La jungle est encore humide de la nuit odorante. Autour d'un feu qui noircit le fond d'une gamelle métallique, les ouvriers cambodgiens du chantier de restauration archéologique de l'
École française d'Extrême-Orient (Efeo) ont le même pincement au cœur. Pendant seize ans, ils ont été de patients remueurs de pierres. Aujourd'hui que l'aventure s'achève, ils sont un peu intimidés par ce qu'ils ont accompli la résurrection de la Montagne d'or.
Samnang, appareilleur de pierres au visage rond, cache dans les petits rires qui ponctuent ses phrases sa fierté d'avoir reconstitué le Baphuon, chef-d'œuvre de la défunte civilisation angkorienne, comme sa tristesse de devoir retourner planter le riz maintenant que le travail est fini. Sek, le vieillisseur de pierres, dissimule son trouble en racontant des histoires de sortilèges lancés par les génies du temple céleste. Offensée par les propos égrillards de son copain Van, «la jeune fille brune et fluette», un des esprits qui habitent les lieux, «l'a puni en lui donnant un coup de pied», s'amuse-t-il.
C'est devant le Baphuon que l'on prend conscience de sa puissance. Lorsqu'il est achevé au XIe siècle, sous le règne du roi Udayadityavarman II, il éclipse en grandeur tous les autres «temples montagnes». Sur cette pyramide à trois étages représentant le mont Meru, la demeure des dieux, au sommet de l'Univers, c'est une débauche de pavillons et de galeries. Mais l'architecte, trop ambitieux, a accumulé les erreurs de construction. Au fil des siècles, les parois et les soubassements, sous-dimensionnés, se fissurent, provoquant des affaissements fâcheux. Bref, du fait de ses faiblesses structurelles, le Baphuon était condamné par les pluies de mousson et l'étreinte des racines des fromagers.
En 1943, un éboulement emporte un quart de l'édifice C'est là qu'intervient une lignée de restaurateurs français qui se sont passé le flambeau pour sauver l'un des trois plus importants édifices du site d'Angkor. Des hommes qui ont sué, dégagé, défriché, colmaté, démonté et remonté.
L'épopée démarre avec Jean Commaille, premier conservateur de l'Efeo, qui, à travers les ronces et les lianes ruisselantes, découvre en 1908 les ruines du Baphuon, avant d'être assassiné par des bandits de grand chemin, et s'achève avec l'archéologue architecte Pascal Royère, qui parcourt à grandes enjambées ce puzzle de 300.000 pièces de grès d'une demi-tonne chacune, qu'il a assemblé pendant seize ans. Après quarante ans de colmatage des brèches et un éboulement qui emporte en 1943 un quart de l'édifice, Bernard-Philippe Groslier, brillant orientaliste, préconise une thérapie de choc : l'anastylose générale. Le monument doit être démonté puis relevé avec ses propres matériaux sur des parois ceinturées de béton armé. Pendant dix ans, les ouvriers désossent les trois étages. En 1970, les trois quarts des façades sont à terre.
Mais le Cambodge s'enfonce dans la guerre civile. En mars, Sihanouk est renversé par Lon Nol. En juin, la guérilla khmère rouge occupe Angkor. La pyramide de sable qui attendait sa chape de béton ne peut résister aux moussons. Dans l'urgence, le Baphuon est enfermé dans un sarcophage de latérite. Il y restera vingt-quatre ans.
Comme un puzzle Lorsque l'Efeo reprend les travaux en 1995, tous les documents d'archives et les cahiers de dépose, qui recensaient l'emplacement des blocs dans la forêt, ont disparu. Il faut refaire l'inventaire complet. «Nous avons adopté la même technique que pour un puzzle, en commençant par trier les coins, puis les bords, explique Pascal Royère, qui a conduit ce chantier titanesque de 10 millions d'euros, pas à pas, sans prendre la mesure de l'ampleur de la tâche». «Nous avons regroupé les pierres selon les similitudes de motifs et les marques d'usure, essayé des assemblages dans la forêt, les avons démontés, refaits, parfois plus de dix fois, avant de retrouver l'empilement d'origine.»
Le résultat est époustouflant. Derrière la beauté sophistiquée du Baphuon, il y a quelque chose de profondément simple, archétypal, qui va droit au cœur. Dominique Thollon, le chef de chantier, en a peut-être percé le mystère: «En chaque pierre se trouve une valeur intrinsèque et l'on conserve le souvenir de cette grandeur.»
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