Ça mêle science et religion, mais « ça n'est pas du créationnisme »
Par Damien Jayat | Médiateur scientifique
(Source : http://www.rue89.com)
Par Damien Jayat | Médiateur scientifique
Peut-on mélanger les sciences et la foi ? L'exercice n'est pas propre aux Etats-Unis, où se développent depuis des années créationnisme et dessein intelligent (ID). En France, un institut influent, l'université interdisciplinaire de Paris (UIP), s'est donné pour objectif de promouvoir l'interaction entre science et spiritualité, à travers des colloques et des interventions dans les médias.
Or pour beaucoup de scientifiques et de philosophes, depuis Stephen Jay Gould jusqu'à André Comte-Sponville en passant par Guillaume Lecointre, cette approche est une erreur méthodologie, voire un danger.
Une fausse université pour un vrai spiritualisme
Cette « université » n'est bien sûr pas une fac mais une simple association. Son secrétaire général, Jean Staune, a un parcours davantage marqué par des diplômes en gestion et management qu'en sciences.
L'UIP est soutenue par la Fondation Templeton, association américaine très puissante œuvrant dans le monde entier pour le rapprochement de la science et de la foi. Et l'UIP en fait de même, pour le coup.
A coups d'articles dans les grands médias, de colloques à la Sorbonne et au Sénat où elle accueille des prix Nobel et de grands chercheurs à la pelle, l'UIP essaye de bâtir des ponts entre science et spiritualité. Mais elle refuse qu'on l'assimile aux mouvements créationnistes.
Jean Staune insiste sur ce point :
« Notre approche n'a rien à voir avec le créationnisme et même avec l'ID, dont nous ne partageons pas la vision selon laquelle un esprit extérieur serait venu bouleverser les lois naturelles. »
Soit. Pourtant, dans son dernier livre, « Au-delà de Darwin » (J. Chambon, 2009), Staune reprend une partie des arguments classiques du créationnisme et de l'ID. On trouve, pêle-mêle, des critiques contre :
* la science, qui ne donne pas la vérité absolue ni la réponse à toutes les questions (alors que cela n'a jamais été son objectif)
* les chercheurs, qui ne sont pas fichus d'être d'accord (alors que c'est un signe de bonne santé de la recherche)
* les partisans de l'évolution, incapables d'en donner les mécanismes précis (on les connaît pourtant de mieux en mieux).
Il ouvre ainsi une porte pour mieux y engouffrer sa propre théorie, directement inspirée du paléontologue et théologien jésuite Pierre Teilhard de Chardin : l'évolution est orientée. Dirigée vers un but précis en obéissant à un plan limpide. La vie était faite pour engendrer les reptiles, les reptiles étaient faits pour évoluer en mammifères, et les mammifères étaient faits pour donner naissance à l'Homme. Notre existence était prévue, inévitable, programmée.
Ça ressemble à de la science, mais…
L'idée d'une évolution orientée, au point qu'on aurait pu facilement la prédire dès le départ (facile, d'émettre des prophéties une fois l'événement passé ! ), peut sembler attirante.
Mais attention, danger : l'hypothèse est tout sauf scientifique. L'évolution des espèces n'est pas un rocher qui roule sur une montagne dans laquelle on aurait creusé à l'avance de profonds canaux. Elle roule sur une montagne… qui se construit au fur et à mesure sous elle. Car les êtres vivants évoluent en relation directe avec leur environnement, dont les changements sont imprévisibles et chaotiques. Qui sait quelle tête aura la Terre dans 10 millions d'années ?
Le livre de Staune regorge d'arguments prétendument scientifiques et de raisonnements tutoyant le sophisme. Le coelacanthe est présenté comme un poisson n'ayant pas évolué depuis des millions d'années. Il n'aurait pas été destiné à cela, maudit à la naissance… Or on sait que ces animaux ont évolué -lentement il est vrai- et les chercheurs sont en train de comprendre pourquoi.
