Comprendre la crise de la dette américaine.
LEMONDE.FR | 26.07.11 | 20h04 • Mis à jour le 27.07.11 | 14h19.
Les négociations sont au point mort entre la Maison Blanche et les élus du Congrès américain, alors que les Etats-Unis disposent de moins d'une semaine, jusqu'au 2 août, pour relever le plafond de leur dette publique. Sans quoi, ils risquent le défaut de paiement. Mardi soir, la Maison Blanche a répété qu'elle restait "confiante", mais aucun compromis ne se dessinait à l'horizon.
La dette américaine atteint actuellement 14 300 milliards de dollars, soit 9 950 milliards d'euros, presque 100 % du produit intérieur brut. Faute d'accord, le gouvernement américain n'aura plus les moyens d'emprunter pour payer ses engagements : une situation inédite, dans laquelle on verrait la première économie du monde se placer volontairement en défaut de paiement.
Depuis plusieurs mois, les représentants des deux partis ne parviennent pas à s'accorder sur les contours du plan de réduction des déficits publiques qui doit immanquablement accompagner le relèvement du plafond de la dette. Explications en quatre points :
Pourquoi un plafond ? La loi américaine exige du Congrès qu'il autorise le gouvernement à s'endetter jusqu'à un certain seuil pour financer sa politique en cours. Lorsque le déficit cumulé du pays atteint ce "plafond", la somme est réévaluée au Congrès. Ainsi, depuis 1980, le plafond de la dette a été augmenté pas moins de trente-neuf fois.
La limite légale d'endettement de 14 300 milliards de dollars a été atteinte en mai dernier. A titre de comparaison, la dette publique française était de 1 646 milliards d'euros à la fin du premier trimestre 2011. De 11,5 millions de dollars en 1917, date de sa création, le plafond de la dette a ainsi été considérablement augmenté à la demande de la Maison Blanche. La dernière décennie a même vu son explosion, avec dix relèvements depuis 2001, qui ont fait passer le plafond de la dette de 5 950 milliards de dollars, il y a dix ans, à 14 294 milliards. Barack Obama lui-même a déjà obtenu trois fois du Congrès qu'il relève cette limite.
Sans un relèvement du plafond de la dette, les fonctionnaires américains ne seraient plus payés, les pensions de retraite des vétérans de l'armée ne seraient plus versées et de nombreuses aides sociales ne seraient plus financées.
Le gouvernement ne pourrait pas non plus rembourser ses créanciers étrangers, ce qui pourrait précipiter une dégradation de sa note par les agences de notation. Les taux d'intérêt exploseraient à leur tour, impliquant les perspectives de reprise économique.
Deux plans de réduction des dépenses similaires... Républicains et démocrates répètent depuis plusieurs semaines qu'ils parviendront à un accord avant la date fatidique du 2 août. Leurs propositions se sont progressivement rapprochées au fil des dernières semaines. C'est le Parti républicain, d'opposition, majoritaire à la Chambre des représentants, qui a refusé d'augmenter le plafond de la dette si le gouvernement démocrate n'engageait pas un plan de réduction drastique de ses dépenses.
Les deux partis ont identifié 1 200 milliards à effacer des dépenses de l'Etat, auxquels les démocrates ajoutent 1 000 milliards de dollars d'économies, en prévision du retrait progressif des troupes américaines d'Afghanistan et d'Irak. Le chef de file des démocrates au Sénat, Harry Reid, a détaillé, lundi, un plan prévoyant un relèvement du plafond de la dette suffisant jusqu'en 2013, accompagné d'une réduction des déficits de 2 700 milliards de dollars sur dix ans. Les démocrates seraient même prêts à renoncer à une hausse d'impôts pour les plus riches, voulue pourtant par le président Obama.
A noter que les deux plans de réduction, démocrate et républicain, sont prévus à dépenses constantes. Les deux camps s'accordent également pour mettre en place une commission bipartite au Congrès chargée d'identifier dans les prochains mois plus de coupes budgétaires, notamment dans les programmes d'assurance maladie réformés en mars 2010 par le gouvernement Obama.
