N'avez-vous jamais été en proie à ce sentiment ineffable d'une présence à vos côtés alors que, de toute évidence, vous êtes tout(e) seul(e) et isolé(e) ? Non ! Alors ce texte vous aidera à ne pas paniquer, le cas échéant. Vous n'êtes ni le premier ni le dernier en la circonstance à meubler votre solitude dans la compagnie d'entités venues d'ailleurs.
Tout d'abord abordons le sujet des êtres qui visitent les enfants et demeurent inaperçus aux parents, aux frères et soeurs et aux autres.
Les enfants seuls ont souvent tendance à peupler leur intimité de compagnons avec lesquels ils s'entretiennent, échangent, communiquent, voire jouent à la poursuite, exactement comme s'il s'agissait d'êtres réels. Les adultes, quelque peu frustrés d'être exclus de ces plaisirs solitaires, mettent cela sur le compte de l'imagination débordante de leurs rejetons, de la manie du "comme si", de la tendance à l'affabulation.
Devant la multiplication de ces "compagnies" enfantines, les parapsychologues se sont demandés si elles ne provenaient pas du fait que les enfants disposent de capacités psychiques qui s'émoussent avec l'âge. Leur esprit intact, non encore pollué par la vision matérialiste des choses, leur donnerait accès à une réalité autre qui leur échappera plus tard. En tout cas, maints exemples de compagnies invisibles sont plutôt troublants à cause de certains détails qui les placent bien au-delà de simples fantasmagories.
Quelques exemples
"Nous vivons avec lui comme avec un second enfant", déclarait la grand-mère d'une très jeune néo-zélandaise à propos du compagnon occulte et irréel qui accompagne l'enfant partout et qu'elle a, elle-même, surnommé David. Et d'ajouter : "Des adultes peuvent être soupçonnés de romancer mais pas une petite fille de trois ans !"
Un médecin de Denver cite la cas d'une fillette de 2 ans et demi qui avait l'habitude d'engager une conversation à sens unique avec un interlocuteur invisible qu'elle nommait "Oncle Joe". Un soir, un chien s'introduisit dans la maison, suite au retour du travail du père. L'animal explora la pièce comme tout chien qui se respecte et s'approcha de la chaise où "Oncle Joe" était supposé être assis. Soudain effrayé, l'animal se mit à ramper à reculons et partit queue basse pour ne plus jamais revenir. Les enfants et les chiens verraient-ils les mêmes choses?
Sir Arthur Conan Doyle donna du crédit au phénomène en soulignant que "les enfants rapportent voir ces êtres plus fréquemment que les grandes personnes". Tout le monde ne semble pas fréquenté pareillement par ces "compagnons" ou du moins avoir le pouvoir d'en tirer des informations qui nous stupéfient entités psychoïdes ou défuntes?
"Quand j'étais petite, explique la grande médium américaine Eileen Garrett, j'avais deux compagnons secrets qui faisaient que je n'étais jamais seule : un garçon et une fille. La première fois que je les vis, j'avais environ 4 ans. Nous communiquions librement ensemble mais sans prononcer le moindre mot. Parfois, ils restaient là pendant des heures, d'autres demeuraient seulement un temps très court. Soudain, je réalisais leur présence et, tout aussi brusquement, ils n'étaient plus là. Eux ne vieillissaient jamais..."
C'est ainsi que certains futurs percipients semblent avoir la faculté de personnaliser leurs compagnons invisibles, en accueillant de récents désincarnés.
Une maman observant son enfant qui parlait tout seul réalisa que ce n'était ni à elle ni à lui-même qu'il s'adressait. Quand elle lui demanda qui était son interlocutrice, elle s'entendit répondre que c'était la "Dame", laquelle se révéla être reconnue comme un médium célèbre justement décédé ce jour-là
Le Dr Louisa Rhine raconte qu'un enfant de deux ans se mit à avoir un ami invisible (un "Monsieur") lorsque ses parents s'installèrent dans un cottage du New Jersey qu'ils avaient loué pour l'été. Cela dura pendant tout le séjour et les parents étaient si inquiets qu'ils s'en ouvrirent à la femme propriétaire, laquelle indiqua que la chambre de l'enfant était celle où était décédé son mari un an plus tôt...
Une bien belle histoire
Voici un exemple extraordinaire publié par le Toronto Star du 16 juin 1989 et rapporté par le père de la jeune Elizabeth Atkins. "Comme de nombreux enfants, Elizabeth avait, toute petite, des compagnons de jeu imaginaires. Elle organisait des thés chaque après-midi et engageait avec eux des conversations animées mais à sens unique, notamment avec son invisible "Betty Louty". La famille ne connaissait personne de ce nom et s'étonnait que l'enfant ait pensé à l'inventer. Elizabeth ne pouvait elle-même fournir aucune information sur ladite Betty Louty, sinon qu'elle avait vécu "ily a bien longtemps".
"Plusieurs années plus tard, la famille partit en vacances en Jamaïque et durant une visite à un fameux magasin d'objets en paille à Kingston, Elizabeth et sa plus grande soeur voulurent qu'on leur achète une de ces poupées faites main, traditionnelles de l'endroit. L'aînée choisit un spécimen qui se trouvait très accessible dans la boutique mais pas Elizabeth. Elle se déplaça de rayon en rayon jusqu'à finalement fixer son choix sur une poupée située dans le coin le plus éloigné du présentoir supérieur. "Prends-en une plus près, lui suggérai-je. Elles sont toutes pareilles!"
"Mais Elizabeth insista et le vendeuse concéda qu'au contraire toutes étaient différentes. "Chacune est signée par la personne qui l'a fabriquée, révéla-t-elle, et celle-ci a été confectionnée uniquement pour vous, darling, ajouta-t-elle de bonne grâce. D'autant que cette fabricante n'en fait plus"
"Je sais qu'elle est spéciale, déclara Elizabeth de façon surprenante et j'en prendrai grand soin."
