Fukushima Le scénario du pire
Ce qu’on ose pas vous dire dans les médias…
Chronique par Olivier Rimmel
Quel mauvais coup du sort. En japonais, « fukushima » se traduit par « l’ile du bonheur » (ou « l’ile de la bonne fortune »). L’histoire humaine retiendra hélas une toute autre signification.
Face à la catastrophe nucléaire japonaise, peut-on continuer à se voiler la face longtemps? Déconseillé aux âmes sensibles.
En préambule
Nous sommes honteux. Nous profitons tous de l’énergie électrique tirée du nucléaire. Nous savons tous, depuis qu’on a compris en quoi consiste vraiment la technologie nucléaire, qu’on allait probablement vivre une « ultime catastrophe nucléaire » un jour ou l’autre. Soyons honnêtes, on se le disait tous, c’est ancré dans l’inconscient collectif, mais on fermait les yeux en n’osant finalement pas y croire. On nous disait « on a pensé au pire, mais ça n’arrivera pas, le nucléaire, c’est vraiment sûr ». D’ailleurs on nous le dit encore. On trouve encore des scientifiques, des politiciens, et même des dirigeants de pays occidentaux venir à la télévision dire « le nucléaire, malgré le Japon, ça reste vraiment sûr, on va augmenter la sécurité, mais on va continuer à exploiter le nucléaire », et c’est vrai : on va continuer à exploiter la technologie nucléaire, car trop stratégique. Aucun pays du monde moderne ne peut s’en passer sans alternative crédible solide (à moins de décroître, ce qui n’est pas au programme).
Tchernobyl était pourtant, pour les européens, une sorte de signal d’alarme « sans frais » (avec ses 40 morts officiels, ou ses 600000 morts officieux, selon le rapport qu’on veut bien prendre en compte, et qui ne comptabilise pas les morts à venir dans les 100 prochaines années au moins).
Le véritable impact de Tchernobyl en Europe, c’est probablement des dizaines de millions de gens « plus ou moins contaminés » à un moment, avec un impact « plus ou moins visible » sur leur santé (qui restera à jamais indémontrable), qui vivront « plus ou moins bien » et « plus ou moins longtemps » avec leurs pathologies (cancers de la thyroïde, mais aussi d’autres formes de cancers probablement, et également pathologies cardiaques, diabètes sucré, sinusites dégénérescentes, abcès du cerveau, malformations à la naissance, etc.).
Du coup, officiellement on ne peut pas dire la vérité sur les conséquences probables de la catastrophe japonaise. Alors évoquons officieusement l’improbable. Chacun retournera à ses occupations ensuite, ou pas, n’est-ce pas.
Les faits
À la date du 23 mars 2011, ce ne sont pas seulement 3 réacteurs de la centrale de Fukushima Dai-ichi qui présentent un risque nucléaire majeur critique (ce qui est déjà impensable, et ingérable), mais bien 7 réacteurs en situation d’urgence nucléaire, avec ceux des centrales de Tokaï et de Onagawa. C’est un scénario rarement envisagé même dans les pires publications apocalyptiques de science-fiction. Sur place, ils sont entrés dans une phase dite « procédure ultime », c’est un peu le « sauve-qui-peut » en matière de gestion de crise nucléaire : faire tout ce qui est imaginable immédiatement pour préserver au maximum les retombées sur les populations et sur l’environnement.
Dans ce type de problématique, ce n’est pas tant l’explosion des enceintes autour des réacteurs qui pose problème, mais c’est en réalité l’instabilité des « piscines à combustibles » qui contiennent plus de 100 tonnes de matériel nucléaire hautement toxique, souvent usagé, stocké « en attente de retraitement ». Certains de ces matériaux sont du MOX ( »Mélange d’Oxydes »), un combustible nucléaire parmi les plus toxiques. L’ironie de l’histoire c’est que la centrale de Fukushima venait de démarrer l’exploitation de ce combustible un mois avant la catastrophe.
La prospective
Fukushima, c’est évidemment plus grave que Three Mile Island, c’est aussi bien plus grave que Tchernobyl. Qui peut croire le contraire? Je peux faire simple. En matière de catastrophe, on ne connait pas pire risque que les potentiels ravages du nucléaire sur notre planète, et on a pas connu pire catastrophe sur terre dans l’histoire humaine récente. Mais la population du monde ne le voit pas encore sous cet angle. C’est voulu bien sûr. Sinon la panique serait de nature à constituer la prochaine catastrophe à gérer. D’ailleurs, il suffit de regarder les choses en face. On ne parle déjà plus du tremblement de terre de magnitude 9. On ne parle même plus du tsunami produisant une vague géante de 10m, déferlant à 300km/h sur une centaine de km de côtes japonaises et noyant tout sur une bande de 5km de large dans les terres. On ne parle que de la catastrophe nucléaire. On a clairement franchi un nouveau « gap ».