Le nombre de doigts sur la patte des équidés, quant à lui, ne serait pas passé de cinq chez les ancêtres à un seul chez les modernes parce que cela permettait aux bestioles de courir plus vite.
Notez que peut-être, en effet, cette explication scientifique actuelle n'est pas la meilleure et qu'une autre verra bientôt le jour. Mais Staune la contredit avec un argument étrange : de cinq doigts vers un seul, ça ne permet pas d'aller plus vite. La preuve ? Le guépard a toujours cinq doigts, lui, et il court plus vite qu'un cheval. Na !
Oui… mais entre l'évolution des équidés et celle des félidés, il y a tout un monde. Les deux sont difficilement comparables. Peut-on refuser l'argument que de longues dents permettent aux prédateurs de mieux saisir leur proie, sous prétexte que les éléphants ont d'énormes défenses qui ne les aident pas du tout à chasser ?
Souriez si vous voulez. Mais n'oublions pas de prendre la chose au sérieux. Avec un livre entier d'arguments de ce genre, on peut à la longue tomber dans le piège. Et croire que oui, finalement, les sciences montrent une évolution dirigée vers un but : nous. Dirigée par qui ? Staune ne le dit pas. Il s'en garde bien :
« La science doit avant tout rester indépendante, je n'avais donc pas à évoquer ma foi dans cet ouvrage. »
La science tous ensemble, et chacun sa foi
Jean Staune, secrétaire général de l'université interdisciplinaire de ParisMais on peut le deviner. L'UIP et son secrétaire général sont proches de nombreuses personnalités fondatrices ou soutenant l'ID. Staune affirme son désaccord avec ces théories scientifico-religieuses mais il édite, dans la collection qu'il dirige aux Presses de la Renaissance, le biochimiste Michael Behe, partisan officiel de l'ID. Surprenant, ce soutien franc et massif (447 pages ! ) à un auteur avec lequel on n'est pas d'accord…
Staune explique : il a publié ce livre pour entretenir le débat. Il a d'ailleurs édité le même jour, dans la même collection, un livre écrit par Ken Miller qui veut concilier la foi et la théorie de Darwin. Deux visions opposées (ID contre Darwin) pour un débat équilibré ? Pas sûr. Car dans les deux cas, on retrouve un lien entre science et religion…
Dans son propre livre, Staune n'emploie qu'une fois le terme « spiritualité », mais il affirme dans un autre texte :
« Je crois que Dieu a créé les lois de la nature, que ces lois génèrent en elles-mêmes des choses telles que la table des éléments qui permet de classer les atomes, la structure des cristaux de neige, ou les archétypes des diverses formes d'êtres vivants, et que ce sont ces lois et ces archétypes qui guident l'évolution. »
Difficile de faire plus clair.
Même parmi les scientifiques confirmés, le mélange entre science et croyance est prégnant. Dans Le Monde des Religions (janvier/février 2010), on rencontre :
* l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan (membre de l'UIP) qui affirme l'existence d'un « principe originel qui décide de l'existence de l'univers, avec ses lois physiques » ;
* Charles Townes, Nobel de Physique 1964 (et membre de l'UIP), expliquant que les grandes découvertes scientifiques sont parfois proches d'une révélation mystique et que, quoi qu'il arrive, nous devons chercher à comprendre « le monde que Dieu a créé » ;
* William Phillips, Nobel de Physique 1997 (intervenant à l'UIP), pour qui le monde a forcément été « créé à dessein par une intelligence supérieure », et que la recherche en donne aujourd'hui « une évidence légitime ».
Un prix Nobel peut être un fervent croyant, c'est parfaitement son droit. Mais un prix Nobel peut aussi chercher à faire reposer sa croyance sur des arguments d'ordre scientifique. Et c'est là qu'il franchit une frontière. La science c'est la science, avec ses avantages et ses inconvénients, avec son travail et sa validation collectifs. La foi c'est la foi, avec ses questions et ses réponses, et le rattachement libre de chacun.