"Elle le fit effectivement. Dormit avec, ne s'en sépara plus et ne put supporter que la poupée soit hors de sa vue. Quelque temps plus tard, je me souvins que la vieille marchande de poupées nous avait dit que chaque exemplaire était marqué au nom de celle qui l'avait confectionnée. Je trouvai donc celui-ci à l'intérieur de sa jupe. Il y avait, en effet, une signature; c'était "Betty Louty"!
Autres compagnons
Après les enfants esseulés, en manque de partenaires ludiques, quelles sont les catégories de gens qui rapportent le plus fréquemment une expérience de "compagnons invisibles"? Ce sont les veuves et, dans un autre registre, les aviateurs et les alpinistes...
Une étude effectuée en 1988 par la revue Omega a cherché à déterminer si certains facteurs sociaux, psychologiques, comportementaux, ne permettent pas de distinguer la proportion non négligeable des veuves (plus de 15 %) qui disent avoir ressenti la présence de leur défunt mari autour d'elles après le décès de celui-ci. La sélection de 14 critères chez 294 veuves de l'Arizona impliquées dans ce type d'expérience a permis de prédire 67,3 % des cas enregistrés.
Le Dr Dewi Rees, qui interviewa 300 veuves dans la même situation, exclut toute incidence hallucinatoire avec, cependant, un processus d'externalisation manifeste. Le caractère spontané en est toujours souligné.
L'impression de présence
On sait depuis longtemps que les gens affligés, endeuillés, par la mort d'un proche, sont sujets, assez souvent, à un sentiment qui leur donne à penser que l'être cher est là, tout près d'eux. Et ils savent intuitivement qu'il s'agit du mort qui les a quitté plus ou moins récemment. Cela se passe généralement dans la maison même du disparu ou, tout au moins, à un endroit qu'il fréquentait de son vivant : son fauteuil, le bord du lit conjugal...
Dans ses "Principes de psychologie", publiés en 1890, William James, le philosophe américain, écrivait : "Ce sentiment est un état d'esprit extrêmement défini et positif, couplé à une croyance en la réalité de son objet aussi forte qu'une sensation directe la donnerait". J'emprunte au livre récent de mes amis américains Bill et Judy Guggenheim, intitulé "Hello from heaven !" (Hello depuis le ciel !), le cas de Lynn, une coiffeuse de Floride qui eut ce type d'expérience deux jours après que son compagnon, Fred, fut emporté par une crise cardiaque. "Un après-midi, j'arrosais des plantes sur le porche. Fred, comme moi, les adorait. J'arrivai auprès d'un pot qui signifiait beaucoup pour lui ; or il ne cessait de dépérir. Alors que je me tenais là, j'eus la sensation très, très forte que Fred se trouvait derrière moi. J'avais l'impression que je le cognerais si je me mettais à reculer. J'en fus envahie d'un tel sentiment de joie que j'en éclatai de rire !"
On retrouve bien là, à un siècle de distance, l'exacte description de James.
Parfois en différé
Bizarrement, ce sentiment de présence ne se produit pas toujours juste après le décès, quand le traumatisme du deuil est encore à vif (on parle d'une réaction psychique de désespoir). Parfois plus de 20 ans peuvent s'être écoulés. C'est ainsi qu'une veuve, après 26 ans, sent que son mari est à côté d'elle au cours d'une messe au moment d'un cantique. La sensation revêt quelquefois une telle intensité, un tel réalisme, qu'elle pousse aux larmes. Ou bien à s'adresser spontanément à l'entité qu'on sait là intuitivement. Et une conversation peut s'engager !
L'impression de présence peut s'accompagner d'une expérience auditive (voix du défunt disant à sa femme : "Prends bien soin de notre fille !" ou musique associée à lui) ou bien tactile (pression d'un bras réconfortant, geste de consolation). Dans certains cas, la sensation de présence est rapportée par plusieurs personnes simultanément. Toute la panoplie des liens de parenté a été enregistrée mais du mari à la veuve surtout.
En situation de stress
Il semble que d'autres conditions de stress que le veuvage puissent enfanter des compagnons invisibles : l'armée. Exemple du commandant Soker, qui, évadé en 1916 d'une prison en Turquie, en compagnie de deux camarades, fut persuadé qu'ils étaient quatre et non trois durant tout le trajet qui les mena vers la Méditerranée. En comparant leurs notes, après coup, ils constatèrent qu'ils avaient, tous les trois, ressenti la présence d'un quatrième homme.
Les aviateurs paraissent aussi enclin à se doter inconsciemment, en vol, de compagnons invisibles. Edith Folk-Stearn a écrit : "Je n'ai jamais volé seule. Mon copilote m'accompagnait. Jamais le même. Et en cas de grand danger, c'est lui qui prenait les commandes et me ramenait saine et sauve ". Inutile de dire qu'elle volait en solo.
Et en montagne
La solitude en plein air et l'altitude sont aussi des facteurs déclenchant l'expérience de présence invisible. L'alpiniste Nick Estcourt, marchant entre le camp 4 et le camp 5 sur le versant de l'Everest, réalisa qu'il n'était pas seul.
"Là-bas, en contrebas, affirma-t-il, à 200 mètres, bien net sur la neige, une silhouette me suivait qui disparut ensuite ". Estcourt trouva la mort, en 1978, lors d'une avalanche.
Le cas de l'explorateur polaire Shackleton, rapporté dans son livre "Sud", est resté fameux. Lui et son compagnon eurent, tous les deux, l'expérience d'un "troisième de cordée extra" alors qu'ils traversaient les dangereuses montagnes de la Géorgie.
