À Havrincourt, Néandertal aurait pu croiser Sapiens Sapiens. Enfin... à 20 000 ans près

Le tracé du futur canal Seine - Nord Europe est une terre de cocagne pour les archéologues de l'INRAP qui y mènent actuellement l'une des plus grandes campagnes de fouilles préventives de France. Situé juste à la frontière entre l'Atrébatie et la Nervie, le secteur abonde en vestiges gallo-romains, mais les chercheurs remontent parfois encore bien plus loin dans le passé. Le site paléolithique d'Havrincourt a fait forte impression lors des journées régionales de l'archéologie, jeudi, au conseil général...


Havrincourt. Moins 50 000 ans avant notre ère... Le froid est vif, dans la steppe balayée par les vents, mais la chasse a été bonne... Le cheval abattu fournira la viande pour plusieurs jours et les chasseurs, un petit groupe de Néandertaliens puissamment bâtis, se congratulent de leur succès. Mais il n'y a plus de temps à perdre car la traque a été longue et il va falloir rentrer au campement... Ils sortent les outils de silex qu'ils ont apportés et commencent à dépecer l'animal. Leurs visages, si particuliers avec leurs arcades sourcilières proéminentes, sont absorbés dans le travail.

Début d'un remake de La Guerre du feu ? Pas du tout... Halte de chasse retrouvée par sept mètres de profondeur, là où coulera, dans quelques années, le futur canal Seine-Nord Europe. Les archéologues de l'INRAP ont décapé un champ de fouille de 1 700 m², sur sept mètres de profondeur. Ils ont retrouvé des ossements de cheval et des silex taillés selon la technique Levallois, caractéristique des hommes de Néandertal. Ces outils sont remarquables par leur taille : 15 cm. Il est rare d'en trouver d'aussi grands. On sait que, contrairement à ce qui se passait souvent, ils n'ont pas été taillés sur place car on n'a pas retrouvé d'éclats. C'est donc que les chasseurs les avaient, là aussi fait assez rare, apportés avec eux. Il n'y a pas d'autres vestiges aux alentours. Il s'agit d'une simple halte de chasse, et pas d'un véritable campement. L'étude au microscope des outils a permis de déterminer qu'ils étaient spécialisés. Certains servaient à découper les chairs et les tendons, d'autres étaient utilisés pour briser les os.
Havrincourt. Moins 30 000 ans avant notre ère. Malgré le soleil qui a fait son apparition, le froid reste glacial. Là-bas, tout au bout de la steppe à mammouths qui constitue le paysage, grandissent depuis quelques minutes les silhouettes des chasseurs, lourdement chargés de carcasses de rennes.

Au campement des Sapiens Sapiens - qui ne sont au fond rien d'autre que des hommes modernes - l'excitation est grande... La tribu est assurée d'avoir suffisamment de viande pour plusieurs jours. On se prépare à dépecer les animaux avec les fines lames de silex, tranchantes comme des rasoirs que fabrique, avec un art consommé, le tailleur d'outils.

Là encore, nulle fiction derrière ce récit, mais des déductions scientifiques. Nous sommes à quatre cents mètres du site néandertalien, à un endroit ou sera bientôt creusée une écluse. Le campement de Sapiens Sapiens a été retrouvé à six mètres de profondeur, sur un champ de fouilles de 4 000 m² sur six mètres de profondeur. Ce second site a livré un grand nombre d'ossements d'animaux (mammouth, bison, renne, rhinocéros laineux, cheval, marmotte...), des lames de silex typiquement Sapiens et accompagnées, cette fois, des éclats montrant qu'elles étaient taillées sur place.

L'étude scientifique des trouvailles réalisées sur les deux sites, si elle a déjà livré quelques informations, n'en est qu'à son tout début. « Sans doute nous apportera-t-elle des données essentielles sur le peuplement de l'Europe du Nord par l'homo Sapiens Sapiens », a espéré Émilie Goval, de l'INRAP, en guise de conclusion à son exposé devant un parterre fourni de spécialistes, jeudi, lors des journées régionales de l'archéologie, au conseil général du Pas-de-Calais.