On peut adhérer à l'un, à l'autre ou aux deux. Méfions-nous cependant des tentatives de mêler les deux dans un même objectif, surtout lorsque ces mélanges cherchent à faire entrer la foi dans les classes de sciences. Staune affirme d'ailleurs son ambition de « faire de l'interaction science/religion une vraie discipline universitaire ».
Or pour beaucoup de scientifiques et de philosophes, depuis Stephen Jay Gould jusqu'à André Comte-Sponville en passant par Guillaume Lecointre, cette approche est une erreur méthodologie, voire un danger.
Une fausse université pour un vrai spiritualisme
Cette « université » n'est bien sûr pas une fac mais une simple association. Son secrétaire général, Jean Staune, a un parcours davantage marqué par des diplômes en gestion et management qu'en sciences.
L'UIP est soutenue par la Fondation Templeton, association américaine très puissante œuvrant dans le monde entier pour le rapprochement de la science et de la foi. Et l'UIP en fait de même, pour le coup.
A coups d'articles dans les grands médias, de colloques à la Sorbonne et au Sénat où elle accueille des prix Nobel et de grands chercheurs à la pelle, l'UIP essaye de bâtir des ponts entre science et spiritualité. Mais elle refuse qu'on l'assimile aux mouvements créationnistes.
Jean Staune insiste sur ce point :
« Notre approche n'a rien à voir avec le créationnisme et même avec l'ID, dont nous ne partageons pas la vision selon laquelle un esprit extérieur serait venu bouleverser les lois naturelles. »
Soit. Pourtant, dans son dernier livre, « Au-delà de Darwin » (J. Chambon, 2009), Staune reprend une partie des arguments classiques du créationnisme et de l'ID. On trouve, pêle-mêle, des critiques contre :
* la science, qui ne donne pas la vérité absolue ni la réponse à toutes les questions (alors que cela n'a jamais été son objectif)
* les chercheurs, qui ne sont pas fichus d'être d'accord (alors que c'est un signe de bonne santé de la recherche)
* les partisans de l'évolution, incapables d'en donner les mécanismes précis (on les connaît pourtant de mieux en mieux).
Il ouvre ainsi une porte pour mieux y engouffrer sa propre théorie, directement inspirée du paléontologue et théologien jésuite Pierre Teilhard de Chardin : l'évolution est orientée. Dirigée vers un but précis en obéissant à un plan limpide. La vie était faite pour engendrer les reptiles, les reptiles étaient faits pour évoluer en mammifères, et les mammifères étaient faits pour donner naissance à l'Homme. Notre existence était prévue, inévitable, programmée.
Ça ressemble à de la science, mais…
L'idée d'une évolution orientée, au point qu'on aurait pu facilement la prédire dès le départ (facile, d'émettre des prophéties une fois l'événement passé ! ), peut sembler attirante.
Mais attention, danger : l'hypothèse est tout sauf scientifique. L'évolution des espèces n'est pas un rocher qui roule sur une montagne dans laquelle on aurait creusé à l'avance de profonds canaux. Elle roule sur une montagne… qui se construit au fur et à mesure sous elle. Car les êtres vivants évoluent en relation directe avec leur environnement, dont les changements sont imprévisibles et chaotiques. Qui sait quelle tête aura la Terre dans 10 millions d'années ?
Le livre de Staune regorge d'arguments prétendument scientifiques et de raisonnements tutoyant le sophisme. Le coelacanthe est présenté comme un poisson n'ayant pas évolué depuis des millions d'années. Il n'aurait pas été destiné à cela, maudit à la naissance… Or on sait que ces animaux ont évolué -lentement il est vrai- et les chercheurs sont en train de comprendre pourquoi.
Le nombre de doigts sur la patte des équidés, quant à lui, ne serait pas passé de cinq chez les ancêtres à un seul chez les modernes parce que cela permettait aux bestioles de courir plus vite.