L'ascensionniste Frank Smythe, dans ses mémoires, décrit comment, en 1933, seul sur l'Everest abandonné par son compagnon réel qui avait rebroussé chemin, il tendit un peu de nourriture à un compagnon invisible qui l'accompagnait avant de réaliser la vanité de son geste ! " Au moment où je me retrouvai seul, écrit-il, j'eus le sentiment qu'il y avait quand même quelqu'un avec moi ".
Mais il est un autre type de rencontre : celles avec soi-même !
Les "rencontres" avec son double
Voir son double, phénomène connu sous le nom d'autoscopie, est une expérience qui doit provoquer un tel trauma qu'une forte proportion des gens qui en sont le siège gardent cela pour eux et hésitent à s'en ouvrir à autrui.
D'autant plus que du point de vue médical, il s'agit d'une pathologie mentale capable de les faire classer parmi les victimes d'hallucinations. Or nous allons voir que la thèse de l'illusion est loin d'être prouvée...
Depuis l'aube de l'histoire de l'humanité, il semble qu'un certain nombre d'individus se soient trouvés confrontés à une présence évanescente et fantomatique d'eux-mêmes. Avec le secours d'aucun miroir, ni d'aucun autre accessoire réfléchissant, cela va sans dire.
Subitement, sans avertissement préalable, leur double est là clairement visible à eux, incolore il est vrai et parfois même transparent, mais suffisamment net pour être sans conteste reconnaissable. Seul le visage apparaît souvent mais aussi, parfois, les épaules et la poitrine. Par des exemples, il est facile de constater que les variantes sont nombreuses...
Voir, sentir, parler
Mr Harold C. de Chicago, Illinois, regagne son domicile en mars 1958, après une journée de travail à son bureau rendue difficile par une forte migraine. Il s'assied à sa table pour manger en solitaire et voit face lui, à son plus grand effroi, l'exacte réplique de lui-même qui exécute les mêmes mouvements pendant un temps indéfinissable puis disparaît graduellement laissant le champ à une place vide comme celle-ci n'aurait jamais dû cesser d'être.
Ce mimétisme autoscopique, généralement décrit, se complique parfois, comme pour Mrs Jennie, en train de se maquiller, qui, voyant son double opérer de même, avance la main et se sent touchée au visage...
Mr Lenny B. de Philadelphie, Pennsylvanie, était lui occupé à des tâches de menuiserie quand son double lui apparut engagé dans le même travail mais légèrement "décalé" dans le temps. L'homme s'a-dressa à son image et lui demanda ce qu'elle faisait. "Exactement ce que tu fais toi-même", lui fut-il répondu.
Doubles non synchrones
Le double, plus rarement, ne se contente pas de "singer" son original mais adopte un comportement totalement indépendant et dissocié. Mr John S. de Boston écoutait de la musique classique, un jour de 1962, assis dans son fauteuil, quand, levant les yeux, il aperçut la réplique de lui-même dirigeant l'orchestre qui interprétait le morceau en cours. Un professeur de technologie de Berlin rentrant chez lui un soir voit son double de l'autre côté de la rue. Il se hâte mais l'apparition le suit. Il tourne dans une rue latérale pour le semer. Il lui semble avoir réussi jusqu'à ce qu'il tourne au coin opposé de sa maison. Sa doublure vient de sonner à sa porte et la servante lui a ouvert une bougie à la main. Elle fait entrer le double autoscopique... Le professeur se rue dans la maison, escalade l'escalier. Juste avant d'atteindre sa chambre, il entend un grand bruit. Il ouvre la porte... Personne ! Mais le plafond vient de s'effondrer. Le double a disparu. En 1960, un homme vivant seul se réveille vers minuit avec le sentiment d'une présence proche. A quelques mètres de son lit se tient une forme humaine couverte d'une substance qui rappelle de la soie froissée. "Je voulais lui sauter dessus mais quand j'aperçus son visage, je vis que c'était moi. Trop tard pour m'arrêter. Dans mon élan, mon poing lui passa à travers et subitement, il ne fut plus là".
La libéralisation du double
Ces cas, relativement récents, émanent d'anonymes qui, malgré toutes les bonnes raisons de n'en point parler, n'hésitent plus maintenant à relater leur expérience. C'est une situation nouvelle, les annales des sciences psychiques étant relativement pauvres en témoignages de ce genre. L'ère moderne a-t-elle réussi à lever le tabou sur une expérience séculaire réprimée individuellement ou collectivement ? Ou bien doit-on voir tout cela comme des chimères héritées d'une époque de stress et de tension psychologique ?
Tout porte à croire que nous assistons à l'expression démocratisée d'expériences vécues par tout un chacun mais révélées seulement jusqu'alors par une élite du passé dont la notoriété permettait d'éviter le discrédit apporté inévitablement par de telles confidences. On a risqué le bûcher pour moins que ça !
Aujourd'hui, monsieur tout le monde parle plus librement et on s'aperçoit que la perception du double touche aussi bien la ménagère et le manoeuvre que les grands de ce monde, les écrivains intimistes, les savants...
Illustres précurseurs
La liste est longue des personnages connus qui ont fait état d'une rencontre avec leur double : la Reine Elizabeth Ie, I'Archevêque Frederick, Percy Bysshe Shelley mari de l'auteur de Frankenstein, Jules Lemaître, Guy de Maupassant, Sigmund Freud, Ernest Mach...
Goethe écrit, dans Dichtung and Wahrheit : "Un jour que je passai à cheval dans un petit sentier près de Drusenheim, il m'arriva une chose bien curieuse. Je vis avec les yeux de l'esprit et non pas ceux du corps, mon double se diriger à cheval dans ma direction. Ce second moi était vêtu d'un costume gris-bleu aux parements dorés qui ne m'avait jamais appartenu... "
Et Alfred de Musset, dans la Nuit de décembre :
Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère...
