cargo fait la navette, menant et déchargeant son fret à chaque port, comme d’après Platon : « Il existe une antique tradition dont nous gardons mémoire, selon laquelle les âmes arrivées d’ici existent là-bas, puis à nouveau font retour ici même et naissent à partir des morts » (Phédon, 70c).
L’attention est donc attirée sur l’importance du bateau, ici vu comme vaisseau des morts. Cargo, dromadaire (vaisseau du désert), barque, canot automobile, et même sous sa forme ailée d’hydravion, qui comme la mouette est un oiseau aquatique, le bateau est ici toujours au premier plan. Le bateau, certes, mais aussi l’eau, l’eau de vie, whisky, rhum, mais aussi l’os, son homophone, qui ouvre et ferme le bal, puisque Milou qui dès la première page découvre le pot aux roses, ou boîte de crabe vide, cherche un os, en trouvera de beaux dans le désert, puis finira par s’en voir offrir un magnifique par un admirateur inconnu en dernière page, dans une boîte, encore.
Haddock connaît la valeur des os, car lorsque dans le « pays de la soif » Milou découvre un squelette de dromadaire, il est plein de joie, ce qui démontre qu’il a compris que pour lui, os et eau sont identiques. Mais qu’est ce qu’un os ? A l’identique du crabe dont la carapace protège le corps, l’os est une carapace qui enferme la moelle, et Milou peut dire (ou penser) à chaque trouvaille : à moi l’os. L’os à moelle. Moi – El. Rien que ça.
Le pays de la Soif désigne le pays des morts. Soi – feu. Comme on disait feu Untel. De l’ardent désir de vivre, comme dans l’Odyssée.
3) Ouvrons, trinquons, buvons !
Si toutes les caisses doivent être ouvertes, c’est également le cas de la bouteille, dive sans doute, dont fait grand usage le capitaine, et de toutes les boîtes, vide poches ou tiroirs de l’aventure. Casser la croute. Le crabe est dans l’O de la couverture, la chair est dans la carapace, et que se cache-t-il encore dans la chair ? Derrière la porte du tonneau aux charnières, explorons les boyaux, il s’y cache de drôles de gens. Si vous saviez ce qui se cache dans nos boyaux ! Visitez l’intérieur de la terre…
Puis de la cave aux vins capiteux, où l’on s’aperçoit avec ivresse qu’on est le Roi de la Montagne, et que la Dame blanche nous regarde, remontons dare-dare bousculer les préjugés, les fausses indignations, les fausses bibliothèques et le Omar qui porte au cou la clef qui ouvre les portes du cou, justement et font ouvrir grande la bouche. Quelle étonnante aventure !
Le cheik Omar est un faussaire, un trafiquant, un menteur ; lorsque Tintin débouche des sous-sols, il vient de proférer un gros mensonge aux Dupond(t). Le lecteur sait bien qu’il a menti. En égyptien, amenti désigne l’Occident, le pays des morts. Curieusement, juste après cela, Tintin le heurte en poussant la bibliothèque, et Omar ouvre grand la bouche sur six vignettes sur huit, ce qui rappelle le rite d’ouverture de la bouche pratiqué sur les momies pour leur insuffler le ba et le ka. Les Dupond(t) désignent ensuite le trafiquant d’un : « voici l’homme ! » redoublé, qui a désigné le Christ (ecce homo) dans les évangiles.
Je note toutes ces découvertes en désordre, sans chercher à leur donner un sens. Comme en archéologie, le sens s’impose lorsque tout est exhumé.
Combien faut-il de temps pour mettre à nu toutes les couches de sens ? Combien d’années, combien de patientes et attentives lectures ?
Tout l’album dit et répète : cherchez à l’intérieur, ouvrez les portes, qui claquent, explosent, débouchez le champagne, ôtez les bouchons, décapsulez. Même les boîtes de sardines qui manquent fracasser Tintin sur le port ont leur petite clef. Ouvrez la boîte, et vous y trouverez des poissons sans tête. Or à deux reprises Haddock délirant essaiera d’enlever la tête de Tintin. Mais Haddock sait ce qu’il fait. Enlevons la tête de Tintin, le T, et nous obtenons : in tin, soit en anglais : dans l’étain, ou dans la boîte de conserve. Etonnant, non ? D’autant que dans le Lotus bleu, certain jeune homme voulait déjà décapiter le détective. Au fait, que détecte-t-il, notre héros ? Pour Portevin, Tintin est Athéna, la Sagesse. Qui est dans la boîte, elle aussi. Parfaitement normal que Tintin Athéna soit dans l’éteint heu, l’étain pardon, de Jupiter auquel Héphaïstos a justement fendu le crâne pour qu’elle en sorte toute armée.
