La plupart des chercheurs s'intéressant aux premières formes de vie terrestre pensent qu'elles sont apparues très tôt, environ 500 millions d'années après la mise en forme de la Terre primitive. Elles se seraient formées dans des milieux saturés de méthane, sulfure d'hydrogène, monoxyde de carbone et ammoniaque. Véritables poisons pour les formes de vie terrestres modernes, ces gaz étaient au contraire favorables aux synthèses biochimiques ayant donné lieu à l'apparition des acides aminés et de l'ADN(1).
Les premières formes vivantes auraient donc pris naissance dans des milieux riches en méthane et sulfure, soit dans les océans, autour des émissions magmatiques sous-marines, soit éventuellement à la surface des terres volcaniques émergées. Les organismes modernes tirant leur énergie des phénomènes d'oxydation rendus possible par l'existence de milieux devenus riches en oxygène ne seraient apparus que bien plus tard.
Or une équipe de l'Institut polytechnique Renneselaer (RPI) dirigée par le Pr. Bruce Watson vient de publier dans Nature un article intitulé "The oxidation state of Hadean magmas and implications for early Earth's atmosphere". Il résulte de ces travaux que les conditions de l'atmosphère terrestre il y a 4 milliards d'années auraient pu se rapprocher de celles régnant de nos jours, comportant, notamment, de l'eau et du CO2. Ces éléments auraient résulté de la remontée des magmas profonds lors de leur dégazage en surface, selon un processus proposé par cette équipe.
Nous renvoyons à l'article pour le détail des manipulations longues et complexes ayant permis à l'équipe du RPI de former des hypothèses concernant la composition en oxygène des magmas primitifs et de leurs produits de dégazage. Disons seulement qu'ils ont analysé à cette fin des zircons, ou silicate de zirconium naturel, qui sont des minéraux rares considérés comme appartenant aux plus anciens de la planète. Ils ont recréé en laboratoire des conditions proches de celles ayant permis la production des zircons supposés avoir été présent dans les laves primitives. Ils ont étudié leur richesse en cérium, élément pouvant servir à mesurer le degré d'oxydation de la lave. Ils ont constaté que l'atmosphère résultant de la décomposition de ces laves primitives expérimentales était proche, au regard de leur richesse en oxygène, de l'atmosphère actuelle. Un oxygène de dégazage aurait donc fait partie, dans des quantités importantes, des gaz composant l'atmosphère initiale.
Cependant rien n'indique le temps mis par cet oxygène pour se répandre dans l'atmosphère entière. Les volcans devaient émettre, comme ils le font aujourd'hui, de nombreux autres gaz. Les hypothèses relatives aux rôles joués par des organismes anaérobies dans l'histoire de la vie ne devraient dont pas être bouleversées. Tout au plus devraient-elles tenir compte d'une compétition possible avec des organismes aérobies.
L'étude du RPI a été financée par la Nasa, dans le cadre de recherches sur l'exobiologie. Elle pourrait avoir des conséquences importantes pour cette discipline. Si l'évolution biochimique terrestre n'avait pas eu le temps de faire apparaître suffisamment tôt dans l'histoire de la vie des organismes capables d'utiliser l'oxygène présent dans le milieu, ceux-ci auraient pu être apportés sur la Terre à partir de l'espace. Autrement dit, bien d'autres planètes aux conditions voisines de celle de la Terre pourraient être porteuses de formes de vie aérobies proches de celles que nous connaissons.
Les hypothèses de l'équipe de Bruce Watson entraînerait donc, en cas de confirmation, une remise en cause ou tout au moins une diversification de la plupart des théories relatives à l'origine de la vie au regard des conditions géochimiques ayant permis son apparition(2). En principe, on devrait pouvoir retrouver très tôt dans la chronologie quelques traces d'organismes aérobies. Mais en pratique, la chose semble impossible pour le moment. Cependant, un direction de recherche différente pourrait fournir des indices précieux en ce sens.
LUCA (Last Universal Common Ancestor)
Il s'agit des recherches destinées à préciser les caractéristiques de notre "dernier ancêtre commun", l'hypothétique LUCA (Last Universal Common Ancestor). Nous avions indiqué dans des articles précédents que les paléobiologistes appellent ainsi un organisme ancêtre commun des trois grandes lignées d'organismes identifiées aujourd'hui, les bactéries, les archées et les eucaryotes (dotés de noyau)(3).
Rappelons, concernant la chronologie en cause, que si selon les estimations récentes, la Terre est vieille de 4,5 milliards d'années (mdsA), de premières traces chimiques de vie sont apparues il y a -3,8 mdsA, des fossiles de cellules pouvant correspondre à LUCA ont été identifiés vers -3,4 mdsA . LUCA pour sa part se serait différencié en bactéries, archées et eucaryotes vers - 2,9 mdsA. Enfin les premiers organismes multicellulaires ne se seraient constitués qu'après - 0,9 mdsA.
