Première partie
Note sur l'auteur :Carmen Bernand est anthropologue et historienne, professeure émérite à l’université Paris-X
Elle est l'auteure de différents ouvrages, notamment " Les Incas, peuple du Soleil" réédité en 2010 dans la collection "Découvertes" chez Gallimard. Son dernier livre "Quetzalcoatl, le serpent à plumes" est sorti en 2010 chez Larousse.
Les Incas. L'empire des quatre parties du monde
Carmen BernandDétruit au XVIe siècle par les conquistadores espagnols, l’Empire inca continue de faire rêver…Que sait-on de lui ?
Les Incas ont eu le génie du politique. En quelques décennies, ils ont bâti un empire sur un espace immense constitué de zones écologiques très différentes. Un empire qui, comme son nom de Tawantinsuyu – « les Quatre Quartiers » – l’indique clairement, contenait les quatre parties du monde connu.
Cette prétention était justifiée, puisque l’empire couvrait une grande partie de l’Amérique méridionale. Du nord au sud, son territoire allait de la Colombie actuelle (Pasto) jusqu’au centre du Chili ; à l’ouest, il englobait les chefferies côtières du Pacifique ; à l’est, ses armées ont pénétré dans le Piémont amazonien jusqu’au territoire do Acre, situé aujourd’hui dans les confins du Brésil, bravant ainsi un habitat hostile pour des montagnards habitués aux grandes altitudes.
L’expansion impériale, entre mythe et histoireCette expansion, que l’on peut dater du milieu du XVe siècle, n’a pas été le fruit de la volonté d’un souverain, en l’occurrence Pachacutec Inca, ni la conséquence directe de sa victoire contre les Chankas, comme l’affirment les mythes. Nous savons aujourd’hui que dès le XIe siècle, la chute de l’Empire de Wari*, dont le principal poste avancé dans la vallée de Cuzco était Pikillacta, fut suivie d’une réorganisation politique des divers peuples de la région. Parmi eux se trouvaient les Incas. Par des stratégies matrimoniales, ils réussirent à s’allier à d’autres groupes ethniques, créant ainsi un noyau militaire et des bases économiques solides, sans lesquelles ils n’auraient pas pu entreprendre de si lointaines conquêtes.
Lorsque les chroniqueurs espagnols du XVIe siècle interrogèrent les élites péruviennes au sujet de leurs origines, ils recueillirent deux versions canoniques. La première affirmait que les premiers ancêtres étaient sortis par une « fenêtre » de pierre ou par une grotte, dans le lieu-dit de Tampu Tocco, près de Cuzco. L’autre version disait que les Incas étaient originaires d’une île du lac Titicaca, à proximité des ruines de Tiwanaku*.
Les récentes découvertes archéologiques, les analyses ADN et l’apport d’une source rédigée au XVIIe siècle par Fernando de Montesinos à partir de documents plus anciens semblent plutôt indiquer une origine aymara. Lorsque la cité de Tiwanaku implosa, sous l’effet de conflits et d’aléas climatiques, quelques groupes aymaras émigrèrent vers le nord et s’installèrent dans la vallée de Cuzco. Ces migrants auraient été incorporés dans la seigneurie de Tampu Tocco. Vers 1350, Inca Roca, dernier souverain de Tampu Tocco, fonde à son tour la dynastie de Hanan Cuzco, celle des Incas.
Cependant sur les listes dynastiques fournies par les chroniques du XVIe siècle, Inca Roca est bien le premier roi de Hanan Cuzco mais le sixième dans l’ordre généalogique. En effet, Manco Capac et ses quatre successeurs, que les récits considèrent comme étant des Incas, appartiennent à la moitié Hurin Cuzco, qui regroupe des populations locales, liées par des alliances matrimoniales aux Incas. Il faut attendre Pachacutec Inca, « Celui qui ébranle le monde », pour que, au terme d’une opération éminemment politique, les Hurin Cuzco soient reconnus comme des Incas « de privilège » et que, par cet acte, les discordes anciennes soient effacées, au profit des Incas véritables, les Hanan Cuzco.
Cette décision implique une réécriture de l’histoire qui va de pair avec la destruction des supports matériels des traditions anciennes. Les Aztèques du Mexique, vers la même époque, et dans une même intention, ont brûlé les codex anciens. La nouvelle histoire du Tawantinsuyu s’écrit avec les armes et trouve sa légitimité dans la « générosité » des vainqueurs. L’intégration des ethnies andines dans la pax incaica se sert des mécanismes de la réciprocité et de la redistribution, typiques de toute la région andine. Une série de rituels entre conquérants et conquis, comme le don de tissus précieux et des libations, scellent ces liens. Les peuples récalcitrants sont anéantis.
La route, le tribut et le pouvoir
La colonne vertébrale de cet empire est la route. Déjà à l’époque de Wari (et peut-être dans un temps plus ancien), des voies de circulation avaient été tracées, mais les Incas leur donnèrent une extension inédite jusque-là, et les perfectionnèrent pour en faire l’instrument de leur pouvoir et unifier un ensemble ethnique disparate. Le réseau routier inca comporte deux axes principaux longitudinaux qui unissent la région de Pasto avec le Chili et sont reliés entre eux par une multitude de routes secondaires.
Ce système relève d’un multiple défi. Topographique d’abord, puisque les chemins parviennent à vaincre un relief des plus âpres, avec des dénivellations de plus de 3 000 mètres et des torrents et des fleuves larges et tumultueux comme l’Apurimac qu’il faut franchir. Défi technique aussi, car pour aplanir les pentes et tracer des chaussées, souvent de grande largeur, les populations ne disposent que d’outils simples comme les cordages, les filets, les bâtons de bois et les haches de pierre, le fer leur étant inconnu. Défi politique nécessairement, puisqu’il faut convaincre les populations de travailler pour le bénéfice de la collectivité. Défi intellectuel enfin, puisque les Incas ne connaissent pas l’écriture mais seulement un système mnémotechnique, fait de cordelettes et de nœuds, le quipu, où sont consignées des quantités et des classes d’objets. Des maquettes en argile permettent cependant de concevoir des formes, qu’il fallait ensuite reproduire à l’échelle réelle.
Les quatre grandes voies qui mènent aux quatre provinces de l’empire, Chinchasuyu, Collasuyu, Antisuyu et Cuntisuyu, partent de Cuzco, la capitale. La chaussée est faite de pierres taillées, soigneusement assemblées ; elle est entretenue avec soin et à des intervalles réguliers se dressent des tambos, sorte d’auberges où les chasquis (messagers) peuvent se rafraîchir et se reposer. Ces courriers se relaient au pas de course, et peuvent ainsi couvrir rapidement des distances considérables. Les routes sont également les voies de pénétration des armées.
Note sur l'auteur :Carmen Bernand est anthropologue et historienne, professeure émérite à l’université Paris-X
Elle est l'auteure de différents ouvrages, notamment " Les Incas, peuple du Soleil" réédité en 2010 dans la collection "Découvertes" chez Gallimard. Son dernier livre "Quetzalcoatl, le serpent à plumes" est sorti en 2010 chez Larousse.
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