(Ce double a reçu l'appellation germanique de Doppelgänger.)
Doppelgänger, qui es-tu?
Il occupe une place privilégiée dans le folklore européen. Appelé aussi der Judel en Allemagne, the Fetch en Angleterre, vardoger en Norvège et "le double" en France, sa signification et les causes possibles de son apparition demeurent obscures.
Alors, présage de mort, de troubles de santé, ange gardien visible, projection astrale, hallucination ou bien autre chose ?
Le psychologue britannique Graham Reed, à partir d'études sérieuses réalisées sur le continent européen, a dressé un portrait robot de ce "Doppelgänger", comme on le nomme Outre Rhin, lequel, souvent, est dit libéré des contraintes d'espace et de temps : soit on parle alors de "bilocation" quand le double est vu loin de sa source et permet une "présence" simultanée en deux endroits en même temps, soit il est décrit comme plus vieux que l'original, préfigurant quelque vision de soi-même dans un futur plus ou moins proche (cas de Goethe).
Présage funeste ?
Ainsi, le double sera-t-il parfois atteint d'une incapacité qui touchera beaucoup plus tard l'original et exhibera-t-il quelque déficience que l'intéressé développera ultérieurement. Par exemple un boitement consécutif à un accident non encore survenu, un handicap physiologique à venir...
De la sorte, le double s'est taillé la sinistre réputation d'être annonciateur de maladie voire de mort et la tendance est à associer à sa perception quelque malheur prochain.
L'exemple type en la matière consiste en la célèbre confrontation de Guy de Maupassant avec son double au sujet duquel Paul Bourget, confident de l'écrivain, écrivait : "En rentrant chez lui, il se voyait assis dans son fauteuil". C'est cette entité qui lui aurait dicté le conte fantastique "Le Horla". D'aucuns voient là les signes précurseurs du mal qui allait conduire le grand écrivain à la folie.
Ainsi, nombreux sont ceux qui, ayant surpris leur double dans leur voisinage, ont eu le sentiment d'avoir échappé à un grand danger.
A.B. de Boismont, au milieu du siècle dernier, parlait d'un individu qui, confronté répétitivement à son double, se crut hanté par soi-même et se suicida.
Ou ange gardien?
L'école moderne, au contraire, veut plutôt voir le double comme une manifestation de notre ange gardien individuel. Un certain nombre d'exemples, comme celui du professeur berlinois précédé de son double à son domicile où le plafond s'est effondré, vont dans ce sens du double protecteur.
Alex B. Griffith, administrateur dans une compagnie d'assurance, était sergent d'infanterie en 1944 dans l'armée américaine en France. Un après-midi, il conduisait une patrouille près de Rennes. Tout était calme. Pas un ennemi à l'horizon. La pa-trouille avançait sur une route étroite et boueuse. C'est alors qu'un personnage apparut au milieu de la route à quelques mètres en avant. Griffith en resta bouche-bée : c'était lui-même en tout point identique avec même son bout de sparadrap au menton suite à une coupure. Son double agitait les bras frénétiquement. Le message était clair : "Reculez". Griffith lança un ordre de retraite. Au cours de ce repli, une estafette les dépassa en klaxonnant et continua son chemin. Soudain, il y eut un crépitement de coups de feu. La jeep fit une embardée folle et expulsa ses passagers. "C'était un poste de mitrailleurs caché par l'ennemi le long de la route et qui nous aurait décimé si nous étions allés plus avant", écrira-t-il.
Vingt ans plus tard, Griffith rencontra à nouveau son double. C'était en 1964 et il voulait aller faire du camping dans les Laurentides, au Canada. Le temps, bien que venteux, était beau. Alors que la famille, lui, sa femme et leurs deux enfants, progressaient dans la forêt en file indienne, ils tombèrent sur le sergent Griffith, dans une clairière, en uniforme de GI, comme en juin 1944 et son morceau de sparadrap au menton. Il gesticulait voulant clairement signifier qu'il ne fallait pas avancer. Griffith rebroussa chemin une fois encore et bien lui en prit parce que, quelques secondes plus tard, dans un grand fracas, un arbre imposant s'abattait en travers de leur route là où ils auraient dû se trouver sans l'intervention fantomatique. Donc si vous voyez votre double, n'ayez pas peur, il est peut- être là pour vous sauver la vie !
Un mystère non résolu
Trois thèses s'affrontent pour donner une explication de l'expérience du double. Tout d'abord, les occultistes voient en lui ni plus ni moins que l'expression visible de notre corps astral qui, dans certaines conditions, se séparerait de notre corps physique avec lequel il coïncide, normalement. Toutes les tentatives scientifiques pour prouver l'existence de ce corps second, impalpable, siège présumé de la conscience, ont échoué, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas.
Une autre école voit dans l'autoscopie le résultat de quelque processus "organique" d'irritation du cerveau, particulièrement dans la zone pariéto-temporale occipitale où se situe le siège de la vision. Une forte proportion des rapports de doubles émane, il est vrai, de personnages affligés de maladies telles que les migraines et l'épilepsie qui peuvent ainsi se rattacher à cette catégorie. Le sujet projetterait ainsi en dehors de lui sa propre image.
Ou alors, psychologiquement parlant, dans des conditions de stress et de stimulations psychologiques anormales, il serait amené à percevoir comme des images réelles des scènes enfouies dans sa mémoire ? Tout cela me paraît bien peu convaincant et a beaucoup de mal à s'emboîter avec les exemples que nous avons vus tout au long de ce texte sur les compagnons invisibles. Mon ami britannique, Hilary Evans, ajoute, dans un livre publié en 1984, quelques hypothèses de son cru. L'une me paraît particulièrement digne d'être citée en épilogue de cette question : " Est-ce un parasite qui se cache en nous, camouflé sous couvert de nos désordres mentaux ", écrit-il ? Une hypothèse qui en vaut bien d'autres. (Michel Granger)
Tout d'abord abordons le sujet des êtres qui visitent les enfants et demeurent inaperçus aux parents, aux frères et soeurs et aux autres.