Rappelons qu’Athéna, c’est la Sagesse. Elle est toute armée car elle ne procède pas par analyse et apprentissage. Elle a ce que les anciens appelaient la "science infuse". Elle représente le pilier caché de l’arbre séphirotique du vide poches. Elle est cachée dans la bouteille, et seule l’ouverture de la tête la laissera surgir.
Mais pourquoi l’anglais ? Parce que l’album est « anglé », comme le disait le cryptographe Grasset d’Orcet réanimé par l’alchimiste Fulcanelli. Anglé, soit crypté. Tous les mots sont ouvrables, opérables, tout est permutable.
Rien que le titre est éloquent : LE CRABE AUX PINCES D’OR, c’est LE KERUB OPENS THE DOOR. Vous savez bien, le chérubin (le KRB réservé plus haut, de la racine BRK, la bénédiction ; inversé, c’est la malédiction qui nous a chassé du "jardin") qui garde la porte du Paradis, d’où nous venons, et l’Arbre de vie (puisque nous sommes morts). Ah pardon, vous ne le saviez pas ? Vous croyiez être vivant, au pays des vivants ? Ah, excusez-moi si je vous ai dérangé. Vous pouvez vous rendormir. Je ne ferai plus de bruit. J’étain la lumière.
Au fait, j’ai repéré quelque chose que Portevin n’a pas vu (incroyable) : S’il dit et explique bien que Fulcanelli est le personnage qui s’adresse à Bob depuis l’hydravion qui recueille les naufragés du Vol 714, j’ajouterai que ceux-ci sont enlevés depuis le cratère comme Élie le fut dans un char volant : VOLCAN ELIE.
4) En vrac
Revenons à nos crabes : que voit-on sur la page de couverture ? Un crabe dans un bel O (lequel annonce la couverture de l’album suivant, l’Etoile mystérieuse, où c’est une étoile à cinq branches que contient le O), et lequel pourrait être un os vu en coupe, Tintin et le capitaine assis chacun sur un méhara, lesquels n’ont qu’une bosse, pleine d’eau, croyais-je, mais non, Bertrand Portevin me fait signe que c’est de la graisse, pas de l’eau ; (dans bosse, il y a os, c’est beau) derrière la croix de leur selle, dans le désert. Le capitaine tient une bouteille à la main, laquelle éclate sous l’impact d’une balle.
Une balle de plomb tirée d’une carabine volatilise la fausse lumière contenue dans le flacon, et qui rend fou le capitaine. Cela a lieu dans le voisinage du puits de Kefheïr (de la Samaritaine ?).
On retrouve le plomb dans la mine du crayon, son âme. Le crayon est dans le tiroir. Originellement en plomb, puis en alliage plomb/étain, puis enfin en graphite, lequel est une forme allotropique du carbone, comme le diamant. Possibilité de transmutation et rappel du couteau noir qui peut devenir blanc puis rouge.
D’une manière générale, l’album, comme « Coke en stock » (et bien d’autres albums, rappelle Bertrand Portevin, l’Île noire, l’Or noir, etc.) met en scène le noir, l’intérieur des choses, les passages verticaux (escaliers, marches, échelles, hublots, évocation de puits et de montagnes), les cales, les caves, les passages secrets (tonneau, boyau, charnières). Tout est faux et truqué. Fausses pièces, fausse bibliothèque, faux aveugle, faux crabe. Je ne dis pas que tout est bidon, puisque c’est dans « Le lotus bleu » que tout le monde passe la moitié de son temps fermé dans des bidons.
Nous sommes dans le noir. Tintin aura beaucoup exploré le noir : or noir, âmes noires, et quelques poubelles, comme dans cette aventure. Comme Hergé son père a affronté le noir qui l’envahissait souvent, pour enfin parvenir à la lumière. Certaines indications peuvent nous éclairer. D’après Tintin, Karaboudjan est arménien. En arménien, kara signifie noir, ar, har, kar voulant dire montagne. Abou est le père, et Djan désigne l’âme, ce qui est précieux et cher. Un bateau arménien fait immédiatement songer à l’arche du dénommé Noé, échouée sur le mont Ararat. Au fait, en arménien, lumière se dit : louys. Pour Portevin, KARAB OUDJAT, c’est le mauvais œil. Qui renvoie à l’œil monoculé de l’affreux Rastapopulos, le méchant des méchants. Ca rappelle le cyclope Polyphème d’Ulysse, l’oeil de Sauron, l’oeil des Illuminati, et ça désigne toujours l’Ennemi des hommes, le Malin, dit la prière orthodoxe.