... mais aux calendriers différents. Ces deux approches diffèrent cependant sur le calendrier, et c'est là que les négociations butent principalement. Les élus républicains refusent de fixer dès maintenant un plafond d'endettement qui permettrait aux Etats-Unis de financer leur politique jusqu'après l'élection présidentielle de novembre 2012, comme le souhaitent les démocrates. Les républicains souhaitent relever le plafond de la dette en deux temps, d'abord d'ici à février-mars 2012, puis d'ici à 2013. Le plan démocrate prévoit une hausse du plafond jusqu'en 2013, sans point intermédiaire.
Dans un discours à la nation retransmis lundi soir, Barack Obama a refusé le calendrier républicain, estimant qu'il conduirait à une répétition de la crise dans six mois : "Nous savons à quoi nous devrons nous attendre dans six mois, a-t-il dit. L'économie sera de nouveau retenue en otage si [les élus républicains] n'obtiennent pas ce qu'ils veulent." "C'est un jeu dangereux auquel nous n'avons jamais joué auparavant et auquel nous ne pouvons nous permettre de jouer maintenant", a également lancé M. Obama. La constitution américaine autorise M. Obama à imposer une hausse du plafond de la dette pour éviter un défaut de paiement du pays, mais le président a pour l'instant rejeté cette option.
John Boehner, speaker républicain de la Chambre des représentants et principal interlocuteur de la Maison Blanche dans ce dossier, déclarait, lui, qu'il avait "tout donné" pour parvenir à un accord. "La triste vérité est que le président veut un chèque en blanc", a-t-il lancé, tout en promettant de soumettre au Sénat puis à M. Obama un texte de loi pour éviter un défaut. "Si le président le promulgue, l'ambiance de 'crise' qu'il a créée disparaîtra d'elle-même."
Inquiétudes dans les milieux financiers. Ce débat fragilise considérablement les Etats-Unis sur les marchés financiers. Depuis lundi, Wall Street a commencé à prendre la possiblité d'un défaut de paiement américain au sérieux. Les trois grandes agences de notation – Moody's, Fitch et Standard & Poor's – menacent de dégrader la note de la dette américaine. Celle-ci est établie à AAA, la note maximale, depuis près d'un siècle. Elle pourrait descendre à AA+, avec une perspective négative pour l'avenir. Les agences ont également annoncé que le plan républicain pourrait ne pas suffire à éviter cette dégradation.
Pis, Standard & Poor's a indiqué qu'aucun des deux plans, républicain comme démocrate, ne propose les réductions de dépense publiques qu'elle juge nécessaires. Standard & Poor's avance le chiffre de 4 000 milliards de dollars, quand la proposition républicaine, la plus haute, plafonne à 3 000 milliards.
Les banques états-uniennes, elles, commencent à prévoir des plans de secours en cas de dégradation de la note américaine. Ce sont elles qui en détiennent la plus large part (un dixième, ou 1 660 milliards de dollars en juin, selon la Fed), sous forme de bons du Trésor, considérés comme faisant partie des investissements les plus sûrs au monde. Les banques seraient donc les premières frappées par une baisse de valeur de ces bons, et elles disposent de peu d'options pour s'en prémunir.
Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a prédit "des hausses de taux d'intérêt, des contrecoups énormes sur les Bourses et des conséquences véritablement déplorables, pas simplement pour les États-Unis, mais aussi pour l'économie mondiale dans son ensemble".
"Ce serait plus important que la chute de Lehman Brothers, ce serait une crise cataclysmique, a affirmé au Monde.fr Christine Rifflart, économiste spécialiste des États-Unis à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, a assuré au cours du week-end qu'un défaut de paiement des Etats-Unis "n'arrivera pas". "Il est impensable que notre pays n'honore pas ses obligations en temps et en heure."
Louis Imbert.
