Longtemps ignorée, la frise magdalénienne du Roc aux sorciers est aujourd'hui considérée comme le Lascaux de la gravure.
Le neuvième art est né en Poitou-Charentes. Et pas seulement parce que s'y tient chaque mois de janvier le premier festival de la bande dessinée de France. Le neuvième art est né dans notre région il y a 15 000 ans sur les flancs d'une falaise calcaire dominant l'Anglin au confluent de la Gartempe et de la Creuse, dans un paysage oublié.
Là, des hommes ont raconté une histoire d'animaux bondissant, bouquetins, bisons, chevaux, de femmes nues, en gravant la paroi avec des pierres taillées. Une fresque de 20 mètres de long unique au monde et restée longtemps ignorée du grand public.
« C'est un peu normal. Le site a été découvert une dizaine d'années après Lascaux. Les chercheurs ont donc été très attentifs à ce qui se passait à Montignac pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ils ont donc fouillé pendant des années dans le secret afin de préserver la falaise des afflux de touristes. Puis le site a été logiquement fermé pour préserver les gravures », explique Oscar Fuentès, jeune conservateur du centre d'interprétation ouvert en 2008 à proximité de l'original.
Un fac-similé avec le renfort de la 3D pour mieux comprendre comment et pourquoi les artistes de l'école magdalénienne avaient réalisé leur frise. « Une bande dessinée, assurément. Car elle peut se lire de façon globale, comme une histoire. Il y a un jeu de regards entre les animaux qui se déplacent. Et le fait qu'il ne s'agit pas seulement de peintures, mais de sculptures donne du relief, du volume », poursuit Oscar Fuentès, qui a participé aux dernières recherches.
Les premières remontent aux années 50 quand deux femmes passionnées d'archéologie, Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod ont commencé à mettre au jour les premières gravures de bisons à la grotte Taillebourg, au pied du superbe village d'Angles-sur-l'Anglin, puis ont découvert l'Abri Bourdois et le début de la frise.
Après la disparition des deux préhistoriennes, les recherches marquent un temps d'arrêt puis reprennent sous l'impulsion d'une nouvelle équipe à la fin des années 90. C'est aujourd'hui Geneviève Pinçon qui dirige les campagnes de recherches.
Les sorciers du Roc d'Angles-sur-l'Anglin avaient-ils un rapport particulier avec le territoire qui constitue notre région ?
« Ils vivaient sur place au pied de la falaise. Mais ils bougeaient, c'est sûr. Le mobilier qu'on a trouvé sur place prouve qu'ils n'étaient pas sédentaires : des silex du Grand Pressigny, de Lussac-les-Châteaux, des fossiles de Touraine. Ils devaient se déplacer dans un rayon de 150 kilomètres autour de leur abri-sous-roche. »
Oscar Fuentès visualise nos lointains ancêtres, il les imagine, lors de la dernière glaciation, réalisant patiemment à la lueur d'une flamme vacillante leur scène de la vie quotidienne faite de chasses, de combats, de conquêtes féminines, d'incantations.
« La thèse de Marc Azéma démontre que la frise de l'Abri Bourdois est bien à lire de façon globale et non figure par figure ».
Les sorciers étaient donc des scénaristes avant l'heure. « Et nous savons aussi que ce sont les mêmes artistes qui ont gravé dans l'abri rocheux de Mouthiers-sur-Boëme, au sud d'Angoulême en Charente. Grâce aux nouvelles technologies de reproduction, nous avons pu superposer les animaux des deux sites. Ils ont le même dessin, le même gabarit ».
Ils ont gravé à Angles, gravé à Mouthier, peut-être même gravé en Dordogne où certains abris rocheux présentent également des similitudes : « Ce type de sculptures est plutôt rare pour l'époque. On ne trouve que quatre ou cinq sites en France ». D'où l'intérêt majeur du Roc aux sorciers, véritable Lascaux de la gravure, connu dans le monde entier et peu dans la région. L'une des autres originalités des sorciers d'Angles est d'avoir sculpté des corps de femmes très réalistes. Or les représentations humaines sont rarissimes dans la préhistoire.
Encore neuf par rapport à toutes les grottes et abris préhistoriques du Périgord qui se visitent souvent depuis un demi-siècle, le site d'interprétation essuie encore les plâtres. Il n'accueille que 16 000 à 17 000 visiteurs par an. La frise y est présentée de façon virtuelle. On s'y imprègne de la vie à l'époque des Magdaléniens avec les techniques modernes.
Comme au Paléosite de Saint-Césaire où l'on plonge dans l'art de vivre de l'homme de Neandertal, on peut s'initier à Angles à la taille de pierre ou aux techniques des artistes d'il y a 15 000 ans dans des ateliers conçus pour toutes les tranches d'âge. Pédagogique et ludique.
source : http://www.sudouest.fr/2012/04/28/4-la-premiere-bd-du-monde-701352-757.php
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