A propos de louys, lux, le breton, qui provient tout droit le la langue mère des Pélasges distingue Lous, Louz, ‘bienfait’ de la racine Lùs ou Lùz, ‘sale’, ‘impur’. Autant dire qu’il faut ouvrir l’œil, et le bon, et ne pas oublier cette parole du Christ : "Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes." ([url=http://topchretien.jesus.net/topbible/external/ref.php?q=Matt 10.16&traduction=LSG]Matt[/url] 10.16)
Le bateau maquillé portera le nom de Djebel Amilah, ou le Mont de la Promesse. Vaisseau alchimique qui de vaisseau des morts, mauvais oeil, porte maintenant la promesse. Certaines boîtes contiennent de l’opium, d’autres du véritable crabe. Ouvrons les boîtes pour savoir qui est qui, quoi contient quoi, car sinon nous resterons dans l’opinion, la généralisation, la connaissance superficielle, l’amalgame... Les mots sont des boîtes aux lettres. Ouvrons les boîtes, les lettres, les mots, les maux, l’Être, le néant. Ouvrons les fenêtres.
Quoi d’autre, dans ce tiroir ? Une lettre ouverte, justement sous une enveloppe décachetée, qui a franchi les mers. La lettre cachée. Lettre volée, d’Edgar Poe. Décachetons, sortons du cachot, jetons au feu les lettres de cachet, ouvrons les lettres des mots qui nous appartiennent, puisque la parole est humaine, et qu’elle sert à construire, découvrir et déconstruire le monde. Ouvrons les lettres, ouvrons les mots, ouvrons les yeux, réalisons enfin le grand œuvre.
Les boutons ? La promesse des fleurs épanouies ? A moins que ce ne soient des petites pièces percées, comme celles qui servent au tirage du Yi king, dont Hergé était un grand pratiquant ? Je l’ignore.
La clef ? Cherchez la serrure. C’est vrai, parfois on est devant une porte fermée, et on n’a pas la clef, d’autres fois, c’est l’inverse. Quelle bêtise d’avoir une clef, la petite clef d’un coffret intime, et de ne pas savoir où est passé le coffret ! Je ne vous dirai pas de quel précieux coffre il s’agit, vous êtes bien assez grands. A chacun son mystère.
5) J’y retourne
Voilà comment on peut lire la vie d’un homme dans le contenu de ses poches, quand c’est Hergé qui raconte l’histoire. Peut-être que tout cela ne sort que de mes fantasmes, n’est que poussière ajoutée et ne mène nulle part. Ou peut-être pas. Vivons dangereusement et légèrement. Nous sommes poussière, et le propre de la poussière, c’est la légèreté. Que la poussière vole et danse dans les rayons du soleil.
J’arrête là ce périlleux exercice. S’il vous a plu, mais laissé sur votre faim, ce qui est normal car je n’ai moi qu’une petite boîte à outils, empressez-vous de dévorer Portevin, qui lui en a une énorme, grosse comme ça, mais pas la grosse tête, attention, dont les deux livres (hélas, il n’y en a que deux, un troisième est en cours, mais vue la consistance et le fait que le monsieur travaille concomitamment pour gagner sa portion, c’est normal qu’on attende un peu) s’appellent : « Le Monde inconnu d’Hergé », et « Le Démon inconnu d’Hergé » (attention, ce dernier ne se trouve déjà plus que d’occasion).
Et surtout, lisez et relisez les prodigieuses aventures d’un héros immortel au cœur limpide : Tintin. Ora, lege et relege…
PS : Dans sa relecture de ces oeuvrettes, Bertrand Portevin m’a signalé que c’est dans saint Luc et saint Jean, tous deux au chapitre X, que Jésus dit « Je suis la porte ».
Hé bien, j’ai jeté un coup d’œil en page 10, où l’on voit Allan Thompson faire entrer les Dupondt dans sa cabine. Il signale : "attention, il y a une marche". Et les Dupondt qui ne baissent pas la tête se prennent tous les deux le chambranle. « Et la porte est fort basse », ajoute Allan. Normal, c’est la « porte étroite ». Effectivement, il y a une marche, il faut s’élever. Et baisser la tête, car ici n’entre nul orgueilleux, plein de lui-même. Pour s’élever, il faut nécessairement mettre la tête en berne, couper le mental.
Pour ceux qui ne baissent pas la tête, cette fameuse tête qui nous sert de bouchon, ça décoiffe.
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