Que peut-on dire aux japonais? Savent-ils que dans les mois qui viennent, une zone d’exclusion permanente autour de la centrale de Fukushima, d’un rayon de 20 à 80km va peut-être couper le pays en deux, à jamais? Savent-ils que le Japon est probablement condamné à un destin sombre, par l’irradiation continue qui va durer encore des semaines, des mois, des années… probablement des siècles? Les japonais savent-ils qu’ils vont être considérés « indésirables » dans tous les aéroports du monde, et que tout ce qu’ils produiront ne pourra quasiment plus être exporté, faute de clients craignant de s’approvisionner en produits contaminés? Savent-ils que toutes leurs cultures végétales seront suspectes pour des dizaines et des dizaines d’années? Que leurs poissons seront probablement impropres à la consommation humaine? Savent-ils que même leurs technologies électroniques ne les sauveront probablement pas cette fois? Nul ne peut prédire quel sera l’avenir du peuple japonais, mais on est à peu près certain qu’ils traverseront des moments très dramatiques. Leur gouvernement aura bien du mal à relever le défi de l’après Fukushima, car Fukushima n’est pas Hiroshima, c’est une autre histoire.
Pire. Si par malheur le japon était à nouveau frappé par une réplique sismique suffisamment sérieuse pour endommager davantage les infrastructures des réacteurs, les conséquences pourraient précipiter la population humaine dans un processus d’extinction. Et la terre bouge là bas en permanence, il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’une secousse magnitude 5 au moins ne soit enregistrée depuis le 11 mars 2011.
Alors, maintenant, que peut-on dire aux populations humaines partout sur la planète?
Fukushima, ce sont plusieurs réacteurs nucléaires, probablement entrés en fusion, ou en situation d’entrer en fusion. Aucune technologie humaine ne peut interrompre ou atténuer sérieusement ce phénomène physique « incontrôlable », sûrement pas une technologie consistant à refroidir les combustibles avec de l’eau de mer. Concrètement, ça ne va pas exploser. On ne va probablement pas voir un champignon nucléaire. On va assister à la fusion du combustible, à une température de 2000°, qui va se transformer en lave, le corium. Ce matériel en fusion va probablement transpercer la cuve en acier et traverser les fondations en béton avant de se refroidir un peu plus en profondeur. Ensuite, pendant plusieurs centaines d’années, l’endroit sera une « source radioactive », la plus nocive sur terre.
De toute évidence, de cette source radioactive (et je parle bien de source « active ») vont se dégager en permanence des éléments radioactifs, dégagés dans l’air au dessus des réacteurs qui auront fondu, à partir de ce « cimetière nucléaire ».
À noter là une différence avec la catastrophe de Tchernobyl. Là bas, le coeur a explosé pendant qu’il était en activité. D’un coup, tout le combustible s’est dispersé instantanément dans un rayon proche du coeur (et a été ramassé et rassemblé par ceux qu’on appelait les « liquidateurs »). À Fukushima, les coeurs n’ont pas (encore) explosé, ils sont arrêtés techniquement depuis le tremblement de terre, mais les combustibles ne sont plus refroidis, et c’est le processus de fusion, puis de lave active qu’on redoute le plus (car comme évoqué plus haut, aucune technologie humaine ne permet d’en venir à bout à ce jour).
On craint donc que les coeurs de la centrale de Fukushima deviennent (ou ne soient déjà) chacun une source radioactive incontrôlable, « à l’air libre ». Impensable, incroyable, mais vrai.
Objectivement, la radioactivité qui va se répandre immédiatement dans l’environnement au Japon, puis par les vents des hautes altitudes (courant-jet ou « jet stream » d’ouest en est) vont inévitablement contaminer toute la planète.
Depuis le Japon, les courants aériens susceptibles de transporter les rejets hautement toxiques traversent le Pacifique, puis le territoire des États-Unis, puis l’Atlantique pour atteindre l’Europe et la Russie en moins d’une dizaine de jours seulement, et continuellement.
Durant tout ce trajet, les particules radioactives vont se diluer dans les masses d’air, puis retomber progressivement pour contaminer l’immense majorité de l’environnement. Je préfère être clair à ce sujet : quand je parle de dilution, je ne parle pas de diminution du risque radioactif, ou de réduction de l’intensité de la toxicité. Les particules radioactives, bien que diluées dans la masse, ne perdent en aucun cas leur potentiel hautement radioactif, pour des dizaines, voire des centaines d’années.
Les scientifiques le savent mieux que nous, d’infimes particules radioactives suffisent pour contaminer un homme, un animal ou leur nourriture. Personne ne dit rien, car il n’y a rien à dire, on a déjà tout compris. Si l’environnement est contaminé localement, même « en infime quantité avec un risque nul pour les populations » (dixit les autorités), on sait aussi qu’une infime quantité suffirait à nous contaminer.
Pour conclure
On ne va pas arrêter rapidement le processus nucléaire en cours à la centrale de Fukushima (que ce soit concernant la fusion éventuelle des réacteurs, ou des combustibles stockés en piscine), pendant encore longtemps des éléments radioactifs vont se répandre massivement dans l’environnement, et continuellement des « nuages radioactifs » traverseront des zones habitées par des humains, des animaux et leur nourriture.
On a pas fini d’en parler. Bien que le nucléaire semblait magique sur le papier il y a encore quelques dizaines d’années, plus tôt nous aurons imaginé et développé une technologie alternative, plus tôt nous éviterons encore pire situation que ce que nous sommes en train de subir.
S’il fallait un signe pour comprendre que nous mentions l’humanité en danger, cette fois nous l’avons.
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