Les médias disparus : Mots d’esprits.
L’Electronic Voice Phenomena fait parler les morts. Fumisterie ou ligne directe avec l’au-delà ?
par Marie Lechne
En juin 1959, Friedrich Jürgenson, peintre, archéologue, ancien chanteur d’opéra vivant en Suède enregistre les oiseaux dans la campagne. En écoutant la bande, de retour chez lui, il entendit « un bruit, vibrant comme un orage, où l’on n’entendait que vaguement le gazouillis », suivi d’« un solo de trompette » et d’une voix d’homme qui parlait en norvégien. Ces bruits, inaudibles lors de l’enregistrement, n’apparaissent que lorsqu’il repassait la bande. Pour Jürgenson, pas de doute, ces voix étaient celles des morts, comme l’en persuada bientôt un nouvel événement. « J’étais dehors, en train d’enregistrer les oiseaux. Quand j’ai réécouté la bande, une voix m’a dit “Friedel, est-ce que tu m’entends ? C’est maman”. C’était la voix de ma mère décédée. Friedel c’est le surnom qu’elle me donnait. »
Friedrich Jürgenson deans son studio d’enregistrement en 1976. Photo The Friedrich Jürgenson Foundation http://www.fargfabriken.se/fjf/
Jürgenson abandonne alors la peinture pour se consacrer à ces enregistrements qu’il collectionne minutieusement et documente dans des livres. Son matériel se limite à un magnéto à bande. Il ouvre simplement le micro, déclenche l’enregistrement et parle distinctement dans la pièce, laissant de l’espace aux voix pour répondre. Celles-ci s’expriment souvent dans une mixture de langues, appelée « polyglot », mélange de suédois, d’allemand, de russe, d’anglais et d’italien. Au printemps 1960, l’une des voix lui ordonna d’utiliser la radio comme médium et c’est cette technique qu’il utilisa jusqu’à sa mort. La fréquence 1485 khz (1), sur laquelle il se connecte le plus fréquemment, porte d’ailleurs son nom. L’artiste a fait des milliers d’enregistrements de personnes défuntes, famille et amis mais aussi célébrités comme Van Gogh ou le masseur de Himmler.
Le phénomène n’est pas nouveau. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’avènement de l’électricité a coïncidé avec la montée du spiritualisme et les tentatives tous azimuts pour entrer en contact avec les morts. Ceux-ci se manifestent alors sous forme d’ectoplasmes dans la photographie spirite ou de voix de l’au-delà véhiculées par la bouche des médiums ; remplacés peu à peu par les médias. Les esprits sont, semble-t-il, branchés nouvelles technologies. Leurs voix désincarnées se manifestent par des borborygmes sur les bandes magnétiques ou dans les interstices des fréquences radio. Elles circulent via le téléphone, le fax, les tubes cathodiques des téléviseurs ou se connectent aux ordinateurs...
Si le scepticisme est de mise aujourd’hui, de grands scientifiques se sont penchés sur ces phénomènes inexpliqués. Edison, pionnier de l’électricité, a reconnu qu’il travaillait à un outil de communication avec l’au-delà (1) affirmant même qu’il était possible de concevoir un appareil si sensible qu’il pourrait permettre à des personnalités vivant dans une autre sphère de s’exprimer plus clairement que par l’intermédiaire des tables tournantes, des coups frappés ou de tout autre mode de communication primitif. Aucune trace de ce « téléphone psychique » n’a cependant été retrouvée.
Marconi et Tesla, pionniers de la radio, pensaient également pouvoir entrer en contact avec les morts, tandis que « sir Williams Crooks, inventeur du radiomètre ou sir Oliver Lodge, père de la radio, croyaient tous deux que l’autre monde était une longueur d’onde dans laquelle nous passons lorsque nous mourrons », confirme Carl Michael von Hausswolff, artiste suédois passionné d’Electronic Voice Phenomena (EVP), ces murmures des morts enregistrés pour la première fois par Jürgenson.
Le nom le plus fréquemment associé aux EVP est celui de Konstantin Raudive, psychologue letton et ancien élève du psychanalyste Carl Jung. Intrigué par les expériences de Jürgenson, il lui rendit visite en 1965. A la suite de quoi, Raudive poursuivit ses propres travaux, recourant à différentes procédures : magnétophones reliés à des micros fermés ou ouverts, enregistrement de signaux radios réglés entre deux stations ou de voix errantes capturées sur le fil téléphonique.
Difficile de comprendre ces voix qui se logent dans le bruit blanc et les fritures. D’après Raudive, il faut « au moins trois mois pour que l’oreille s’ajuste ». Ces voix sont caractérisées par « la mixture de langues (parfois cinq ou six dans la même phrase), un rythme rapide, un phrasé court, un style télégraphique, de nombreuses irrégularités grammaticales et des néologismes », détaille Raudive. Pour aider l’auditeur, Raudive fait toujours écouter l’enregistrement trois fois de suite, en prenant soin au préalable de suggérer ce qu’on est censé comprendre. Pour améliorer la qualité de ces enregistrements, il s’entoure d’ingénieurs comme Theodor Rudolph qui développera un instrument appelé goniomètre. Raudive avait déjà enregistré près de 72000 sons lorsqu’il publia en 1968 son livre Unhörbares Wird Hörbar mais ce sont les écrits de Burroughs qui populariseront ses recherches. Dans son essai It Belongs to the Cucumber, l’écrivain beat note des similarités entre les écrits produits par ses propres techniques de cut up et les textes retranscrits par Raudive. A défaut d’être pris au sérieux par la communauté scientifique, les « sons » du psychologue letton devinrent culte pour de nombreux artistes (Coil, Genesis P Orridge, The Smiths...) et son travail fut poursuivi par son collaborateur Gerhard Stempnik, hautboïste au Philharmonique de Berlin. Aujourd’hui encore, une vaste communauté tente de capturer ces voix fantomatiques.
Alors, vaste fumisterie ou ligne directe avec la quatrième dimension ? Les détracteurs des EVP remettent en cause l’origine surnaturelle des voix et considèrent les EVP comme une « version audio du test de Rorschach », selon l’expression de l’artiste sonore Joe Banks : vous entendez ce que vous espérez ou souhaitez entendre. Le mécanisme de projection joue un rôle primordial dans la perception auditive, « mécanisme qui fait que nous voyons des formes familières dans les nuages ou discernons une mélodie dans les vibrations du train ». D’après Banks, l’auditeur a tendance à forcer le sens, en associant des configurations sonores à des mots connus. La provenance de ces « voix » s’expliquerait plutôt par les interférences, un dérivé de la pollution électromagnétique qui englobe notre planète.
(1)Edison Working on How to Communicate with the Next World (American Magazine, octobre 1920) et Edison’s View on Life After Death (Scientific American, octobre 1920).
A écouter:
The Message, Art and Occultism, Kunst Museum Bochum
The Ghost Orchid, an introduction to EVP (Touch)
Friedrich Jurgenson - from the Studio for Audioscopic Research CD Touch rec
Konstantin Raudive : the voice of the dead (Sub Rosa)
Source: http://www.ecrans.fr/Les-medias-disparus-Mots-d-esprits,4866.html
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