Pourquoi dit-on que LUCA pourrait être l'ancêtre commun des bactéries, archées et eucaryotes ? Un article récent de Michael Marshall dans le NewScientist (voir sources, ci-dessous) donne de nouvelles précisions à ce sujet. Selon les hypothèses actuelles relatives à l'origine génétique des premiers organismes, ceux-ci ne disposaient pas, au contraire de leurs successeurs bactéries, archées et eucaryotes, de génomes spécifiques. Or de tels génomes, indispensables à la diversification darwinienne en espèces, interdisent en général les échanges de gènes par transfert(4).
Le milieu originel, celui des océans primitifs, offrait au contraire des conditions permettant l'échange permanent des gènes. On a parlé de "foire aux gènes" ou de "libre-échange des gènes". Il offrait des ressources vitales en très grande quantité par rapport aux petits effectifs des premiers organismes. Ceux-ci n'étaient donc pas soumis à une pression d'inter-sélection sur le mode décrit par le néodarwinisme. Certes, ils devaient lutter pour survivre, mais ils luttaient davantage contre le milieu que contre leurs homologues.
Pour ce faire, ils ont fait spontanément appel à la coopération, la solution la moins coûteuse. Les gènes pouvaient s'échanger - comme c'est souvent encore le cas en ce qui concerne les bactéries, d'une façon beaucoup plus libre qu'aujourd'hui. Il en est résulté une floraison permanente, non pas comme ultérieurement d'espèces caractérisées par des génomes rigides, mais de ce que l'on pourrait appeler des variétés d'un même organisme. D'où la tentation de considérer ce pool de gènes variant sans cesse comme caractérisant un méga-organisme unique, répandu dans tous les océans : LUCA.
Bien plus tard seulement apparurent les trois domaines d'organismes mentionnés ci-dessus. Ils se différencièrent en s'isolant, sous la pression d'une compétition accrue nécessitée par la diminution des ressources au regard des populations, ainsi que par des spécialisations imposées par la transformation des milieux géographiques. Les archées, anciennement nommées archéo-bactéries, constituèrent sans doute le premier domaine apparu. Elles signèrent la fin du rôle de LUCA en tant qu'ancêtre commun ou universel.
Mais comment caractériser LUCA ? Il semble aujourd'hui possible de reconstituer certains des gènes présents dans ses cellules, à partir d'une analyse des protéines produites par l'expression de ses gènes supposés.. Si certaines protéines paraissent avoir traversé les millions d'années et les espèces en conservant des structures très proches, on pourrait suspecter qu'elles correspondent à des gènes présent dans LUCA. Il s'agirait de véritables fossiles vivants. Or le Pr. Gustavo Caetano-Anollés de l'Université de l'Illinois pense avoir identifié de telles structures, dans une base de données recensant les protéines de 420 organismes modernes.
Cinq à dix pour cent de ces structures seraient universelles. Elles pourraient donc avoir été héritées de LUCA. Ces protéines auraient pu produire des enzymes capables de fabriquer de l'énergie à partir des nutriments des milieux supposés entre les siens à son époque, soit des nitrates et des composés carbonés. Mais il n'avait sans doute pas d'enzymes capables de fabriquer de l'ADN.
Pour aller plus loin dans la description de la carte d'identité de LUCA, il pourrait être intéressant d'exploiter l'hypothèse évoquée en début de cet article, selon laquelle les milieux origines comportaient des composants oxygénés. Pour ce faire, il faudrait rechercher si LUCA disposait aussi d'enzymes susceptibles d'en tirer parti.
Autrement dit, pour poser la question autrement, des protéines correspondant à cette exigence figureraient-elles dans la liste de fossiles vivants étudiés par le Pr. Gustavo Caetano-Anollés ?
Notes
(1) On distingue classiquement les organismes anaérobies, vivant sans oxygène, et les organismes aérobies, utilisant l'oxygène dans leur métabolisme.
(2)Voir sur ce sujet notre présentation du livre de Nick Lane '"ife ascending".
(3)Voir "Nouveaux nouveaux regards sur la biologie, Carl Woese, Freeman Dyson".
ainsi que "Le mimivirus, un monstre prometteur"
(4) Sur le transfert horizontal de gènes, voir notre article "Nouvelles perspectives intéressant le transfert horizontal de gènes".
Sources
Institut polytechnique Renneselaer : http://rpi.edu/
Bruce Watson et al. :
"The oxidation state of Hadean magmas and implications for early Earth's atmosphere".
Les Zircon : http://fr.wikipedia.org/wiki/Zircon.
Michael Marshal : "Life began with a planetary mega-organism".