Les enfants seuls ont souvent tendance à peupler leur intimité de compagnons avec lesquels ils s'entretiennent, échangent, communiquent, voire jouent à la poursuite, exactement comme s'il s'agissait d'êtres réels. Les adultes, quelque peu frustrés d'être exclus de ces plaisirs solitaires, mettent cela sur le compte de l'imagination débordante de leurs rejetons, de la manie du "comme si", de la tendance à l'affabulation.
Devant la multiplication de ces "compagnies" enfantines, les parapsychologues se sont demandés si elles ne provenaient pas du fait que les enfants disposent de capacités psychiques qui s'émoussent avec l'âge. Leur esprit intact, non encore pollué par la vision matérialiste des choses, leur donnerait accès à une réalité autre qui leur échappera plus tard. En tout cas, maints exemples de compagnies invisibles sont plutôt troublants à cause de certains détails qui les placent bien au-delà de simples fantasmagories.
Quelques exemples
"Nous vivons avec lui comme avec un second enfant", déclarait la grand-mère d'une très jeune néo-zélandaise à propos du compagnon occulte et irréel qui accompagne l'enfant partout et qu'elle a, elle-même, surnommé David. Et d'ajouter : "Des adultes peuvent être soupçonnés de romancer mais pas une petite fille de trois ans !"
Un médecin de Denver cite la cas d'une fillette de 2 ans et demi qui avait l'habitude d'engager une conversation à sens unique avec un interlocuteur invisible qu'elle nommait "Oncle Joe". Un soir, un chien s'introduisit dans la maison, suite au retour du travail du père. L'animal explora la pièce comme tout chien qui se respecte et s'approcha de la chaise où "Oncle Joe" était supposé être assis. Soudain effrayé, l'animal se mit à ramper à reculons et partit queue basse pour ne plus jamais revenir. Les enfants et les chiens verraient-ils les mêmes choses?
Sir Arthur Conan Doyle donna du crédit au phénomène en soulignant que "les enfants rapportent voir ces êtres plus fréquemment que les grandes personnes". Tout le monde ne semble pas fréquenté pareillement par ces "compagnons" ou du moins avoir le pouvoir d'en tirer des informations qui nous stupéfient entités psychoïdes ou défuntes?
"Quand j'étais petite, explique la grande médium américaine Eileen Garrett, j'avais deux compagnons secrets qui faisaient que je n'étais jamais seule : un garçon et une fille. La première fois que je les vis, j'avais environ 4 ans. Nous communiquions librement ensemble mais sans prononcer le moindre mot. Parfois, ils restaient là pendant des heures, d'autres demeuraient seulement un temps très court. Soudain, je réalisais leur présence et, tout aussi brusquement, ils n'étaient plus là. Eux ne vieillissaient jamais..."
C'est ainsi que certains futurs percipients semblent avoir la faculté de personnaliser leurs compagnons invisibles, en accueillant de récents désincarnés.
Une maman observant son enfant qui parlait tout seul réalisa que ce n'était ni à elle ni à lui-même qu'il s'adressait. Quand elle lui demanda qui était son interlocutrice, elle s'entendit répondre que c'était la "Dame", laquelle se révéla être reconnue comme un médium célèbre justement décédé ce jour-là
Le Dr Louisa Rhine raconte qu'un enfant de deux ans se mit à avoir un ami invisible (un "Monsieur") lorsque ses parents s'installèrent dans un cottage du New Jersey qu'ils avaient loué pour l'été. Cela dura pendant tout le séjour et les parents étaient si inquiets qu'ils s'en ouvrirent à la femme propriétaire, laquelle indiqua que la chambre de l'enfant était celle où était décédé son mari un an plus tôt...
Une bien belle histoire
Voici un exemple extraordinaire publié par le Toronto Star du 16 juin 1989 et rapporté par le père de la jeune Elizabeth Atkins. "Comme de nombreux enfants, Elizabeth avait, toute petite, des compagnons de jeu imaginaires. Elle organisait des thés chaque après-midi et engageait avec eux des conversations animées mais à sens unique, notamment avec son invisible "Betty Louty". La famille ne connaissait personne de ce nom et s'étonnait que l'enfant ait pensé à l'inventer. Elizabeth ne pouvait elle-même fournir aucune information sur ladite Betty Louty, sinon qu'elle avait vécu "ily a bien longtemps".
"Plusieurs années plus tard, la famille partit en vacances en Jamaïque et durant une visite à un fameux magasin d'objets en paille à Kingston, Elizabeth et sa plus grande soeur voulurent qu'on leur achète une de ces poupées faites main, traditionnelles de l'endroit. L'aînée choisit un spécimen qui se trouvait très accessible dans la boutique mais pas Elizabeth. Elle se déplaça de rayon en rayon jusqu'à finalement fixer son choix sur une poupée située dans le coin le plus éloigné du présentoir supérieur. "Prends-en une plus près, lui suggérai-je. Elles sont toutes pareilles!"
"Mais Elizabeth insista et le vendeuse concéda qu'au contraire toutes étaient différentes. "Chacune est signée par la personne qui l'a fabriquée, révéla-t-elle, et celle-ci a été confectionnée uniquement pour vous, darling, ajouta-t-elle de bonne grâce. D'autant que cette fabricante n'en fait plus"
"Je sais qu'elle est spéciale, déclara Elizabeth de façon surprenante et j'en prendrai grand soin."
