Vers -1750. Hammurabi place son Code sous le patronage du dieu Shamash

En Mésopotamie, le roi est investi d’un mandat divin. Se présentant comme le dépositaire de l’autorité de Shamash, dieu de la Justice, Hammurabi assoit son pouvoir.

Découverte à Suse (sud de l’actuel Iran) en 1901-1902, la stèle du Code de Hammurabi est aujourd’hui exposée au musée du Louvre ; au sommet, un bas-relief représente le roi de Babylone debout face au dieu-Soleil Shamash. Celui-ci est parfois figuré sous la forme d’un disque solaire. Ici, le sculpteur a préféré une représentation anthropomorphique ; la tiare à cornes marque le caractère divin du personnage, identifiable en outre grâce aux rayons qui sortent de ses épaules. Le dieu tend au roi un bâton et un anneau. La nature de ces objets et la signification de ce geste ont fait l’objet de nombreuses hypothèses, dont aucune ne s’est imposée jusqu’à présent. Ce qui est sûr, c’est qu’un tel relief traduit le désir du roi de Babylone de placer sa stèle, et les lois qu’elle promulgue, sous le patronage du dieu-Soleil.

Dans le panthéon mésopotamien, chaque divinité détenait un domaine de compétence propre : Gula était maîtresse de la Santé, Adad réglait le régime des Précipitations, Enki était le patron des artisans et des exorcistes, etc. L’association du dieu-Soleil Shamash avec la justice est explicitée dans un hymne à ce dieu. Parce que le Soleil passe au-dessus de la Terre dans la journée, il voit tout ce qui s’y passe, même ce qui reste caché aux yeux des autres hommes : « Tu es celui qui porte en pleine lumière le cas du mauvais et du criminel. » On y relève aussi l’idée que les rayons du Soleil sont comme un filet qui s’empare du malfaisant : « Ton rayonnement entoure la Terre comme un filet. » On faisait prêter certains serments dans une pièce du temple de Shamash au plafond de laquelle était suspendu un filet, symbolisant les rayons du dieu-Soleil qui s’empareraient du parjure.

Cette association étroite de Shamash avec la justice explique pourquoi, au sommet de la stèle du Code de Hammurabi, la divinité devant laquelle se tient le roi de Babylone est Shamash et non pas Marduk. Chaque ville avait une divinité principale : Marduk était le patron de Babylone. L’expansion de Babylone pendant le règne de Hammurabi explique la « promotion » de Marduk au sein du panthéon mésopotamien. Le prologue du Code raconte que les dieux Anu, Enlil et Enki ont confié à Marduk la toute-puissance, puis fixé le destin de Babylone et finalement celui de Hammurabi.


« Ma compétence n’a pas d’égale »

Dans l’épilogue, le roi indique que sa stèle a été placée dans sa capitale, Babylone, à l’intérieur du temple de Marduk, l’Esagil : « J’ai inscrit mes précieuses sentences sur ma stèle et je l’ai installée devant l’image qui me représente en roi de justice dans la ville de Babylone, la ville que les dieux Anu et Enlil ont élevée, à l’intérieur de l’Esagil, le temple dont les fondations sont aussi solides que celles du ciel et de la Terre, de façon à rendre les jugements du pays, à trancher les verdicts du pays et à redresser la situation de celui à qui on a fait du tort. »

Juste après ce passage, Hammurabi ajoute : « Je suis le roi prééminent parmi les rois. Mes paroles sont choisies, ma compétence n’a pas d’égale. Sur l’ordre de Shamash, le grand juge du ciel et de la Terre, puisse ma justice prévaloir dans le pays ! Sur l’ordre de Marduk, mon seigneur, puisse mon image gravée ne pas rencontrer d’être qui voudrait l’effacer ! » On voit comment Shamash est ici invoqué comme celui qui donne à Hammurabi la sagesse lui permettant d’énoncer des verdicts justes, tandis que Marduk est le garant de l’inviolabilité de la stèle qui sert de support au texte.

Shamash n’était pas seulement le dieu de la Justice. Il jouait un rôle crucial pour le souverain dans l’exercice du pouvoir : c’était le dieu patron de la divination. Les rois mésopotamiens recouraient constamment aux devins. Ceux-ci leur permettaient de prendre les bonnes décisions, aussi bien en matière de diplomatie que dans leurs entreprises guerrières. La divination et la justice allaient de pair pour les Babyloniens : dans les deux cas, c’était la justesse du jugement qui comptait, qu’il s’agisse d’une décision prise dans le ciel ou sur Terre. En témoigne le rituel du devin, qui lisait l’avenir dans le foie d’un agneau. La prière qu’il récitait avant le sacrifice de l’animal contient un petit hymne au dieu-Soleil : « Ô Shamash, tu juges le cas des grands dieux, tu juges le cas des animaux des champs, tu juges le cas de l’humanité. Juge aujourd’hui le cas de Untel, fils de Untel. À droite de cet agneau, place un verdict sûr et à gauche de cet agneau, place un verdict sûr. »

Quand Hammurabi lance ses troupes à l’assaut d’une ville ennemie, il rappelle la garantie divine dont il s’est entouré : « Maintenant, je me suis plaint à Shamash et Marduk et ils m’ont sans cesse répondu favorablement : je n’ai pas effectué cette attaque sans l’accord de la divinité. » On retrouve dans ce contexte divinatoire la même paire divine formée de Shamash et Marduk que dans le Code à propos de la justice. C’est au double titre de garant de la justice et de maître du futur que Shamash était également invoqué lors de la conclusion des alliances.


Hammurabi devient un roi-Soleil

La relation entre Hammurabi et Shamash est donc différente de celle entre Moïse et Yahvé telle que la Bible la décrit : Hammurabi n’a pas reçu son Code des mains du dieu Shamash. La relation du roi au dieu Shamash dans l’exercice de la justice n’est pas une affaire d’inspiration, mais d’imitation : de même que Shamash juge dans le ciel et tranche le destin des hommes, le roi sur Terre doit juger les procès et rendre un verdict équitable à tous ses sujets. La mission reçue par Hammurabi des dieux suprêmes, Anu et Enlil, est claire : il doit imiter le dieu-Soleil. C’est de cette façon que s’achève la première partie du prologue du Code : « Alors, les dieux Anu et Enlil, pour améliorer le bien-être des gens, prononcèrent mon nom à moi, Hammurabi, prince pieux, qui révère les dieux, afin de faire surgir la justice dans le pays, d’éliminer le mauvais et le pervers, d’empêcher le puissant d’opprimer le faible, de paraître comme le dieu Shamash sur tous les hommes et d’illuminer le pays. » Hammurabi, roi juste, doit devenir un roi-Soleil.