A deux reprises en un peu plus d'un siècle, la Russie a reçu une visite dont elle se serait bien passée, avec l'entrée dans l'atmosphère de deux grosses météorites. La première, en 1908, est connue sous le nom d'événement de la Toungouska et n'a eu que de lointains témoins. Le bolide s'est vaporisé à quelques kilomètres d'altitude, au-dessus de la taïga dont elle a couché les arbres au sol, comme des spaghettis tombés d'une boîte, sur plus de 2 000 km2. La seconde visite a eu moins de répercussions physiques mais elle a en revanche fait le tour de la planète médiatique le 15 février dernier par la grâce des téléphones portables dotés d'appareils photo intégrés. A peine la météorite avait-elle traversé le ciel de la ville de Tcheliabinsk, sur le versant est de l'Oural, qu'une rafale de clichés et de films mitraillait Internet.
C'est une autre rafale, moins spectaculaire mais plus scientifique, qui est déclenchée ce mercredi 6 novembre, avec la publication de trois études sur le "superbolide de Tcheliabinsk", comme les chercheurs l'appellent. Deux articles dans Nature et un dans Science qui, fait suffisamment rare pour être remarqué, a avancé la parution de cette étude d'un jour pour être en phase avec la grande revue concurrente. Il a donc fallu moins de neuf mois aux astronomes pour percer le secret de cet objet céleste que personne n'avait vu venir et dont on ignorait l'origine. Les chercheurs se sont amplement appuyés sur les vidéos postées sur le Web afin de reconstruire, à l'aide de logiciels astronomiques, la trajectoire finale de l'objet mais aussi son orbite avant son arrivée sur Terre.
Voici donc la reconstitution scientifique de ce qui s'est passé ce 15 février 2013. C'est l'aube sur l'Oural mais c'est un astre inattendu, brillant comme 30 soleils, qui illumine soudain le petit matin. L'astéroïde mesure entre un peu moins de 20 mètres de diamètre et pèse entre 12 000 et 13 000 tonnes, soit plus que la tour Eiffel. Il est repéré pour la première fois à 97 km d'altitude et fonce à près de 69 000 km/h. Son entrée dans les couches de plus en plus denses de l'atmosphère l'échauffe rapidement et le porte à des températures infernales qui, tout en le rendant très lumineux, vont avoir raison de lui.
A 83 km d'altitude, l'abrasion et la fragmentation du météore commencent et celui-ci va laisser un nuage de débris dans son sillage. De multiples dislocations se produisent entre 40 et 30 km d'altitude et, à 29 km, c'est une vingtaine de morceaux d'environ 10 tonnes chacun que l'on retrouve dans le ciel. Ceux-ci vont eux-mêmes se désintégrer au fur et à mesure de leur descente, éparpillant une pluie de petites météorites le long de la trajectoire finale. Brisé en morceaux, le bolide ralentit considérablement même si sa vitesse demeure considérable à nos yeux : 48 600 km/h à 20 km d'altitude, 23 000 km/h à 15 km, 11 500 km/h à 12 km... Seul un gros fragment de plus de 600 kg demeure entier et tombe dans un lac (à l'époque gelé) où il a été repêché en octobre.
De ce trio d'études on tire plusieurs enseignements. Tout d'abord que l'énergie véhiculée par la météorite, estimée à plus de 500 kilotonnes de TNT, soit environ 35 fois la bombe atomique d'Hiroshima, est plus élevée que ce qui avait été estimé au départ. Il n'y a heureusement eu aucun tué lors de l'événement même si plus d'un millier de personnes ont été blessées, généralement coupées par les vitres que l'onde de choc a fait voler en éclats. L'enquête menée auprès de la population, que retrace l'étude de Science, précise que plusieurs habitants ont subi un "coup de soleil". Plus de 60 % des personnes interrogées ont déclaré avoir senti la chaleur émanant du bolide et certaines ont eu mal aux yeux tellement la lumière était intense.
Autre enseignement : l'origine de la météorite. Au cours des six semaines précédant son arrivée sur Terre, elle se cachait dans la lumière du Soleil, si bien qu'elle était invisible pour les programmes chargés de détecter les astéroïdes susceptibles d'entrer en collision avec notre planète. Cela n'a pas empêché une des équipes de chercheurs de reconstituer son orbite. L'objet en question provient de la grande ceinture d'astéroïdes, située entre Mars et Jupiter. Surtout, sa trajectoire est presque calquée sur celle d'un corps nettement plus grand, l'astéroïde 86039, qui fait 2,2 km de diamètre. Pour les astronomes, c'est probablement plus qu'une coïncidence : il n'y a qu'une chance sur 10 000 pour que cela soit l'effet du seul hasard. Les chercheurs émettent donc l'hypothèse que l'astéroïde 86039 a été heurté par un de ses collègues et que, sous le choc, un gros rocher s'en est détaché, qui a fini sa course au-dessus de l'Oural. Surveillé depuis plusieurs années, 86039 fait quant à lui partie de ces vagabonds célestes potentiellement dangereux, dont la trajectoire risque de croiser la nôtre un jour. Son prochain passage est prévu pour mars 2014, à une distance de sécurité confortable d'environ 50 millions de kilomètres.
Enfin, une des deux études publiées dans Nature revient sur les statistiques de ces vingt dernières années concernant l'entrée dans l'atmosphère d'astéroïdes semblables à celui de Tcheliabinsk, c'est-à-dire ceux dont le diamètre est compris entre 10 et 50 mètres. Même si l'analyse, restreinte à un échantillon assez faible, reste limitée, ses résultats sont surprenants puisqu'il en ressort que ce genre d'événement est dix fois plus fréquent que ce que l'on croyait jusqu'à présent ! Or, à la différence des astéroïdes très massifs (et donc très dangereux) qui sont bien suivis, les objets plus modestes sont nettement moins connus, alors qu'ils sont susceptibles de provoquer, localement, d'importants dégâts. Sur les quelque 10 000 astéroïdes identifiés susceptibles de se promener dans les parages de la Terre, moins de 1 500 entrent dans la classe des objets inférieurs à 30 mètres de diamètre alors qu'on estime leur nombre total à... plusieurs millions. Une manière de reconnaître que nous ne sommes pas équipés pour les détecter correctement.
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