Sur l'ensemble de la question, on consultera le Colloque du 11 novembre 2011 "Les origines de la vie", organisé par The Institute of Structural and Molecular Biology (ISMB) . UCL Symposium on the Origin of Life : http://www.ismb.lon.ac.uk/origin_of_life.html
Les premières formes vivantes auraient donc pris naissance dans des milieux riches en méthane et sulfure, soit dans les océans, autour des émissions magmatiques sous-marines, soit éventuellement à la surface des terres volcaniques émergées. Les organismes modernes tirant leur énergie des phénomènes d'oxydation rendus possible par l'existence de milieux devenus riches en oxygène ne seraient apparus que bien plus tard.
Or une équipe de l'Institut polytechnique Renneselaer (RPI) dirigée par le Pr. Bruce Watson vient de publier dans Nature un article intitulé "The oxidation state of Hadean magmas and implications for early Earth's atmosphere". Il résulte de ces travaux que les conditions de l'atmosphère terrestre il y a 4 milliards d'années auraient pu se rapprocher de celles régnant de nos jours, comportant, notamment, de l'eau et du CO2. Ces éléments auraient résulté de la remontée des magmas profonds lors de leur dégazage en surface, selon un processus proposé par cette équipe.
Nous renvoyons à l'article pour le détail des manipulations longues et complexes ayant permis à l'équipe du RPI de former des hypothèses concernant la composition en oxygène des magmas primitifs et de leurs produits de dégazage. Disons seulement qu'ils ont analysé à cette fin des zircons, ou silicate de zirconium naturel, qui sont des minéraux rares considérés comme appartenant aux plus anciens de la planète. Ils ont recréé en laboratoire des conditions proches de celles ayant permis la production des zircons supposés avoir été présent dans les laves primitives. Ils ont étudié leur richesse en cérium, élément pouvant servir à mesurer le degré d'oxydation de la lave. Ils ont constaté que l'atmosphère résultant de la décomposition de ces laves primitives expérimentales était proche, au regard de leur richesse en oxygène, de l'atmosphère actuelle. Un oxygène de dégazage aurait donc fait partie, dans des quantités importantes, des gaz composant l'atmosphère initiale.
Cependant rien n'indique le temps mis par cet oxygène pour se répandre dans l'atmosphère entière. Les volcans devaient émettre, comme ils le font aujourd'hui, de nombreux autres gaz. Les hypothèses relatives aux rôles joués par des organismes anaérobies dans l'histoire de la vie ne devraient dont pas être bouleversées. Tout au plus devraient-elles tenir compte d'une compétition possible avec des organismes aérobies.
L'étude du RPI a été financée par la Nasa, dans le cadre de recherches sur l'exobiologie. Elle pourrait avoir des conséquences importantes pour cette discipline. Si l'évolution biochimique terrestre n'avait pas eu le temps de faire apparaître suffisamment tôt dans l'histoire de la vie des organismes capables d'utiliser l'oxygène présent dans le milieu, ceux-ci auraient pu être apportés sur la Terre à partir de l'espace. Autrement dit, bien d'autres planètes aux conditions voisines de celle de la Terre pourraient être porteuses de formes de vie aérobies proches de celles que nous connaissons.
Les hypothèses de l'équipe de Bruce Watson entraînerait donc, en cas de confirmation, une remise en cause ou tout au moins une diversification de la plupart des théories relatives à l'origine de la vie au regard des conditions géochimiques ayant permis son apparition(2). En principe, on devrait pouvoir retrouver très tôt dans la chronologie quelques traces d'organismes aérobies. Mais en pratique, la chose semble impossible pour le moment. Cependant, un direction de recherche différente pourrait fournir des indices précieux en ce sens.
LUCA (Last Universal Common Ancestor)
Il s'agit des recherches destinées à préciser les caractéristiques de notre "dernier ancêtre commun", l'hypothétique LUCA (Last Universal Common Ancestor). Nous avions indiqué dans des articles précédents que les paléobiologistes appellent ainsi un organisme ancêtre commun des trois grandes lignées d'organismes identifiées aujourd'hui, les bactéries, les archées et les eucaryotes (dotés de noyau)(3).
Rappelons, concernant la chronologie en cause, que si selon les estimations récentes, la Terre est vieille de 4,5 milliards d'années (mdsA), de premières traces chimiques de vie sont apparues il y a -3,8 mdsA, des fossiles de cellules pouvant correspondre à LUCA ont été identifiés vers -3,4 mdsA . LUCA pour sa part se serait différencié en bactéries, archées et eucaryotes vers - 2,9 mdsA. Enfin les premiers organismes multicellulaires ne se seraient constitués qu'après - 0,9 mdsA.
