La commission interministérielle chargée de la sauvegarde du parc archéologique Carthage-Sidi Bou Saïd – inscrit, depuis 1979, sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité – a tenu une réunion au cours de laquelle elle a établi sa méthodologie de travail et son agenda du traitement des dossiers.
C’est ce qu’a annoncé, le ministère de la Culture, dans un communiqué diffusé samedi via l’agence Tap.
On sait que tous les permis de bâtir relatifs aux terrains à caractère archéologique et historique dans le périmètre du site Carthage-Sidi Bou Saïd ont été suspendus, depuis le 16 février, par un arrêté du ministère de la Culture.
La décision a été prise afin de sauvegarder le patrimoine archéologique national, et en application des conventions internationales approuvées par l’Etat tunisien dans le cadre de ses engagements auprès de l’Unesco, explique la tutelle.
Permis de bâtir «légaux» mais illégitimes
Tous les permis de bâtir suspendus ayant tous été accordés illégitimement, dans le cadre d’une procédure fondée sur une apparence de légalité, le directeur général de l’Institut national du patrimoine (Inp) a été chargé de l’application immédiate de cette décision de suspension, conjointement avec le secrétaire général de la municipalité de Carthage et le chef de district de la sûreté nationale de Carthage.
La commission interministérielle chargée du parc archéologique national de Carthage-Sidi Bou Saïd – créée par le décret numéro n° 2011-562 du 18 mai 2011 en application du décret-loi n° 2011-11 du 10 mars 2011 – s’est vue transmettre tous les dossiers reçus jusqu’ici par le ministère de la Culture de la part des propriétaires des terrains concernés par la suspension du permis de bâtir. Les personnes qui n’ont pas encore fait parvenir les leurs sont donc priés de les adresser au ministère de la Culture, dans les meilleurs délais, en précisant: «Doléances pour les terrains de Carthage».
La tutelle n’a cependant rien indiqué sur la méthodologie de travail que ladite Commission a adoptée dans le traitement des dossiers ni sur les délais d’annonce de ses décisions et encore moins sur la nature de celles-ci.
La société civile monte au créneau
Il convient de rappeler ici qu’une pétition intitulée «Appel pour la défense de du site culturel de Carthage-Sidi Bou Saïd, Patrimoine de l’humanité» circule sur la Toile depuis le 3 février. Initiée par Jellal Abdelkafi (urbaniste) et Abdelmajid Ennabli (archéologue), ses signataires rappellent l’importance du site archéologique Carthage-Sidi Bou Saïd et les raisons qui ont amené à l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial protégé: «Soucieux du devenir de ce site de près de 400 hectares, au moment où les poussées de l’urbanisation perturbaient les territoires, le ministre de la Culture de la république tunisienne et le directeur général de l’Unesco lançaient en 1972 la campagne internationale de fouilles; ce qui a permis de mettre au jour nombre de vestiges et de mieux comprendre l’histoire urbaine aux époques punique et romaine», écrivent MM Abdelkafi et Ennabli. Ils ajoutent: «Les découvertes ont été spectaculaires, et au vu de ces résultats, l’Unesco inscrivait Carthage-Sidi Bou Saïd sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité en 1979. Le site a fait l’objet en 1985 d’une procédure de classement définissant les zones non aedificandi – c’est-à-dire non constructibles – en vertu de ‘‘l’intérêt archéologique, historique, esthétique et naturel’’.»
Des enquêtes pour délimiter les responsabilités
Malgré cette «consécration juridique nationale et internationale», le site Carthage-Sidi Bou Said est, aujourd’hui, en péril, en raison, notamment, des «nombreuses atteintes à ce patrimoine (…) commises par les membres des familles liées au régime déchu», qui ont obtenu «le déclassement d’une vaste zone du territoire archéologique pour construire un complexe immobilier aux fins spéculatives, les ‘‘Résidences de Carthage’’», «la dérogation de construire dans des zones non aedificandi» et «l’accaparement de palais et demeures historiques ainsi que de pièces du patrimoine.»
Le site a été détourné du domaine public de l’Etat au profit de certains proches de l’ancien régime, avec le consentement de l’administration, sinon avec son implication active. Ces derniers, par de simples procédures administratives, se sont vus attribuer des terrains de grande valeur à des prix symboliques qu’ils ont revendus ensuite au prix fort à d’autres personnes, promoteurs appâtés par le gain ou simples citoyens soucieux de se construire une villa à Carthage, le must du must.
Le 24 février, les propriétaires des résidences construites à Carthage ont lancé une pétition dans la presse, rappelant qu’ils étaient des acheteurs de bonne foi «n’ayant aucun lien avec les clans du passé», et affirmaient «qu’aucune preuve n’a été apportée quant à la valeur archéologique du terrain sur lequel a été réalisé le projet immobilier».
Qui qu’il en soit, ces personnes, qui pensaient faire une bonne affaire, ne peuvent invoquer aujourd’hui la bonne foi ou encore moins la légalité bien douteuse de l’opération à laquelle elles s’étaient associées, et dont elles n’étaient pas sans savoir l’illégitimité. Et même si ces personnes peuvent être considérées, finalement, comme les victimes d’une malversation immobilières, leur responsabilité dans ce qui leur arrive n’en est pas moins avérée. Leurs biens, acquis dans des conditions douteuses, leur seront-ils confisqués au profit de l’Etat qui va récupérer ainsi son dû? Vont-ils être compensés pour leurs pertes et à quel niveau? Va-t-on leur permettre de reprendre la construction sous certaines conditions, et dans ce cas, on aimerait bien savoir lesquelles? Seuls les membres de la commission interministérielle pourront répondre à toutes ces questions. Donc, attendons voir…
Cela dit, il convient aussi de rappeler, afin d’être complet à ce sujet, que l’ex-ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, Mohamed El Aziz Ben Achour, aujourd’hui directeur général de l’Alecso, avait réfuté toute implication dans le déclassement de terrains du parc archéologique et historique de Carthage-Sidi Bou Saïd au profit d’un promoteur immobilier proche de l’ancien président.
Dans une «Déclaration» qu’il avait fait parvenir, courant février, à Kapitalis, M. Ben Achour a affirmé que «les déclassements se font par décrets et sont donc signés par le président de la république», l’implication du ministre se réduisant, selon lui, à la poursuite de «la procédure juridique et administrative de promulgation et de mise en application» des décrets en question.
Selon M. Ben Achour, le déclassement du site de Carthage-Sidi Bou Saïd «a pris la forme d’une injonction présidentielle et le décret a été préparé sans [son] avis préalable». Car, souligne-t-il, «sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali, tout ce qui concernait les opérations foncières de Carthage-Sidi Bou Saïd était le domaine réservé du président».
Quoi qu’il en soit, des enquêtes, administratives et judiciaires, doivent être menées pour délimiter les responsabilités dans ces malversations, lancer des poursuites judiciaires contre les coupables d’abus et réparer les dommages causés au site par les spéculateurs véreux et leurs complices, qu’ils soient actifs ou passifs. Car aucun, parmi les personnes impliquées dans cette affaire, ne peut invoquer l’ignorance. Et encore moins la bonne foi.
source : http://www.kapitalis.com/fokus/62-national/4358-letat-tunisien-recuperera-t-il-les-terrains-de-carthage-lvolesr-par-le-clan-ben-ali-.html
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