Notez que peut-être, en effet, cette explication scientifique actuelle n'est pas la meilleure et qu'une autre verra bientôt le jour. Mais Staune la contredit avec un argument étrange : de cinq doigts vers un seul, ça ne permet pas d'aller plus vite. La preuve ? Le guépard a toujours cinq doigts, lui, et il court plus vite qu'un cheval. Na !
Oui… mais entre l'évolution des équidés et celle des félidés, il y a tout un monde. Les deux sont difficilement comparables. Peut-on refuser l'argument que de longues dents permettent aux prédateurs de mieux saisir leur proie, sous prétexte que les éléphants ont d'énormes défenses qui ne les aident pas du tout à chasser ?
Souriez si vous voulez. Mais n'oublions pas de prendre la chose au sérieux. Avec un livre entier d'arguments de ce genre, on peut à la longue tomber dans le piège. Et croire que oui, finalement, les sciences montrent une évolution dirigée vers un but : nous. Dirigée par qui ? Staune ne le dit pas. Il s'en garde bien :
« La science doit avant tout rester indépendante, je n'avais donc pas à évoquer ma foi dans cet ouvrage. »
La science tous ensemble, et chacun sa foi
Jean Staune, secrétaire général de l'université interdisciplinaire de ParisMais on peut le deviner. L'UIP et son secrétaire général sont proches de nombreuses personnalités fondatrices ou soutenant l'ID. Staune affirme son désaccord avec ces théories scientifico-religieuses mais il édite, dans la collection qu'il dirige aux Presses de la Renaissance, le biochimiste Michael Behe, partisan officiel de l'ID. Surprenant, ce soutien franc et massif (447 pages ! ) à un auteur avec lequel on n'est pas d'accord…
Staune explique : il a publié ce livre pour entretenir le débat. Il a d'ailleurs édité le même jour, dans la même collection, un livre écrit par Ken Miller qui veut concilier la foi et la théorie de Darwin. Deux visions opposées (ID contre Darwin) pour un débat équilibré ? Pas sûr. Car dans les deux cas, on retrouve un lien entre science et religion…
Dans son propre livre, Staune n'emploie qu'une fois le terme « spiritualité », mais il affirme dans un autre texte :
« Je crois que Dieu a créé les lois de la nature, que ces lois génèrent en elles-mêmes des choses telles que la table des éléments qui permet de classer les atomes, la structure des cristaux de neige, ou les archétypes des diverses formes d'êtres vivants, et que ce sont ces lois et ces archétypes qui guident l'évolution. »
Difficile de faire plus clair.
Même parmi les scientifiques confirmés, le mélange entre science et croyance est prégnant. Dans Le Monde des Religions (janvier/février 2010), on rencontre :
* l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan (membre de l'UIP) qui affirme l'existence d'un « principe originel qui décide de l'existence de l'univers, avec ses lois physiques » ;
* Charles Townes, Nobel de Physique 1964 (et membre de l'UIP), expliquant que les grandes découvertes scientifiques sont parfois proches d'une révélation mystique et que, quoi qu'il arrive, nous devons chercher à comprendre « le monde que Dieu a créé » ;
* William Phillips, Nobel de Physique 1997 (intervenant à l'UIP), pour qui le monde a forcément été « créé à dessein par une intelligence supérieure », et que la recherche en donne aujourd'hui « une évidence légitime ».
Un prix Nobel peut être un fervent croyant, c'est parfaitement son droit. Mais un prix Nobel peut aussi chercher à faire reposer sa croyance sur des arguments d'ordre scientifique. Et c'est là qu'il franchit une frontière. La science c'est la science, avec ses avantages et ses inconvénients, avec son travail et sa validation collectifs. La foi c'est la foi, avec ses questions et ses réponses, et le rattachement libre de chacun.
On peut adhérer à l'un, à l'autre ou aux deux. Méfions-nous cependant des tentatives de mêler les deux dans un même objectif, surtout lorsque ces mélanges cherchent à faire entrer la foi dans les classes de sciences. Staune affirme d'ailleurs son ambition de « faire de l'interaction science/religion une vraie discipline universitaire ».
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