"Elle le fit effectivement. Dormit avec, ne s'en sépara plus et ne put supporter que la poupée soit hors de sa vue. Quelque temps plus tard, je me souvins que la vieille marchande de poupées nous avait dit que chaque exemplaire était marqué au nom de celle qui l'avait confectionnée. Je trouvai donc celui-ci à l'intérieur de sa jupe. Il y avait, en effet, une signature; c'était "Betty Louty"!
Autres compagnons
Après les enfants esseulés, en manque de partenaires ludiques, quelles sont les catégories de gens qui rapportent le plus fréquemment une expérience de "compagnons invisibles"? Ce sont les veuves et, dans un autre registre, les aviateurs et les alpinistes...
Une étude effectuée en 1988 par la revue Omega a cherché à déterminer si certains facteurs sociaux, psychologiques, comportementaux, ne permettent pas de distinguer la proportion non négligeable des veuves (plus de 15 %) qui disent avoir ressenti la présence de leur défunt mari autour d'elles après le décès de celui-ci. La sélection de 14 critères chez 294 veuves de l'Arizona impliquées dans ce type d'expérience a permis de prédire 67,3 % des cas enregistrés.
Le Dr Dewi Rees, qui interviewa 300 veuves dans la même situation, exclut toute incidence hallucinatoire avec, cependant, un processus d'externalisation manifeste. Le caractère spontané en est toujours souligné.
L'impression de présence
On sait depuis longtemps que les gens affligés, endeuillés, par la mort d'un proche, sont sujets, assez souvent, à un sentiment qui leur donne à penser que l'être cher est là, tout près d'eux. Et ils savent intuitivement qu'il s'agit du mort qui les a quitté plus ou moins récemment. Cela se passe généralement dans la maison même du disparu ou, tout au moins, à un endroit qu'il fréquentait de son vivant : son fauteuil, le bord du lit conjugal...
Dans ses "Principes de psychologie", publiés en 1890, William James, le philosophe américain, écrivait : "Ce sentiment est un état d'esprit extrêmement défini et positif, couplé à une croyance en la réalité de son objet aussi forte qu'une sensation directe la donnerait". J'emprunte au livre récent de mes amis américains Bill et Judy Guggenheim, intitulé "Hello from heaven !" (Hello depuis le ciel !), le cas de Lynn, une coiffeuse de Floride qui eut ce type d'expérience deux jours après que son compagnon, Fred, fut emporté par une crise cardiaque. "Un après-midi, j'arrosais des plantes sur le porche. Fred, comme moi, les adorait. J'arrivai auprès d'un pot qui signifiait beaucoup pour lui ; or il ne cessait de dépérir. Alors que je me tenais là, j'eus la sensation très, très forte que Fred se trouvait derrière moi. J'avais l'impression que je le cognerais si je me mettais à reculer. J'en fus envahie d'un tel sentiment de joie que j'en éclatai de rire !"
On retrouve bien là, à un siècle de distance, l'exacte description de James.
Parfois en différé
Bizarrement, ce sentiment de présence ne se produit pas toujours juste après le décès, quand le traumatisme du deuil est encore à vif (on parle d'une réaction psychique de désespoir). Parfois plus de 20 ans peuvent s'être écoulés. C'est ainsi qu'une veuve, après 26 ans, sent que son mari est à côté d'elle au cours d'une messe au moment d'un cantique. La sensation revêt quelquefois une telle intensité, un tel réalisme, qu'elle pousse aux larmes. Ou bien à s'adresser spontanément à l'entité qu'on sait là intuitivement. Et une conversation peut s'engager !
L'impression de présence peut s'accompagner d'une expérience auditive (voix du défunt disant à sa femme : "Prends bien soin de notre fille !" ou musique associée à lui) ou bien tactile (pression d'un bras réconfortant, geste de consolation). Dans certains cas, la sensation de présence est rapportée par plusieurs personnes simultanément. Toute la panoplie des liens de parenté a été enregistrée mais du mari à la veuve surtout.
En situation de stress
Il semble que d'autres conditions de stress que le veuvage puissent enfanter des compagnons invisibles : l'armée. Exemple du commandant Soker, qui, évadé en 1916 d'une prison en Turquie, en compagnie de deux camarades, fut persuadé qu'ils étaient quatre et non trois durant tout le trajet qui les mena vers la Méditerranée. En comparant leurs notes, après coup, ils constatèrent qu'ils avaient, tous les trois, ressenti la présence d'un quatrième homme.
Les aviateurs paraissent aussi enclin à se doter inconsciemment, en vol, de compagnons invisibles. Edith Folk-Stearn a écrit : "Je n'ai jamais volé seule. Mon copilote m'accompagnait. Jamais le même. Et en cas de grand danger, c'est lui qui prenait les commandes et me ramenait saine et sauve ". Inutile de dire qu'elle volait en solo.
Et en montagne
La solitude en plein air et l'altitude sont aussi des facteurs déclenchant l'expérience de présence invisible. L'alpiniste Nick Estcourt, marchant entre le camp 4 et le camp 5 sur le versant de l'Everest, réalisa qu'il n'était pas seul.
"Là-bas, en contrebas, affirma-t-il, à 200 mètres, bien net sur la neige, une silhouette me suivait qui disparut ensuite ". Estcourt trouva la mort, en 1978, lors d'une avalanche.
Le cas de l'explorateur polaire Shackleton, rapporté dans son livre "Sud", est resté fameux. Lui et son compagnon eurent, tous les deux, l'expérience d'un "troisième de cordée extra" alors qu'ils traversaient les dangereuses montagnes de la Géorgie.
L'ascensionniste Frank Smythe, dans ses mémoires, décrit comment, en 1933, seul sur l'Everest abandonné par son compagnon réel qui avait rebroussé chemin, il tendit un peu de nourriture à un compagnon invisible qui l'accompagnait avant de réaliser la vanité de son geste ! " Au moment où je me retrouvai seul, écrit-il, j'eus le sentiment qu'il y avait quand même quelqu'un avec moi ".