Le creusement du canal Seine-Nord Europe a été l’occasion pour l'Inrap d’étudier un site paléolithique au sud-ouest de Cambrai, qui fut occupé par l’Homme de Néandertal et l’Homme moderne entre 50.000 ans et 30.000 ans avant notre ère. De nombreuses disciplines scientifiques sont à l'œuvre pour mieux percevoir les activités de ces hommes dans leur environnement.
Avant que ne commence le creusement du canal Seine-Nord Europe, l'Inrap (Institut national d'archéologie préventive) a établi plusieurs diagnostics entre 2008 et 2010 afin de cerner le potentiel de sites paléolithiques. Aujourd’hui, près de 80 kilomètres sur les 106 prévus ont été diagnostiqués, soit plus de 500 sondages profonds en puits répartis sur quatre départements : le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l’Oise.

À l’issue des résultats, les archéologues ont fouillé à Havrincourt des occupations préhistoriques sur une superficie de 1.500 m² à 5 mètres de profondeur (voir la visite virtuelle du site d'Havrincourt). Une seconde fouille a été réalisée sur plus de 4.500 m² à 6 mètres de profondeur. Exceptionnel sur de si grandes surfaces et à de telles profondeurs, le décapage a permis d’identifier deux niveaux d’occupation datant approximativement de 50.000 ans pour le plus ancien, et d’environ 30.000 ans pour le plus récent.

L’occupation datant de 50.000 ans correspond à la fin du Paléolithique moyen. Certains indices indiquent que les silex étaient taillés selon la méthode de débitage Levallois (du site éponyme), caractéristique de la période. Les pièces, de belle facture, attestent la maîtrise et le savoir-faire des hommes qui les taillaient. L’ensemble des éléments de la chaîne opératoire (nucléus, éclats, outils) est présent sur place, associé à quelques restes animaux.

L’occupation datant de 30.000 ans serait attribuable à la phase ancienne du Paléolithique supérieur. Les datations radiométriques devraient en confirmer le caractère exceptionnel pour le Nord de la France. Le niveau se compose entre autres de quatre loci (ou emplacements), dans lesquels des restes animaux sont associés à des vestiges d’industrie lithique. L’ensemble du cortège de la steppe à mammouths a été retrouvé : rhinocéros laineux, bison, cheval, renne, mammouth. Chaque locus, implanté sur 2 à 10 mètres carrés, comporte parfois plus de 400 artefacts (objets faits de main d'Homme).

L’étude de ces vestiges permettra de mieux comprendre l’organisation territoriale des groupes humains. En effet, la découverte de ces loci isolés peut traduire une segmentation des activités dans l’espace, révélatrice du degré de planification de ces Hommes comme de leur organisation sociale ou une récurrence d’occupation par plusieurs groupes.

Ce niveau d’occupation est une découverte exceptionnelle pour la région. Son étude fournira des données fondamentales pour appréhender les modalités de peuplement du nord-ouest de l’Europe par Homo sapiens sapiens. D’autre part, ces fouilles sont remarquables car elles prouvent l’exploitation successive d’un même territoire par l’Homme de Néandertal (occupation la plus ancienne) et l’Homme moderne (occupation la plus récente).

Outre l’étude des silex taillés, qui est au cœur de la démarche du paléolithicien, de nombreuses disciplines sont sollicitées par l’archéologue pour appréhender les activités de l’Homme dans son milieu :

• la mise en place des dépôts et la nature des sols (géologie) ;
  
• l’évolution du paysage (géomorphologie) ;
  
• le climat (malacologie ou étude des coquillages) ;
  
• le couvert végétal (palynologie ou étude des pollens) ;
  
• les espèces animales et éventuellement les saisons d’abattage (archéozoologie).
  

La succession des décapages menés à Havrincourt a permis aux archéologues d’étudier des séquences lœssiques de plus de 6 mètres. Compte tenu des rares données existantes dans le nord de la France pour le Pléniglaciaire moyen (+ /- 55.000 à 30.000 ans), et au regard de celles attribuées au Début Glaciaire Weichselien (+ /- 112.000 à 70.000 ans), les séquences lœssiques d’Havrincourt serviront désormais de repères pour cette période permettant une reconstitution paléoenvironnementale et climatique au Pléniglaciaire moyen du Weichselien (+/- 55.000 à 30.000 ans) en contexte de versant.