Pourquoi dit-on que LUCA pourrait être l'ancêtre commun des bactéries, archées et eucaryotes ? Un article récent de Michael Marshall dans le NewScientist (voir sources, ci-dessous) donne de nouvelles précisions à ce sujet. Selon les hypothèses actuelles relatives à l'origine génétique des premiers organismes, ceux-ci ne disposaient pas, au contraire de leurs successeurs bactéries, archées et eucaryotes, de génomes spécifiques. Or de tels génomes, indispensables à la diversification darwinienne en espèces, interdisent en général les échanges de gènes par transfert(4).
Le milieu originel, celui des océans primitifs, offrait au contraire des conditions permettant l'échange permanent des gènes. On a parlé de "foire aux gènes" ou de "libre-échange des gènes". Il offrait des ressources vitales en très grande quantité par rapport aux petits effectifs des premiers organismes. Ceux-ci n'étaient donc pas soumis à une pression d'inter-sélection sur le mode décrit par le néodarwinisme. Certes, ils devaient lutter pour survivre, mais ils luttaient davantage contre le milieu que contre leurs homologues.
Pour ce faire, ils ont fait spontanément appel à la coopération, la solution la moins coûteuse. Les gènes pouvaient s'échanger - comme c'est souvent encore le cas en ce qui concerne les bactéries, d'une façon beaucoup plus libre qu'aujourd'hui. Il en est résulté une floraison permanente, non pas comme ultérieurement d'espèces caractérisées par des génomes rigides, mais de ce que l'on pourrait appeler des variétés d'un même organisme. D'où la tentation de considérer ce pool de gènes variant sans cesse comme caractérisant un méga-organisme unique, répandu dans tous les océans : LUCA.
Bien plus tard seulement apparurent les trois domaines d'organismes mentionnés ci-dessus. Ils se différencièrent en s'isolant, sous la pression d'une compétition accrue nécessitée par la diminution des ressources au regard des populations, ainsi que par des spécialisations imposées par la transformation des milieux géographiques. Les archées, anciennement nommées archéo-bactéries, constituèrent sans doute le premier domaine apparu. Elles signèrent la fin du rôle de LUCA en tant qu'ancêtre commun ou universel.
Mais comment caractériser LUCA ? Il semble aujourd'hui possible de reconstituer certains des gènes présents dans ses cellules, à partir d'une analyse des protéines produites par l'expression de ses gènes supposés.. Si certaines protéines paraissent avoir traversé les millions d'années et les espèces en conservant des structures très proches, on pourrait suspecter qu'elles correspondent à des gènes présent dans LUCA. Il s'agirait de véritables fossiles vivants. Or le Pr. Gustavo Caetano-Anollés de l'Université de l'Illinois pense avoir identifié de telles structures, dans une base de données recensant les protéines de 420 organismes modernes.
Cinq à dix pour cent de ces structures seraient universelles. Elles pourraient donc avoir été héritées de LUCA. Ces protéines auraient pu produire des enzymes capables de fabriquer de l'énergie à partir des nutriments des milieux supposés entre les siens à son époque, soit des nitrates et des composés carbonés. Mais il n'avait sans doute pas d'enzymes capables de fabriquer de l'ADN.
Pour aller plus loin dans la description de la carte d'identité de LUCA, il pourrait être intéressant d'exploiter l'hypothèse évoquée en début de cet article, selon laquelle les milieux origines comportaient des composants oxygénés. Pour ce faire, il faudrait rechercher si LUCA disposait aussi d'enzymes susceptibles d'en tirer parti.
Autrement dit, pour poser la question autrement, des protéines correspondant à cette exigence figureraient-elles dans la liste de fossiles vivants étudiés par le Pr. Gustavo Caetano-Anollés ?
Notes
(1) On distingue classiquement les organismes anaérobies, vivant sans oxygène, et les organismes aérobies, utilisant l'oxygène dans leur métabolisme.
(2)Voir sur ce sujet notre présentation du livre de Nick Lane '"ife ascending".
(3)Voir "Nouveaux nouveaux regards sur la biologie, Carl Woese, Freeman Dyson".
ainsi que "Le mimivirus, un monstre prometteur"
(4) Sur le transfert horizontal de gènes, voir notre article "Nouvelles perspectives intéressant le transfert horizontal de gènes".
Sources
Institut polytechnique Renneselaer : http://rpi.edu/
Bruce Watson et al. :
"The oxidation state of Hadean magmas and implications for early Earth's atmosphere".
Les Zircon : http://fr.wikipedia.org/wiki/Zircon.
Michael Marshal : "Life began with a planetary mega-organism".
Sur l'ensemble de la question, on consultera le Colloque du 11 novembre 2011 "Les origines de la vie", organisé par The Institute of Structural and Molecular Biology (ISMB) . UCL Symposium on the Origin of Life : http://www.ismb.lon.ac.uk/origin_of_life.html
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