Source: http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/07/26/comprendre-la-crise-de-la-dette-americaine_1552828_3222.html#ens_id=863164
LEMONDE.FR | 26.07.11 | 20h04 • Mis à jour le 27.07.11 | 14h19.
Les négociations sont au point mort entre la Maison Blanche et les élus du Congrès américain, alors que les Etats-Unis disposent de moins d'une semaine, jusqu'au 2 août, pour relever le plafond de leur dette publique. Sans quoi, ils risquent le défaut de paiement. Mardi soir, la Maison Blanche a répété qu'elle restait "confiante", mais aucun compromis ne se dessinait à l'horizon.
La dette américaine atteint actuellement 14 300 milliards de dollars, soit 9 950 milliards d'euros, presque 100 % du produit intérieur brut. Faute d'accord, le gouvernement américain n'aura plus les moyens d'emprunter pour payer ses engagements : une situation inédite, dans laquelle on verrait la première économie du monde se placer volontairement en défaut de paiement.
Depuis plusieurs mois, les représentants des deux partis ne parviennent pas à s'accorder sur les contours du plan de réduction des déficits publiques qui doit immanquablement accompagner le relèvement du plafond de la dette. Explications en quatre points :
Pourquoi un plafond ? La loi américaine exige du Congrès qu'il autorise le gouvernement à s'endetter jusqu'à un certain seuil pour financer sa politique en cours. Lorsque le déficit cumulé du pays atteint ce "plafond", la somme est réévaluée au Congrès. Ainsi, depuis 1980, le plafond de la dette a été augmenté pas moins de trente-neuf fois.
La limite légale d'endettement de 14 300 milliards de dollars a été atteinte en mai dernier. A titre de comparaison, la dette publique française était de 1 646 milliards d'euros à la fin du premier trimestre 2011. De 11,5 millions de dollars en 1917, date de sa création, le plafond de la dette a ainsi été considérablement augmenté à la demande de la Maison Blanche. La dernière décennie a même vu son explosion, avec dix relèvements depuis 2001, qui ont fait passer le plafond de la dette de 5 950 milliards de dollars, il y a dix ans, à 14 294 milliards. Barack Obama lui-même a déjà obtenu trois fois du Congrès qu'il relève cette limite.
Sans un relèvement du plafond de la dette, les fonctionnaires américains ne seraient plus payés, les pensions de retraite des vétérans de l'armée ne seraient plus versées et de nombreuses aides sociales ne seraient plus financées.
Le gouvernement ne pourrait pas non plus rembourser ses créanciers étrangers, ce qui pourrait précipiter une dégradation de sa note par les agences de notation. Les taux d'intérêt exploseraient à leur tour, impliquant les perspectives de reprise économique.
Deux plans de réduction des dépenses similaires... Républicains et démocrates répètent depuis plusieurs semaines qu'ils parviendront à un accord avant la date fatidique du 2 août. Leurs propositions se sont progressivement rapprochées au fil des dernières semaines. C'est le Parti républicain, d'opposition, majoritaire à la Chambre des représentants, qui a refusé d'augmenter le plafond de la dette si le gouvernement démocrate n'engageait pas un plan de réduction drastique de ses dépenses.
Les deux partis ont identifié 1 200 milliards à effacer des dépenses de l'Etat, auxquels les démocrates ajoutent 1 000 milliards de dollars d'économies, en prévision du retrait progressif des troupes américaines d'Afghanistan et d'Irak. Le chef de file des démocrates au Sénat, Harry Reid, a détaillé, lundi, un plan prévoyant un relèvement du plafond de la dette suffisant jusqu'en 2013, accompagné d'une réduction des déficits de 2 700 milliards de dollars sur dix ans. Les démocrates seraient même prêts à renoncer à une hausse d'impôts pour les plus riches, voulue pourtant par le président Obama.
A noter que les deux plans de réduction, démocrate et républicain, sont prévus à dépenses constantes. Les deux camps s'accordent également pour mettre en place une commission bipartite au Congrès chargée d'identifier dans les prochains mois plus de coupes budgétaires, notamment dans les programmes d'assurance maladie réformés en mars 2010 par le gouvernement Obama.