Mais il est un autre type de rencontre : celles avec soi-même !
Les "rencontres" avec son double
Voir son double, phénomène connu sous le nom d'autoscopie, est une expérience qui doit provoquer un tel trauma qu'une forte proportion des gens qui en sont le siège gardent cela pour eux et hésitent à s'en ouvrir à autrui.
D'autant plus que du point de vue médical, il s'agit d'une pathologie mentale capable de les faire classer parmi les victimes d'hallucinations. Or nous allons voir que la thèse de l'illusion est loin d'être prouvée...
Depuis l'aube de l'histoire de l'humanité, il semble qu'un certain nombre d'individus se soient trouvés confrontés à une présence évanescente et fantomatique d'eux-mêmes. Avec le secours d'aucun miroir, ni d'aucun autre accessoire réfléchissant, cela va sans dire.
Subitement, sans avertissement préalable, leur double est là clairement visible à eux, incolore il est vrai et parfois même transparent, mais suffisamment net pour être sans conteste reconnaissable. Seul le visage apparaît souvent mais aussi, parfois, les épaules et la poitrine. Par des exemples, il est facile de constater que les variantes sont nombreuses...
Voir, sentir, parler
Mr Harold C. de Chicago, Illinois, regagne son domicile en mars 1958, après une journée de travail à son bureau rendue difficile par une forte migraine. Il s'assied à sa table pour manger en solitaire et voit face lui, à son plus grand effroi, l'exacte réplique de lui-même qui exécute les mêmes mouvements pendant un temps indéfinissable puis disparaît graduellement laissant le champ à une place vide comme celle-ci n'aurait jamais dû cesser d'être.
Ce mimétisme autoscopique, généralement décrit, se complique parfois, comme pour Mrs Jennie, en train de se maquiller, qui, voyant son double opérer de même, avance la main et se sent touchée au visage...
Mr Lenny B. de Philadelphie, Pennsylvanie, était lui occupé à des tâches de menuiserie quand son double lui apparut engagé dans le même travail mais légèrement "décalé" dans le temps. L'homme s'a-dressa à son image et lui demanda ce qu'elle faisait. "Exactement ce que tu fais toi-même", lui fut-il répondu.
Doubles non synchrones
Le double, plus rarement, ne se contente pas de "singer" son original mais adopte un comportement totalement indépendant et dissocié. Mr John S. de Boston écoutait de la musique classique, un jour de 1962, assis dans son fauteuil, quand, levant les yeux, il aperçut la réplique de lui-même dirigeant l'orchestre qui interprétait le morceau en cours. Un professeur de technologie de Berlin rentrant chez lui un soir voit son double de l'autre côté de la rue. Il se hâte mais l'apparition le suit. Il tourne dans une rue latérale pour le semer. Il lui semble avoir réussi jusqu'à ce qu'il tourne au coin opposé de sa maison. Sa doublure vient de sonner à sa porte et la servante lui a ouvert une bougie à la main. Elle fait entrer le double autoscopique... Le professeur se rue dans la maison, escalade l'escalier. Juste avant d'atteindre sa chambre, il entend un grand bruit. Il ouvre la porte... Personne ! Mais le plafond vient de s'effondrer. Le double a disparu. En 1960, un homme vivant seul se réveille vers minuit avec le sentiment d'une présence proche. A quelques mètres de son lit se tient une forme humaine couverte d'une substance qui rappelle de la soie froissée. "Je voulais lui sauter dessus mais quand j'aperçus son visage, je vis que c'était moi. Trop tard pour m'arrêter. Dans mon élan, mon poing lui passa à travers et subitement, il ne fut plus là".
La libéralisation du double
Ces cas, relativement récents, émanent d'anonymes qui, malgré toutes les bonnes raisons de n'en point parler, n'hésitent plus maintenant à relater leur expérience. C'est une situation nouvelle, les annales des sciences psychiques étant relativement pauvres en témoignages de ce genre. L'ère moderne a-t-elle réussi à lever le tabou sur une expérience séculaire réprimée individuellement ou collectivement ? Ou bien doit-on voir tout cela comme des chimères héritées d'une époque de stress et de tension psychologique ?
Tout porte à croire que nous assistons à l'expression démocratisée d'expériences vécues par tout un chacun mais révélées seulement jusqu'alors par une élite du passé dont la notoriété permettait d'éviter le discrédit apporté inévitablement par de telles confidences. On a risqué le bûcher pour moins que ça !
Aujourd'hui, monsieur tout le monde parle plus librement et on s'aperçoit que la perception du double touche aussi bien la ménagère et le manoeuvre que les grands de ce monde, les écrivains intimistes, les savants...
Illustres précurseurs
La liste est longue des personnages connus qui ont fait état d'une rencontre avec leur double : la Reine Elizabeth Ie, I'Archevêque Frederick, Percy Bysshe Shelley mari de l'auteur de Frankenstein, Jules Lemaître, Guy de Maupassant, Sigmund Freud, Ernest Mach...
Goethe écrit, dans Dichtung and Wahrheit : "Un jour que je passai à cheval dans un petit sentier près de Drusenheim, il m'arriva une chose bien curieuse. Je vis avec les yeux de l'esprit et non pas ceux du corps, mon double se diriger à cheval dans ma direction. Ce second moi était vêtu d'un costume gris-bleu aux parements dorés qui ne m'avait jamais appartenu... "
Et Alfred de Musset, dans la Nuit de décembre :
Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère...
(Ce double a reçu l'appellation germanique de Doppelgänger.)
Doppelgänger, qui es-tu?