... mais aux calendriers différents. Ces deux approches diffèrent cependant sur le calendrier, et c'est là que les négociations butent principalement. Les élus républicains refusent de fixer dès maintenant un plafond d'endettement qui permettrait aux Etats-Unis de financer leur politique jusqu'après l'élection présidentielle de novembre 2012, comme le souhaitent les démocrates. Les républicains souhaitent relever le plafond de la dette en deux temps, d'abord d'ici à février-mars 2012, puis d'ici à 2013. Le plan démocrate prévoit une hausse du plafond jusqu'en 2013, sans point intermédiaire.
Dans un discours à la nation retransmis lundi soir, Barack Obama a refusé le calendrier républicain, estimant qu'il conduirait à une répétition de la crise dans six mois : "Nous savons à quoi nous devrons nous attendre dans six mois, a-t-il dit. L'économie sera de nouveau retenue en otage si [les élus républicains] n'obtiennent pas ce qu'ils veulent." "C'est un jeu dangereux auquel nous n'avons jamais joué auparavant et auquel nous ne pouvons nous permettre de jouer maintenant", a également lancé M. Obama. La constitution américaine autorise M. Obama à imposer une hausse du plafond de la dette pour éviter un défaut de paiement du pays, mais le président a pour l'instant rejeté cette option.
John Boehner, speaker républicain de la Chambre des représentants et principal interlocuteur de la Maison Blanche dans ce dossier, déclarait, lui, qu'il avait "tout donné" pour parvenir à un accord. "La triste vérité est que le président veut un chèque en blanc", a-t-il lancé, tout en promettant de soumettre au Sénat puis à M. Obama un texte de loi pour éviter un défaut. "Si le président le promulgue, l'ambiance de 'crise' qu'il a créée disparaîtra d'elle-même."
Inquiétudes dans les milieux financiers. Ce débat fragilise considérablement les Etats-Unis sur les marchés financiers. Depuis lundi, Wall Street a commencé à prendre la possiblité d'un défaut de paiement américain au sérieux. Les trois grandes agences de notation – Moody's, Fitch et Standard & Poor's – menacent de dégrader la note de la dette américaine. Celle-ci est établie à AAA, la note maximale, depuis près d'un siècle. Elle pourrait descendre à AA+, avec une perspective négative pour l'avenir. Les agences ont également annoncé que le plan républicain pourrait ne pas suffire à éviter cette dégradation.
Pis, Standard & Poor's a indiqué qu'aucun des deux plans, républicain comme démocrate, ne propose les réductions de dépense publiques qu'elle juge nécessaires. Standard & Poor's avance le chiffre de 4 000 milliards de dollars, quand la proposition républicaine, la plus haute, plafonne à 3 000 milliards.
Les banques états-uniennes, elles, commencent à prévoir des plans de secours en cas de dégradation de la note américaine. Ce sont elles qui en détiennent la plus large part (un dixième, ou 1 660 milliards de dollars en juin, selon la Fed), sous forme de bons du Trésor, considérés comme faisant partie des investissements les plus sûrs au monde. Les banques seraient donc les premières frappées par une baisse de valeur de ces bons, et elles disposent de peu d'options pour s'en prémunir.
Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a prédit "des hausses de taux d'intérêt, des contrecoups énormes sur les Bourses et des conséquences véritablement déplorables, pas simplement pour les États-Unis, mais aussi pour l'économie mondiale dans son ensemble".
"Ce serait plus important que la chute de Lehman Brothers, ce serait une crise cataclysmique, a affirmé au Monde.fr Christine Rifflart, économiste spécialiste des États-Unis à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, a assuré au cours du week-end qu'un défaut de paiement des Etats-Unis "n'arrivera pas". "Il est impensable que notre pays n'honore pas ses obligations en temps et en heure."
Louis Imbert.
Source: http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/07/26/comprendre-la-crise-de-la-dette-americaine_1552828_3222.html#ens_id=863164
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