Il occupe une place privilégiée dans le folklore européen. Appelé aussi der Judel en Allemagne, the Fetch en Angleterre, vardoger en Norvège et "le double" en France, sa signification et les causes possibles de son apparition demeurent obscures.
Alors, présage de mort, de troubles de santé, ange gardien visible, projection astrale, hallucination ou bien autre chose ?
Le psychologue britannique Graham Reed, à partir d'études sérieuses réalisées sur le continent européen, a dressé un portrait robot de ce "Doppelgänger", comme on le nomme Outre Rhin, lequel, souvent, est dit libéré des contraintes d'espace et de temps : soit on parle alors de "bilocation" quand le double est vu loin de sa source et permet une "présence" simultanée en deux endroits en même temps, soit il est décrit comme plus vieux que l'original, préfigurant quelque vision de soi-même dans un futur plus ou moins proche (cas de Goethe).
Présage funeste ?
Ainsi, le double sera-t-il parfois atteint d'une incapacité qui touchera beaucoup plus tard l'original et exhibera-t-il quelque déficience que l'intéressé développera ultérieurement. Par exemple un boitement consécutif à un accident non encore survenu, un handicap physiologique à venir...
De la sorte, le double s'est taillé la sinistre réputation d'être annonciateur de maladie voire de mort et la tendance est à associer à sa perception quelque malheur prochain.
L'exemple type en la matière consiste en la célèbre confrontation de Guy de Maupassant avec son double au sujet duquel Paul Bourget, confident de l'écrivain, écrivait : "En rentrant chez lui, il se voyait assis dans son fauteuil". C'est cette entité qui lui aurait dicté le conte fantastique "Le Horla". D'aucuns voient là les signes précurseurs du mal qui allait conduire le grand écrivain à la folie.
Ainsi, nombreux sont ceux qui, ayant surpris leur double dans leur voisinage, ont eu le sentiment d'avoir échappé à un grand danger.
A.B. de Boismont, au milieu du siècle dernier, parlait d'un individu qui, confronté répétitivement à son double, se crut hanté par soi-même et se suicida.
Ou ange gardien?
L'école moderne, au contraire, veut plutôt voir le double comme une manifestation de notre ange gardien individuel. Un certain nombre d'exemples, comme celui du professeur berlinois précédé de son double à son domicile où le plafond s'est effondré, vont dans ce sens du double protecteur.
Alex B. Griffith, administrateur dans une compagnie d'assurance, était sergent d'infanterie en 1944 dans l'armée américaine en France. Un après-midi, il conduisait une patrouille près de Rennes. Tout était calme. Pas un ennemi à l'horizon. La pa-trouille avançait sur une route étroite et boueuse. C'est alors qu'un personnage apparut au milieu de la route à quelques mètres en avant. Griffith en resta bouche-bée : c'était lui-même en tout point identique avec même son bout de sparadrap au menton suite à une coupure. Son double agitait les bras frénétiquement. Le message était clair : "Reculez". Griffith lança un ordre de retraite. Au cours de ce repli, une estafette les dépassa en klaxonnant et continua son chemin. Soudain, il y eut un crépitement de coups de feu. La jeep fit une embardée folle et expulsa ses passagers. "C'était un poste de mitrailleurs caché par l'ennemi le long de la route et qui nous aurait décimé si nous étions allés plus avant", écrira-t-il.
Vingt ans plus tard, Griffith rencontra à nouveau son double. C'était en 1964 et il voulait aller faire du camping dans les Laurentides, au Canada. Le temps, bien que venteux, était beau. Alors que la famille, lui, sa femme et leurs deux enfants, progressaient dans la forêt en file indienne, ils tombèrent sur le sergent Griffith, dans une clairière, en uniforme de GI, comme en juin 1944 et son morceau de sparadrap au menton. Il gesticulait voulant clairement signifier qu'il ne fallait pas avancer. Griffith rebroussa chemin une fois encore et bien lui en prit parce que, quelques secondes plus tard, dans un grand fracas, un arbre imposant s'abattait en travers de leur route là où ils auraient dû se trouver sans l'intervention fantomatique. Donc si vous voyez votre double, n'ayez pas peur, il est peut- être là pour vous sauver la vie !
Un mystère non résolu
Trois thèses s'affrontent pour donner une explication de l'expérience du double. Tout d'abord, les occultistes voient en lui ni plus ni moins que l'expression visible de notre corps astral qui, dans certaines conditions, se séparerait de notre corps physique avec lequel il coïncide, normalement. Toutes les tentatives scientifiques pour prouver l'existence de ce corps second, impalpable, siège présumé de la conscience, ont échoué, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas.
Une autre école voit dans l'autoscopie le résultat de quelque processus "organique" d'irritation du cerveau, particulièrement dans la zone pariéto-temporale occipitale où se situe le siège de la vision. Une forte proportion des rapports de doubles émane, il est vrai, de personnages affligés de maladies telles que les migraines et l'épilepsie qui peuvent ainsi se rattacher à cette catégorie. Le sujet projetterait ainsi en dehors de lui sa propre image.
Ou alors, psychologiquement parlant, dans des conditions de stress et de stimulations psychologiques anormales, il serait amené à percevoir comme des images réelles des scènes enfouies dans sa mémoire ? Tout cela me paraît bien peu convaincant et a beaucoup de mal à s'emboîter avec les exemples que nous avons vus tout au long de ce texte sur les compagnons invisibles. Mon ami britannique, Hilary Evans, ajoute, dans un livre publié en 1984, quelques hypothèses de son cru. L'une me paraît particulièrement digne d'être citée en épilogue de cette question : " Est-ce un parasite qui se cache en nous, camouflé sous couvert de nos désordres mentaux ", écrit-il ? Une hypothèse qui en vaut bien d'autres. (Michel Granger)
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